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Full text of "Histoire du vicomte de Turenne /"

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HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE, 


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HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE, 

Par  tAbbl  Ragu  en  et. 

Nouvelle  Edition   plus  corre&e  que  les 
précédentes. 


A  PARIS,  RUE  DAUPHINE; 

Chez  Claude-Antoine  JOMBERT, 

fils  aîné,  Libraire  du  Roi  pour  le 

génie  6e  l'Artillerie. 

M.  DCC.  LXXTÏT 


^ÏVktiïfïS.f 


&C3 


^AVERTISSEMENT 

Z>  Z7 

LIBRAIRE. 

LA  vie  des  Grands  Ca- 
pitaines étant  tou- 
jours extrêmement  inté- 
reflante  ,  j'ai  cru  que  le 
public  recevroitavecplai- 
fir  celle  que  je  lui  procu- 
re aujourd'hui  d'un  des 
plus  renommés  d'entre 
eux. 

Une  autre  raifon  pour- 
a  iij 


Avertissement. 
ra  contribuer  à  la  lui  faire 
recevoir  agréablement  : 
c'eft  qu'elle  à  été  écrite 
par  un  homme  fort  atta- 
ché à  la  Famille  de  ce 
grand  Capitaine,  dans  la- 
quelle il  a  prefque  tou- 
jours vécu  ,  &  qui  ne  lui 
a  refufé  aucun  des  fe- 
cours  néceffaires  pour  en 
faire  un  bon  Ouvrage. 
C'eft  ce  qu'on  pourra  fa- 
cilement remarquer,  par 
les  Mémoires  fecrets,  & 
les  Lettres  d'Etat,  qu'il 
cite  de  tems  en  tems. 

D'ailleurs  s'il  s'y  trou- 
ve par  -  ci  par  -  là  quel- 


Avertissement. 
ques  petites  négligences 
de  ftyle  ,  c'eft  qu'on  a 
mieux  aimé  le  donner  fi- 
dèlement tel  qu'on  l'avoit 
reçu  ,  que  d'altérer  la  dic- 
tion d'un  Ecrivain  déjà 
connu ,  &  de  réformer 
fon  Ouvrage. 

Pour  en  rendre  la  lec- 
ture plus  utile ,  on  a  feule- 
ment pris  foin  d'ajouter 
des  Sommaires  à  la  marge 
de  chaque  Paragraphe  ; 
&  à  la  fin  de  l'année  1 760. 
Une  petite  remarque  qui 
a  paru  néceiïaire  pour  fai- 
re connoître  le  génie  dé- 
fîntérefTé  du  Héros  de  cet 
Ouvrage.  a  iv 


Avertissement. 

Les  Médailles  font  tou- 
tes placées  à  la  fin  dans 
cette  Edition  ,  &  ren- 
voyées par  des  numéros: 
il  ne  faudroit,  pour  juger 
de  la  préférence  quelle 
mérite  fur  les  anciennes 
Editions ,  que  confronter 
la  Médaille  N°.  6  dont 
on  avoit  changé  la  repré- 
fentation  &  la  Légende  5 
prefque  toutes  les  autres  . 
étoient  defe&ueufes. 


HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE. 


LIVRE   PREMIER. 

E  Règne  de  Louis  XIV     Nombreir- 
fi.it  fienalé  dès  fon  com-  fcsConquêtes 

°  r   du  Reene  de 

mencement   par    un  fi  Louis  Xiv , 
grand  nombre  de  vic- 
toires 6c  de  Conquêtes ,  que  rien 
n'avoit    fait  plus  d'honneur   aux 
François  depuis  l'établiflement  de 
leur  Monarchie.  J'entreprends  d'é- 
crire la  vie  d'un  Capitaine  qu'on  dues  prïncî- 
doit  regarder  comme  le  principal  P?Iement  a* 
infiniment  de  ces  victoires  &  de  t  wewU 
tes  Conquêtes  j  d'un  Général  d'Ar- 
A  X 


îo  Histoire  du  Vicomte 
mée,  que  la  France  peut  oppofer, 
non-feulement  à  tous  ceux  des  der- 
niers fiecles,  de  quelque  Nation 
qu'ils  foient  ,  mais  encore  aux 
Grecs ,  aux  Romains,  &  à  tous  les 
autres  grands  Capitaines  de  l'anti- 
quité,-car  tel  eft  le  Vicomte  de 
Turenne. 
:-  Difficulté  Je  n'ignore  pas  les  difficultés 
"Jj|  Jree  ^on  de  l'entreprife  dont  je  me  charge. 
Je  fais  quelle  efl  l'attente  du  Pu- 
blic touchant  cet  Ouvrage.  Ce- 
pendant ,  pour  la  remplir ,  on  n'a 
que  la  vie  d'un  homme ,  qui  a  fait , 
à  la  vérité  ,  les  actions  les  plus 
grandes ,  mais  qui  font  encore 
moins  grandes  par  elles-mêmes , 
que  parle  principe  qui  les  produit , 
par  les  motifs  d'où  elles  partent , 
&  par  les  fentimens  qui  les  accom- 
pagnent :  toutes  chofes  où  il  n'eft 
prefque  pas  permis  à  l'Hiflorien  de 
fouiller, 
tant  par  rap-  Si  l'on  n'avoit  à  écrire  que  la 
port  aux  Té- vie  d'un  Héros  de  quelque  fiecle 
fort  éloigné  du  nôtre  >  il  feroit  ai- 
fé  de  compofer  fon  hiftoire  ,  fans 
craindre  d'être  contredit  par  au- 


DE  TlTRENNE.  Llv.  L     II 

cun  témoin ,  en  ramaffant  tout  ce 
qui  fe  trouveroit  de  lui  dans  les  li- 
vres. Mais  quantité  de  perfonnes, 
qui  ont  vécu  avec  le  Vicomte  de 
Turenne  ,  vivent  encore  :  c'eft  aux 
Officiers  &  aux  foldats ,  qui  ont 
fervi  fous  lui ,  qu'il  faut  que  l'Hif- 
torien  raconte  ce  qu'ils  ont  fait  eux- 
mêmes,  &  ce  qu'il  n'a  pas  vu.  Il 
faut  faire  une  Hiftoire  détachée, 
pour  un  homme  qui  a  eu  tant  de 
part  aux  événemens  publics,  qu'il 
iemble  qu'il  faudroit  écrire  l'Hif- 
toire  générale  de  fon  tems ,  pour 
bien  faire  la  fienne. 

D'ailleurs ,  comment  conferver  <iue  pa*  »?- 
le  génie  du  fiyle  hiftorique  ,  enpo"au  tyiC 
racontant  certaines  actions  fi  gran- 
des &  fi  élevées ,  que  le  récit  le 
plus  fimple  qu'on  en  puiffe  faire ,  ne 
iauroit  manquer  d'avoir  toujours 
je  ne  fais  quel  air  d'éloge  &  de  pa- 
négyrique } 

Telles  font  les  difficultés  qu'il  vains  y  ont 
y  a  à  faire  l'Hiftoire  du  Vicomte  de écboué? 
Turenne.    Plus  d'un  Ecrivain  y  a 
déjà  fuceombé  ;  &  il  femble  qu'el- 
les devroient  détourner  tout  h 
A  vj 


i  2    Histoire  du  Vicomte 

monde  de  l'entreprendre  ,  outre 
que  perfonne  ne  paroît  avoir  moins 
befoin  d'Hiftoire  que  ce  Prince  ; 
les  chofes  qu'il  a  faites  pour  le  bien 
ck  pour  la  gloire  du  Royaume , 
étant  d'une  nature  à  ne  pouvoir  ja- 
mais être  oubliées.  En  effet,  il 
n'y  a  point  de  François  qui  ne  fâ- 
che de  quoi  la  France  lui  eft  rede- 
vable ;  il  n'y  a  point  de  père  qui 
ne  l'apprenne  à  fon  fils  :  de  forte 
que,  lans  le  fecours  de l'Hiftoire , 
ce  qu'il  a  fait  ne  fauroit  manquer 
de  paffer  jufqu'à  la  dernière  pofté- 
rité  ;  mais  outre  ces  actions  écla- 
tantes ,  que  prefque  perfonne  n'i- 
gnore, il  y  en  a  beaucoup  d'au- 
tres qui  font  moins  connues,  & 
dont  je  crois  être  affez  inflruit  pour 
en  faire  part  au  Public ,  les  ayant 
apprifes  par  le  moyen  des  Mémoi- 
res particuliers  qui  m'ont  été  com- 
Kouveaux  muniqués.  Ces  Mémoires  font  ceux 
Mémoires  fe-  du  Vicomte  de  Turenne  ,  qu'il 
««s ,  commença  à  écrire  de  fa  propre 

main,  fi-tôt  qu'il  fut  à  la  tête  des 
armées  ;  les  Lettres  du  Roi  &  des 
Secrétaires  d'Etat  qui  lui  ont  été 


DE  TURENNE.  Liv.  I.  Ij 
écrites  pendant  tout  le  tems  qu'il  a 
commandé  ,  ôc  fes  réponfes  à  ces 
Lettres. 

Des  perfonnes  d'une  haute  dif-  commune 
tinclion  m'ayant  procuré  ces  diver-  ^euuers  a  1  Aaz 
fes  pièces ,  dont  on  peut  tirer  de  fi 
grands  fecours  pour  fon  Hiftoire , 
je  me  trouve  engagé ,  par  leurs 
inftances ,  à  les  mettre  en  œuvre  , 
&  à  faire  tous  mes  efforts  pour  ré- 
pondre à  la  confiance  dont  on  m'a 
honoré. 

Je  vais  donc  efiayer  de  raconter  quî     entre- 
tout ce  qu'a  fait  le  Vicomte  de  Sg*^" 
Turenne  ,  foit    en  France  ,   foit 
dans  les  Pays  Etrangers,  durant 
la   plus  grande  partie    du  fiecle 
paffé. 

Je  tâcherai  de  faire  connoître  Son  plan; 
cetteprofonde  intelligence  avec  la-  géunc£n£  Jfc 
quelle ,  ayant  formé  le  plan  de  fa 
Campagne,  il  favoit  où  il  rencon- 
treroit  les  Ennemis,  où  il  leur  li- 
vreroit  bataille  ,  &  tous  les  mou- 
vemens  qu'il  leur  feroit  faire  :  ce 
caractère  particulier  de  valeur ,  qui 
le  rendoit  en  même  -  tems  fi  cir- 
confpeft  à  donner  des  batailles,  & 


Us  vertus 


1 4  Histoire  du  Vicomte 
fi  prompt  à  s'y  déterminer  dans 
l'occafion  :  car ,  quoique ,  pour 
ménager  le  fang  de  (es  foldats ,  il 
évitât,  autant  qu'il  pouvoit ,  d'atta- 
quer les  ennemis ,  il  prenoit  néan- 
moins fi  promptement  fon  parti, 
lorfqu'il  étoit  néceflaire  d'en  venir 
aux  mains ,  qu'il  ordonnoit  un  com- 
bat &  une  bataille ,  comme  un 
autre  auroit  fait  un  fimple  campe- 
ment &  une  fimple  marche ,  fans 
aflembler  pour  cela  de  Confeil  :  de 
quoi  même  qui  que  ce  foit  ne  fe 
formalifoit  ;la  fupériorité  de  fes  lu- 
mières reconnue ,  faifant  que  per- 
fonne  ne  s'offenfoit  de  n'être  pas 
côKifulté.  Je  ferai  voir  cette  difpo- 
fition  d'efprit  û  fage ,  qui  le  porta 
toujours  à  penfer  modeftement  de 
lui-même  avant  le  combat,  &  à 
parler  des  Ennemis  avec  honneur 
après  la  vi&oire. 

Je  dirai  comment  fa  vertu  naif- 
fante  excita  d'abord  la  jaloufie  ; 
&  comment  fon  mérite  s'accrut  par 
la  fuite  jufqu'à  un  tel  point,  qu'il 
fit  de  fon  vivant  même  taire  la 
médifance ,  &  que  fes  Concurrens 


BE  TURENNE.  Liv.  I.      Ij 

cefferent  enfin  d'être  fes  envieux  , 
&  applaudirent  comme  les  autres 
à  fa  gloire. 

Il  n'y  a  rien  dans  ces  derniers  &  le  caraftere 
fiecles  ,  qui  puiffe  nous  fournir  de  fon  Heros* 
une  idée  jufte  de  la  {implicite  gui 
étoit  le  véritable  fond  de  fon  ~ca- 
ra&ere  :  il  faut  remonter  pour 
cela  jufqu'au  premier  âge  de  la 
République  Romaine  ;  ôt  c'eft  là  , 
où,  dans  les  fentimens  d'un  pe- 
tit nombre  de  Capitaines  égale- 
ment grands  &  modeftes  ,  nous 
trouverons  des  traits ,  parle  moyen 
defquels  nous  pouvons  nous  for- 
mer quelque  image  de  ce  caractère 
{impie ,  qui  a  porté  à  un  fi  haut 
point  de  grandeur  le  Vicomte  de 
Turenne.  Cette  réputation  générale 
qu'il  s'efl  acquife  ,  il  ne  la  doit 
à  rien  de  ce  qui  éblouit  la  plupart 
des  hommes.  Il  n'avoit  ni  l'air 
impofant ,  ni  même  l'extérieur  pré- 
venant; mais  une  aimable  fimpli- 
cité  accompagnoit  toutes  fes  pa- 
roles &  fes  actions  ;  vertu  rare  dans 
une  aufli  grande  élévation  que  celle 
cù  il  étoit,  &  qui,  jointe  à  ce 


1 6    Histoire  du  Vicomte 
génie  éminent  qu*l  avoit  pour  là 
Guerre ,  le  fit  adorer  de  tout  le 
monde  ,  ainfi  qu'on  le  verra  dans 
la  fuite  de  fon  Hiftoire, 


Année 


Henri  de  la  Tour  d'Auver- 
itfit.      gne,  Vicomte  de  Turenne,  na- 
Naiflknce  qUit  à.  Sedan  le  1 1  Septembre  de 

du    Vicomte^  ,         ,  T1     ;      .fr  ,    ~. 

deTurcnne.l  année  1611.  Il  etoit  fécond  fils 
de  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne, 
Duc  de  Bouillon ,  Prince  Souve- 
rain de  Sedan  ,  &  d'Elifabeth  de 
Naffau ,  fille  de  Guillaume  de  Naf- 
fau  I  du  nom,  Prince  d'Orange. 
Ainfi ,  du  côté  paternel ,  il  tiroit 
fon  origine  des  anciens  Comtes 
d'Auvergne ,  dont  la  Maifon ,  par 
fes  alliances  ,  tient  à  ce  qu'il  y 
a  de  plus  grand  en  Europe  pour 
la  nahTance;  &  du  côté  mater- 
nel, il  defcendoit  de  la  Maifon  de 
Nafîau  ,  qui  a  donné  un  Empe- 
reur à  l'Allemagne ,  plufieurs  Ca- 
pitaines généraux  à  la  République 
de  Hollande,  &  un  Roi  à  l'An- 
gleterre. 
SesParens,.     Comme  les  Parens  du  Vicom- 

&fonédu°c^te  de  Turenne  étaient  de  IaReli- 


DE  TURENNE.  Liv.  I.   17 


gion  Prétendue  Réformée ,  ils  le  A  n  n  é  a 
rirent  élever  à  Sedan  ,  dans  lesl5lI,ôcc' 
principes  de  cette  Religion.  Si-tôt 
qu'il  fut  en  âge  d'avoir  des  Maî- 
tres, le  Duc  de  Bouillon  ,  fon 
Père ,  mit  auprès  de  lui  des  gens 
capables  de  lui  donner  une  édu- 
cation digne  de  fa  naifTance  &  des 
grandes  vues  qu'il  avoit  pour  lui. 
Dans  ces  premières  années ,  où 
l'homme,  encore  incapable  de  dé- 
guifement ,  découvre  également  fes 
bonnes  &£  fes  mauvaifes  qualités, 
il  fit  voir  une  maturité  fi  fort  au- 
deffus  de  fon  âge  ,  un  fi  grand 
empire  fur  lui-même ,  &l  une  dif- 
pofition  d'efprit  fi  préparée  à  em- 
braifer  tout  ce  qu'on  lui  propofoit 
de  raifonnable ,  qu'on  jugea  bien 
dès-lors  qu'il  étoit  né  pour  don- 
ner au  monde  de  grands  exemples 
de  vertu.  ■ 

Le  tems  de  l'éducation  domef-  A  ]  M  .  _ 
tique  étant  fini,  &:  le  Duc  deBouil-      iJfx<- 
Ion  étant  venu  à  mourir ,  la  Du-    Envoyé  en 
chefTe  de  Bouillon ,  chargée  de  la  Hollande  au 
conduite  de  fes  enfans  ,  envoya  le  r^"  . 


ï8    Histoire  du  Vicomte 

Année  Vicomte  de  Turenne  en  Hollande  ; 
"&$•      pour  y  apprendre  le  métier  de  la 
Guerre  fous  le  Prince  Maurice  de 
NafTau  fon  frère ,  qui  paffoit  à  jufte 
titre  pour  un  des  plus  grands  Ca- 
pitaines de  fon  liecle. 
qui  Je  fait  fer-      Si-tôt  que  le  Vicomte  de  Tu- 
;ir  ,  cc0I?\rae  renne  fut  arrivé  en  Hollande,  le 
Prince  Maurice ,  ion  oncle  ?  voulut 
favoir  quel  étoit  fon    caractère  ; 
&  il  l'entretint  long-tems ,  pour  ce- 
la fur  toutes  les  chofes  qui  pou- 
voient  le  lui  faire  connoître  à  fond. 
Le  Vicomte  de  Turenne  avoit  na- 
turellement je  ne  fais  quel  embar- 
ras dans  la  langue ,  qui  faïfoit  que 
lorfqu'il  vouloit  parler  il  demeu- 
roit  quelquefois  un   petit   inftant 
fur  la  première  fyllabe  de  certains 
mots  avant  que  de  les   achever; 
mais  tout   ce  qu'il  difoit  étoit  fi 
fenfé  &  fi  jufte,  que  cette  petite 
difficulté  qu'il  avoit  à  s'énoncer , 
n'empêcha  point  que  le*  Prince 
Maurice  ne  conçût  de  lui  une  idée 
très-avantageufe.  Il  lui    fit  aufTi- 
tôt  prendre  un  moufquet,  &  vou- 


D£  TU'RENNE.  Liv.   I.     If) 

lut  qu'il  feryît  comme  un  fimple r~ 

Soldat ,  avant  que  de  1  élever  a  au-      i$15. 
cun  grade. 

Le  Vicomte  de  Turenne  ,  qui  Sa  grande 
ne  refpiroit  que  les  fonaions  duJJ^ 
métier  ,  n'en  reflifa  &  n'en  dédai- 
gna aucune  ;  il  ne  trouva  rien  de 
bas  pour  lui ,  ni  de  trop  pénible. 
Le  Capitaine  fous  qui  on  le  mit , 
étoit  né  VaiTal  du  Duc  de  Bouil- 
lon fon  père ,  &  le  Vicomte  de 
Turenne  lui  obéiiïbit  comme  le 
moindre  Soldat  de  la  Compagnie  : 
il  ne  fe  plaignoit  ni  des  incom- 
modités du  climat  ,  ni  des  inju- 
res des  faifons.  Enfin  il  fit  paroî- 
tre  ,  dans  tous  les  exercices  ,  tant 
de  fermeté  6c  de  patience  ,  &  une 
ii  grande  application  au  Service  , 
que  le  Prince  Maurice ,  charmé  des 
heureufes  difpofitions  qu'il  lui  trou- 
voit  pour  la  Guerre  ,  fe  propofoit 
de  prendre  foin  de  les  cultiver  , 
&  s'en  faifoit  déjà  un  plaifir  par 
avance ,  lorfque  par  malheur  il 
vint  à  mourir.  Ainfi  on  peut  dire 
que  le  Vicomte  de  Turenne  s'eil 
formé  lui-même,  n'ayant  plus  fer- 


io    Histoire  du  Vicomte 


A  ***$.*  E  v*  depuis  ^ous  aucun  Capitaine  de 
qui  on  puiue  avoir  lieu  de  croire 
qu'il  ait  rien  appris  de  tout  ce  qu'il 
a  exécuté  de  grand  dans  l'Art  mili- 
taire. 

s     l6l6t  Après  la  mort  du  Prince  Mau- 

Faîc  Ca  i-  r*ce    ^e   Naffau  ,  les  Hollandois 

tainedinfan-  ayant  remis  le  gouvernement  gé- 

Princ  W'd*  n^Yd^  ^e  ^eurs  Armées  au  Prince 
rie  Henn;fert  Frédéric-Henri  fon  frère ,  ce  Prin- 
aux  sièges  de  ce  donna  au  Vicomte  de  Turenne 
Boiduc,  &  Â  "ne  Compagnie  d'Infanterie  ,  à  la 
repris  de  trop  tête  de  laquelle  il  fervit  aux  Sièges 
de  Groll  &  de  Boiduc,  &:  montra 
qu'il  n'étoit  pas  moins  bon  Offi- 
cier que  bon  Soldat.  On  ne  voyoit 
point  ,  dans   toute   l'Armée  ,.  de 
Compagnie  plus  belle  ,  ni  mieux 
disciplinée  que  la  fienne.  Tout  jeu- 
ne qu'il  étoit  ,  il  ne  s'en  repofoit 
point  furies  foins  d'un  Lieutenant; 
il  faifoit  lui  même  faire  l'exercice 
aux  Soldats,  il  les  dreffoit  avec  pa- 
tience ,  il  les  formoit  avec  bonté  , 
il  les  corrigeoit  à  propos  ;   &  fa 
bourfe  leur  étpit  ouverte  dans  tous 
leurs  befoins.  Il  alloit  toujours  le 
premier  à  la  tranchée  ôc  aux  at* 


DE  TURENNE.  Liv.  L      II    

taques.  Son  Gouverneur,  quiétoit  a  n  n  é 
un  homme  de  fervice,  s'efForçoit  I*i** 
en  vain  d'empêcher  qu'il  ne  s'ex- 
pofât  comme  il  faifoit  ;  hors  de-là  , 
il  le  refpecloit  comme  fon  père  ; 
mais  quand  il  s'agifîbit  de  don- 
ner l'exemple  à  ceux  à  la  tête  de 
qui  il  étoit ,  il  n'avoit  égard  qu'à 
ce  que  demandoit  fon  honneur. 
Le  Prince  Frédéric-Henri ,  ion  on- 
cle ,  crut  même  devoir  lui  repro- 
cher ,  comme  une  ardeur  immo- 
dérée ,  ce  courage  qui  ne  connoif» 
foit  point  de  péril  ,afïn  de  lui  don- 
ner quelques  bornes;  mais  il  avoit 
bien  delà  peine  à  difîimulerla  joie 
qu'il  reflentoit  d'être  obligé  à  lui 
faire  de  tels  reproches ,  dans  le  tems 
même  qu'il  les  lui  faifoit  :  juf- 
ques-là  qu'un  jour,  après  lui  avoir 
fait  une  de  ces  fortes  de  répriman- 
des ,  il  fe  tourna  vers  les  Officiers 
qui  étoient  préfens  ,  &  leur  dit 
qu'il  fe  trompoit  fort,  ou  que  ce 
jeune  homme  effaceroit  la  gloire 
des  plus  grands  Capitaines.  AufTi 
n'y  avoit-il  pas  un  feul  des  Soldats 
de  fa  Compagnie  qui  n'eût  eu  hon- 


I6i6. 


11  Histoire  du  Vicomte 
Ai*  w  t  i  te  de  ne  le  pas  fuivre  aux  endroits 
même  les  plus  périlleux  ,  &  de 
n'y  pas  faire  paroître  de  la  bra- 
voure à  fon  exemple.  Celui  qui 
a  dpnné  fa  vie  au  Public  ,  avant 
moi ,  raconte  plufieurs  actions  fort 
brillantes  que  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  fit ,  à  ce  qu'il  prétend ,  n'étant 
encore  que  fimple  Capitaine ,  &  je 
pourrois  en  embellir  ici  cette  Hif- 
toire  ;  mais  n'en  trouvant  aucune 
preuve  en  nul  autre  endroit ,  &C 
n'eftimant  pas  que  le  témoignage 
d'un  particulier  fuffife  pour  fonder 
la  certitude  d'un  fait  hiftorique , 
je  ne  les  rapporterai  point.  J'aime 
mieux  m'expofer  au  reproche  d'a- 
voir omis  quelques  actions  glorieu- 
fes  à  la  mémoire  du  Prince  dont 
j'écris  la  vie  ,  qu'à  celui  d'en  avoir 
fuppofé  pour  lui  faire  honneur  ;  & 
je  yeux  raconter  toutes  chofes  avec 
tant  d'exactitude  &  de  fincérité , 
que  cet  Ouvrage  ne  foit  pas  moins 
un  monument  de  la  fidélité  avec 
laquelle  on  doit  écrire  l'Hiftoire  , 
que  de  la  gloire  immortelle  du 
Vicomte  de  Turenne*  Cependant, 


DE  TURENNE.   Liv.  L      2$   

i  continuent  de.  fervir  en  Hollan-  A  M  N  i  j 
le.  Les  François ,  qui  s'y  trou-  ^^> 
f oient  en  grand  nombre ,  &  qui 
ivoient  été  témoins  de  fes  actions 
&defa  conduite ,  enavoient  écrit 
iluûeurs  fois  à  la  Cour  :  ils  en  par- 
oient  comme  d'un  prodige  de  fa- 
;effe,  Se  il  étoit  déjà  connu  en 
7rânce  ,  lorfque  les  affaires  de  fa 
vlaifon  l'obligèrent  à  s'y  rendre, 
sdais  avant  que  de  raconter  ce 
ju'il  fit  pour  le  fervice  de  cette 
Couronne ,  aux  intérêts  de  laquelle 
1  demeura  attaché  pendant  pref- 
jue  tout  le  refte  de  fa  vie ,  il  efl 
i  propos  de  faire  connoître  quelle 
îtoit ,  dans  ce  tems  là ,  la  diipofi- 
ion  de  la  France ,  tant  pour  les 
iffaires  du  dedans  du  Royaume , 
jue  par  rapport  aux  Etats  voifins, 
Si  de  donner  une  idée  du  caractère 
de  ceux  qui  a  voient  part  au  Gou- 
vernement. 

Louis  XIII ,  qui  régnoit  alors ,      Richelieu 
avoit  bien  fu  connoître    que    le  è-^™01^ 
Cardinal  de  Richelieu  avoit  un  gé-  Louis  xm. 
nie  fupérieur  à  celui  de  toutes  les 
âutresperfonnes  qui  entroient  dans 


'Année 
.1616. 


24  Histoire  du  Vicomte 
fon  Confeil ,  &  perfuadé  qu'il  avoit 
d'ailleurs  du  zèle  pour  fon  fervice  , 
&  de  l'attachement  pour  fa  per- 
fonne ,  il  l'avoit  fait  fon  premier 
Miniftre  ,  &  lui  avoit  remis  l'ad- 
miniûration  générale  de  toutes  les 
affaires. 
forme  le  def-  Le  Cardinal  de  Richelieu  fe 
fein  d'abaif-  vovant  maître  de  difpofer  comme 

fer  la  Maifon  ..    J       *      •     1     *  -rr  r 

d'Autriche.  «  voudroit  de  la  puiilance  iouve- 
raine,  réfolut  d'élever  la  France 
à  un  fi  haut  point  de  grandeur  , 
que  fon  Miniflere  devînt  célèbre 
dans  tous  les  fiecles  à  venir.  Il 
falloit  pour  cela  abaiffer  la  Maifon 
d'Autriche,  qui,  poffédant  l'Em- 
pire d'Allemagne  &  la  Monarchie 
d'Efpagne,  fe  trouvoit  fort  au- 
deffus  de  toutes  les  autres  Maifons 
de  l'Europe  ;  ôt  c'efl:  aulîi  ce  qu'il 
avoit  entrepris  de  faire.  Mais  com- 
me l'autorité  de  Louis  XIII  n'é- 
toit  pas  fort  abfolue  dans  fon  pro- 
preTloyaume  ,  le  Cardinal  de  Ri- 
chelieu n'avoit  pas  ofé  d'abord 
faire  déclarer  ouvertement  la  Fran- 
ce contre  la  Maifon  d'Autriche.  Il 
s'étoit  contenté  d'aflifter^  comme 

Alliés  «, 


DE  TURENNE.   Liv.  L      If  

Alliés ,  les  Suédois  &  les  Hollan-  Année 
dois ,  qui  etoient  en  guerre  avec 
l'Empereur  &  avec  le  Roi  d'Ef- 
pagne  ;  &  afin  de  pouvoir  bien- 
tôt tourner  toutes  les  forces  de  la 
France  contre  les  Impériaux ,  6c 
contre  les  Efpagnols  ,  il  appliquoit 
tous  fes  foins  à  rendre  le  Roi  fi  ab- 
fblu  chez  lui ,  qu'il  n'eût  plus  rien 
à  craindre  du  dedans  du  Royau- 
me ,  lorfqu'il  porteroit  la  Guerre 
au  dehors  :  car  la  PuhTance  Sou- 
veraine partagée  ,  comme  elle  Té- 
toit  alors  ,  fe  trouvoit  réduite  à 
bien  peu  de  chofe.  La  Reine  Mère , 
le  Duc  d'Orléans  >  frère  du  Roi , 
les  Princes  du  Sang ,  &  les  Grands 
du  Royaume,  vouloient  tous  avoir 
part  au  Gouvernement.  Les  Parle- 
mens  prenoient  connohTance  des 
Affaires  d'Etat  ;  les  Calvinifîes 
avoient  des  Chefs  &c  des  Places 
de  fureté  ;  les  Mécontens  entrete- 
naient des  liaifons  avec  les  Ducs 
de  Lorraine  &:  de  Bouillon ,  qui , 
par  le  moyen  de  Nancy  &c  de 
Sedan  ,  Places  fi  voifines  de  la 
France  ?  leur  fourniffoient  dans  le 

B 


16   Histoire  du  Vicomte 
befoin  des  retraites  faciles  &c  affu- 
rées, 

Le  Cardinal  de  Richelieu ,  avant 
&fommer  les  <Iue  ^e  r^en  entreprendre  contre  les 
Grands     du  Etrangers ,  obligea  la  Reine  Mère 

Royaume.       *  fortir  du  Royaume  ,  &  les  Prin- 

ces  du  Sang  à  fe  contenter  de  leur 
Appanage.  Il  fit  couper  la  tête  à' 
quelques-uns  des  Grands ,  &  ar- 
rêta les  autres  par  la  crainte  du 
même  traitement  :  il  réduifit  les 
Parlemens  à  ne  plus  fe  mêler  d'au- 
tres affaires  que  de  celles  des  par- 
ticuliers :  il  enleva  aux  Calviniïtes 
la  Rochelle  ,  &  leurs  autres  Forte- 
reffes  les  plus  confidérables  :  il  en- 
voya une  armée  dans  la  Lorraine , 
pour  fe  rendre  maître  des  princi- 
pales Places  de  ce  Duché  ;  &  enfin 
il  fit  figner  à  la  Ducheffe  Douai- 
rière de  Bouillon ,  un  Traité  ,  par 
lequel  elle  promettoit  de  demeurer 
toujours  attachée  aux  intérêts  du 
Roi ,  qui ,  de  fon  côté  ,  s'engageoit 
à  prendre  fa  Maifon  fous  fa  pro- 
tection. 
""  Telle  étoit  la  fituation  des  Af- 

faires de  la  France ,  lorfque  la  Du- 


DE   TURENNE.  Liv.  I.      1J 


cheffe  de  Bouillon  ,  ayant  appris  a  n  n  ê  * 
que  le  Cardinal  de  Richelieu ,  non      l6*°> 
content  du  Traité  qu'il  lui  avoit  Turenne  en- 
fait  figner ,  avoit  defïein  de  lui  de-  cv°yéeû Fc^ 
mander  qu'elle  reçût  garnifonFran- 
çoife  dans  Sedan ,  elle  jugea  à  pro- 
pos d'envoyer  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  en  France  ;  afin  qu'il  y  fer- 
vît  comme  d'otage  &  de  caution 
des  engagemens  qu'elle  avoit  con- 
tractés avec  cette  Couronne  ,  & 
qu'on  ne  lui  fît  pas  de  nouvelles 
proportions ,  au  préjudice  de  la 
Souveraineté  du  Duc  de  Bouillon, 
fon  fils  aîné. 

Le  Vicomte  de  Turenne  étant  y  eft  très-bie* 
donc  allé  à  la  Cour  de  France  ,  il  j^*  Et 
fut  reçu  du  Roi  &  du  Cardinal  mène, 
de  Richelieu  ,  avec  tous  les  hon- 
neurs ôc  toutes  les  carefTes  que 
lui  dévoient  attirer  fa  naifTance  &c 
fon  mérite  perfonnel  ;  &  on  lui  don- 
na  un   Régiment  d'Infanterie  ,  à 
la  tête  duquel   il  fervit  au  fiége 
de  la  Mothe  :  car  le  Cardinal  de 
Richelieu ,  ayant  envoyé  ordre  au 
Maréchal  de  la  Force  d'afliéger 
cette  Ville ,  qui  étoit  la  feule  Pla- 
Bij 


18   Histoire  du  Vicomte 


A  n  m  e  e  ce  confidérable ,  qui  reftât  au  Duc 
l6™-  de  Lorraine  ,  le  Régiment  de  Tu- 
renne  fut  du  nombre  de  ceux 
qu'on  deflina  pour  cette  expédi- 
tion. 

Sert  au  siège  La  Mothe  étoit  une  ForterefTe 
4eiaMcnhe.  fituée  fur  le  haut  d'un  Rocher  fort 
élevé ,  &  d'une  dureté  à  l'épreuve 
de  la  fape  &  de  la  mine.  Lorfque 
le  Maréchal  de  la  Force  eut  avan- 
cé fes  travaux  ,  d'une  manière  à 
pouvoir  attaquer  un  des  battions 
de  la  Place  ,  il  y  envoya  le  Mar- 
quis de  Tonneins  fon  fils  ,  avec 
fon  régiment ,  qui  y  fut  fi  maltrai- 
té ,  qu'il  fut  contraint  de  venir  fe 
renfermer  dans  les  lignes.  Le  len- 
demain ,  le  Vicomte  de  Turenne 
fut  commandé  avec  fon  régiment, 
pour  attaquer  ce  même  baftion. 
Chacun  avoit  les  yeux  tournés  fur 
ce  jeune  Colonel;  &fa  réputation 
naifTante  rendoit  toute  l'armée 
attentive  à  l'événement  de  cette 
entreprife.  Les  Affiégés  faifoient 
non-feulement  un  très-grand  feu  , 
mais  ils  tranfportoient  encore  fur 
leurs  remparts  des  pierres  d'une 


DE   TURENNE.   Liv.  1.      1<)  

groffeur  prodigieufe  :  ils  les  jet-  a  n  n  é 
toient  de  deffus  le  parapet  ;  ôc  ces  *6** 
pierres  venant  à  donner  fur  les 
pointes  de  la  Roche  ,  en  tombant  > 
le  fendoient  en  pièces  &£  en  éclats  , 
qui ,  volant  de  part  &:  d'autre , 
tuoient  ou  eftropioient  par-tout  les 
Afîiégeans.  Malgré  tout  cela ,  le 
Vicomte  de  Turenne  s'avança  d'un 
grand  fang  froid  vers  la  brèche  : 
les  foldats  de  fon  régiment  ,  fiers 
de  l'avoir  à  leur  tête ,  ne  furent  ar- 
rêtés par  aucun  danger  ,  quelque 
grand  qu'il  fût.  Les  Afîiégés ,  ani- 
més par  l'avantage  qu'ils  avoient 
eu  le  jour  précédent ,  firent  les  der- 
niers efforts  pour  chaffer  le  Vi- 
comte de  Turenne ,  qui  faifoit  tout 
enfemble  le  devoir  de  Capitaine, 
&  celui  de  Soldat ,  attaquant  les 
ennemis  avec  vigueur,  &  donnant 
(es  ordres  avec  beaucoup  de  pré- 
fence  d'efprit ,  au  milieu  des  morts 
&:  des  bleffés  ,  que  le  canon ,  la 
moufqueterie  &  les  pierres  ,  fai- 
foient  tomber  à  fes  côtés.  Aufîi , 
malgré  les  efforts  des  ennemis,  qui 
fe  battirent  en  défefpérés  ,  il  les 
B  iij 


jo   Histoire  du  Vicomte 


A  n  N  é  *  chaffa  du  baftion ,  y  fit  fon  loge- 
i6>4*  ment ,  &  fut  caufe  en  partie  de  la 
prife  de  la  Ville.  Il  en  reçut  des 
complimens  de  toute  l'armée  ,  Se 
enfuite  de  toute  la  Cour,  quand 
on  y  eut  appris  ce  qu'il  avoit  fait 
pour  la  prife  de  cette  Place  ;  car 
le  Maréchal  de  la  Force  lui  rendit 
toute  la  juftice  qui  lui  étoit  due , 
dans  la  relation  qu'il  envoya  de 
ce  fiége  au  Cardinal  de  Riche- 
lieu :  générofité  rare  dans  ceux 
qui  commandent  les  armées  ,  & 
qui  toucha  tellement  le  Vicomte 
de  Turenne  ,  que  préférant  l'al- 
liance de  ce  Maréchal  à  toute  au- 
tre, il  époufa  fa  petite-fille,  com- 
me nous  le  verrons  dans  la  fuite  de 
cette  Hiftoire.  Il  femble  que  le 
Marquis  de  Tonneins  auroit  dû 
être  fort  piqué  d'avoir  échoué  dans 
une  entreprife  où  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  avoit  fi  heureufement  réuifi; 
&  il  l'auroit  peut-être  été  ,  s'il 
avoit  eu  affaire  à  un  Concurrent  qui 
en  eût  tiré  vanité  :  mais  la  modeftie 
du  Vicomte  de  Turenne  étoit  telle , 
que  le  Marquis  de  Tonneins  ne  put 


DE   TURENNE.   Liv.  I.      31 


lui  envier  l'honneur  d'un  fuccès  fi  Amnéi 
glorieux.  i6j4> 

Le  Cardinal  de  Richelieu ,  re-  Fait  Mare- 
gardant  le  Vicomte  de .  Turenne  f  *  *£*"« 
comme  un  homme  dont  l'expérien- 
ce &  le  jugement  devançoient  de 
beaucoup  l'âge ,  le  fit  Maréchal  de 
Camp ,  quoiqu'il  n'eût  que  vingt- 
trois  ans ,  &:  que  le  grade  de  Ma- 
réchal de  Camp  fût  alors  le  pre- 
mier après  celui  de  Maréchal  de 
France. 

L'année  fuivante  ,  l'Empereur  — — — — 
ayant  fait  afiiéger  la  Ville  de  May  en-      1 6  i  5  ' 
ce  ,    dont   les   Suédois    s'étoient  Safagecon- 

1  *  y  r  «     duire     a      la 

rendus  maîtres  en  163 1  ,  ious  la  Retraite  da 
conduite  du  grand  Guftave  ,  le  Mayencc. 
Cardinal  de  Richelieu  envoya  au 
fe cours  des  Suédois  le  Cardinal  de 
la  Valette ,  à  la  tête  d'une  armée  ; 
&  il  lui  donna  pour  Maréchal  de 
Camp  le  Vicomte  de  Turenne.  A 
l'approche  des  François,  les  Impé- 
riaux levèrent  le  Siège.  Le  Car- 
dinal de  la  Valette  s'approcha  aufli- 
tôt  de  Mayence  ,  &  y  jetta  tou- 
tes les  munitions  dont  cette  grande 
Ville  avoit  befoin  :  imprudence  a 
B  iv 


3 1  Histoire  du  Vicomte 
Année  que  les  Impériaux  avoient  bien  ju- 
*?**•  gé  qu'il  ne  manquer  oit  pas  de  com- 
mettre. Aufïi  ne  fe  fut-il  pas  plu- 
tôt défait  de  fes  vivres  ,  que  les 
Généraux  de  l'Empereur  ,  qui  s'é- 
toient  rendus  maîtres  des  paffages 
par  où  il  en  pouvoit  faire  venir,  em- 
pêchèrent de  telle  forte  qu'on  n'en 
apportât  dans  fon  Camp  ,  qu'on  y 
manqua  bientôt  de  toutes  ehofes. 
Le  pain  y  enchérifïbit  de  jour  en 
jour  ,  &  devint  enfin  fi  rare  ,  qu'il 
fe  vendoit  jufqu'à  un  écu  la  livre. 
Dans  cette  extrémité  le  Vicomte 
de  Turenne  diflribua  aux  foldats 
les  provifions  qu'il  avoit  fait  ap- 
porter pour  lui ,  &  qui  furent  bien- 
tôt confommées.  Il  vendit  enfuite 
fes  équipages  ,  pour  faire  fubfifler 
une  partie  de  1  armée  ;  la  plupart 
des  foldats  ennemis  s'expofant  à 
tout ,  pour  nous  apporter  des  vi- 
vres ,  à  caufe  du  prix  exceffif  qu'on 
leur  en  payoit.  Mais  enfin  la  difette 
devint  fi  grande  ,  que  l'armée  fe- 
roit  périe ,  fi  on  l'avoit  biffée  là 
plus  long-tems.  Il  fallut  donc  que 
le  Cardinal  de  la  Valette  prît  le 


DE  TuRENNE.  Liv.  L      3J 

parti  de  fe  retirer ,  quelque  dan- 

ger  qu'il  y  eût  à  le  faire  devant  une  "^ , 
armée  auiîi  nambreufe  qu'étoit  cel- 
le des  Impériaux.  Ilfe  propofoit  de 
décamper  la  nuit ,  &:  de  fe  fauver 
dans  les  trois  Evêchés  par  Sarbruk 
&  Saint  Àvaud ,  où  il  y  avoit  beau- 
coup de  vivres;  maisles  Impériaux  , 
s'étant  apperçus  de  fa  retraite  ,  mi- 
rent aufli-tôt  à  fes  troufles  le  Gé- 
néral Galat ,  qui ,  avec  un  corps  de 
troupes  fraîches,  lui  coupa  ce  che- 
min facile ,  &  le  réduifit  à  prendre 
celui  des  montagnes,  qui  étoit  bien 
plus  long  6c  entièrement  défera 
L'Hiftoire  nous  fournit  peu  d'e- 
xemples d'une  retraite  aufli  trifte 
que  le  fut  celle-là.  Les  François  r 
fans  vivres ,  travaillés  de  toutes  les 
maladies  qui  font  inféparables  de  la 
famine,  &c  s'enfuyant  à  travers  les 
bois  6c  les  rochers,  étoient  pour- 
fuivis  par  les  Impériaux  qui  avoient 
tout  en  abondance.  Les  fuyards  ne 
gardoient  aucun  ordre  dans  leur 
marche  :  ceux  qui  pouvoient  trom- 
per la  vigilance  des  O^nciers  ,  al- 
loient  fe  jetter  parmi  les  ennemis  y 

B  v 


%  4    Histoire  du  Vicomte 
.  dans  I'efpérance  qu'ils  leur  donne- 

*s*JtE  E  roient  de  quoi  anouvir  la  faim  qui 
les  dévoroit  :  la  plupart  s'écartoient 
à  droite  &  à^auche,  pour  tâcher  de 
découvrir  quelque  cabane ,  &  y 
trouver  au  moins  un  morceau  de 
pain.  Ceux  qui ,  épuifés  de  forces  , 
ne  pouvoient  quitter  le  gros  de 
l'armée ,  fe  traîncient  le  long  des 
chemins .  plutôt  qu'ils  ne  mar- 
choient  :  ils  dévoroient  des  yeux 
tout  ce  qu'ils  voyoient  manger  aux 
Officiers;  &  les  Officiers  étoient 
contraints  à  fe  cacher  d'eux.  Le 
Cardinal  de  la  Valette  fut  obligé 
d'abandonner  toute  l'artillerie ,  6c 
la  plus  grande  partie  des  bagages , 
afin  de  pouvoir  gagner  Vaudre- 
vange ,  pour  y  paffer  la  Saare  &: 
fe  mettre  à  couvert  fous  le  canon 
de  Metz  ,  comme  il  fit.  Durant 
cette  longue  marche ,  qui  dura  trei- 
ze jours ,  le  Vicomte  de  Turenne 
partagea  avec  les  foldats  le  peu 
de  vivres  qu'il  pouvoit  trouver  : 
il  fit  jetter  de  deffusles  charriots 
les  chofes  les  moins  néceffaires , 
&  y  fit  monter  quantité  de  malheu- 


DE  TlJRENNE.  Liv.  1.      }f 

reux ,  qui  n'avoient  pas  la  force  de  , — 

marcher  :  en  ayant  trouvé  un  que  \£ $  *  * 
la  faim  &  la  fatigue  avoient  fait 
tomber  au  pied  d'un  arbre ,  où  ré- 
folu  d'abandonner  fa  vie  à  la  merci 
des  ennemis ,  il  attendoit  la  mort, 
il  lui  donna  fon  propre  cheval ,  & 
marcha  à  pie  jufqu'à  ce  qu'il  eût 
joint  un  de  fes  charriots ,  fur  lequel 
il  le  fit  mettre.  Il  confoloit  les  uns, 
il  encourageoit  les  autres ,  il  les  ai- 
doit  &  les  aflifloit,  fans  faire  diffé- 
rence de  ceux  de  fon  régiment  d'a- 
vec ceux  qui  n'en  étoient  pas  :  û 
bien  que  tous  les  foldats  commen- 
cèrent dès-lors  à  le  regarder  com- 
me leur  père  ;  car  il  compatiffoit 
à  leurs  peines ,  &  il  les  foulageoit 
tous  également.  D'ailleurs.,  il  com- 
battit avec  beaucoup  de  valeur  dans 
tous  les  endroits  où  l'on  fut  obli- 
gé de  faire  tête  aux  Impériaux  : 
il  fe  faifit  des  défilés  où  Ton  pou- 
voit  les  arrêter,  &  des  hauteurs 
d'où  ils  nous  auroient  fort  incom- 
modés ,  s'ils  les  avoient  occupées 
avant  nous  :  il  logea  dans  quelques 
mafures  qui  fe  trouvèrent  fur  le 
B  vj 


3  6    Histoire  du  Vicomte 

"■*— — —  chemin  :  de  l'infanterie ,  dont  le  feu 

Année  a^i  •  1    /> 

l6i6i  arrêta  les  ennemis  en  plusieurs  en- 
droits :  enfin,  il  prit  des  mefures  û 
fages ,  &  agit  avec  tant  de  vigueur, 
que  ce  qu'il  fit  dans  cette  retraite 
fut  regardé  comme  un  des  plus 
grands  fervices  qui  puffent  être  ren- 

dus  à  l'Etat. 

l6i6t  Le  mauvais  fuccès  de  l'affaire 

Prend  Sa-  de  Mayence  avoit  tellement  dé- 

ITbikt  Û  g°flté  le  Cardinal  de  la  Valette  du 
métier  de  la  Guerre ,  qu'il  l'auroit 
abandonné  pour  toujours,  file  Car- 
dinal de  Richelieu ,  qui  avoit  fes 
raifons  pour  mettre  des  Eccléfiaf- 
tiques  à  la  tête  des  armées ,  ne  l'eût 
obligé  bientôt  après  de  prendre  le 
commandement  de  celle  quidevoit 
afïiéger  Saverne ,  ville  d'Alface ,  qui 
étoit  alors  entre  les  mains  des  Im- 
périaux. Cependant,  le  Cardinal  de 
la  Valette  ne  voulut  point  fe  char- 
ger de  cette  entreprif e ,  qu'il  n'eût 
avec  lui  le  Vicomte  de  Turenne  : 
&  il  le  demanda  au  Cardinal  de  Ri- 
chelieu ,  qui ,  fouhaitant  pafîionné- 
ment  qu'il  rétablît  au  plutôt  fonhoi> 
ï^ur,  le  lui  accorda  volontiers*  Le 


DE  TURENNE.  Liv.  I.  37 
Vicomte  de  Turenne,  touché  de  la  — — 
confiance  que  ce  Cardinal  avoit  en  A  N  *  é 
lui  ,  fe  furpafla  ,  pour  ainfi  dire , 
lui-même  au  fiége  de  Saverne ,  foit 
qu'il  fallût  aller  à  la  tranchée ,  ou 
aux  affauts  qui  furent  donnés  à  la 
Ville  &  au  Château.  Les  foldats 
n'ayant  pu  arracher  les  palifïades , 
il  fauta  par-defïus,  &  fit  ferme 
lui  feul  au-delà  ,  jufqu'à  ce  que 
ceux  qu'il  commandoit  fuffent  paf- 
fés  avec  lui  :  il  força  les  retranche- 
mens  que  les  ennemis  avoient  faits 
fur  la  brèche  6c  dans  le  terreplain 
du  baftion  :  tout  fut  pris  &  empor- 
té. Le  Cardinal  de  la  Valette  re- 
couvra par-là  fon  honneur  ;  mais 
il  en  penfa  coûter  un  bras  au  Vi- 
comte de  Turenne,  qu'il  eut  per- 
cé d'un  coup  de  moufquet ,  dont 
la  balle  lui  fit  une  fi  dangereufe  blef- 
fure  ,  que  quelques  Médecins  fu- 
rent d'avis ,  qu'on  ne  pouvoit  lui 
fauver  la  vie ,  qu'en  lui  coupant  le 
bras  :  on  fuivit  néanmoins  le  {en- 
timent  de  ceux  qui  n'opinèrent  pas 
pour  un  fi  trifle  remède  :  il  guérit 
enfin  avec  le  tems,  6c  l'on  connut. 


16}6, 


3  8  Histoire  du  Vicomte 
par  les  alarmes  que  caufa  fa  bleffure^ 
&  par  la  joie  que  répandit  par-tout 
fa  guérifon,  combien  il  et  oit  géné- 
ralement aimé  &  eftimé. 
Chaffe&dé-  Quelque-tems  après  la  reddi- 
«ouvreieVi^  ^on  ^e  Saverne  ,  Galas  ayant  paf- 
ge  de  Jonvd-  fé  le  Rhin ,  à  deffein  de  prendre  des 
quartiers  d'hiver  en  Franche-Com- 
té, avoit  fait  avancer  fes  gardes 
pour  fe  faifir  des  poftes  les  plus 
commodes  &  les  plus  avantageux 
de  cette  Province.  Le  Cardinal  de 
la  Valette ,  en  ayant  été  averti,  en- 
voya le  Vicomte  de  Turenne  avec 
un  détachement  au  devant  des  en- 
nemis. Le  Vicomte  de  Turenne 
marcha  jour  &  nuit  ;  &  étant  ar- 
rivé à  JufTey ,  l'un  des  plus  gros 
Bourgs  de  la  Franche-Comté ,  où  les 
gardes  de  Galas  commençoient  à 
faire  des  retranchemens,  il  les  atta- 
qua ,  il  les  défit ,  &  força  Galas  à  re- 
brouffer  chemin.  Ce  Général ,  avant 
que  de  repaffer  le  Rhin,  voulut  tra- 
verser le  iiége  de  Jonvelle  ,  que 
le  Duc  de  Veimarfaifoit  pour  nous 
en  un  autre  endroit  de  la  Franche- 
Comté  ;  mais  le  Vicomte  de  Tu- 


N    N    E    S 


DE  TURENNE.  Liv.  I.      39 

renne  fe  pofta  d'une  manière  fi  avan- 
tageufe  entre  les  Impériaux  &  nous,  n  "Ztf 
qu'il  rompit  toutes  les  mefures  que 
prit  Galas  pour  jetter  du  fecours 
dans  Jonvelle ,  &  que  cette  place 
fiit  enfin  forcée  de  fe  rendre  au  Duc 
de  Veimar. 

Ces  heureux  fuccès  déterminè- 


rent le  Cardinal  de  Richelieu  à  Prend  ûn- 
donner  au  Cardinal  de  la  Valette  le  drecy  »  u 
commandement  de  l'armée  qui  de- 
voit  agir  en  Flandres.  Le  Cardinal 
de  la  Valette  voulut  encore  avoir  le 
Vicomte  de  Turenne  avec  lui  ;  & 
lui  ayant  fait  ouvrir  la  campagne 
par  1  attaque  du  Château  d'Hirf on , 
çfiii  fit  très  peu  de  réfiftance ,  il  alla 
invertir  Landrecy ,  Ville  du  Hai- 
naut ,  au  fiége  de  laquelle  le  Vicom- 
te de  Turenne  fe  donna  des  peines 
incroyables  pour  empêcher  que  ce 
Cardinal  n'eût  le  chagrin  de  voir 
échouer  fon  entreprife  ;  car  le  tems 
devint  fi  mauvais,  &  la  pluie  tom- 
ba en  fi  grande  abondance,  que 
les  foldats  étoient  jufqu'à  la  cein- 
ture dans  l'eau ,  dont  la  tranchée 
étoit  toute  remplie.  Le  Vicomte  de 


A    N    N 
l657 


40  Histoire  du  Vicomte 
Turenne  y  étoit  entré  avec  eux,  & 
n'en  fortoit  que  pour  aller  rendre 
compte  au  Cardinal  de  ce  qui  s'y 
paffoit  :  il  les  encourageoit  au  tra- 
vail &  à  la  patience ,  fans  leur  fai- 
re de  longs  difcours ,  mais  en  leur 
montrant  l'exemple,  &  en  y  joi- 
gnant la  libéralité.  Il  donnoit  de 
l'argent  à  ceux  des  foldats  qui 
avoient  le  plus  d'expérience,  pour 
les  engager  à  venir  dans  la  tran- 
chée ,  même  hors  de  leur  rang.  Il 
furmonta  ainfi  tous  les  obftacles, 
ue  l'art ,  la  nature ,  &  les  efforts 
es  ennemis ,  oppofoient ,  comme 
de  concert,  aux  afliégeans;  6c  la 
place  fe  rendit  enfin  au  Cardinal  de 
la  Valette. 
îeChiccaudc  La  prife  de  Landrecy  fut  fuivie 
de  celle  des  villes  de  Maubeuge 
&  de  Beaumont,  d'où  le  Vicomte 
de  Turenne  eut  ordre  d'aller  pren- 
dre Solre  ,  qui  étoit  le  Château  le 
plus  fort  de  tout  le  Hainaut  ;  &  on 
lui  donna  les  régimens  de  Cham- 
pagne &  de  Saint  Luc  pour  cette 
expédition.  Il  y  avoit  deux  mille 
hommes  de  garnifon  dans  ce  Châ- 


Solre 


DE  TURENNE.  LlV.   I.      41 

teau;  mais  le  Vicomte  de  Turen-  A  N  N  \  % 
ne  les  fit  attaquer  fi  vivement ,  qu'en  »*î7. 
très-peu  d'heures  ils  furent  forcés  rare  °exempÏÏ 
de  fe  rendre  à  difcrétion.  Les  fol-  defafageffc 
dats  entrèrent  aufïi-tôt  dans  la  Pla- 
ce ;  &  y  ayant  trouvé  une  femme 
d'une  très-grande  beauté  ,  ils  la 
lui  amenèrent  comme  la  plus  pré- 
cieufe  portion  du  butin  ,  &  celle 
qui  devoit  le  plus  flatter  fes  de* 
firs.  Le  Vicomte  de  Turenne  fut 
fe  retenir  fur  le  bord  d'un  précipi- 
ce ii dangereux,  mais  fans  faire  pa- 
rade de  l'empire  qu'il  avoit  fur  lui- 
même  ,  il  fait  femblant  de  ne  pas  pé- 
nétrer le  deffein  de  fes  foldats ,  &C 
comme  fi  en  lui  amenant  cette  fem- 
me ils  n'avoient  penfé  qu'à  la  déro- 
ber à  la  brutalité  de  leurs  camara- 
des ,  il  les  loue  beaucoup  d'une  con- 
duite fi  fage  ;  il  fait  chercher  fon 
mari  en  diligence ,  &  il  la  remet  en- 
tre fes  mains,  en  lui  témoignant 
que  c'étoit  à  la  retenue  &  à  la  dif- 
crétion de  fes  foldats  qu'il  devoit 
la  confervation  de  l'honneur  de  fa 
femme. 

Les  ennemis  fe  portèrent  enfui-   Pourfuiç  * 


4i  Histoire  du  Vicomte 


Année  teen  deçà  deMaubeuge ,  pour  em> 
***?•  pêcher  la  jonction  des  armées  du 
défaû  les  en-  Cardinal  de  la  Valette  &  du  Duc 
de  Candale  ;  mais  n  en  ayant  pu 
venir  à  bout ,  ils  furent  contraints  de 
s'en  retourner  ;  &  le  Vicomte  de 
Turenne  ayant  eu  ordre  de  les  pour- 
fuivre  avec  un  détachement,  il  en 
força  une  partie  à  reparTer  la  Sam- 
bre  ,  où  il  y  _  en  eut  beaucoup  de 
noyés  ;  il  en  fît  parler  au  fil  de  l'épée 
urfgrand  nombre  dans  tout  le  refte 
de  la  retraite ,  &  finit  par  là  cette 
campagne. 

—      L'année    fuivante  le    Cardinal 

3  ;      de  Richelieu  ayant  chargé  le  Car- 
AifacITVy  dînai  de  .la  Valette  d'aller  fecourir 
féconde     le  la  Ducheffe  Douairière  de  Savoie , 
mar  au  fiegê  5U*  avoit  bien  delà  peine  à  fe  main- 
de  Brifac.      tenir  dans  la  Régence  des  Etats  du 
jeune  Duc  fon  nls  ,  contre  les  en- 
treprifes  du  Prince  Thomas  &  du 
Cardinal  de  Savoie ,  (es  beaux-fre- 
res ,  le  Cardinal  de  la  Valette  de- 
manda encore  au  Cardinal  de  Ri- 
chelieu le  Vicomte  de  Turenne  ,  &C 
il  le  lui  auroit  accordé  volontiers , 
s'il  n'avoit  pas  cru  avoir  abfolu- 


DE  ÎURENNE.   Liv.  1.      4$ 


nent  befoin  de  lui  pour  une  très-  A  M  N  é 
;rande  entreprife  qu'il  méditoit  i«i* 
lu  côté  du  Rhin.  En  effet  ,  il 
ivoit  réfolu  de  faire  afliéger  cet- 
e  année-là ,  par  le  Duc  de  Veimar , 
a  Ville  de  Brifac,qui  étoitregar- 
lée  alors  comme  le  boulevard  de 
'Allemagne.  Ayant  donc  déclaré 
tu  Cardinal  de  la  Valette  qu'il 
l'a  voit  qu'à  fe  réfoudre ,  pour  cet- 
:e  fois  ,  à  fe  paffer  du  Vicomte  de 
Hirenne  ,  il  l'envoya  au  Duc  de 
Veimar  avec  un  corps  de  quatre 
mile  hommes  qu'il  avoit  levés 
lans  le  pays  de  Liège.  Le  Duc  de 
Veimar  ayant  reçu  ce  renfort ,  fit 
iuffi-tôt  avancer  fon  armée  du  cô- 
té de  Brifac ,  6c  fe  rendit  maître 
de  tous  les  Châteaux  &  de  tous  les 
Poftes  des  environs ,  pour  ferrer  la 
Place  de  près.  A  la  première  nou- 
velle de  cette  entreprife,  Gceutz 
&  Savelli ,  Généraux  de  l'armée 
Impériale,  ayant  ramaffé  toutes 
leurs  troupes,  fe  mirent  en  marche 
pour  tâcher  de  jetter  un  fecours 
d'hommes  &  de  munitions  dans  Bri- 
fac, avant  que  les  avenues  de  cette 


44  Histoire  du  Vicomte 

Année  Ville  leur  fiuTent  entièrement  fer-i 

16)8.      mées.  Le  Duc  de  Veimar  alla  aul 

devant  d'eux  jufqu'à  Witthenvhir, 

qui  eft  vis-à-vis  deRinaw.Iîs  vou- 

loient  éviter  le  combat  ;  il  les  y 

Le  9  Août,  força.  Le  Duc  de  Savelly  y  fut  bief 
fé  très-dangereufement  ,  Gœutz 
prit  la  fuite  ,  &:  les  Impériaux  fu- 
rent fi  entièrement  défaits ,  que  le 
Duc  de  Veimar  eftimant  qu'il  leur 
étoit  impofTible  detraverfer  fon  en- 
treprife  fur  Brifac ,  commença  à 
en  faire  le  fiege  dans  les  formes. 
Mais  à  peine  les  lignes  en  furent- 
elles  achevées  ,  que  le  Duc  de  Lor- 
raine ,  qui  étoit  dans  les  intérêts  de 
l'Empereur ,  fe  mit  en  marche  avec 
un  corps  de  troupes  ,  dans  le  def- 
fein  de  faire  lever  le  fiege.  Le  Duc 
de  Veimar  prit  aufli-tôt  une  partie 
de  l'armée  ;  oC  lahTant  l'autre  de- 
vant Brifac  fous  la  conduite  du 
te  iy  oaob.  Comte  de  Guébriant  &c  du  Vicom- 
te de  Turenne ,  il  alla  au  devant 
des  ennemis  ,  ôc  fa  victoire  fur  les 
Lorrains  fut  aufîi  complette  que 
celle  qu'il avoit  remportée  furies 
Allemands, 


DE  ÎURENNL  Liv.  I.      45    

Cependant  Gœutz  &    le   Gé-  A  N  N  J  B 
iéral  Lamboy ,  qui  a  voit  pris  la  pla-       * 6  3  s- 
:e  du  Duc  Savelly  ,  ayant  encore  chaffe  de  &s 
amaïTé  quelques  troupes,  vinrent  ^^y" 
l  Brifac  par  des   chemins  fi  cou-  Le  iooao- 
rerts ,  qu'ils  arrivèrent  au  quartier  bre- 
lu  Duc  de  Veimar  avant  qu'on  fe 
ût  apperçu  de  leur  marche.  Ils  re- 
:onnurent  nos  lignes.  Ils  les   at- 
aquerent  avec  vigueur.  Ils  empor- 
tèrent deux  redoutes  qui  les  dé- 
endoient  de   ce  côté-là;  6c  tout 
)lioit  déjà  devant  eux ,  lorfque  le 
Domte  de  Guébriant  &L  le  Vicomte 
le  Turenne ,  avertis  du  danger  où 
îous  étions ,  accoururent  au  quar- 
:ier.  du  Duc    de  Veimar,  où  ils 
butinrent  d'abord  les  efforts  des 
impériaux.  Ilsles  pouffèrent  enfuite 
avec  vigueur ,  ils  leur  rirent  lâcher 
pié  ,  &  les  chaiïerent  entièrement 
de  nos  lignes. 

Les  ennemis  pafTerent  le  Rhin,  Fait  lever  ï« 
6c  vinrent  afîiéger  Eniisheim ,  pe-  ^  >  |nba* 
tite    ville    qui  eft  dans   le  voifi-  k*  ennemis. 
nage  de  Brifac ,  $c  de  laquelle  ils 
auroient  pu  nous  incommoder  s'ils 
s'en  fuffent  rendus  les  maîtres.  Mais 


^__    46   Histoire  du  Vicomte 
a  n  n  é  *  Ie  Vicomte  de   Turenne  y  étant 
*M-      allé  avec  une  partie  de  notre  ar- 
mée ,  leur  en  fit  lever  le  fiege , 
les  attaqua  jufques  dans  le  camp 
où  ils  s'étoient  retirés  ,  &:  en  tail- 
la en  pièces  un  fi  grand  nombre  , 
qu'il  les  mit  hors  d'état  de  pen- 
fer  déformais  à  tenter  le  fecours 
de  Brifac. 
Serendmaî-     De  tous  les  dehors  de  cette  Pla- 

treduraveHnce      J|  ne  nouSreftoit   plusàpren- 

de  Raynach  ,        7  .  r  fc  r  r 

&  fait  rendre  are  que  le  Fort  nomme  le  rave- 
Biifac  \\n  ^e  Raynach  ,  qui,  rendant  les 
ennemis  maîtres  du  principal  bras 
du  Rhin ,  leur  laiffoit  toujours  l'ef- 
pérance  d'être  fecourus  par  cet  en- 
droit ,  &  les  empêchoit  de  fe  ren- 
dre. Le  Duc  de  Veimar  ,  qui  avoit 
vu  le  Vicomte  de  Turenne  réufîir 
heureufement  dans  tout  ce  qu'il 
avoit  entrepris  durant  ce  fiege  ,  le 
chargea  encore  de  l'attaque  de  ce 
Fort.  Le  Vicomte  de  Turenne  y 
alla  avec  quatre  cens  hommes.  11 
fit  rompre  la  paliffade  à  coups  de 
haches,  fes  gens  y  entrèrent  par 
trois  endroits  à  la  Fois ,  tout  y  fut 
tué  ?  ôc  le  Gonverneur  de  la  ville 


DE  TURENNE.  Liv.  L      47 


€  pouvant  plus  compter  lur  aucun  a  n  n  é  à 
scours,  capitula  enfin ,  &  fe  rendit      l6*8- 
e  17  Décembre. 

Ce  qu'il  y  a  d'étonnant  dans  ce  Fort  loué  par 

[iiele  Vicomte  deTurenne  fit  pour  ^1™"^?- 

î  prife  de  cette  Place ,  c'eft.  qu'il  che  ieu  ,  qui 

ut  la  fièvre  quarte  pendant  tout  le  J^n  °uff^  J 

ems  que  dura  le  fiége.   Aufii  le  fes  parentes. 

i  )uc  de  Veimar  ne  pouvoit-il  s'em- 

>êcher  de  l'embrailer  au  retour  de 

haque  expédition  oùiU'envoyoit  ; 

'*  après  la  reddition  de  la  Ville  , 

l  en  écrivit  au  Cardinal  de  Riche- 

ieu  ,  comme  d'un  homme  qui  éga- 

eroit  bientôt  les  plus  grands  Ca- 

ûtaines  ;  &  cela  ,  à  la  manière  de 

:eux  de  fa  Nation ,  c'efl-à-dire  , 

tvec  je  ne  fais  quel  efprit  de  fran- 

:hife  ,  qui ,  fe  faifant  fentir  dans 

out  ce  qu'ils  difent ,  perfuade  efE- 

:acement ,  malgré  même  les  expref- 

10ns  les  plus  exagérées  dont  iis  fe 

ervent;  de  manière  que  lorfque 

e  Vicomte  de  Turenne  arriva  à  la 

Cour ,  il  n'y  eut  fortes  de  carefTes , 

que  le  Cardinal  de  Richelieu  ne 

lui  fit  ,  jufqu'à  lui  demander  fon 

amitié  ;  faveur  qu'il  n'a  voit  en- 


,48   Histoire  du  Vicomte 


E 


Année  core  faite  qu'aux  Princes  du  Sang. 
16 *  '  Il  lui  offrit  même  une  de  fes  plus 
roches  parentes  en  mariage  ;  mais 
e  Vicomte  de  Turenne  appré- 
hendant que  la  différence  de  Re- 
ligion ne  mît  quelque  obftacle  à 
l'étroite  union  qui  devoit  être  en- 
tre lui  &  une  perfonne  avec  qui  il 
contra&eroit  un  pareil  engage- 
ment ,  le  dit  franchement  au  Cardi- 
nal de  Richelieu ,  &  lui  fit  entendre 
avec  tant  de  bonne  foi  ce  qui  lui 
faifoit  peine  en  cela ,  que  le  Car- 
dinal goûta  fes  raifons.  Il  trouva 
même  un  caractère  d'honnête-hom- 
me dans  ce  procédé  ;  de  forte  que, 
bien  loin  de  s'offenfer  de  fon  refus, 
il  l'en  eftima  davantage ,  &  conti- 
nua à  lui  marquer  fa  confiance ,  en 
l'employant  aux  affaires  les  plus 
difficiles. 

1  x6i9t  II  l'envoya  en  Italie  ,  où  pen- 
dant que  le  Duc  de  Veimar  avoit 

Ftivoye  en  r  .         *      r      t      .       r 

Italie.  fait  une  h  glorieuie  campagne  en 

iUface ,  le  Cardinal  de  la  Valette 
avoit  perdu  Yvrée  ,  Verceil ,  Ver- 
rue ,  Nice  ,  Coni ,  &:  plufieurs  au- 
tres Places  confidérables  ?  dont  les 

Princes 


DE   TURENNE.   Liv.  I.      49      _ 
Princes  de  Savoye ,  fecourus  des  Année 
Efpagnols ,  s'étoient  rendus  mai-       l6>9' 
très.   L'Empereur   ayant  dans  ce 
même  tems-là  fait  publier  un  Dé- 
cret ,  par  lequel  il  déclaroit  la  Du- 
cheffe  de    Savoye  déchue   de  la 
tutelle    du  jeune   Duc  fon    fils  , 
prefque  tout  le  Piémont  fe  fouîe- 
va  contr'elle  ,    &  fe  livra  à  {es 
beaux-freres  ;  de  manière  qu'il  ne 
lui  refloit  plus  que  Suze ,  Savilian ,' 
Carignan ,  Chivas  &  la  Citadelle 
de  Turin  ;  la  Ville  même  ayant    . 
été  furprife  de  nuit  par  le  Prince 
Thomas. 

Les  chofes  étoient  dans  cet  état ,'    11  y  fecon- 
lOrfque  le  Cardinal  de  la  Valette  6*h  Comce 
stant  venu  a  mourir,  le  Cardinal 
de  Richelieu  donna  ordre  au  Corn- 
:e  d'Harcourt  d'aller  fe  mettre  à 
a  tête  de  l'armée  d'Italie  ,  où  il 
ivoit  déjà  envoyé  le  Vicomte  de 
Turenne.  A  l'arrivée   du  Comte 
d'Harcourt ,  on  tint  Confeil  ;  on 
f  examina  l'état  des  troupes  ;  &, 
quoique   les  ennemis    en   euffent 
deux  fois  autant  que  nous  ,  on  ré- 
élut de  les  aller  chercher,  quelque 
C 


_ 5°   Histoire  du  Vicomte 

Année  part  qu'ils  fuffent.  On  marcha  donc 
l6i 9-  à  Villeneuve  d'Aiti ,  où  ils  étoient. 
Les  ennemis  .,  qui  auroient  peut- 
être  fait  la  moitié  du  chemin ,  û 
nous  avions  eu  autant  de  monde 
qu'eux  ,  étonnés  de  ce  que  nous 
venions  les  attaquer  avec  une  ar- 
mée fi  inférieure  à  la  leur  ?  non- 
feulement  n'oferent  fortir  de  leurs 
«quartiers ,  mais  encore  s'y  retran- 
chèrent ;  de  forte  qu'il  fallut  aiïié- 
ger  Quiers,  ville  en-deçà  de  Ville- 
neuve d'Afti,  pour  les  obliger  A  for- 
tir  de  leurs  tetranchemens.  Le  Vi- 
comte deTurenne  fe  poita  avec  tou- 
te la  cavalerie  au-delà  de  Quiers , 
entre  les  Efpagnols  6c  le  Comte 
d'Harcourt ,  qui  prit  ainfi  la  ville 
le  18  oao-  fans  aucun  obftacle.  Mais ,  comme 
bre'  il  y  avoit  très-pe  u  de  vivres ,  il  n'y 

put  pas  refier  long-tems  :  &  les  en- 
nemis ayant  bien  prévu  qu'il  feroit 
obligé  de  marcher  vers  Carignan , 
pour  en  trouver ,  le  Marquis  de  Lé- 
•ganez  à  la  tête  des  Efpagnols  ,  alla 
vers  la  hauteur  de  Poirin ,  au  bas 
de  laquelle  notre  armée  ne  pou- 
voit  s'empêcher  de  païTer  ;  &:  le 


DE  TURENNE.  Liv.  /.  51 
Prince  Thomas  marcha  vers  la  pe- 
tite rivière  de  Santena  ,  qu'il  nous 
falloit  aufîi  nécessairement  traver- 
fer,  Comme  le  Marquis  de  Léga- 
nez  venoit  de  Villeneuve  d'Afti, 
&:  le  Prince  Thomas  de  Turin  , 
l'armée  de  l'un  devoit  fe  trouver 
à  la  droite  du  Comte  d'Harcourt , 
6c  celle  de  l'autre  à  fa  gauche  ;  de 
manière  qu'il  ne  pouvoit  aller  à 
Carignan,  fans  s'expofer  à  prêter 
le  flanc  à  ces  deux  corps  de  trou- 
pes, qui  félon  toutes  les  apparen- 
ces ,  ne  dévoient  pas  manquer  à 
profiter  de  ces  avantages,  &  à  don- 
I  ner  rudement  fur  fon  arrière-gar- 
de. Cependant  il  n'y  avoit  plus  ni 
I  munitions  ni  fourage  à  Quiers  » 
6c  il  falloit  tenter  la  retraite  à  quel- 
que prix  que  ce  fût.  Dans  cette 
extrémité  le  Vicomte  de  Turenne , 
tout  malade  qu'il  étoit  encore  de  la 
fièvre  quarte  ,  s'offrit  à  aller  avec 
deux  mille  nommes  fe  rendre  maî- 
tre du  pont  fur  lequel  il  falloit  paf- 
fer  la  rivière ,  &:  qui  étoit  auprès 
du  Village  nommé  la  Route ,  s'en- 

eu 


N    M 

i6$: 


5i    Histoire  du  Vicomte 


Anne  e  gageant  à  défendre  fi  bien  ce  pofte , 
l6*?>  que  les  ennemis  ne  pourroient  em- 
pêcher le  pafiage  de  l'armée. 

Met  en  fuite  Le  Comte  d'Harcourt ,  ravi  de 
^sr;nceTh°- cette  offre  ,  lui  donna  les  deux 
mille  hommes  qu'il  demandoit.  Le 
Vicomte  de  Turenne  marcha  avec 
tant  de  diligence ,  qu'il  prévint  le 
Prince  Thomas  ;  ci  étant  arrivé 
avant  lui  au  pont ,  il  s'en  faifit ,  ain- 
û  que  de  tous  les  poftes  des  envi- 
rons ,  d'où  l'on  pouvait  favorifer  le 
paffage  de  notre  armée.  Le  Prince 
Thomas  y  arriva  peu  de  tems  après 
avec  neuf  à  dix  mille  hommes  , 
6l  vint  fondre  fur  le  Vicomte  de 
Turenne ,  qui  après  avoir  foutenu 
le  premier  choc  des  ennemis ,  les 
fit  charger  à  fon  tour  avec  tant 
de  vigueur,  qu'il  rompit  leurs  trois 
lignes  ,  &:  les  mena  battant  l'efpa- 
ce  de  plus  d'un  mille.  Le  Prince 
Thomas  fut  renverfé  deux  fois 
dans  un  fofie  ;  &  il  auroit  infail- 
*  îiblement  été  pris  ,  fans  l'obfcurité 
de  la  nuit ,  qui  fit  qu'on  ne  put  le 
reconnoître  ,  ôc  que  malgré  une 


DE  TURENNE.  Liv.'I.      tf    ___ 
déroute  fi  générale ,  la  plus  grande  A  n  n  é  a 
partie  de  ion  armée  fe  fauva  par  la      l6i9% 
fuite. 

Pendant  que  le  Vicomte  de  Facilite  le 
Turenne  étoit  aux  mains  avec  le  partage  du 
Prince  Thomas  ,  le  Marquis  de  co°u™cll  Caii^ 
Léganez  étoit  defcendu  de  Poirin  ,  gnan. 
&:  étoit  venu  avec  fes  Efpagnols 
attaquer  le  Comte  d'Harcourt ,  qui 
de  fon  côté  étoit  aufli  demeuré  vic- 
torieux des  ennemis  :  mais  com- 
me ils  ne  laiffoient  pas  de  l'inquié- 
ter encore ,  il  n'ofoit  s'avancer  plus 
près  de  la  rivière  ,  craignant  que 
le  Prince  Thomas  ne  fe  fût  ren- 
du maître  des  paffages.  Le  Vi- 
comte de  Turenne  lui  envoya  dire 
alors ,  qu'il  n'avoit  rien  à  craindre , 
qu'il  pouvoit  faire  avancer  l'armée 
en  aflurance ,  qu'il  fe  chargeoit  de 
feire  l'arriere-garde  ,  &:  qu'il  lui 
répondoit  de  tout.  Le  Comte  d'Har- 
court s'avança  fur  fa  parole  :  tout 
défila  devant  le  Vicomte  de  Tu- 
renne ,  troupes ,  canons ,  bagages ,  * 
&  cela  au  petit  pas ,  &C  fans  aucun 
défordre.  Il  parla  le  dernier  :  &C 
ayant  mis  pied  à  terre  ,  il  aida 
C  iij 


54  Histoire  du  Vicomte 

lui-même  à  rompre  le  pont  ;  après 

A  £*  *  E  quoi  le  Comte  d'Harcourt  alla  fans 
peine  à  Carignan  ,  où  il  mit  en 
quartiers  d'hiver  une  partie  de 
l'armée  ,  6c  le  refte  aux  environs. 
Tel  fut  le  combat  de  la  Route ,  fi 
célèbre  fous  le  nom  de  la  Route 
de  Quiers. 
Gloire  qui  lui      On  donna  prefque  tout  l'honneur 

en  revient.      de  cene  viftoire    au  yicomte    de 

Turenne  ,  qui  en  effet  féconda  û 
bien  le  Comte  d'Harcourt  en  cette 
occafion ,  que  le  Cardinal  de  Ri- 
chelieu le  regarda  dès-lors  comme 
un  homme  capable  de  commander 
une  armée  en  chef;  &  l'éclat  de 
cette  action  fut  fi  grand  ,  que  com- 
me s'il  eût  fait  oublier  toutes  celles 
que  le  Vicomte  de  Turenne  avoit 
faites  jufques-là  ,  on  commença  à 
ne  plus  compter  fes  exploits ,  que 
de  la  Route  de  Quiers  ;  époque  qui 
eft  refiée  depuis  dans  la  mémoire 
de  tous  les  François. 
Chargé  de  La  campagne  étant  ainfi  finie  , 
îWed'ica-te  Comte  d'Harcourt  s'en  alla  à 
Pignerol ,  pour  y  parler  l'hiver.  Il 
laiffa  le  Vicomte  de  Turenne  à  la 


DE  TURENNE.   Liv.L      J} 

tête  de  nos  quartiers,  pour  les  dé-  — 

fendre  ;  &  il  le  chargea ,  avec  cela ,  *é^tE 
de  ne  laiffer  manquer  de  rien  la  Ci- 
tadelle de  Turin,  que  le  Comte  de 
Cou  vonges  défendoit  toujours  con- 
tre le  Prince  Thomas ,  qui  la  tenoit 
aiîîégée  de  dedans  la  ville ,  dont  il 
étoit  le  maître.  ««__ 

Le  Vicomte  de  Turenne  trou-       l6\0t 
vant  que  nos  troupes  étoient  trop  prend  Bufca 
ferrées  dans  les  endroits  où  elles  &  Dronero , 

5  /      •  1         /  o  -i  1       &     ravitaille 

s  etoient  logées  ,  ex  que  la  cavale-  ja  citadelle 
rie  y  manquoit  de  fourage  ,  corn-  de  Turin, 
mença  par  afliéger  les  villes  de  Buf- 
ca &:  de  Dronero ,  qu'il  prit  en  fix 
jours  ;  &  notre  armée  eut  de  quoi 
s'étendre  &  fubfifter  à  fon  aife.  Il 
fit  enfuite  entrer  dans  la  Citadelle 
de  Turin  les  munitions  de  guerre 
&:  de  i>ouche  nécefïaires  ,  malgré 
tout  ce  que  le  Prince%Thomaspût 
faire  pour  l'empêcher. 

Peu  de   tems  après  ,   ayant  fu    Enlevé  un 
que  ce  Prince  avoit  envové  un  corpsdetrou- 

1  1  1      •         /r  1        1     Pes  >  confeil- 

corps  de  cavalerie  allez    près  de  ie  le  recours 
là  pour  y  hiverner,  il  alla  l'invef- de  Gaza1' 
tir  ,  6c  il  l'enleva.   Au  commen- 
cement du  Printems  ,  le  Comte 
C  iv 


A    N    N 


56  Histoire  du  Vicomte 
d'Harcourt  ayant  appris  que  lé  Mar- 
^o.11  *  quis  de  Léganez,  à  la  tête  de  vingt 
mille  hommes  avoitaffiégé  Cazal , 
que  nous  défendions  pour  le  jeune 
Duc  de  Mantoue  ,  notre  allié  , 
il  manda  au  Vicomte  de  Turen- 
ne  de  le  venir  trouver  à  Pignerol , 
pour  délibérer  fur  ce  qu'ils  dé- 
voient faire  en  cette  rencontre. 
Le  Vicomte  de  Turenne  déter- 
mina bientôt  le  Comte  d'Har- 
court ,  en  lui  difànt  que  Cazal 
nous  étoit  d'une  telle  importance, 
qu'il  fallait  promptement  affem- 
bler  le  peu  de  troupes  que  nous 
avions,  &  y  marcher  fans  perdre 
un  moment  de  tems  ;  &  qu'avant 
qu'on  fut  à  moitié  chemin ,  on  re- 
cevrait immanquablement  ordre 
de  la  Cour  de  tout  hafarder  pour 
fecourir  cette  Place  :  ce  qui  arriva 
comme  il  l'avoit  dit.  Nous  n'a- 
vions que  dix  mille  hommes  :  néan- 
moins le  Comte  d'Harcourt  mar- 
T       ,    »  cha  aux  ennemis ,  avec  fon  întrépi- 

Lers  Avril.  .  '  v  .     r 

dite  ordinaire  ;  oc  après  avoir  re- 
connu leurs  lignes  ,  il  les  fit  at- 
taquer par   le  Comte  du  Plefîis- 


DE   TURENNE,  Liv.  L      &f 


Praflin,  qui  fut  à  la  vérité  repouffé  a  n  n  é  b 
par  trois  fois  ;  mais  le  Vicomte  l64°* 
de  Turenne  y  ayant  enfin  marché  > 
il  les  força  ,  6c  r  en  ver  fa  tout  ce 
qui  fe  préfenta  devant  lui  :  les  Al- 
lemans  lâchèrent  pied  aufïi-bien 
que  les  Efpagnols ,  Se  prirent  la 
fuite  à  droite  ou  à  gauche ,  les  uns 
vers  le  Pont  de  Sture ,  les  autres 
vers  Frafcinel,  où  ils  avoient  un 
Pont  fur  le  Pô.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne  les  pourfuivit  tant  que  le  jour 
dura.  On  leur  prit  douze  pièces  de 
canon  ,  fix  mortiers  ,  vingt-quatre 
drapeaux ,  toutes  leurs  munitions  y 
la  plus  grande  partie  de  leur  ba- 
gage, &£  les  papiers  même  du  Mar- 
quis de  Léganez ,  qui  fut  obligé 
de  fe  fauver  avec  tant  de  précipi- 
tation, qu'il  n'eut  pas  le  tems  de 
les  emporter.  On  leur  tua  trois  mil- 
le hommes  ;  on  en  fit  dix-huit  cens 
prifonniers  ;  il  s'en  noya  un  grand 
nombre  dans  le  Pô ,  &  la  nuit  fau- 
va  le  refte. 

Comme  nos  troupes  étoient  fort  fo^refaJe  ^ 
animées  par  ce  fuccès,  le  Comte  ge  de  Twm> 
d'Harcourt  crut  qu'il  devoit  pro- 
C  v 


58  Histoire  du  Vicomte 
— "; —  nter  de  leur  ardeur  ;  &  ayant  af- 
**4o*  E  ^emklé  ^e  Confeil  de  Guerre ,  pour 
y  réfoudre  quelque  entreprife  ,  le 
Vicomte  de  Turenne  y  propofa  le 
fiege  de  Turin.  Les  autres  Officiers 
Généraux  s'opoferent  à  ce  deffein  , 
foutenant  qu'il  y  auroit  de  la  témé- 
rité à  entreprendre  d'afîiéger ,  avec 
dix  mille  hommes  une  ville  où  il 
y  avoit  une  garnifon  de  douze 
mille  foldats  fans  les  bourgeois , 
&  qui  pouvoit  être  fecourue  par 
une  armée  de  "quinze  mille  hom- 
mes, comme  étoit  encore  celle  du 
Marquis  de  Léganez.  Mais  le  Vi- 
comte de  Turenne  ayant  perfifté 
dans fon  avis,  &  ayant  repréfenté 
que  les  affaires  du  Roi  feroient  ab- 
folument  perdues  en  Piémont,  û 
le  Prince  Thomas  fe  rendoit  une 
fois  maître  de  la  citadelle  de  Tu- 
rin ,  dont  on  ne  pouvoit  empê- 
cher la  prife  qu'en  affiégeant  la 
ville ,  le  Comte  d'Harcourt  fe  dé- 
clara pour  le  fentiment  du  Vicom- 
te de  Turenne. 
&onlecom-  Le  fiege  de  Turin  ayant  été 
ainfi  réfolu ,  on  y  marcha  auiîi-tôt, 


mence. 


DE  TURENNE.  LlV.  L  59 
On  fe  faifit  du  pont,  qui  efl  fur  le  ^ 
Pô  ;  du  Couvent  des  Capucins ,  qui  ,  640% 
eft  fur  une  hauteur ,  à  la  droite  de 
ce  fleuve  ;  du  Valentin ,  maifon 
de  plaifance  des  Ducs  de  Savoie  , 
qui  efl  à  la  gauche ,  &  de  tous  les 
autres  poftes  avantageux  qui  font 
aux  environs.  On  renverfa  à  coups 
de  canons  les  moulins  de  la  ville 
qui  étoient  fur  la  rivière  nom- 
mée la  petite  Noire.  On  fit  des  LeisMaî* 
lignes  de  circonvallation  &  de 
contrevallation ,  &  on  ferra  la 
Place  autant  qu'on  le  pouvoit , 
dans  l'efpérance  qu'en  n'y  laiffant 
rien  entrer  on  l'affameroit  en  peu 
de  tems.* 

Le  Marquis  de  Léganez  re- 
gardant cette  entreprife  du  Comte 
d'Harcourt  comme  une  occafion 
favorable  que  la  fortune  lui  pré- 
fentoit  pour  fe  venger  de  l'affront 
qu'il  venoit  de  recevoir  devant  Ca- 
zal ,  manda  au  Prince  Thomas 
qu'il  alloit  marcher  à  fon  fecours  ; 
que  pour  cette  fois  le  Comte 
d'Harcourt  ne  lui  échaperoit  pas , 
&:  que  lesDames  de  Turin  pour- 
C  vj 


% 


6o   Histoire  du  Vicomte 
■  roient  louer  d'avance  des  fenêtres 

"4o*  E  ^ur  *a  gran(le  rue ,  pour  le  voir 
parler  prifonnier.  Il  grofîit  fon  ar- 
mée des  garnifons  de  la  plupart 
des  Places  du  Milanez,  &  vint  avec 
dix-huit  mille  hommes  fur  la  Mon- 
Le  i6  Mai.  tagne  qui  efl  au-defTus  des  Capu- 
cins, au-delà  du  Pô,  à  deffein  de 
parler  ce  fleuve  fur  le  pont  de 
Turin.  Mais  il  trouva  ce  pont  fi 
bien  gardé ,  qu'il  n'ofa  l'attaquer. 
Il  décampa  donc  ;  &  comme  il  prit 
fon  chemin  par  derrière  les  mon- 
tagnes de  Sanvito  &  de  Covoretto , 
qui  bordent  le  Pô ,  le  Comte  d'Har- 
court  fe  douta  bien  qu'il  vouloit  al- 
ler parler  ce  fleuve  à  Montcalier, 
au-defTus  de  Turin  ;  il  y  envoya 
le  Vicomte  de  Turenne ,  avec  un 
détachement  pour  s'oppofer  à  fon 
pafTage. 
«ju'il  repoufle  Quelque  diligence  que  pût  fai- 
au-deià  dure  \e  Vicomte  de  Turenne,  lorf- 
qu'il  arriva  à  Montcalier ,  quatre 
à  cinq  mille  des  ennemis  avoient 
déjà  pafTéle  Pô,  &C  commençoient 
à  fe  retrancher  dans  les  caiîines 
qui  étoient  en-deçà  de  ce  fleuve. 


DE   TURENNE.  Z/v.  L     6l 


Il  marcha  à  eux  fans  perdre  un  a  n  n  é  i 
moment  :  fes  foldats  font  difficul-  l6*°\ 
té  de  paffer  un  ruiffeau  que  les 
pluies  de  la  nuit  avoient  fait  dé- 
border; il  le  paffe  le  premier  ,  il Le  4  J"în« 
attaque  les  caiîines  que  les  enne- 
mis avoient  déjà  percées  pour  s'y 
défendre;  il  les  en  chaffe,  il  les 
taiile  en  pièces ,  en  les  pouffant  vers 
le  Pô .,  où  tous  ceux  qui  lui  échap- 
pent fe  noient  ;  ils  brûlent  le  pont 
qui  n'étoit  que  de  bois ,  &  fe  re- 
tranche fur  le  bord  du  Fleuve ,  vis- 
à-vis  des  ennemis.  Cette  action  , 
ainfi  exécutée ,  fit  une  telle  impref- 
fion  fur  l'efprit  du  Marquis  de  Lé- 
ganez ,  qu'il  fe  retira  vers  le  Ri- 
vigliafco  ,  fous  prétexte  d'aller 
chercher  un  renfort  de  troupes,  Se 
laiffa  fon  armée  fous  la  conduite 
de  Carlo  délia  Gatta ,  le  plus  bra- 
ve 6c  le  plus  entendu  des  fes  Offi- 
ciers, qui  lui  promit  qu'il  la  fe- 
roit  parler  de  quelque  manière  que 
ce  fut.  Le  Vicomte  de  Turenne  , 
ayant  affaire  à  un  homme  qui  avoit 
la  réputation  d'être  le  plus  vigilant 
des  ennemis  ,  fit  garder  jour  & 


62   Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  é  nuit  tous  les  gués  qui  étoient  au- 
1*40.  defïus  de  Montcalier  ;  de  forte  que 
Carlo  délia  Gatta  n'ofa  ni  les  paf- 
fer  en  fa  préfence ,  ni  jetter  des 
ponts  en  aucun  endroit.  Tout  ce 
qu'il  pu  faire  fut  de  s'emparer  de 
quelques  petites  Mes  qui  étoient 
plus  proche  du  bord  du  Pô ,  fur 
lequel  il  étoit  ,  que  de  celui  oit 
nous  étions.  Le  Vicomte  de  Turen- 
»e  trouva  moyen  d'y  parler  avant 
que  les  ennemis  y  euftent  achevé 
leurs  retranchemens  :  il  les  en  délo- 
gea ;  &  tous  ceux  qui  y  étoient  fu- 
rent encore  ou  taillés  en  pièces  , 
ou  noyés  dans  le  Pô.  Mais  le  Vi- 
comte de  Turenne  y  reçut  lui  coup 
de  moufquet  à  l'épaule  ,  &  fut 
obligé  de  fe  faire  porter  à  Pigne- 
rol  :  ce  que  le  Marquis  de  Léga- 
nez  ayant  appris ,  il  revint  auffi-tôt 
à  Montcalier ,  il  jetta  un  pont  fur 
le  Pô ,  paffa  ce  fleuve  malgré  tous 
nos  efforts  ,  alla  refferrer  le  Com- 
te d'Har court  dans  fon  camp  ;  & 
peut-être  n'y  eut-il  jamais  en  au- 
cun endroit  une  pareille  difpofi- 
tion  d'armée ,  où  les  troupes  des 


DE   TURENNE.  Liv.  I.      63     

deux  partis ,  également  arîiégeantes  A  N  K  ^  B 
&arîiégées?s'environnoientles  unes  11140. 
les  autres ,  &:  étoient  de  même  tel- 
lement environnées ,  que  le  Prince 
Thomas,  qui  afliégeoit  le  Comte 
de  Couvonge  dans  la  Citadelle ,  fe 
voyoit  afîiégé  dans  la  Ville  par  le 
Comte  d'Harcourt,  que  le  Marquis 
de  Léganez  tenoit  pareillement  af- 
fiégé  dans  ion  camp. 

En  cette  fituation ,  le  Marquis  de  ,  Amené  des 
Léganez  étant  convenu  d'attaquer  ^if^a* 
nos  lignes ,  pendant  que  le  Prince  Camp  devanc 
Thomas  feroit  une  fortie  ,  le  jourJ^J^  Le  " 
qu'ils  avoient  pris  pour  cela  étant 
arrivé ,  le  Comte  d'Harcourt  fut 
vigoureufement  attaqué  tout  à  la 
fois  du  côté  de  la  ville  &  du  côté 
de  la  campagne.    Le  Prince  Tho- 
mas fe  rendit  maître  du  Valentin  ; 
&  Carlo  délia  Gatta  ayant  comblé 
nos  lignes  au  quartier  du  Marquis 
de  la  Mothe  Houdancourt ,  qu'il 
força ,  entra  dans  Turin  avec  dou- 
ze  cens   chevaux  &  mille  hom- 
mes de  pied  :  après  quoi  le  Mar- 
quis de  Léganez  ayant  fait  occu- 
per Je  pofte  de  Colegna,  qui  le 


64    Histoire  du  Vicomte 
T     rendoit  maître  de  la  petite  Noire, 

A  **"J  E  comme  il  rétoit  du  Pô ,  par  Mont- 
ealier ,  où  il  avoit  lahTé  quelques 
régimens ,  il  empêcha  qu'il  ne  nous 
vînt  des  vivres,  ni  de  Suze,  ni  de 
Pignerol,  &  nous  affama  tellement 
dans  notre  camp ,  que  tous  les  Offi- 
ciers Généraux  vouloient  obliger  le 
Comte  d'Harcourt  à  fe  retirer  de 
devant  Turin ,  lorfque  le  Vicomte 
de  Turenne ,  fe  trouvant  guéri  de  fa 

U  i\.  Juillet,  blefïure,  amena  de  Pignerol  à  no^ 
tre  armée,  un  grand  convoi  de 
vivres  6c  de  munitions ,  malgré  ce 
que  put  faire  le  Marquis  de  Léga- 
nez ,  qui  le  fuivit  dans  toute  fa  rou- 
te ,  voltigeant  fur  les  ailes  de  fon 
efcorte  pour  l'enlever,  ÔC  lui  dref- 
fant  toutes  fortes  d'embûches  pour 
le  furprendre. 
RepoufTeia      L'arrivée   de   ce  iecours  penfa 

Gaua    dans  j^fefpérer  le  Prince  Thomas  ,  qui 

Turin,  qui  le   ,       .    r  .  -.,  7    "1 

rend  eniuice.  etoit  réduit  dans  1  unn  a  une  auiii 
grande  difette  de  vivres  que  nous. 
Carlo  délia  Gatta  entreprit  de  fo»s 
îager  la  ville ,  en  faifant  paffer 
une  partie  de  la  garnilbn  dans  l'ar- 
mée du  Marquis  de  Léganez,  àc 


DE   TURENNE.  Lïv.  I.       65 
crut  en  fortir  comme  il  y  étoit  en-  , 

tré.  Mais  depuis  que  le  Vicomte  *J0.E  ' 
de  Turenne  fut  revenu  dans  notre 
camp ,  les  chofes  changèrent  de 
face.  Carlo  délia  Gatta,  ayant  voulu 
fortir  de  Turin,  y  fut  ramené  bat- 
tant, 6c  repoufTé  l'épée  dans  les 
reins.  Les  afîiégés  firent  plufieurs 
autres  forties ,  où  ils  perdirent  beau- 
coup de  monde.  Le  Marquis  de  Lé- 
ganez  tenta  toutes  chofes  pour  for- 
cer nos  lignes  &  jetter  des  vivres, 
dans  la  Place  ;  mais  ce  fut  toujours 
fans  fuccès.  Le  Prince  Thomas 
n'ayant  pas  mieux  réuiîi  dans  une 
nouvelle  fortie  ,  où  les  afTiégés 
firent  tous  les  efforts  dont  ils  étoient 
capables  ,  &  fe  voyant  réduit  à 
la  dernière  extrémité ,  demanda  en- 
fin à  capituler,  &c  fe  rendit.  Le  Lei7Sep-. 
Marquis  de  Léganez,  abandonnant  tem^"« 
la  partie ,  reparla  le  Pô  avec  fon 
armée  ;  ck  le  Comte  d'Harcourt , 
s'en  retournant  en  France ,  laifTa  la 
fienne  fous  le  commandement  du 
Vicomte  de  Turenne , par  ordre  de 
la  Cour. 

Comme  nos  troupes  a  voient  ex- 


66    Histoire  du  Vicomte 

1  trêmement  fouffert  au    fiége    de 

A  %+!.*  E  Turin ,  le  Vicomte   de  Turenne 

Prend  Mon- ^eur  donna  tout  le  tems  dont  elles 

caivo  ,  &  ai-  avoient  befoin  pour  fe  rétablir  ; 

îegeYvree.     ma^    ^    qU>eV]es    furent    en    état 

d'agir  ,  quoique  l'hiver  ne  fût  pas 
encore   fini ,  il  les  fit  marcher  à 

ythr. "  Fe"  Moncalvo  :  il  afiiégea  cette  Place  , 
&  s'en  rendit  maître  en  dix  jours. 
Après  la  prife  de  Moncalvo ,  il  parla 
le  Pô,  il  alla  mettre  le  fiége  de- 

Le  1 1  Avril.  Vant  Yvrée ,  où  étoient  tous  les 
Magafins  du  Prince  Thomas  :  6c 
ne  doutant  point  que  ce  Prince  ne 
vînt  en  grande  diligence  pour  y 
•  jetter  du  fecours,  il  ne  defcendit 
point  de  cheval ,  qu'il  n'eût  fait 
achever  fes  lignes  ,  &£  qu'il  n'eût 
afïuré  fes  quartiers.  Le  Prince  Tho- 
mas ne  manqua  point  d'accourir  à 
Yvrée,  perfuadé  que  le  Vicomte 
de  Turenne  n'auroit  pas  eu  le  tems 
de  pourvoir  à  la  fureté  defon  camp  ; 
mais  il  le  trouva  fi  bien  rétranché , 
qu'il  n'ofa  l'attaquer  :  &  fe  flat- 
tant de  lui  donner  le  change  ,  il 
alla  mettre  le  fiége  devant  Chivas, 
pour  lui  faire  abandonner  celui 


DE  ÎURENNE.  Liv.  L  6j 
d'Yvrée.  Il  eft  vrai  que  la  ville  de  ~  ~ 
Chivas  ,  où  nous  avions  un  pont  *^x*  E 
fur  le  Pô ,  ne  nous  étoit  pas  moins 
importante  que  celle  d'Yvrée.  Mais 
le  Vicomte  de  Tut?enne ,  efpérant 
d'être  toujours  affez  à  tems  de  fe- 
courir  Chivas ,  n'abandonna  point 
le  fiége  d'Yvrée  ,  6c  fe  contenta 
d'en  prerTer  vivement  les  travaux. 
Cependant  le  Comte  d'Harcourt 
ayant  appris  que  le  Vicomte  de 
Turenne  avoit  en  fi  peu  de  jours 
pris  Moncalvo  ,  6c  qu'il  avoit  mê- 
me arliégé  Yvrée ,  flit  piqué  d'é- 
mulation jufqu'au  milieu  des  déli- 
ces de  la  Cour.  Il  partit  pour  fe 
rendre  à  Yvrée  ;  6c  à  fon  arrivée , 
ayant  fait  donner  un  alfa  ut  à  la 
Place  ,  il  leva  le  fiége ,  difant  qu'il  Le  17  Mai. 
falloit  tout  abandonner  pour  fe- 
courir  Chivas.  Le  Prince  Thomas , 
qui  n'avoit  point  eu  d'autre  deffein 
que  de  nous  faire  lever  ce  fiége, 
leva  auiîi  celui  de  Chivas ,  avant 
que  nous  y  fuirions  arrivés  ,  & 
fe  retira  au-delà  du  Pô  avec  fon 
armée.  Il  femble  que  le  Comte 
d'Harcourt  auroit  dû ,  après  cela  > 


68    Histoire  du  Vicomte 

" *-, —  revenir  afïiéeerYvrée:  cependant, 

Année.         ,  .    °  _.     7       r  .  7 

1.^41.  abandonnant  toutes  les  vues  que  te 
Vicomte  de  Turenne  avoit  eues  en 
affiégeant  cette  Place, il  pafTa le  Pô  * 
&:  il  alla  prendre  les  villes  de  C  eva , 
de  Mondovi  &  de  Coni. 
Sert  aux  fie-      Quoique  le  Vicomte  de  Turen- 

ges  de  Ceva  ,  ne    n'eut  j^        d'être    COntent 

de    Mondovi  r 

&  de  Coni ,  du  Comte  cl  Harcourt,  il  travailla 
îf  {La.fe  "néanmoins  de  fi  bonne  foi  pour  la 
gloire  de  ce  General,  aux  lièges  de 
ces  trois  Places,  que  toute  l'Ar- 
mée en  fut  dans  la  dernière  fur- 
prife.Ceprocédéaugmental'eftime 
que  le  Cardinal  de  Richelieu  avoit 
pour  le  Vicomte  de  Turenne  ;  & 
la  confiance  qu'il  avoit  en  lui  alla 
jufqu'à  un  tel  point,  qu'il  n'y  avoit 
aucune  entreprife  fi  difficile  dont  il 
ne  tînt  le  fuccès  affuré ,  dès  que 
ce  Prince  y  avoit  quelque  part. 
Auffi  ne  fe  faifoit-il  plus  rien  de 
grand  en  aucun  endroit ,  qu'on  ne 

l'y  appellât  auffi-tôt,  comme  il  ar- 

î6  riva  Tannée  fuivante ,  où  le  Car- 
dinal de  Richelieu  ayant  formé  le 
deffeinde  conquérir  le  Rouffilîon, 
pour  pénétrer  dans  la  Catalogne 


DE   TU  RENNE.  Liv.  I.      6<) 

dont  les  hdbitans  s'oiTroient  à  la  A  N  N  , 
France  ,  &  ayant  même  engagé  le  l6l*  * 
Roi  à  y  aller  en  perfonne  ,  il  y  fit 
aufii  venir  le  Vicomte  de  Turenne, 
quelque  néceffaire  qu'il  fût  en  Ita- 
lie ,  où  il  étoit  en  état  de  rendre  de 
grands  férvices  par  la  connohTance 
qu'il  avoit  acquiie  de  ce  pays-là. 

Si-tôt  que   1  armée  qui  devoit     Aide  à  la 
agir  en  Roufiillon  fut  affemblée  ,  ʰh3#  du 
on  marcha  a  Perpignan  qui  en  elt 
la  Capitale  ,  dans  le  defïein  d'alîié- 
ger  cette  Place  ;  mais  comme  les 
Efpagnolspouvoientlafecourirpar 
Collioure  ,  où  il  leur  étoit  aile  d'a- 
border avec  leurs  vahTeaux  ,  on  fe 
contenta  de  bloquer  Perpignan ,  ck    Le  i  s  Mars. 
on  alla  afiiéger  Collioure  qui  eu 
par-delà.  Le  Gouverneur  avoit  fait 
faire  quantité  de  forts   &  de  re- 
doutes tout  au  tour  de  la  Ville  ;  on 
les  prit  tous  l'un  après  l'autre,  Té- 
pée  à  la  main ,  &c  la  Ville  fut  con- 
trainte de  fe  rendre.    On  afîiégea  Le  10  Avril, 
enfuite  Perpignan  :  le  fiége  dura 
pluslong-tems;  mais  enfin  le  Gou- 
verneur fut  obligé  à  capituler.   On 


70    Histoire  du  Vicomte 

-*—-    le  rendit  maître  après  cela  de  la 

A  i4i.E  E  Fortereffe  de  Salces ,  &  des  autres 
Places  fortes  ,  fans  beaucoup  de 
peine  ;  &:  la  conquête  de  toute  la 
Province  fut  faite  en  une  feule  cam- 
pagne, 
fon  fore  le      Ce  fut  dans  ce  tems-là,  que  le 
follet Duc  de  Bouillon ,  frère  du  Vicom-' 
fa  Principau-  te  de  Turenne ,  s' étant  trouvé  im^ 

lé  de  Sedan.    ^[[^  fans  un  Jm'lté  que  le  DllC 

d'Orléans  avoit  fait  avec  l'Efpagne , 
&:  ayant  été  arrêté  à  la  tête  de  no- 
tre armée  d'Italie  qu'il  comman- 
doit ,  fut  obligé  ,  pour  fauver  fa 
vie ,  de  livrer  Sedan  au  Roi ,  qui 
s'engagea  à  lui  donner  en  échange 
.  plufieurs  grandes  Terres,  &c  àcon- 
ierver  le  rang  de  Prince  à  tous  ceux 
de  fa  Maifon. 
Richelieu      La  poffefîion  de  cette  importan-, 

meure ,  &    te  Place ,  qui  efl  demeurée  depuis 

unie  à  la  Couronne ,  fut  le  dernier 

des  avantages  que  le  Cardinal  de 

Richelieu  procura  à  la  France;  &C 

Le4Décem-  ce  grand  Miniftre  mourut  peu  de 

bte*  tems  après ,  craint ,  haï ,  envié ,  ÔC 

admiré  de  prefque  tout  le  monde. 


DE  TURENNE.  Liv.   L      71 
Le  Cardinal  Mazarin  fuccéda  à  \  N  N  è  E 
la  place  du  Cardinal    de   Riche-       1643. 
lieu  auprès  de  Loirs  XIII,  mais  Mazarin  lui 
il  n'y  fut  pas  pas  long-tems ,  car  ce  ^uc"cl-,    Lc 
Prince  mourut  cinq  mois  après ,  &C 
laifla  la  Reine  Anne  d'Autriche ,  fa 
femme,  Régente  du  Royaume  du- 
rant la  minorité  de  Louis  XIV  fon 
fils,  qui  n'avoit  que  quatre  ans  6c 
demi. 

Cependant  le  Vicomte  de  Tu-  Reparte  en 
renne ,  qui  étoit  prefque  le  feul  qui Icahe  '  & 
fe  fut  intéreffé  pour  le  Duc  de 
Bouillon  durant  fa  détention ,  s'é- 
toit  donné  tous  les  mouvemens 
qu'il  eft  naturel  de  fe  donner  en 
pareil  cas  pour  un  frère ,  mais 
fans  manquer  en  rien  de  ce  qu'il 
devoit  à  l'Etat  ;  &  il  s'étoit  com- 
porté d'une  manière  fi  fage  pen- 
dant tout  le  cours  de  cette  affaire, 
que  fa  conduite  redoubla  l'eftime 
qu'on  avoit  pour  lui  à  la  Cour ,  &: 
qu'on  l'envoya  fervir  dans  notre 
armée  d'Italie.  On  venoit  de  don- 
ner le  commandement  de  cette  ar- 
mée au  Prince  Thomas  ?  qui  avoit 


N    N 


72  Histoire  du  Vicomte 
abandonné  le  parti  des  Efpagnols 
i^43  •  pour  fe  joindre  à  nous  :  mais  com- 
me on  ne  comptoit  pas  beaucoup 
furfon  attachement  à  nos  intérêts , 
on  voulut  envoyer  avecJui  un 
homme  de  la  fidélité  duquel  on 
fût  entièrement  afTuré ,  ck  ce  .fut 
le  Vicomte  de  Turenne  qu'on  choi- 
sit pour  un  pofte  d'une  aufli  grande 
confiance.  Si- tôt  qu'il  fut  arrivé 
à  l'armée  ,  le  Prince  Thomas 
marcha  vers  Alexandrie  ,  ville  du 
Milanez ,  qu'il  fit  invertir  de  maniè- 
re que  les  quartiers  étant  affez  éloi- 
gnés les  uns  des  autres  ,  les  en- 
nemis pouvoient  facilement  jetter 
du  fecours  dans  la  Place  par  les 
intervalles  qui  fe  trouvoient  entre 
ces  quartiers.  C'eft.  auiîi  ce  que  ne 
fait  le  fiege  manquèrent  pas  de  faire  les  Efpa- 
de  Trin.  gnols ,  qui  tirèrent  pour  cela  pref- 
que.  la  moitié  de  la  garnifon  de 
Le  4  Août.  Trin.  Alors  le  Prince  Thomas  , 
qui  n'avoit  feint  de  vouloir  aiïié- 
ger  Alexandrie  que  pour  engager 
les  Efpagnols  à  dégarnir  Trin  ,  al- 
la mettre  le  fiege   devant  cette 

ville 


BE  TURENNE.  Liv.  I.      ,73    . 

ville  dans  toutes  les  formes.  On  at-  a  n  n  é  e 
taqua  les  dehors  avec  beaucoup  de       l643« 
vigueur ,  &  ils  furent  bientôt  em- 
portés. Les  Efpagnols  vinrent  recon- 
noître  nos  quartiers  pour  tâcher  de 
faire  rentrer  dans  la  place  les  trou- 
pes qu'ils  en  avoient  tirées  ;  &  n'y    Le  14  Sep -i 
ayant  pu  réuffir ,  ils  feignirent  d'en tembre* 
vouloir  à  Aft ,   6c  allèrent  invertir 
cette  place  :  mais  comme  nous  l'a- 
vions pourvue  de  tout  ce  qui  étoit 
néceflaire  pourfoutenir  unlongfie- 
ge  ,   nous    continuâmes  celui  de 
Trin  fans  rien  craindre.  Nous  nous 
en  rendîmes  enfin  les  maîtres  ;  Ôcle 
Vicomte  de  Turenne  fe  préparoit 
à  marcher  à   de   nouvelles   con- 
quêtes. 

Mais  la  Reine  Régente  fâchant    H  eft  &"e 
ce  qu'un  homme  tel  que  lui  pou-  î?™haI*  dc 
voit  pour  la  derenle  d  un  Etat ,  lui  ans, 
envoya  le  bâton  de  Maréchal  de 
France ,  &  lui  donna  le  comman- 
dement de  notre  armée  d'Allema- 
gne ,   quoiqu'il  n'eût  encore  que 
trente-deux  ans  ,  dans  la  vue  de 
l'attacher  entièrement  à  fon  fils  y 

D 


A   N 


K     ] 

Ï643, 


74  Hist.duVic.deTurenne. 
6c  d'en  faire  un  appui  de  fa  Cou- 
ronne contre  les  entreprifes  où  fon 
Royamne  ne  pouvoir  manquerd'ê- 
tre  expofé  par  les  cabales  &  les  fac- 
tions qui  font  comme  inféparables 
d'une  minorité. 


Fin  du  premier  Livre. 


HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE. 


WSSëÊ. 


LITRE    SECOND. 


U s Q u'i c i  nous  avons  ÀHi|é£ 
pafTé   afîez  légèrement      ié45. 
fur  toutes  les  a&ions  mi-    Cc  feConct 
litaires  que  nous  avons  Lîvre  &  les 
[écrites,  parce  qu'elles  ne  regar-^S 
doient  pas  dire&ement  le  Vicom-  que  le  prê- 
te de  Turenne  ,  qui  ne  comman-  mler* 
doit  point  en  chef.  Car  ,    quoi- 
qu'il fût   peut-être  fupérieur  par 
la    capacité  à   ceux    qui    étoient 
au-deilus    de    lui   par    le    gracie  ; 
quoique  par  le  conïeil  &  par  l'exé- 
D  ij 


j6    Histoire  du  Vicomte 

Année  cution  il  eût  en  certaines  occa- 
»^4i'  fions  plus  contribué  à  faire  réuf- 
fir  les  entreprifes  ,  que  ceux  mê- 
me qui  en  étoient  chargés  ;  ce- 
pendant comme  c'efl  un  ufage 
établi  de  donner  aux  Généraux 
tout  l'honneur  des  fuccès  ,  nous 
laiffons  à  ceux  qui  écrivent  la 
vie  dés  Capitaines  fous  lefquels 
le.  Vicomte  de  Turenne  a  fervi ,  le 
foin  de  raconter  plus  au  long  les 
fieges  ÔC  les  batailles  dont  nous 
venons  de  parler ,  comme  faifant 
plutôt  partie  de  leur  Hifloire  que 
de  la  fienne.  Mais  déformais  que 
prefque  toujours  feu!  maître  des 
armées  où  il  fe  trouvera,  il  fera 
auiîi  prefque  toujours  feul  chargé 
desévénemens  ;  nous  les  décrirons 
avec  toutes  leurs  circonflances  &t 
dans  tous  les  détails  qui  pourront 
convenir  à  un  ouvrage  du  caractère 
de  celui-ci. 
Ttiftc  fitoa-  Le  Maréchal  de  Guébriant ,  qui 
«on  de  l'ar-  après  ja  m0rt  du  Duc  de  Veimar 

mee  de  bran-      i      .        ,    ,         •       \   i        a  ^      r 

cecnAlîema-  avoit  ete  mis  a  la  tête  de  ion  ar- 

gne,  méz  ,  venoit  de  mourir  de  la  blef- 

fure  qu'il  avoit  reçue  au  iiege  de 


DE   TURENNE.  Liv.  IL    77    _ 

Rottweil  ,  ville  Impériale  fituée  a  k  n  é  * 
à  la  fource  du  Necker.  Le  Comte  l64i* 
de  Rantzaw ,  qui  étoit  le  plus  an- 
cien Officier  de  l'armée  ,  en  avoit 
pris  le  commandement ,  &  l'avoit 
menée  aux  environs  de  Dutlinghen , 
ville  peu  éloignée  de  la  fource 
du  Danube  ,  où  le  Baron  de  Mer- 
çy  ,  Général  des  troupes  du  Duc 
de  Bavière  ,  qui  s'étoit  ligué  avec 
l'Empereur  contre  nous  ,  l'enleva 
avec  tous  fes  Officiers  Généraux  6c 
toute  fon  armée ,  à  la  réferve  de 
cinq  à  fix  mille  hommes  quife  fau- 
verent  en-deçà  du  Rhin  ,  fans  chef, 
fans  argent  &  fans  armes.  C'efl 
à  quoi  fe  trouvoit  réduite  cette 
armée ,  qui  avoit  été  la  terreur 
de  l'Empire  fous  le  Duc  de  Vei- 
mar;  6c  ce  fut  avec  ce  débris  de 
troupes,  fans  autres  forces  ,  qu'on 
chargea  le  Vicomte  de  Turenne  de 
défendre  la  France  du  côté  de 
l'Allemagne  contre  les  efforts  des 
amées  de  l'Empereur ,  du  Duc  de 
Bavière  &  du  Duc  de  Lorraine  y 
que  les  ennemis  avoient  réunies  y 
Diij 


7§    Histoire  du  Vicomte 

Année  dans  l'efpérance  de  profiter  dutrifte 
1644.      état  où  l'affaire  de  Dutlinghen  nous 
avoit  réduits.  Pour  furcroît  de  mal- 
heur, Torflenion,  Général  de  l'ar- 
mée Suédoife  y  qui  jufques-là  avoit 
agi  de  concert  avec  la  nôtre  contre 
les  Impériaux ,  s'en  alla  dans  le  Hol- 
frein,  fans  même  nous  donner  avis 
de  fon  départ. 
Défait    le      Tel  étoit  l'état  de  nos  affaires 
frère  du  Gé-  en  Allemagne  ,  lorfque  le  Vicomte 
à  Hucinghen.  de  1  urenne  y  arriva.  11  commen- 
ça  par  emprunter  fur  fon  crédit 
une  fomme  conlidérable  d'argent 
pour  fubvenir  auxbefoins  des  trou- 
pes ;  &C  pendant  que  prefque  tous 
les  Grands  du  Royaume  furven- 
doient  à  la  Reine  Régente  les  moin- 
dres fervices  qu'ils  rendoient  à  la 
Couronne  ,  il  fit  remonter  la  ca- 
valerie &  r'habiller  l'infanterie   à 
fes  propres  dépens  ;  il  acheta  de 
nouveaux    équipages   d'artillerie , 
&  les  recrues  de  chaque  régiment 
ayant  été  faites ,  il  trouva ,  par  la 
revue  qu'il   en  fit ,   que  ce  petit 
corps  de  troupes  étoit   de  fix   à 


K    N    £9| 


DE  TURENNE,  Liv.  IL  79 
fept  mille  hommes.  Avec  une  aufïi  ^ 
foible  armée,  bien  loin  d'être  en  1644. 
état  de  faire  aucune  entreprife , 
il  n'y  avoit  pas  d'apparence  qu'il 
pût  feulement  tenir  la  campagne. 
Néanmoins  comme  au  commence- 
ment d'une  minorité  il  «toit  très- 
important  ,  pour  les  intérêts  de  la 
France  ,  de  faire  tête  par  tout  à  nos 
ennemis ,  le  Vicomte  de  Turenne  Le  *  Juin. 
pafTa  le  Rhin  à  Brifac  ;  &  ayant 
lu  que  le  frère  du  Général  Mer- 
cy  étoit  avec  un  corps  de  deux 
mille  chevaux  aux  environs  d'Hu- 
tinghen  ,  au-delà  de  la  Forêt-Noi- 
re ,  il  le  fit  attaquer  par  quatre  ou 
cinq  régimens  ;  il  lui  tailla  en  pie- 
ces  fix  cens  hommes  ,  $Z  en  fit  cinq 
cens  prifonniers ,  avec  beaucoup 
d'Officiers  :  le  refte  fe  fauva  vers 
le  Général  Mer cy,  qui,  malgré  cet 
échec ,  ayant  encore  quinze  ou  fei- 
ze  mille  hommes ,  alla  mettre  le 
fiege  devant  Fribourg ,  capitale  du 
Brifgaw.  Quelque  foible  que  fut  le 
Vicomte  de  Turenne  ,il  vouloit  ten- 
ter de  fecourir  cette  place  :  mais 
la  Reine  Régente  lui  ayant  défen- 
Div 


80      HlSTOTRE  DU  VlCOMTE 

Année  du  de  rien  entreprendre  de  ce  côté- 

1  *44.      là ,  jufqu'à  ce  que  le  Duc  d'Anguien 

y  fût  arrivé  avec  le  Maréchal  de 

Guiche,   qui   y  conduifoit  douze 

mille  hommes,  il  fut  obligé  de  les 

attendre. 

Dîfpofnion      Cependant   les  Bavarois  ayant 

ï  larmée de  vivement  preffé  Fribourg ,  ils  s'en 

Mercy    encre  v  *  1 

Fribourg   &  rendirent    maîtres    avant    que    le 
Bnfac.  Le  18  £)uc  d'Anguien  fût  arrivé.  Mais  ce 

Juilleç,  _   .  ,0  1       a       •     •         r 

Prince  n  eut  pas  plutôt  joint  les 
troupes  à  celles  du  Vicomte  de 
Turenne ,  qu'il  réfolut  d'aller  cher- 
cher l'ennemi ,  &  de  le  combattre 
en  quelque  endroit  qu'il  fût.  Le 
Général  Mercy,  après  la  prife  de 
Fribourg  ,  étoit  reflé  dans  le  camp 
qu'il  avoit  auprès  de  cette  ville, ne 
croyant  pas  pouvoir  fe  potier  ail- 
leurs plus  avantageufement.  En  ef- 
fet ,  il  étolt  dans  une  plaine  tou- 
te environnée  de  marais  6c  de 
montagnes ,  qui  formoient  une  ef- 
pece  de  quarré  long ,  lequel  n'avoit 
pour  toute  ouverture  ,  de  notre 
côté  ,  que  le  grand  chemin  de 
Brifacà  Fribourg.  Il  avoit  derrière 
lui  cette  dernière  ville  ;  la  tête  de 


DE  TURENNE.  L'iV.  Iî.  $1  _ 
fon  armée  faifoit  face  au  chemin  Année 
de  brifac  ,  par  lequel  on  devoit  l644. 
naturellement  venir  à  lui  ;  car  les 
marais  qui  étoient  fur  fa  droite 
étoient  abfolument  impraticables  , 
&  les  montagnes  qui  fermoient  fa 
gauche ,  étoient  fi  près  l'une  de  l'au- 
tre ,  que  Tefpace  qui  fe  trouvoit 
entre  deux  devoit  plutôt  être  re- 
gardé comme  un  défilé ,  que  com- 
me un  vallon.  Cependant ,  com- 
me fon  armée  prêtoit  le  flanc  à 
ceux  qui  l'auroient  attaquée  par  ce 
pafTage ,  il  y  avoit  fait  faire  des; 
retranchemens  outre  ceux  que  les 
ravins  y  formoient  déjà  :  il  l'a- 
voit  fait  barrer  de  fapins  couchés 
en  travers  ,  dont  les  branches 
étoient  coupées  par  la  moitié,  & 
qui ,  par  ce  moyen  ,  hérifles  de 
pieux  en  tout  fens,  iervoient  de 
chevaux  de  frife  :  il  avoit  garni  le 
bois  à  droite  &  à  gauche  de  Mouf- 
quetaires  ;  fi  bien  qu'il  étoit  per~ 
fuadé  qu'on  n'oferoit  pas  l'attaquer 
par  cet  endroit.  Quant  au  chemin 
de  Fribourg  à  Brifac  ,  il  croyoit 
y  avoir  allez  bien  pourvu ,  en  met? 
D  y 


Si   Histoire  du  Vicomte 

A  N  M  \  E  tant  un  gros  corps  de  troupes  fur 
*é44«  la  montagne,  qui  étoit  à  la  tête  de 
ce  chemin  &  qui  le  commandoit 
entièrement. 
Elle  y  eft  Le  Duc  d'Anguien  ayant  re- 
A"a??le  ptr  connu  la  difpofition  de  ce  camp  . 
relolut  de  1  attaquer  ,  oc  par  le 
chemin  de  Brifac  ,  6c  par  le  val- 
lon tout  -  à  -  la  -  fois.  L'armée  des 
Bavarois  étoit  de  quinze  mille 
hommes ,  6c  la  nôtre  de  dix-neuf 
mille.  Le  Duc  d'Anguien  prit  la 
moitié  des  troupes ,  &:  voulut  at- 
taquer les  ennemis  par  la  monta- 
gne qui  défendoit  le  chemin  de 
Brifac  à  la  tête  de  leur  camp  ;  ôc 
le  Vicomte  de  Turenne  ,  avec  l'au- 
tre moitié  de  l'armée ,  fe  chargea 
de  les  aller  attaquer  par  le  vallon* 
Pour  cela  il  falloit  faire  le  tour 
de  la  montagne  à  travers  les  bois.. 
Il  partit  donc  dès  la  pointe  du  jour  r 
Jfe  j  Août,  afin  d'arriver  affez  tôt ,  &  de  pou- 
voir faire  fon  attaque  en  même- 
tems  que  le  Duc  d'Anguien  feroit 
la  fienne  ,  comme  cela  arriva  ;  car 
à  l'heure  dont  ils  étoient  convenus, 
«'eft-à-dire  3  trois  heures  avant 


DE  TURENNE.  Liv.  H.      83 

la  nuit,  le  Duc  d'Anguin  fit  char-  a  n  k  \  \ 
ger  les  ennemis  au  pied  de  la  mon-  l6w* 
tagne  ,  &  en  ayant  gagné  le  fom- 
met  après  trois  heures  de  combat,  il 
réfolut  d'y  parler  la  nuit ,  &:  d'atten- 
dre au  lendemain  à  descendre  dans 
la  plaine. 

Le  Vicomte  deTurenne  étoit  f$f  parTareajiej 
tré  dans  le  vallon  à  la  même  heu-  f-' chafnfT  d.e 
re,  oc  avoit  fait  charger  tintante- re, 
rie  que  le  Général  Mercy  avoit  lo- 
gée à  droite  &  à  gauche  dans  les 
bois  dont  les  deux  montagnes 
étoient  couvertes»  Cette  infanterie 
s'étoit  fait  par-tout  des  retranche- 
mens  par  des  abbatis  d'arbres,  Sd" 
il  falloit  livrer  un  nouveau  com- 
bat à  chaque  pas  qu'on  faifoit.  Ce- 
pendant le  Vicomte  de /Turenae 
pouffa  fi  vivement  les  ennemis  s 
qu'il  fe  rendit  maître  des  deux  cô- 
tés du  défilé,  parla  tous  les  foffés 
&  les  ravins  qui  le  traverfoient  ^ 
&  pénétra  dans  la  plaine ,  où  il  fit 
entrer  une  partie  de  fes  troupes* 
Comme  ce  fut  juitement  le  tems 
où  le  Duc  d'Anguien  avoit  cef- 
0  le  combat.,  le  Général  Mer» 
D  v) 


?4    Histoire  du  Vicomte 


6  N  n  é  e  cy ,  qui  n'étoit  plus  obligé  à  par* 
i<?44'  tager  fes  forces ,  vint  contre  le  Vi- 
comte de  Turenne  avec  toute  fort 
armée.  Le  feu  fut  continuel  de 
part  &  d'autre  ,  durant  toute  la 
nuit,  c'eft-à-dire,  plus  de  fept  heu- 
res entières.  Les  Bavarois  firent 
les  derniers  efforts  pour  nous  obli- 
ger à repaffer le  défilé;  néanmoins 
quoique  leur  infanterie  fut  foute- 
ïiue  de  toute  leur  cavalerie ,  6c 
que  nous  n'eufîions  pu  avoir  qu'un 
feul  efcadron  derrière  la  nôtre  , 
faute  d'efpace ,  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  conferva  le  terrein  qu'il 
avoit  gagné ,  &:  le  Général  Mercy 
ayant  déjà  trois  mille  hommes  hors 
de  combat  ,  crut  devoir  p enfer 
îout  de  bon  à  fauver  le  refte  de 
fon  armée.  L'obfcurité  de  la  nuit 
«mpêchoit  que  le  Vicomte  de  Tu> 
renne  ne  vit  les  mouvemens  qu'il 
faifoit  ;  il  n'y  avoit  déjà  plus  vis-à- 
vis  de  nous  que  quelques  rangs 
de  Moufquetaires ,  qui  faifoient  de- 
fréquentes  décharges  de  leurs  ar- 
ines,  pour  nous  faire  croire  que 
toute  l'armée  y  était  encore;  ôc. 


DE  TURENNE.  Liv.  H.      8?  >J^ 

Mercy  s'étoit  retiré  avec  le  refte  XTTTe 
de  fes  troupes,  fans  qu'on  s'en  fut       l644> 
apperçu;  de  forte  que  lorfque  le 
jour  parut  ces  Moufquetaires  ayant 
pris  la  fuite ,  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  vit  qu'il  n'y  a  voit  plus  per- 
sonne dans  la  plaine  ,  &:  y  entra 
avec  le  corps  qu'il  commandoit  : 
ce  que  le   Duc   d'Anguien  ayant 
apperçu  de  l'endroit  oii  il  étoit,  il 
defcendit  au(Ii  dans  la  plaine  avec 
fes   troupes.    Cependant  les    Ba- 
varois ayant  gagné  la  Montagne 
Noire  ,   commençoient  à  s'y  re- 
trancher. Nous  n'étions  à  la  véri- 
té qu'à  une  lieue  de  cette  monta» 
gne  ;  mais  comme  les  foldats  que 
commandoit  le  Vicomte    de  Tu- 
renne,  étoient  extrêmement  fati- 
gués du  combat,   qui  avoit  duré 
toute  la  nuit,  6c  de  la  pluie  qu'ils 
avoient  eue ,    outre   cela ,   conti- 
nuellement fur  le  corps,  on  ne  ju- 
gea pas  à  propos  de  marcher  aux 
ennemis  ,  qu'on  n'eût  fait  repofer 
les  troupes.  Il   efl  vrai  que  pen- 
dant ce  tems4à  les  ennemis  tra- 
vaillèrent fans  rçiâçhe;  à  fortifier 


$6  Histoire  du  Vicomte 
aTTTT  leurs  retranchemens  :  néanmoins 
1^44.  quand  le  lendemain  on  fut  arrivé 
au  pied  de  la  montagne  fur  laquelle 
étoient  les  Bavarois  ,  on  fe  pré- 
para à  les  attaquer  de  telle  forte 
que  le  Vicomte  de  Turenne ,  qui 
n'étoit  pas  d'un  caractère  à  fe  flat- 
ter ,  fe  fenoit  affuré  de  leur  défaite 
fur  la  feule  difpofition  des  attaques 
dont  il  de  voit  ce  jour-là  condui- 
re la  principale  ;  mais  s'étant  avan- 
cé avec  le  Duc  d'Anguien  pour 
aller  reconnoître  encore  une  fois 
le  camp  dès  ennemis ,  d'une  hau- 
teur qui  étoit  à  deux  mille  pas  de 
là ,  dlifpenan  qui  commandoit 
toute  l'infanterie  de  l'armée  du 
Duc  d'Anguien,  &  à  qui  le  Vicomte 
de  Turenne  avoit  dit  exprefTément 
de  ne  rien  engager  jufqu'à  ce  qu'il 
fût  revenu,  comme  s'il  avoit  prévu 
ce  qui  devoit  arriver  ;  d'Efpenan  ? 
dis-je ,  pour  fe  faire  valoir  par  une 
aufîi  petite  action  que  celle  de  la 
prife  d'une  redoute  ,  en  attaqua 
une  qui  étoit  au  pied  de  la  mon- 
tagne ,  d'où  les  ennemis  firent  une 
Si  furieufe  décharge  de'  canon  ££ 


DE   TURENNE.  Llv.   IL     87  

de  moufqueterie ,  que  nos  foldats ,  a  k  »  é 
croyant  le  combat  engagé ,  s'a  van- _  um> 
cerent  de  tous  côtés,  fans  ordre,  8c 
fans  Chefs.  Les  Bavarois,  tirant 
avantage  de  cette  confufion  ,  forti- 
rent  de  leurs  retranchement  ,  àz 
firent  un  grand  carnage  de  nos  gens. 
Le  Vicomte  de  Turenne  ,  ayant 
été  averti  ,  accourut  à  eux;  mais 
le  défordre  étoit  fi  grand ,  qu'il  ne 
put ,  ni  fe  faire  reconnoitre  ,  ni  fe 
faire  entendre  :  de  forte  qu'il  fal- 
lut qu'il  gagnât  les  rangs  de  nos 
troupes  les  plus  avancés ,  &  qu'à 
leur  tête  il  pouffa  les  ennemis  & 
les  fît  rentrer  dans  leurs  retranche- 
mens,  pour  retirer  nos  gens  du 
danger  où  ils  s'étoient  précipités. 
Le  Duc  d'Anguien  voulut  réparer 
ce  contre-tems  par  de  nouvelles  at- 
taques ,  qui  n'eurent  pas  le  fuccès 
qu'on  en  avoit  efperé.  On  foutint 
par  honneur  le  combat  jufqu'au 
foir ,  afin  qu'il  parût  que  c'étoit  la 
nuit  feule  qui  y  avoit  mis  fin  ;  mais 
il  nous  en  coûta  la  meilleure  par- 
tie de  notre  infanterie ,  qui  y  fut 
défaite,  Cependant  %  comme  les  en* 


,  88    Histoire  du  Vicomte 

TTTTe  nemis  n'avoient  perdu  guère  moins 
i*44.  de  monde  que  nous  dans  cette? 
dernière  affaire ,  &  qu'ils  en  avoient 
beaucoup  plus  perdu  dans  le  pre- 
mier combat ,  notre  armée  fe  trou- 
voit  encore  fupérieure  à  la  leur. 
Nous  nous  préparâmes  donc  à  les 
attaquer ,  lorfqu'ils  auroient  aban- 
donné la  montagne  où  ils  avoient 
tant  d'avantage  fur  nous  :  &  com- 
me ils  ne  pouvoient  fe  retirer  que 
par  le  Val  de  Saint-Pierre  ,  nous 
allâmes  nous  porter  à  Lansdelin- 
ghen  ,  à  deffein  d'enfiier  le  Val  du 
Bloterdal  lorqu'ils  entreroient  dans 
celui  de  Saint -Pierre  ,  &  de  les 
couper  à  l'Abbaye  qui  eft  au  bout 
de  cette  Vallée  ;  ce  qui  arriva 
Le  10  Août,  comme-  nous  l'avions  prévu.  Mais 
les  ennemis  ?  qui  ne  vpuloient  point 
en  venir  aux  mains  avec  nous , 
voyant  que  nous  nous  mettions  err 
bataille  auprès  de  cette  Abbaye  y 
nous  abandonnèrent  leur  canon  , 
leur  bagage,  &c  toutes  leurs  mu- 
nitions ,  &  s'enfuirent  avec  précipi- 
tation dans  le  Pays  du  "NVirtem- 
berg  ?  par  lçs  montagnes  <fc  la  N| 


DE   TuRENNE.   Liv.  IL    89 


;uien. 


rêt- Noire.  Le  Duc  d'Anguien  les  a  n  n  s  « 
pourfuivit  jufqu'à  Holgrave ,  6c  le  l6^> 
Vicomte  de  Turenne  encore  deux 
lieues  plus  loin  i  ayant  campé  cette 
nuit-là  à  cinq  grandes  lieues  de  l' Ab- 
baye du  Val  Saint-Pierre ,  oit  s'étant 
rendu  le  lendemain ,  toute  l'armée 
retourna  à  Lansdelinghen  y  d'où  elle 
îtoit  partie. 

La  retraite  des  ennemis  nous  Conquête* 
ahTant  maître  de  la  campagne  J  dl 
e  Duc  d'Anguien  s'avança  vers 
e  Marquifat  de  Baden  ;  &  defcen- 
lans  le  long  du  Rhin ,  il  s'empara 
le  Lichtenaw ,  de  Baden  ,  de 
3urlach  ,  Landau  ,  Philisbourg  , 
^euftas  y  Spire  ,  6c  Manheim  , 
Worms ,  Mayence ,  &  de  toutes  les 
uitres  Villvs  6c  Forterefles  qui  fe 
rouverent ,  à  droite  ou  à  gauche  , 
iir  fa  route ,  6c  qui  rirent  peu  de 
éfiftance  ,  à  la  réferve  de  Philis- 
bourg ;  fi  bien  qu'en  une  feule 
zampagne  il  fe  rendit  maître  d'u- 
îe  grande  partie  du  Brifgaw  6c  de 
'Ôrtnaw ,  du  Marquifat  de  Baden , 
lu  Palatinat  du  Rhin  ,  du  Land- 
^raviat  de  Darmftat ,  de  l'Eleâo- 


tobre. 


90  Histoire  du  Vicomte 
A  x  n  é'e  rat  de  Mayence ,  &  de  tout  le  cours 
l644-  du  Rhin  depuis  Strasbourg  jufqu'au- 
près  de  Coblentz  dans  l'Electoral 
de  Trêves ,  c'eft-à-dire ,  d'une  éten- 
due de  pays  de  plus  de  cinquan- 
te lieues.  11  donna  ordre  qu'on  ra- 

Le  is  Oc-  menât  ion  armée  en  France  :  il 
s'en  retourna  à  la  Cour ,  pour  y  joiiii 
de  la  gloire  de  tant  de  conquêtes  ; 
êc  tailla  le  Vicomte  de  Turenne  fur 
la  frontière  ,  pour  les  conferver, 
avec  cinq  à  fix  mille  hommes  qui 
lui  reiloient. 

Mercy  re- .     Cependant  le  Général  Mercy, 

prend  MaD-  .*  <  !  /     -\f       f 

beïm.  ayant  eu  le  tems  ae  retabnr  ior 

armée,  s'approcha  du  Rhin;  &me 
naçant  trois  ou  quatre  de  nos  Ville? 
à  la  fois  pour  nous  mieux  embarraf 
fer ,  il  fe  jetta  tout  d'un  coup  fui 
Manne  im  ,  où  nous  n'avions  pi 
mettre  pour  toute  garnifon  qi« 
quatre  compagnies,  dont  les  Ofn 
ciers  fe  fauverent  à  l'arrivée  des  Ba- 
varois ,  qui  après  cela  s'empare 
rent  ailement  de  ia  Ville. 
Gleen    fe      D'autre  côté  ,  Gleen  ,  Généra! 

^LoL^ne!  des  Impériaux  ,  avoit  joint.fon  ar- 
mée à  celle  que  le  Duc  de  Lor- 


DE   TlJRENNE.   Liv.  IL     91 


aine  commandoit  en  perfonne  fur  a  n  n  é  a 
a  Mofelle  :  &  il  étoit  à  craindre      l644. 
[ue  ces    trois    Généraux  unifiant 
eurs  troupes  ,  ne  vinffent  nous  ac- 
abler  tout  d'un  coup  ;  ou  qu'agif- 
mt  féparément ,  l'un  ne  nous  fur- 
irit,  tandis  que  nous  ferions  en  gar- 
ie  contre  l'autre. 
Le  Vicomte   de  Turenne  étoit    T"ren^nrf 
eut  -  être  l'homme  du  monde  le  tr'eux    avec 
lus  capable  de  défendre  une  auf-erès-Peu  de 

S    <  t      -   1  1  monde. 

.  grande  étendue  de  pays  avec  un 
uni  petit  nombre  de  troupes. 
>'étoit-là  fon  véritable  talent  : 
éanmoins  comme  il  avoit  des  fen- 
mens  très-modefles  de  lui-même, 
demanda  du  renfort  à  la  Cour, 
îmoignant  que  fans  cela  ,  il  ne 
royoit  pas  pouvoir  empêcher  que 
limeurs  de  nos  Places  n'euiTent  le 
îême  fort  que  Manheim.  On  ne 
d  répondit  autre  choie  ,  finon 
u'on  avoit  befoin  des  troupes 
illeurs ,  qu'il  fit  de  fon  mieux  ,  &c 
ue  c'étoit  tout  ce  qu'on  deman- 
oit  de  lui.  Voyant  donc  qu'il  ne 
ouvoit  rien  obtenir  de  plus  que 
e  qu'il  avoit ,  il  fut  obligé  de  fuj> 


Spire 


92    Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  é  E  pléer  au  nombre  par  fes  ftratagêmes, 
1^44.  ck  de  fe  multiplier  pour  ainfi  dire 
lui-même  par  fort  a&ivité ,  afin  de 
pouvoir  faire  tête  aux  ennemis ,  qui 
étoient  devant  &  derrière  lui ,  & 
qui  fe  préparoient  à  l'attaquer  de 
tous  côtés. 

11  fauve  Les  Bavarois  avant  pratiqué  des 
intelligences  dans  Spire  ,  mirenl 
douze  cens  Moufquetaires  fur  des 
bateaux ,  efpérant  les  faire  defcen 
dre  par  le  Rhin  dans  la  ville.  Maiï 
le  Vicomte  de  Turenne  ayant  dé- 
couvert leurs  defTeins  ,  borda  a 
fleuve  d'infanterie ,  6z  empêcha  le; 
bateaux  de  parler  :  il  fit  arrêter  le: 
traîtres  6c  fauva  Spire. 

fait  lever      Prefque  darts  le  même-tems  le 
.&ccirTh.dc  Général  Gleen  &  le  Duc  de  Lori 
raine  ,   étant  venus  afîiéger  avec 
deux  armées  Baccarach  ,  ville  di 
Palatinat ,  fituée  fur  le  Rhin  ,  le  Vi  \ 
comte  de  Turenne  laifTa  un  corp: 
de  deux  mille  hommes  fous  Philif 
bourg ,  pour  empêcher  toutes  forte  ' 
de  furprifes  de  la  part   du  Gêné 
rai  Mercy  :  &  prenant  feulemen 
cinq  cens  chevaux  avec  lui ,  il  s'a- 


DE  TURÉNNE*  Liv,  IL  93 
rança  jufqu'auprès  de  Binghen ,  T"^  T 
l'où  ayant  envoyé  vers  Baccarach  1^44. 
les  Officiers  6c  des  Commiflaires , 
>our  marquer  un  camp  &  préparer 
les  vivres  à  une  grande  armée , 
es  ennemis  qui  crurent  qu'effec- 
tvement  il  marchoit  à  eux  avec 
.n  grand  nombre  de  troupes ,  le- 
rerent  le  fiege  avec  précipitation, 
z  fe  retirèrent  au-delà  de  la  Mo- 
îlle. 

Quelques  jours  après  le  régi-  ^p^nd 
lent  de  Nettancourt ,  qui  étoit  dans  Creuunach* 
^reutznach  ,  polie  important  entre 
;  Rhin  &:  la  Mofelle  ,  ayant  aban- 
onné  la  place  à  l'arrivée  des  Bava- 
is ,  le  Vicomte  de  Turenne  la  fit 
ttaquer  &  la  reprit.  Il  renforça  les 
arnilons  de  toutes  les  autres  Vil- 
*s  :  il  les  mit  en  état  de  faire  une 
igoureufe  défenfe  ,  au  cas  qu'elles 
iflent  attaquées  ;  6c  il  fe  pofta  fi 
ien  entre  les  trois  Généraux  enne- 
ùs  ,  qu'ils  ne  purent  joindre  leurs 
mées  enfemble  durant  tout  le  ref- 
de  l'hiver.  „    „ 

D\       1  •       1       »  i  Conferve  les 

es  le  mois  de   Mars  ,  ayant  villes,  &  en 

oulu  commercer  la  campagne  ,  Prend  d>au~ 


très, 


©4   Histoire  du  Vicomte  ^ 

■7 •  E  il  fît  attaquer  Germcsheim ,  qui  d 

5£$*     un  peu  au-deffus  de  Philisbourg 
&  prit  cette  place  par  efcalade.  1 
parla  le  Pvhin  à  Spire  :  il  fit  mar 
cher  fon  petit  corps  de  troupes 
Pforszheim  dans  le  Marquifat  d 
Baden  ;  le  Général  Mercy  fe  rc 
tira  auffi-tôt  au-delà  du  Necker 
r.ous  abandonnant  ce  qui  étoit  er 
deçà.  Le  Vicomte  de  Turenne,  er 
tré  dans  la  Souabe  ,  fait  lever  î 
fiege  du  château  de  Magold  au 
Bavarois ,   s'empare   de   Stugard 
dans  le  Duché    de  "Wurtemberg 
paiTe  le  Necker  ,  prend  Suabfcha 
d'emblée  ;  &  forçant  Mercy  à  : 
retirer  jufqu'à  Dunckelfpield  ,  s' 
vance  vers  le  Tauber  dans  la  Frai 
conie ,  y  prend  Rottembourg  ,  < 
Mariandal  ,  où  s'étant  établi  poi 
avoir  derrière  lui  les  Etats  de 
Lantgrave  de  Heffe  notre  alliée 
qui  devoit  joindre  fon  armée  à 
nôtre ,  quand  le  tems  du  quarti< 
d'hiver  feroit  fini  ,  il  envoya  è 
partis   dans  la   Souabe  ,   dans 
Franconie  ,  &  dans  tous  les  pa] 
des  environs ,  d'où  par  ce  moy« 


DE   TURENNE.  Llv.  IL     95    

l  faifoit  apporter  dans  fon  camp  année 
outes  (ortes  de  provifions  en  abon-  »  6 4ï» 
lance  ;  û  bien  qu'avec  un  aufïi 
>etk  nombre  de  troupes  que  celles 
fti'on  lui  avoit  laifTées  ,  non-feu- 
nent.  il  conferva  toutes  les  pla- 
ies que  nous  avions  conquiiès , 
nais  il  en  prit  encore  aux  enne- 
mis cinq  fort  confidérables  ,  d'où 
faifoit  des  courfes  jufqu'aux  por- 
?s  de  Wirizbourg ,  de  Nuremberg , 
C  de  plufieurs  autres  villes  aux- 
uelles  il  fit  payer  toutes  les  con- 
ibutions  qu'on  a  coutume  d'exi- 
er  quand  on  efl  maître  de  la  cam- 
agne. 

Ces  heureux  fuccès  furent  fuivis     Eft  prefïé 
'un  revers  de  fortune  ,  que  le  %&-*£>%  ^ 
amte  de  Turenne  avoit  prévu  ,  rer  fon  Ar- 
ontre  lequel  il  s'étoit  même  pré- mée* 
lutionné  ,  &  qu'il  ne  fut  néan- 
toins  éviter.    Car  ,    comme    fes 
oupes  ,  fatiguées  de  tant  de  mou- 
emens  ,  d'adions  <k  de  marches , 
ii  demandoient  à  aller  dans  les 
etites  places  des  environs  ,  pour 
y  repofer  &  fubfifler  plus  com- 
modément, il  le  leur  refufa  ;  quoi- 


96    Histoire  du  Vicomte 
r         7.  que  jamais  aucun  Capitaine  ne  ù 
ù",  .E  "  foit  fait  un  plus  grand  plaifir  qiu 
lui,  de  procurer  à  fes  foldats  tou- 
tes  fortes  de  commodités  :  mai 
en  cette  occafion  il  appréhendoi 
que  les  ennemis  ne  fuffent  encor< 
affemblés  en  correfpondance  ;  ê 
que  retournant  fur  leurs  pas ,  ils  n 
vinffent  attaquer  fes  quartiers  lorl 
qu'ils  feroient  féparés.  Cependar. 
les  Officiers  le  lui  redemanderei 
avec  de   nouvelles    inftances  :  t 
comme  le  Général  Major  Rofe 
preffoit  fur  cela  jufqu'à  l'imporft 
nité  ?  il  lui  donna  un  détachemej 
de  cavalerie  ,  pour  aller  reconnc 
tre  ce  que  faifoient  les  ennemi; 
&  il  envoya  encore  quelques  autr 
Officiers  en  parti  pour  le  mên 
fujet.  Tout  le  monde  lui  rappor 
que  l'armée   ennemie   étoit  lép; 
rée  ,  &c  que  les  Bavarois  fë  fort 
fioient  dans  les  diverfes  places  c 
on  les  avoit  mis#en  quartier ,  cor 
me  des  gens  qui  ne  fongeoient 
rien  moins  qu'à  en  fortir.  Il  cé< 
donc  enfin  à  l'importunité  de  Rof 
fur  le  rapport  duquel  il  crut  qu 

devc 


b  e  Turin  ne.  Liv.  II.  97 
devoit  compter ,  parce  que  c'était  A\,  N  é  E 
un  vieil  Officier:  n'y  ayant  pas  d'ap-  1645, 
parence  que  des  gens  qui  fuyoient 
devant  nous,  duflent  venir  ii-tôt 
nous  attaquer  ;  ck  que  quand  ils  le 
voudroient  ils  le  piiffcnt  faire  fi 
fubitement  que  nous  n'en  fuirions 
pas  avertis ,  étant  à  plus  de  feize 
lieues  de  nous.  Néanmoins  le  Vi- 
comte de  Turenne  appréhendant 
toujours  quelque  fuprife  ,  retint 
iiitour  de  lui  le  canon  6c  l'infan- 
:erie  ,  &  ne  voulut  pas  que  la  ca- 
valerie s'éloignât  de  plus  de  deux 
du  trois  lieues  de  Mariandal,  dont 
1  fit  le  quartier  général  ;  comman- 
iant  aux  Officiers  de  s'y  rendre  en 
liligence  au  premier  ordre  qu'ils  en 
•ecevroient. 

Le  lendemain  du  jour  auquel  il  &  ob%6  dû 
épara  ainfi  fon  armée,  ne  Te  te- h  caflemblc* 
iant  pas  aiîuré  de  la  féparation  de 
relie  des  ennemis,  quelque  chofe 
m'onlui  en  pût  rapporter ,  il  fit  rap- 
>rocher  de  Mariandal  tous  les  au- 
res  quartiers.  Plus  il  y  réflcchif- 
bit ,  plus  il  fe  repro choit  d'avoir 
ru  trop  légèrement  que  les  ennemis 
E 


i s  9S    Histoire  du  Vicomte 

Année  ?e  faffent  féparés  ,  fur  le  rapport 
J^4y.      de  quelques  Officiers  qui  pouvoient 
s'être  acquittés  de  leur  cômmiiîioiV 
avec    négligence.     Voulant  donc 
s'en  éelaircir  par  lui-même ,  il  prit 
la    grande   garde    de  l'armée  ,    iV 
s'avança  trois  lieues  dans  le  che- 
min par  où  on  le  pouvoit  venir 
attaquer  ;  &  n'ayant  rien  décou- 
vert,  il  envoya  un  parti   encore 
plus  loin ,  avec  ordre  à  l'Officier 
qui  le   commandoit  de    ne   point 
revenir  qu'il  ne  lui  apportât   des 
nouvelles  bien  certaines  des  enne- 
mis; &  ce  fut* cet  Officier,  qui  , 
le  lendemain  dès    cinq  heures  dv 
matin ,  vint  lui  dire  que  le  Gêné 
rai  Mercy  s'avançoit  à  grands  pas 
avec  toute  fon  armée  -,  &  n'étoit 
pas  "fort   éloigné  de  lui.    Le  Vi- 
comte de  Turenne  fe  levé  à  là  hâ- 
te ,  il  envoie  ordre  à  tous  les  quar 
tiers  de  fe  rendre  à  Herbfthauién , 
village  où  étoit  la  grande  garde. 
à  une  lieue  6c  demie  de  Mariandal 
&    commande   au   Général-Majoi 
Rofe  de  s'y  rendre  en  diligence 
pour  y  recevoir-  les    troupes  1 


©E  TU  RENNE.  Liv.  IL      99  

aiefure  qu'elles  arriveroient.     Le  A  N  N  t  E 
Général-Major  Rofe   reconnut  la      1645. 
difpofition  des  lieux ,  &  ayant  vu 
qu'il  y  a  voit  une  afTez  grande  plai- 
ne au-delà  d'un  bois  qui  étoit  à  la 
tête    de    notre   grande  garde  ,   il 
lui  fit  parler  ce  bois  qui  avoit  cinq 
ou  fix   cens  pas  de  longueur ,  &t 
commença  à  ranger  quelques  ré- 
gimens  dans  la  plaine  j  en  quoi  il 
fit  une  très-grande  faute  d'expofer 
ainfi  à  découvert  le  petit  nombre 
de  nos   troupes  :  au  lieu   que   û 
nous  fuirions  demeurés  en-deçà  du 
bois  ,  &  que  nous  en  eufTions  fer- 
mé l'entrée  avec  quelques  batail- 
lons ,  les  ennemis  ,  qui  enflent  pu 
:raindfe    que  toute  notre   armée 
ne  fût  derrière  ces  bataillons ,  n'au- 
*oient  peut-être  oie  nous  attaquer, 
k  fe  feroient  retirés  fans  combat- 
te. Le  Vicomte  de  Turenne  con- 
mt  la  faute  aufîi-tôt  qu'il  fut  fur  le 
ieu;  &  fans  s'amufer  à  en  faire  des 
•eproches   au  Général-Major  Ro- 
ï ,  il  donnoit  fes  ordres  pour  fai- 
*e  reparler  le  bois  à  nos  troupes , 
orfqu'ayànt    découvert     l'avant- 
Eij 


ioo    Histoire  du  Vicomte 

Année  garde  de  l'armée  ennemie  ,  qui 
1*4$.  n'étoit  plus  qu'à  un  quart  de  lieue 
de  nous ,  il  vit  bien  qu'il  n'a  voit 
pas  affez  de  rems  pour  aller  fe  met- 
tre derrière  le  bois  ;  &  que  le  feul 
parti  qu'il  avoit  à  prendre ,  étoit 
de  ranger  promptement  en  ordre 
de  bataille  le  peu  de  troupes  qui 
étoient  là  ;  car  il  n'y  avoit  que 
trois  mille  hommes  d'infanterie 
arrivés,  &c  fept  ou  huit  régimens 
de  cavalerie.  Dans  cet  état  ?  vou- 
lant profiter  de  tous  les  avantages 
du  lieu ,  &:  ayant  vu  à  droite  un 
petit  bois ,  il  y  mit  toute  ion  in- 
Fanterie,foutenue  feulement  de  deux 
efcadrons,  &  en  fit  fon  aile  droi- 
te; il  compofa  l'aile  gauche  de  tout 
le  refte  de  la  cavalerie  qu'il  mit 
fur  une  feule  ligne ,  excepté  deux 
efcadrons  ,  dont  il  fit  une  efpece  de 
féconde  ligne  ;  &:  attendit  ainfï 
l'ennemi. 
Après  s'être  Le  Général  Mercy  ,  qui  avoit  eu 
bravement     \e  terns   ^e  mnaer  régulièrement 

défendu  con-  r  ,  ,°  *?-v-'  _T. 

lit  Mercy.  ion  armée ,  pendant  que  le  Vicom- 
te de  Turenne  s'étoit  appliqué  à 
tirer  avantage  de  la  difpoiition  du 


1645 


de  Turenne.ZjV.77.    ioï  : 

terrein ,  commença  à  nous  canon-  a  n  n  é 
ner  ;  mais  voyant  que  fon  canon 
ne  faifoit"  pas  grand  effet ,  &c  que 
-cependant  il  nous  arrivoit  à  tous 
momens  de  nouvelles  troupes  qui 
auroient  bien  pu  à  la  fin  rendre 
notre  armée  égale  à  la  fienne ,  il 
fe  mit  à  la  tête  de  fon  infanterie 
pour  aller  attaquer  le  petit  bois, 
dont  il  falloit  abfolument  qu'il  fe 
rendit  le  maître ,  afin  de  pouvoir 
faire  agir  fon  aile  gauche.  Le  Vi- 
comte de  Turenne  marcha  en  mê- 
me-tems  avec  fa  cavalerie  contre 
l'aile  droite  de  l'ennemi ,  l'enfon- 
ça ,  rompit  tous  les  efcadrons , 
ébranla  môme  la  féconde  ligne  , 
|  &  prit  douze  étendarts.  Mais  pen- 
dant qu'il  renverfoit  ainii  la  cava- 
lerie des  Bavarois ,  notre  infante- 
rie ,  alarmée  de  ce  que  le  Vicomte 
de  Turenne  avoit  pris  tant  de  pré- 
cautions ,  &C  fe  croyant  à  caufe  de 
cela  dans  un  péril  inévitable ,  jet- 
ta  les  armes  bas  à  la  première  at- 
taque des  ennemis  &  fe  fauva  à 
travers  le  petit  bois ,  dont  le  Gé- 
néral Mercy  s'étant  rendu  maître  , 
E  iij 


joi  Histoire  du  Vicomte 


A«nêe  il  fit  avancer  toute  la  cavalerie  de 
I(J4j.  .fon  aîle  gauche  derrière  la  nôtre 
pour  l'envelopper.  C'étoit  en  quoi 
confifloit  alors  toute  notre  armée , 
n'y  ayant  plus  d'aile  droite.  Le 
Vicomte  de  Turenne ,  qui  avoit 
rompu  la  féconde  ligne  de  l'aile 
droite  des  ennemis  comme  la  pre- 
mière ,  &  qui  n'avoit  plus  devant 
lui  que  trois  efcadrons  du  corps 
.de  referve  à  défaire ,  ayant  vu  fon 
.infanterie  jetter  les  armes  bas ,  6c 
le  mouvement  que  les  ennemis 
faifoient  pour  le  venir  envelopper, 
cefla  de  combattre  ;  6c  ayant  fait 
en  un  moment  le  plan  de  fa  re- 
traite, il  commanda  à  l'infanterie 
de  marcher  droit  à  Philisbourg  fans 
s'arrêter  :  il  y  envoya  Beauregard- 
Chabris  pour  la  rallier,  la  faire  def- 
cendre  fur  le  Rhin  jufqu'à  Mayen- 
ce  ,  6c  la  lui  amener  dans  le  Land- 
graviat  de  HefTe  oit  il  réfolut  d'al- 
ler avec  toute  fa  cavalerie ,  quoi- 
qu'il en  fût  à  plus  de  trente  lieues , 
6c  qu'il  lui  fallût  pour  cela  tra- 
verfer  toute  la  Franconie  ,  pays  qui 
étoit  à  la  dévotion  du  vainqueur. 


DE  TURENNE.LV.//.  10} 
Suivant  ce  plan  ,  il  ordonna  à  a  n  n  i  s. 
d'Efpence  de  Beauveau  de  fe  met-  x*4f. 
tre  à  la  tête  de  la  cavalerie ,  de  pafr  il  fait  une 
fer  le  Thauber  &  le'Mein,  &  de  belle  retraicc' 
marcher  toujours  jufqu'à  ce  qu'il 
fût  arrivé  aux  frontières  du  Pays 
de  Heffe  ;  &  pour  lui  s'étant  mis 
à  l'arriere-garde  ,  il  repafîa  le 
bois ,  en  foutenant  avec  les  derniers 
efcadrons  tous  les  efforts  des  en- 
nemis qui  le  pourfuivoient.  Mais 
il  fut  bien  furpris,  lorfqu'étant  ar- 
rivé à  la  fortie  du  bois ,  il  fe  vit 
coupé  par  un  corps  de  cavalerie 
à  qui  le  Général  Mercy  avoit  fait 
faire  le  tour  de  ce  bois ,  dans  l'ef- 
pérance  que  cette  cavalerie  mar- 
chant toujours  fans  trouver  aucun 
obflacle,  elle  arriveroit  au  grand 
chemin  de  Mariandal  avant  le  Vi- 
comte de  Turenne ,  qui  feroit  obli- 
gé de  s'arrêter  fouvent  pour  faire 
tête  à  l'autre  corps  de  cavalerie , 
qu'il  avoit  détaché  après  lui.  Ce- 
pendant le  Vicomte  de  Turenne  , 
ne  pouvant  pas  reculer,  6c  fe  trou- 
vant renforcé  de  trois  régimens 
tout  frais  qui  venoient  d'arriver  là  3 
E  iv 


i04   Histoire  du  Vicomte 


Année  fuivant  l'ordre  qu'il  leur  avoit  en- 
l6v>  voyé  de  fe  rendre  à  la  grande 
garde,  il  crut  qu'il  n'avoit  point 
d'autre  parti  à  prendre,  que  celui 
de  parler  fur  le  ventre  aux  enne- 
mis ,  6c  de  s'ouvrir  un  partage  à  la 
pointe  de  l'épée  ;  ce  qu'il  exécu- 
ta très-vigcureufement,  fans  autre 
perte  que  celle  de  quelques  cava- 
liers ;  après  quoi  il  gagna  Marian- 
dal.  Il  pafTa  le  Tauber ,  où  il  fit  fer- 
me deux  ou  trois  fois,  pour  s'oppo- 
fer  aux  Bavarois ,  qui  vouloient  paf- 
fer  au  même  gué  que  nous  :  il  con- 
tinua fa  retraite ,  en  faifant  tête  aux 
ennemis  à  tous  les  défilés  ;  &  en  ral- 
liant à  droite  &  à  gauche  tous  ceux 
qui  s'écartoient ,  il  arriva  au  Mein , 
qu'il  pafTa  à  gué  :  &C  craignant  que 
quelque  corps  de  cavalerie  ne  nous 
pourfuivît ,  il  demeura  deux  jours 
entiers  dans  les  bois  avec  quinze 
cens  chevaux,  avant  que  d'entrer 
clans  la  HefTe ,  où  il  rejoignit  enfin 
fes  troupes. 
Réflexions      \\  n'arrive  gueres   de  malheurs 

furm!n!  eve"  à  une  armée ,  qui  ne  foient  d'a- 
bord  imputes  au  General  ;   mais 


DE  TURENNE.  Liv.  IL  105  ____ 
bien  loin  qu'on  rejetta  celui-ci  fur  A  N  N  é  8 
le  Vicomte  de  Turenne  ,  qui  au  i^j. 
fond  avoit  pris  de  grandes  pré- 
cautions pour  s'en  garantir ,  on 
releva  beaucoup  la  préfence  d'ef- 
prit  avec  laquelle  il  prit  le  parti 
de  marcher  aux  Bavarois  dans  le 
moment  même  où  il  apprit  qu'ils 
venoient  à  lui  ;  car  s'il  fut  de- 
meuré à  Mariandal  pour  y  atten- 
dre fes  gens ,  le  Général  Mercy 
auroit  pu  attaquer  fes  quartiers  les 
plus  avancés  l'un  après  l'autre ,  &C 
les  enlever  avant  qu'ils  euffent  pu 
le  joindre  ;  au  lieu  qu'ayant  gagné 
la  tête  de  tout  ,  il  fe  trouva  en 
état  de  réfifter  aux  ennemis  fi- 
tôt  qu'ils  parurent.  On  fît  encore 
extrêmement  valoir  cettepénétra- 
tion  par  le  moyen  de  laquelle  il 
forma  le  projet  de  fa  retraite ,  &C 
en  prévit  toutes  les  conféquences 
comme  en  un  infiant.  On  admira 
enfin  ,  au-delà  de  tout  ce  que  j'en 
faurois  dire  ,  cette  profondeur  de 
jugement  &.cet  efprit  de  refîbur- 
ce ,  qui  lui  fit  prendre  la  réfolution 
de  mener  fi  avant  dans  l'Allema- 
Ey 


io6  Histoire  pu  Vicomte 

An  née  Sne  ^e  débris  de  fon  armée  battue; 
x$4î.  car  il  n'y  avoit  perfonne  qui  ,  en 
fa  place ,  ne  fe  fût  retiré  du  côté 
du  Rl^in  ?  6k  qui  n'eût  cru  faire  un 
coup  de  grand  Capitaine  en  al- 
lant couvrir  Philisbourg  ,  &:  f è 
mettre  tout  enfemble  à  couvert  de 
cette  place.  Mais  le  Vicomte  de 
Turenne  ,  qui  avoit  des  vues  plus 
.étendues  qu'un  autre  ,  jugea  plus  à 
propos  d'aller  dans  la  Hefle  ?  per- 
îuadé  que  les  ennemis  ne  manque- 
roient  pas  de  l'y  pourfuivre  ,  dans 
l'efpérance  d'achever  fa  défaite ,  & 
qu'en  y  attirant  ainfi  la  guerre  , 
4'un  côté  nos  conquêtes  du  Rhin 
feroient  en  fureté  ?  &  de  l'autre  la 
Landgrave  de  HefTe ,  qui ,  fuivant 
1  ufage  de  l'Allemagne  ,  vouloit  ab- 
folument  laiffer  encore  un  mois  fe& 
troupes  dans  leurs  quartiers  d'hi- 
ver ,  fer  oit  obligée  de  les  en  faire 
fortir  incenamment  pour  la  défenfe 
de  fon  propre  pays  ,  &;  de  les  join- 
dre aux  nôtres  ;  ce  qui  nous  met- 
trait auiîi-tôt  en  état  de  pouvoir  ré- 
fifter  aux  ennemis. 
«e>oîntaur.    En  effet  y  nous  ne  fumes  pas 


DE-TURENNE,  Uv.  II.    IOJ     ^ 

plutôt  dans  le  Comté  de  Valdeck ,  A  N  N  é  % 
que  le  Général  Mercy  vint  aflié-       \6^. 
ger  Kircheim ,  ville  fituée  à  l'en-  H.flo's  & 
trée  du  pays  de  HeiTe.  Nous  nVsVd:iso,[^ 

.  -  r    J  .  .  ...         .  palis  ;e  Rhin 

vions  pas  plus  de  trois  mille  che-  &ieNec.er, 
vaux  &  douze  censhommes  depied. &  Fe,oi,H  An?r 
La  Landgrave  de  HeiTe  fut  donc  Gwmmonfc 
obligée  ,  malgré  elle ,  à  faire  for- 
tir  les  troupes  de  leurs  quartiers 
pour  a  1er  au  fecours  de  Kircheim. 
Le  Vicomte  de  Turenne  fit  même 
fi  bien ,  qu'il  engagea  Le  Comte  de 
Konigsmark ,  Général  des  Suédois , 
qui  hivernoient  dans  le  Duché  de 
Brunswic ,  à  fortir  aufîi  de  (es  quar-  Le  z?  H&, 
tiers ,  .&  à  joindre  les  quatre  mille 
hommes  qu'il  commandoit  aux  iix 
mille  que  la  Landgrave  de  Hefle 
envoya  fous  la  conduite  du  Géné- 
ral Geis.  A  la  tête  de  cette  ar- 
mée ?  le  Vicomte  de  Turenne  s'a- 
vança vers  Kircheim ,  &  le  Géné- 
ral Mercy  ù  retira  aufîi-tot  de  de- 
vant cette  place.  Nos  foldats  ,  qui 
fa  voient  que  la  dif  grâce  de  Ma- 
riandal  étoit  arrivée  au  Vicomte  de 
Turenne ,  en  partie  par  fon  trop  de 
bonté  pour  eux  y  bruloient  Sstàr 
Hvj 


mmmm_mmmt   ïo8  Histoire  du  Vicomte 
A         ,     vie  de  le  venger  ,  *$£  vouloient  Qu'il 

Année-  a  °r  .  x    ,     ~        ■ 

i64î.  lesmenat  en  rranconie,  ou  les  en- 
nemis s'étoient  retirés  après  la  le- 
vée du  fiege  de  Kircheim  ;  mais 
comme  il  reçut  ordre  de  la  Cour 
de  ne  rien  entreprendre  jufqu'à-  ce 
que  le  Duc  d'Anguien  6c  le  Ma- 
Ccft  aïnfi  réchal  de  Grammont  fiuTent  arrivés 
eue  s'appei-  j     nuit     ^    hommes  qu'ils 

Joit  le  Mare-  .    ,r   .  ,t    -.  r      j 

chai  de  Gui-  conduitoient,  il  fallut  quil  fufpen- 
che  ,  depuis  dît  i»ardeur  ae  fes  foldats  ;  &  tout 

la    more    du  .        .      ' 

DucdcGram-  cequ  il  put,  pour  fatisraire  en  quel- 
jriorn  fonpe-que  fâçon  à  l^j.  impatience  ,   fut 

de  les  mener  au  devant  du  Duc 
d'Anguien  ,  afin  d'avancer  de  quel- 
ques jours  la  jonction  des  deux 
armées,  &  être  plutôt  en  état  de 
pourfuivre  les  ennemis.  Pour  ce- 
la ,  il  repaffa  le  Mein  ;  il  traverfa 
le  pays  de  Darmftad  &  le  Berg- 
ûraas.  Il  prit  chemin  faifant  la 
ville  de  Venheim  ,  &  arriva  en- 
fin à  Spire  ,  où  le  Duc  d'Anguien 
ayant  paffé  le  Rhin  &  ayant  joint 
fon  armée  à  celle  du  Vicomte  de 
Turenne  ,  on  marcha  vers  Hail- 
bron  à  deffein  d'y  paffer  le  Nec- 
-ker  ;   mais  comme   les    ennemis 


DE  TURENNE.  LiV.  IL  IO9 
nous  avoient  prévenus  ,  &  avoient  aTTTb 
déjà  rangé  leur  armée  en  bataille  *h£ 
fur  les  hauteurs  ,  nous  defcendî- 
mes  à  Vimphen ,  qui  eft  deux  lieues 
au-defTous  de  Hailbron.  Nous  nous 
rendîmes  maîtres  de  cette* ville, 
nous  y  fîmes  un  pont ,  &  le  Gé- 
rai Mercy  voyant  que  nous 
avions  un  pafTage  fur  le  Necker, 
fe  retira  à  Feuchtwang,  qui  eft  à 
plus  de  vingt  lieues  de-là  dans  la 
Franconie. 

Ce  fut  immédiatement  après  le  Abandonnés 
paffage  du  Necker  ,  que  le  Qétté-^%^ 
rai    Konigsmarck  6c   le   Général  affiégcrDunc- 
Geis  ,  piqués  de  ce  que  le   Duc  kelspield* 
d'Anguien  leur  avoit  parlé  avec  un 
certain  air  de  hauteur  en  leur  com- 
mandant quelque  chofe ,  déclarè- 
rent   qu'ils   alloient  quitter  notre 
armée ,  &  emmener  avec  eux  leurs 
troupes.  Le  Duc  d'Anguien  vou- 
loir cju'on  les  chargeât  ,  pour  les 
retenir  par  la  crainte  d'être  taillés 
en  pièces  :  mais    le    Vicomte   de 
Turenne  lui    ayant   fait  entendre 
que  ces  étrangers  n'étoient  pas  ac- 
coutumés à  être  traités  de   cette 


no  Histoire  du  Vicomte 

a  N.N  é  e  manière,  il  parla  aux  Chefs  avec 
Itf4f.  fa  douceur  6c  fa  politeffe  ordinal 
r.e  ,  &  il  fit  fi  bien  qu'il  engagea 
le  Général  Geis  à  refier  avec  nous. 
Quant  au  Général  Konigsmarck  , 
il  fit  monter  un  fantafîin  en  crou^ 
pe  derrière  chacun  de  fes  cava- 
liers ,  6c  fe  retira  de  cette  forte  à 
Bremen  dans  la  baffe  Saxe.  Les 
Suédois  nous  ayant  ainfi  quittés* 
nous  marchâmes  avec  les  Hefiiens 
vers  leTauber,  6c  nous  nous  em- 
parâmes de  toutes  les  Villes  qui  fe 
trouvèrent  fur  la  route.  Les  enne*- 
mis  ne  défendirent  que  Rottem- 
bourg  ;  mais  cette  place  ayant  été 
Le  16  Juillet,  prife  d'affaut  en  une  nuit,  le  Gé- 
néral Mercy  décampa  de  Feucht- 
■wang  y  6c  fe  retira  du  côté  de  Do- 
nawert  ,  après  avoir  jette  beau- 
coup de  troupes  dans  DunckeHV 
pield  r  perfuadé  que  nous  allions 
faire  le  fiege  de  cette  ville  ,  6c 
que  nous  n'aurions  garde  de  nous 
engager  entre  fon  armée  6c  une 
place  où  il  avoit  mis  une  fi  groffe 
garnifon.  En  effet  *  nous  y  ouvrît 
mes    la  tranchée  ,   mais  dès  le 


DE  TURENNE.  Llv.  IL    III  

foir  même ,  ayant  été  avertis  que  le  a  *  n  â  e 
Général  Mercys'avançoit  vers  Nor-      l6v» 
linghen ,  nous  quittâmes  Dunckelf- 
pield,  &c  toute  l'armée  fe  mit  en 
marche  à  Minuit  dans  le  deffeinde 
prévenir  les  ennemis. 

A   la  pointe  du  jour  nous  dé-    On  quitte 
couvrîmes  leur  avant-garde  ,  qui  "on  ,ep^  * 
tenoit  la  route  qu'on  nous  avoit  dit.  Noriingbcn, 
Le  Général  Mercy  nous  apperçut 
aufîi  dans  le  même  tems ,  &  comme 
l'endroit  où  il  fe  trouvoit  lui  étoit 
:rès-favorable  ,  il  y  rangea  fon  ar- 
née  en  bataille ,  6c  réfolut  de  nous 
y  attendre.  Il   avoit  une   rivière 
levant  lui ,  ck  de  grands  étangs  à 
à  droite  &  à  fa  gauche.  Nous  ne 
Douvions  aborder  les  ennemis  par 
uicun  endroit  :  nous  fîmes  avancer 
lotre  canon ,  ôt  les  Bavarois  mirent 
mfli  le  leur  à  la  tête  de  leur  camp. 
On  fe  canonna  pendant  toute  la 
lournée  avec  une  perte  à  peu  près 
égale  de  part  &  d'autre  ,  6c  corn-  ^ 
me  on  ne  pouvoit  faire  autre  cho-  $ 
fe  en  ce  lieu-là  ,  nous  en  décam-    Le  5  Àofo 
pâmes  deux  heures  avant  le  jour 
pour  aller  à  Norlinghen,  où  il  nous 


1 1 1  Histoire  du  Vicomte 

Année  ^toit  an^  d'arriver  avant  les  etv» 
*Hu  nemis.  En  effet,  dès  les  neuf  heu- 
res du  matin  nous  nous  trouvâmes 
dans  l'a  grande  plaine  qui  eft  de- 
vant cette  ville ,  &  fur  le  midi 
nous  apprîmes  que  le  Général  Mer- 
cy  ,  perfuadé  que  nous  allions  nous 
attacher  au  fiege  de  Norlinghen, 
avoit  paffé  la  petite  rivière  de 
Vernitz ,  &  commençoit  à  faire 
travailler  en  diligence  aux  retran- 
chemens  d'un  camp  déjà  très-avan- 
tageux qu'il  avoit  occupé  à  deux 
lieues  de  nous  ,  &  d'où  il  avoit 
deffein  de  nous  difputer  la  prifé 
de  cette  place.  Nous  nous  ran- 
geâmes aufii-tôt  en  bataille  :  nou5 
marchâmes  aux  ennemis  ,  laiffant 
nos  bagages  derrière  nous  dans  les 
villages  de  Petizheim  &  de  Me* 
xeinghen  ;  &c  fur  les  quatre  heures 
nous  étant  trouvés  enleur  préfence , 
nous  reconnûmes  la  difpofition  de 
.  leur  camp. 
DifpoffSm  Vers  le  milieu  de  la  plaine  de 
de  la  pi™*  Norlinehen  ,  qui  eft  très-étendue, 
le  trouve  un  vallon  d  une  mechov 
cre  grandeur,  devant  lequel  eu  AI- 


E    H 


DE  TlJRENNE.  LiV.îl.  II? 
erheim  ,  gros  village  qui  eft  com-  A  N  N 
ne  flanqué  de  deux  montagnes  ,  1*45. 
ju'il  a  à  fes  côtés  :  la  montagne 
le  "Wineberg  qui  eft  fort  haute, 
:ft  à  droite  ,  quand  on  va  du  villa- 
;e  à  Norlinghen  ;  &  la  montagne 
ur  laquelle  eft  le  château  d'Aller- 
îeim ,  eft  à  gauche.  Ces  deux  mon- 
agnes  font  à  un  quart  de  lieue  l'une 
le  l'autre  ;  &  le  village  qui  dft 
intre  deux  ,  eft  plus  avancé  vers 
Norlinghen  d'environ  trois  cens 
>as.  Le  terrein ,  qui  eft  entre  le 
hâteau  d'Allerheim  &:  le  village  ? 
ft  uni  comme  une  plaine  ;  &  celui 
[ui  eft  de  l'autre  côté ,  eft  une  pen- 
e  qui  defcend  infeniiblement  de  la 
nontagne  de  Wineberg  jufqu'au 
nême  village. 

C'eft-là  où  le  Général  Mercy     sitnatîoa 
voit  rangé  fon  armée  en  bataille,  fiuV  P'enf 

a«        1       •  \  r  ie     Cr-nerat 

Ion  aile  droite  ,  commandée  par  Mercy. 
e  Général  Gleen  ,  s'étendoit  juf- 
mes  fur  le  haut  de  la  montagne  de 
<J7ineberg  ;  &  fon  aile  gauche  ,  où 
koit  le  Général  Jean  de  Werth , 
ufquau  château  d'Allerheim.  Le 
;orps  de  bataille  où  il  s'étoit  mis , 


ii4  Histoire  t>u  Vicomte 

Année  occupoit  le  vallon  ,  qui  faifoit  U 
i^4f.  centre  de  l'armée  ,  &  avoit  à  fa 
tête  le  village  d'Allerheim.  Seï 
deux  ailes  étoient  toutes  compo 
fées  de  fa  cavalerie ,  excepté  quel 
ques  bataillons  qu'il  avoit  mis  aiw 
extrémités ,  c'eft-à-dire  fur  la  mon 
tagne  de  Wineberg ,  &  fur  celh 
du  château  d'Allerheim  ;  &  tou 
le  refte  de  l'infanterie  formoit  h 
corps  de  bataille.  Il  avoit  fait  en 
trer  quelques  bataillons  dans  h 
village  ,  &  avoit  jette  quantité  àt 
Mousquetaires  dans  l'Eglife  ,  dan; 
le  clocher  &  dans  le  cimetien 
■qui  étoit  fermé  de  murailles.  I 
avoit  fait  faire  des  retranchemen 
à  la  tête  de  toutes  fes  troupes  ;  & 
ceux  des  deux  montagnes  étoien 
bordés  de  canon  ,  ainfi  que  le  ri 
deau  qui  règne  de  l'un  à  l'autre 
où  il  avoit  fait  drefler  plusieurs  bat 
teries.  C'eft  dans  cette  fituatior 
qu'il  prétendoit  nous  recevoir  ,  f: 
nous  venians  à  lui;  ou  demeurei 
campé ,  fi  nous  formions  le  fiegt 
de  Norlinghen.  Son  armée  étoit  df 
quatorze  à  quinze  mille  hommes. 


DE  TURENNE.  Liv.  IL    1 1  5 


k  la  nôtre  de  feize  à  dix-fept  mille.  A  N  ~  l  E 

Tout  ayant  été   examiné   dans      »?4?' 
e  Confeil  de  Guerre  ,  le  Vicom-  _  Confeii  de 

.      _  c        j,  ,  Guerre      des 

e  de  Turenne  rut  davis  quon  neFrançois. 
Douvoit  engager  une  affaire  gêné- 
•aie  avec  les  ennemis  ainii  pof- 
:és  &:  retranchés,  fans  expofer  no- 
re  armée  à  être  entièrement  dé- 
faite. Mais  le  Duc  d'Anguien  &  le 
vlaréchal  de  Grammont ,  quiétoient 
l'un  autre  fentiment ,  l'ayant  em- 
porté fur  lui  ,  il  fut  réfolu  qu'on 
lonneroit  bataille  ;  que  le  Mare- 
:hal  de  Grammont  commanderoit 
'aile  droite  ;  le  Vicomte  de  Tu- 
enne  l'aile  gauche  ;  le  Comte  de 
vlarfin  ,  Maréchal  de  Camp  ,  le 
x>rps  de  bataille  ;  &  le  Chevalier 
Chabot ,  aum*  Maréchal  de  Camp , 
e  corps  de  réferve.  Quant  au  Duc 
l'Anguien  ,  qui  difpofa  de  tout  ces 
>oftes  ,  il  n'en  choifit  aucun  pour 
ui,  difant  qu'il  vouloit  être  par- tout 
;e  jour-là. 
Il  étoit  déjà  cinq  heures  après  M  Bf.taî!ic  de 

•  i.  /  V  ,     r    ,     NocJinghem.. 

mai  ,  quand  tout  fut  en  état  de 
îotre  côté.  Alors  nous  commen- 
tâmes à  canonner  le  village  ;  ce 


é_^___  116  Histoire  du  Vicomte 
Année  ^  ne  ^ura  qu'une  demi -heure 
»*45»  car  les  batteries  des  ennemis  ,  qu: 
avoient  été  dreffées  les  premières 
avoient  beaucoup  d'avantage  fui 
les  nôtres  ;  &  le  Duc  d'Anguien 
voyant  qu'il  n'avançoit  pas  beau 
coup  avec  l'artillerie  ,  fit  attaque: 
le  village  par  quelques  bataillons 
à  la  tête  defquels  étoit  le  Comte  d< 
Marfm. 

Les  premiers  retranchemens  fu 
rent  bientôt  forcés  :  mais  quan( 
on  fut  auprès  des  maifons  ,  les  en 
nemis  qui  s'y  étoient  logés ,  &C  qu 
les  avoient  percées  &  crénelées 
firent  de  fi  fiirieufes  décharges  d 
moufqueterie  ,  que  nos  gens  s'ar- 
rêtèrent tout  court  d'abord ,  plie 
rent  enfuite ,  ôt  enfin  reculèrent.  L 
Comte  de  Marfin  y  ayant  été  trè< 
danger eufement  blefle  ,  le  Du 
d'Anguien  y  renvoya  le  Marquis  d< 
la  MoufTaye  avec  un  renfort  d< 
quelques  régimens  ,  qui  ne  puren 
foutenir  le  feu  des  ennemis  nor 
plus  que  les  autres  ;  &  îe  Marqui 
de  la  MoufTaye  ayant  été  mis  hor, 
de  combat  par  les  bleffures  qui 


. 


DE  TU  RENNE.  Liv.  IL    ri  7 
2çut,  le  Duc  d'Anguien  mena  lui-  année 
lême  nos  bataillons  à  la  charge  ,      i.*4S- 
l  fe  fit  fuivre   de  toute  l'infan- 
îrie.   Le  Général  Mercy   voyant 

1  mouvement ,  vint  aufîi  lui  mê- 
ie  à  la  tête  du  village ,  &  fe  fit  fou- 
rnir par  tout  fon  corps  de  batail- 
\  Le  combat  fut  fanglant  6c  opi- 
iâtre.  Le  Duc  d'Anguien  y  re- 
ît  quelques  coups  dans  fes  habits  , 
:  y  eut  deux  chevaux  bleffés  fous 
li.  Le  Général  Mercy  y  fut  tué 
un  coup  de  moufquet;  ckla  mort 

2  ce   grand  homme  excita  dans 
cœur  de  fes  foldats  une  fureur 

2  vengeance ,  qui  les  fit  fondre  fur 
os  gens ,  comme  un  torrent  qui  ti- 
î  de  nouvelles  forces  de  tous  les 
bftacles  qu'on  oppofe  à  fa  violen- 
2  :  ce  fut  plutôt  un  carnage  qu'un 
3mbat.  Le  Duc  d'Anguien  y  fit 
es  actions  de  valeur  étonnante  ; 
îais  il  ne  put  néanmoins  empê- 
ber  que  la  plus  grande  partie  de 
otre  infanterie  ne  fut  taillée  en- 
iéces,  &  que  toute  notre  cava- 
me  Françoife  ne  fut  entièrement 
éfaite  par  le   Général  Jean     de 


n£  Histoire  du  Vicomte 
A  N  N  é  E  Werth,  qui ,  à  la  tête  de  l'aîle  gau- 
i^45«  che  des  ennemis,  culbuta  du  pre- 
mier choc  notre  aile  droite ,  fitpri- 
fonnier  le  Maréchal  de  Grammon* 
qui  la  commandoit ,  battit  le  Che- 
valier Chabot  à  la  réferve  ,  &  pé 
nétrajufqu'à  nos  bagages  avec  quel 
ques  efcadrons  qui  fe  mirent  à  le: 
piller, 
part  qu'y  eut  Cependant  le  Vicomte  de  Tu 
Turenne.  renne ,  avec  notre  aile  gauche  qn 
étoit  toute  compofée  d'Allemans 
avoit  marché  à  la  Montagne  d< 
Wineberg  contre  l'aîle  droite  de 
ennemis;  &  effuyant  les  déchar 
ges  continuelles  de  leur  artillerie 
fans  s'arrêter  un  moment,  avoit  ei 
un  cheval  bleffé  fous  lui ,  6c  avoi  ' 
reçu  un  coup  dans  fa  ctiiraffe  d'ur 
canon  chargé  à  cartouche  ;  mai 
il  étoit  enfin  arrivé  en  bon  ordn 
au  haut  de  la  montagne ,  où  le  Dm 
d'Anguien  vint  le  joindre  ,  voyan 
qu'il  n'y  avoit  plus  rien  à  faire  ,  n 
à  l'aîle  droite ,  ni  au  corps  de  ba 
taille.  Ce  Prince  fe  mit  à  la  têt< 
de  la  féconde  ligne  :  &  le  Vicom 
te  de  Turenne  ayant  mené  la  pre 


DE  TURENNE.  L'iV.  IL    119 

liere  à  la  charge,  il  rompit  du  prê- 
ter effort  tous  les  efcadrons  en-      164 
:?mis  qui  étoient  fur  la  montagne; 
:  défit  l'infanterie  qui  y  étoit  aum* , 
I:  prifonnier  le  Général  Gleen ,  ga- 

îa  le  canon,  le  fit  pointer  con- 
le  le  refte  de  cette  aile  qui  s'é- 
\  rtdoit  jufqu'au  village  ;  &  pré- 
vint  les    ennemis  en    flanc  ,    les 

•  largea  fi  vigoureufement,  qu'ils 
:  rent  obligés  d'abandonner  le 
aamp  de  bataille,  &C  de  fe  retirer 

•  us  de  cinq  cens  pas  au-delà  du 
'liage.  Les  régimens  qui  s'étoient 
3  tranchés  dans  l'Eglife  &  dans  le 
imetiere,  fe  voyant  près  à  être 

•  rcés  ,  fe  rendirent  à  difcrétion. 
U  Général  Jean  de  Werth,  ayant 
r  >pris  ce  qui  fe  pafïbit  à  la  mon- 
l?ne  de  "NVineberg  ,  y  accourut 
recfon  aile  viclorieufe  ;  mais  le 
jur  étoit  déjà  fini  lorfqu'il  y  ar- 
:va  :  &  d'ailleurs  il  trouva  les  cho- 
Jis  dans  un  fi  grand  déibrdre,  qu'il 
.'ut  ne  pouvoir  faire  rien  de  mieux, 
*ie  de  profiter  de  l'obfcurité  de  la 
ï  lit  pour   gagner  Donawert ,    &£ 

uver-  le  débris  de  fon  armée  ?  en 


N    N    É    I* 


no  Histoire  du  Vicomte 

T~^  !""  fe  retirant  au-delà  du  Danube.  Le 
1645.  Vicomte  de  Turenne  le  pourfiùvit 
jufqu'au  bord  de  ce  fleuve,  avec 
trois  mille  chevaux,  &  ne  revint 
point  qu'il  ne  l'eût  vu  reparler  avec 
toutes  fes  troupes.  Après  la  re* 
traite  de  l'armée  ennemie  ,  les 
villes  de  Norlinghen  &  de  Dune- 
kelfpield  nous  ouvrirent  leurs  por- 
tes. Le  Duc  d'Anguien  tomba  ma- 
lade dans  ce  tems-là  ;  &  s'étanl 
fait  porter  à  Philisbourg,  &  enfuitt 
à  la  Cour ,  il  laifTa  fon  armée  foui 
la  conduite  du  Maréchal  de  Gram- 
mont,  quiavoit  été  échangé  contre 
le  Général  Gleen. 
Le  Duc  ^e  Comme  les  Etats  du  Duc  de 
nwndee&  re-  Bavière  le  trouvoient  expofés  pai 
çoic  du  fc- la  victoire  d^ Norlinghen,  ce  Prin- 
ce follicita  fortement  l'Ernpereui 
de  lui  envoyer  un  renfort  de  trou- 
pes, qui  fût  capable  de  nous  em- 
pêcher de  prendre  des  quartiers 
d'hiver  dans  ion  pays;  ■&  lui  man- 
da ,  que  s'il  n'étoit  promptement 
fe  couru  ,  il  feroit  obligé  de  s'ac- 
commoder avec  nous.  L'Empereur 
qui  appréhendoit  qu'il  n'écoutât  les 
proportions 


cours. 


N    N    E    E 


DE  TURENNLZrivJ/.  121 
proportions  que  nous  lui  faifions ,  ^ 
&  qui  venant  de  faire  la  paix  avec  le  1*4 
Prince  Ragotzki ,  n'avoit  plus  be-  „ 
foin  de  troupes  en  Hongrie ,  lui  en- 
voya un  grand  corps  de  cavalerie 
k  de  Dragons ,  fous  les  ordres  de 
.'Archiduc  Léopold,  qui  prit  Ga- 
as  avec  lui  :  comme  il  ne  menoit 
Doint  d'infanterie  ,  il  eut  bientôt 
oint  Gleen ,  Jean  de  Werth ,  &  les 
bavarois.  L'Archiduc,  fécondé  de 
ant  de  grands  Capitaines ,  marcha 
.vec  toute  la  diligence  poffible. 

Le  Maréchal  de  Grammont,  &Z    Turennsfe 
2  Vicomte  de  Turenne ,  qui  n'a- ^?nCphiiif-- 
oient  pas  la  moitié  tant  de  trou-  bourg  ,  se 
>es  que  lui,  fe  retirèrent  au  plutôt  Gr*m^onc 

'1      ni-  o  r       •        Palle  a  Lan; 

'ers  le  Rhin,  oc  ne  crurent  point  dau. 
eurs  armées    en  fureté ,    qu'elles 
e  fuffent  fous  le   canon  de  Phi- 
sbourg.    Là  ils  envoyèrent  cher- 

jher  des  bateaux  à  Spire ,  pour  fai- 
e  un  pont  fur  le  Rhin;  mais  à 
•eine  enavoit-on  amené  quelques-   te  1 3oa^ 

.mis,  que  l'Archiduc  Léopold  arri-bre« 
a  avec  toute  fon  armée ,  6c  fe 
ampa  à  une  demi-lieue  de  Phi- 

..sbourg,  dans  l'efpace  qui  eft  en- 

F 


; m  Histoire  du  Vicomte 

Année  tre  cette  Place  &le  Rhin.  Nous  nous 
i^4j.      y  retranchâmes  :  nous  fîmes  parler 
nos  bagages  dans  des  bateaux  au-de- 
là du  Rhin,  à  la  faveur  de  notre 
retranchement  &  du  canon  de  Phi- 
lisbourg.Le  Maréchal  de  Grammont 
y  paffa  lui-même  avec  l'armée  du 
Duc  d'Anguien ,  &c  toute  la  cavale- 
rie de  celle  du  Vicomte  de  Turenne. 
qu'il  mena  à  Landau. 
L'Archiduc      L'Archiduc    Léopold    demeun 
Pheend  £r^eilx  îours  à  tâter  de  tous  côté: 
keïfpièid  &   le  camp  du  Vicomte  de  Turenne 
Norlinghen.  &■  défefpérant  enfin  de  le  pouvoi: 
forcer  par  aucun  endroit ,  il  re 
brouffa  chemin ,  &  marcha  à  Wim 
phen ,  qu'il  affiégea  dans  les  for 
mes.    Comme  tout  le  gros  canoi 
de  notre   armée  étoit  dans   cett 
Place,  le  Vicomte  de  Turenne  vou 
lut  la  fecourir.     Pour  cela  il  en 
voya  chercher  fa  cavalerie ,  que  1 
Maréchal  de  Grammont  avoit  cor 
duite  à  Landau.   Les  François  via 
rent  ;  mais  les  Allemands  refuferer 
d'obéir  à  leurs  Officiers  qui  voj 
loient  les  amener  ;  de  forte  qu 
"Wimphen  n'ayant  point  été  fecoi 


DE  TURENNE.  L'iV.  IL    123 

ru  l'Archiduc  Léopold  s'en  rendit"!         P. 

a  î     •     •  a        \  .Année 

maître  en  huit  jours.  Apres  quoi,  1645. 
ayant  palTé  le  Necker,  il  s'empara 
des  villes  de  Dunckelfpield  &:  de 
Norlingen ,  &  continua  fa  route 
vers  la  Bohême  ?  pour  y  mettre  fon 
armée  en  quartier  d'hiver. 

Les  ennemis  étant  tout-à-fait  re-    Grammone 
tirés ,  le  Maréchal  de  Grammont  5f^afre  en 

,         7  r  .,         France.&Ttt- 

s  en  retourna  en  France  avec  1  ar-  renne  refte 
mée  du  Duc  d'Anguien  ;  &  le feuI  en  AIIe" 
Vicomte  de  Turenne  demeura  en-masnc" 
core  fur  le  Rhin  avec  la  fienne. 
Tout  le  monde  étoit  dans  l'impa- 
ience  de  voir  comment  il  en  ufe- 
:oit  avec  les  Allemands.  Il  efl  vrai 
jue ,  par  leur  défobéifTance  ,  ils 
ivoient  été  caufe  de  la  perte  de 
•yimphen  &  de  celle  de  notre  gros 
i:anon.  Néanmoins ,  comme  tous 
es  corps  étoient  coupables ,  il  ne 
ugea  pas  à  propos  de  les  punir; 
Fautant  plus  qu'il  étoit  periuadé  , 
m'on  ne  pouvoit  avoir  de  trop 
ip-ands  ménagemens  pour  les  étran- 
gers; cette  qualité  d'étranger  lui 
tyant  toujours  paru  avoir  quel- 
que  chofe  de  facré,  qui  rendoit 


1 24    Histoire  du  Vicomte 

a  n  n  é  e  les    perfonnes  inviolables  :  outre 
**4J.      qu'il  avoit  befoin  de  ces  Allemands 
pour  le  fuccès  d'une  entreprife  dont 
il  avoit  formé  le  deffein;  ôt  qu'il 
ne  doutoit  point  que  ,  touchés  d'u- 
ne  indulgence  qu'ils  méritoient  fi 
peu,  ils  ne  fe  piquafTent  d'honneur. , 
et  ne  voulurent  expier  eux-même; 
leur  faute ,  en  fignalant  leur  coura- 
ge à  la  première  occalionquife  pré  i 
fenteroit. 
'Turenne        Le  rétabliffement  de  l'Eiefteu 
prend  Trêves,  de  jYeyes  étoit  cette   entreprife  I 

&  remet  I  E-  ;  r  I 

lefteur  en    qu'il   meditoit  comme  une  choi<  i 

TEkaôu^  <Iui  étoit  caPa^le  d'honorer  la  Ré 
gence  de  la  Reine  ;  car  il  y  avoi 
plus  de  dix  ans  que  l'Empereur  & 
le  Roi  d'Efpagne  avoient  dépoui) 
lé  ce  Prince  de  fes  Etats,  parc 
qu'il  avoit  fait  un  traité  partiel 
lier  d'alliance  avec  nous.  Le  V: 
comte  de  Turenne  ayant  donc  n 
folu  de  rétablir  cet  Electeur  dan 
Trêves ,  il  y  marcha  quoiqu'il  e 
fût  à  quarante  lieues ,  &  qu'il  lit  1 
froid  très-rigoureux  pour  la  faifoi 
Il  lahTa  quelques  troupes  pour  ga 
der  les  pailages  du  Rhin  ëc  les  b; 


DE  TURENNE.  Liv.IL    I25_ 


gages  de  l'armée  :  il  ne  mena  avec  A  N  N  é  5 
lui  que  très -peu  d'infanterie  ,  pour      1*45. 
Ifaire  plus  de  diligence  ;  mais  il  en 
fît  venir  un  corps  de  l'armée  du  . 
Duc   d'Anguien  ,  laquelle  étoit  à 
Metz ,  d'où  il  fit  aurîi  descendre  du 
:anon  par  la  Mofelle.    Il  fe  don- 
la  le  foin  de  tout  le  détail  du  fie- 
ye  ;  il  fe  faifit  des  paffages  par  où 
on  pouvoit  fecourir   la  place  ;  il 
'invertit  :  &:  ayant  fu  que  les  en- 
îemis  s'affembloient  pour  venir  la 
ecourir  ,  il  fit  parler  la  Mofelle  au 
Colonel  Schûts ,  &  l'envoya  con- 
:r'euxavec  les  Allemands,  qui  bru- 
ant d'envie  de  réparer  leur  faute , 
îe  refpiroient  que   l'occafion    de 
:ombattre.  Le  Colonel  Schûts  ayant 
lonc  marché  aux  ennemis ,  il  les 
iiflipa  entièrement;  ëî  il  les  auroit 
aillés  en  pièces,  s'ils  ne  fe  fufTent 
jettes   dans  les  bois  dont  le  pays 
?ft  tout   couvert.    Le  Gouverneur 
le  Trêves ,  voyant  qu'il  ne  pouvoit 
plus  être  fecouru ,  demanda  à  ca- 
intuler,  §t  fe  rendit   Le  Vicomte     £e  10  Noë- 
lle Turenne  remit  ainfi  i'Elefteur  en  vembre- 
^oiTefTion  de  fes  Etats  :  &  ce  fut 
F  iij 


1 16  Histoire  du  Vicomte 

Année  P0Lir  ^re  éclater  cette  glorieufe 
*N$      action  dans  toute  l'Europe  ,  qu'on 
frappa  là  Médaille  n°.  i. 

On  y  voit  la  France ,  fous  la  figu- 
re d'une  femme,  qui  remet  dans  les 
mains  de  l'Electeur  une  épée ,  une 
croffe  &  un  bouclier  où  font  les 
armes  de  l'Electeur.  Les  mots  de 
la  Légende ,  Tutdcz  Gallicœ  Fideli- 
tas ,  fignifient,  La  France  fidè  lie.  à 
protéger  fes  Alliés.  Ceux  de  l'Exer- 
gue ,  ELclor  Trevirenjis  in  integrum 
rejîitutus.  M.  DC.  XLV.  veulent  di- 
re ,  V Electeur  de  Trêves  rétabli  dans 
fapojjejfjîon  de  tous  fes  Etats.  1 6 '4S, 


Année       Ce  rétablhTement  engagea   nos 
1  ttf.      Alliés  à  nous  demeurer  fidèles ,.  fruf- 
con  u^esl  & tra  ^ô  ^Llc  ^e  Lorraine  des  quartiers 
va  à1  la  Cour  qu'il  avoit  compté  de  prendre  dans 
[Soï^ecCetEleftorat,  &  fit  de  la  Mofelle 
les  Suédois ,  une  nouvelle  barrière  à  la  France, 
qmeftacceP-Le   yicomte  de  Turenne  fit  faire 
un  réduit  près  le  pont  de  Trêves , 
dans  lequel  il  laiffa  cinq  cens  hom- 
mes :  il  prit  Ober^efel ,  château 
que  les  ennemis  occupoient  enco- 
re en-deça  du  Rhin  ;  il  renforça  la 
garnifôn  de  Philisbourg  ;  il  vifita 


DE  TURENNE.   Liv.  IL    1ZJ 


toutes  nos  autres  Places ,  &  il  les  a  n  n  i  » 
mit  en  état  de  défenfe  ;  il  diftri-  »6^. 
'bua  fon  armée  le  long  du  Rhin  & 
de  la  Mofelle  ,  &  s'en  alla  à  la 
Cour  au  commencement  du  mois 
de  Février.  Il  y  fut  reçu  avec  tous 
les  applaud'nTemens  que  méritoit 
une  campagne  fi  glorieufe.  Pour 
lui  il  ne  cefia  de  repréfenter  qu'on 
ne  feroit  jamais  rien  en  Allemagne  , 
tant  que  notre  armée  &:  celle  des 
Suédois  nos  alliés  feroient  fépa- 
rées  :  que  comme  l'une  étoit  tou- 
jours vers  les  pays  héréditaires  de 
la  Maifon  d'Autriche ,  &  l'autre  du 
côté  du  Rhin  ,  il  étoit  facile  aux 
Impériaux  &  aux  Bavarois  ,  qui 
fe  trou  voient  entre  deux  ,  de  jetter 
leurs  plus  grandes  forces  du  côté 
où  ils  étoient  le  plus  preffés ,  & 
d'empêcher  ainfi  qu'on  ne  rempor- 
tât de  grands  avantages  fur  eux.  Ces 
çaifons  furent  enfin  goûtées  du  Car- 
dinal Mazarin  ,  en  qui  la  Reine 
avoit  une  confiance  fans  réferve ,  & 
qui  avoit  fous  la  Régence  prefque 
la  même  autorité  que  le  Car- 
dinal de  Richelieu  avoit  eue  fous 
F  iv 


n8  Histoire  du  Vicomte 


A  n  h  e  e  le  Règne  de  Louis  XIII.  La  jon£tion  I 
164S.      jçg  jeux  armées  fut  donc  réfolue. 
Quant  à  l'exécution  de  ce  grand  pro- 
jet,  le  Cardinal  Mazarin  s'en  remit, 
entièrement  à  la  prudence  du  VK 
comtç  de  Turenne. 
KefufeieDu-      Cependant    ce   Miniftre  ,  maî- 
ché  de  châ-  tre  des  grâces ,  <k  chargé  du  poids 
&  repaffe  en  ties  affaires  ,   voulant  reconnoitra 
Allemagne    les  fervices  rendus  à  la  Couronne 
jour  ajonc-  par  ^  vicomte  de  Turenne  ,  &  en( 
faire  le  principal  appui  de  fon  Mi- 
nifrere  ,   lui  offrit   le   Duché    de 
Château -Thierry.   Il   efl   peu    de 
cadets ,  de  quelque  maifon  que  ce 
foit  ,  qui  n'euffent.  accepté  l'offre 
avec  joie.  Néanmoins,  comme  ce 
Duché  étoit  du  nombre  des  terres 
que  le  Confeil  avoit  propofé  de 
joindre  enfemble  pour  faire  l'équi-  - 
valent  qu'on  devoit  donner  au  Duc 
de    Bouillon   en  échange    de    Se- 
dan ,  le  Vicomte  de  Turenne ,  ap- 
préhendant que  ce  qu'il  prendroit 
ne   fût  autant    de  diminué  fur  ce 
qu'on   devoit '-donner   au  Duc  de 
Bouillon  fon   frère  ,  remercia  le 
Cardinal  Mazarin  :  Se  quoique  le 


DE  TURENNE.  Liv.IL    1 29 
Cardinal  l'anurât  qu'on  remplace-  A  N  N  É  E 
|oit  le  Duché  de  Château-Thierry       1646. 
;  -ar  quelqu'ai/£  Terre  ,  il  le  refula 
loujoursave.:  la  même  générofité  ; 
U  ayant  déclaré  qu'il  n'accepteroit 
ien  que  l'afFaire  de  l'échange  ne 
ût  confommée  ,  il  s'en  retourna 
ur  le  Rhin.  Il  afîembla  fon  armée 
lux  environs  de  Mayence  ;  il  fit    A»  moîs 
lefcendre  un  pont  de  bateaux  au- 
près de  Bacharach  :  il  envoya  un 
îomme  de  confiance  au  Général 
AVrangel ,  qui  commandoit  l'armée 
iuédoife  ,  pour  lui  donner  part  du 
Ieffein  qu'il  avoit  de  pafler  le  Rhin 
i  Bacharach ,  de  traverfer  le  Comté 
de  Naffau  ê£  de  l'aller  trouver  dans 
ia  HefTe ,  &  concerta  avec  lui  toutes 
chofes  pour  la  jonclion. 

Il  alloit  faire  marcher  l'armée,    Cette  jonc- 
lorfque  le   Cardinal   Mazarin  ,  fe  «on  traverse 
fiant  aux  promeuves  que  faiibit  le  pac     azarm^ 
Duc  de  Bavière  de  ne  point  join- 
dre  fon  armée  à    celle  de  l'Em- 
pereur ;  fi  la  nôtre  demeuroit  en- 
deçk   du   Rhin  ,    lui    envoya  or- 
dre de  ne  point  pafler  ce  fleuve  % 
d'abandonner  tous  les  projets  qui 
F  y 


____^  130  Histoire  du  Vicomte 

a  „  «  •     dévoient  être  "exécutés  enfuite  de 

«INNEE. 

1646.  la  jonction  ,  &  d  aller  afîiéger  Lu- 
xembourg. Le  VicurÉte  de  Tu- 
renne  fut  affez  furpris  de  ce  chan- 
gement ;  il  pénétra  tout  d'un  coup 
les  artifices  du  Duc  de  Bavière  : 
néanmoins  pour  né  pas  contreve- 
nir à  un  ordre  aufïi  pofitif ,  il  ne 
pafTa  point  le  Rhin  ;  mais  comme 
il  étoit  perfuadé  que  le  fiege  de 
Luxembourg  ,  dans  l'état  où  les 
chofes  étoient  pour  lors  ,  eût  caufé 
la  ruine  entière  de  nos  affaires  du 
côté  de  l'Allemagne  ,  il  fe  donna 
bien  de  garde  de  l'entreprendre. 
Cependant  ?  tandis  que  le  Duc  de 
Bavière  amufoit  le  Cardinal  Maza- 
rin  par  de  belles  promettes  ,  fon 
armée  mar choit  toujours ,  &  ayant 
enfin  joint  celle  de  l'Empereur  dans 
la  Franconie ,  les  Impériaux  &  les 
Bavarois  ,  avec  toutes  leurs  forces 
réunies  ,  fe  mirent  encore  entre 
nous  &  les  Suédois  ;  de  forte  que 
notre  pont  du  Rhin  nous  devint 
inutile ,  puifque  nous  ne  pouvions 
plus  aller  dans  la  Heffe  par  le  Com  - 
té  de  Naffaiij  que  les  ennemis  oc- 
cupoient. 


DE   TU  RENNE.  Liv.IL    131  

Turenne  alors  ,  ayant  pris  fon  A  N  N  J  g 
parti ,  manda  au  Cardinal  Mazarin  isA6. 
ce  qu'il  avoit  deflein  de  faire  ;  &  fans  Ec  enfin  exé* 
attendre  fa  réponfe  ,  il  laiffa  une 
partie  de  fon  infanterie  à  Mayen- 
ce ,  &  marcha  avec  l'autre ,  &  avec 
toute  fa  cavalerie  vers  la  Mofelle  , 
qu'il  pafla  à  un  gué ,  fix  lieues  au- 
defTus  de  Coblents.  Il  traverfa  l'E- 
le&orat  de  Cologne  &  le  Comté 
de  Meurs  ;  &  ne  pouvant  avoir  de 
pafTage  fur  le  Rhin  ,  que  par  les 
villes  de  Hollande ,  il  envoya  de* 
mander  permifîion  aux  Hollandois 
de  le  parler  à  Wefel  ,  où  il  arriva 
après  quatorze  jours  de  marche.  Il 
dépêcha  en  même-tems  un  Courier 
au  Général  Wrangel ,  pour  lui  faire 
part  de  fon  deffein  :  après  quoi  il  Le  25  Juillet 
parle  le  Rhin  ;  il  marche  par  le  Com- 
té de  la  Mark  ,  le  long  de  la  ri- 
vière de  Lippe  jufqu'à  Lipftat  :  là 
il  prend  fur  la  droite  ,  il  traverfe 
toute  la  Weitphalie  ;  &  ayant  trom- 
pé les  ennemis  par  un  fi  grand  dé- Le  1©  Août; 
tour ,  il  joignit  l'armée  Suédoife  fur 
les  frontières  de  la  HefTe  ,  entre 
.Wetzlar  ôc  Gieffen  3  où  le  Général 

F  v) 


131  Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  é     Wrangel  ,  ferré  de  près  par  les  Im- 
1 6+6.      périaux  &  les  Bavarois ,  fe  tenoit  re- 
tranché dans  des  poftes  avantageux, 
en  nous  attendant. 
Turetine&      A  la  nouvelle   de   cette    jonc- 

fan  dSel  Vf'  t^on  »  *es  ennem^s  ^e  retirèrent  fix 
Jeaorac  de  lieues  par-delà  l'endroit  où  ils 
Mayence.  étoient ,  &  allèrent  fe  camper  près 
de  la  ville  de  Fridberg.  Nous  n'a- 
vions que  quatorze  à  quinze  mille 
hommes ,  &  ils  en  avoient  vingt- 
trois  à  vingt-quatre  mille.  Néan- 
moins le  Vicomte  de  Turenne  ré- 
folut  de  marcher  à  eux  ,  &  de  for- 
cer tout  ce  qui  s'oppoferoit  au 
deflein  qu'il  avoit  d'aller  au  Mein  % 
afin  de  pouvoir  faire  venir  le  refte 
de  fon  infanterie  ,  qui  étoit  à 
Mayence.  Il  fit  donc  avancer  les 
deux  armées  à  Fridberg  :  mais 
l'Archiduc  Léopold  nous  voyant  fi 
près  de  lui  ?  bien  loin  d'accepter 
la  bataille  ,  ne  s'occupa  qu'à  faire 
encore  creufer  nuit  &  jour  les  re- 
tranchemens  de  fon  Camp  ,  où  il 
étoit  déjà  prefque  tout-à-fait  en- 
terré avec  fon  armée.  Le  Vicom- 
te de  Turenne  2  qui  ne  vouloit  que 


DE  TUHENNE.  Liv.  IL  133  ^ 

le  parTage,  &:  qui  n'eût  eu  garde  de  A  N  N  7  £ 
fe  flatter  qu'an  ne  le  lui  eût  point  i^. 
difputé,  laifla  l'Archiduc  fur  {es 
retranchemens  ,  &:  continua  fa 
route  vers  le  Mein ,  011  étant  arri- 
vé entre  Francfort  &C  Hanau  ,  il 
fît  venir  fon  infanterie  de  Mayen- 
ce  ,  qui  n'étoit  qu'à  dix  lieues  de- 
là. Toutes  nos  troupes  étant  ainfi 
lointes ,  le  Vicomte  de  Turenne 
k  le  Général  Wrangel  parlèrent 
e  Mein  avec  les  deux  armées ,  &: 
prirent  les  villes  de  Selingeftat 
&  d'AfcharFembourg  dans  l'Ele do- 
rât de  Mayence. 

On  peut  fe  figurer  quelle   fut    Us  jetfenc 
'alarme  qui  fe  répandit  dans  tout  le  J^^ 
)ays  ,  ou  l'on  croyoit  devoir  jouir  en  Franconïe 
l'une  grande  tranquillité  à  l'abri  *  e°sff™fj: 
le  deux    auffi    puifïantes   armées  Danube      i 
jue  celles  de  l'Empereur  &  du  Duc  9««™* 
le  Bavière  qui  le  couvroient.  Les 
)ayfans  fe  réfugient  en  foule  dans 
es  villes.  Les  Magiltrats   de  ces_ 
ailles  viennent  au  devant  de  nous 
iious  en  apporter  les  clefs.   Mais 
l:omme  notre  armée  feroit  deve- 
nue à  rie&  fi  nous  avions  laiffé  des 


134  Histoire  du  Vicomte 
garnifons  dans  toutes  ces  villes  > 
i^.E  E  on  fe  contenta  de  faire  fauter  les 
fortifications  des  unes,  &  d'emme- 
ner les  principaux  habitans  des  au- 
tres pour  otages.  Ces  otages  voyant 
que  nous  n'avions  pas  dix-huit 
mille  hommes,  ne  pouvoient  com- 
prendre comment  ,  avec  fi  peu  de 
troupes,  nous  pouvions  être  les 
maîtres  d'une  auffi  grande  étendue 
de  pays.  Cependant  le  Duc  dé 
Bavière  ayant  fu  que  nous  avions 
paffé  le  Mein  ,  envoya  faire  rom- 
pre les  ponts  de  Dilinghen  &  de 
Hochfïet  fur  le  Danube  ,  qui  étoit 
la  feule  barrière  qui  reftoit  entre 
nous  &  fes  Etats.  Il  fit  tranf- 
porter  de  Munich  à  Burckaufen 
ce  qu'il  avoit  de  plus  précieux  ;  il 
envoya  faire  de  grandes  plaintes  à 
l'Empereur  contre  l'Archiduç  Léo- 
pold  ,  qui  avoit  fi  mal  défendu 
l'Allemagne.  En  effet  ,  en  nous 
lairTant  paffer  à  Fridberg ,  il  nous 
avoit  ouvert  les  trois  Cercles  de 
Franconie  ,  de  Souabe  &  de  Ba- 
vière :  les  Places  y  étoient  rem- 
plies de.  toutes  fortes  de  prqy  iûo.ns  $ 


N    N    E    S 


DE  TlJRENNE.  Liv.  IL  135 
les  -  ennemis  n'avoient  pris  aucune 
précaution  pour  en  empêcher  le  iH« 
pillage  ,  les  croyà'nt  fort  en  fure- 
té derrière  toutes  les  forces  de 
l'Empire ,  qui  dévoient  défendre 
le  pafTage  du  Mein.  Nous  y  ali- 
gnons pu  faire  un  butin  ineflima- 
ble  ;  êc  le  Vicomte  de  Turenne 
auroit  tiré  pour  lui  feul,  s'il  l'avoit 
voulu  ,  plus  de  cent  mille  écus  de 
contributions  par  mois  ,  &C  cela  , 
fans  rien  faire  qui  ne  fût  félon  les 
afages  de  la  guerre.  Mais  par  un 
défintéreffement  fans  exemple,  il 
fe  contenta  de  tirer  des  villes  où 
les  ennemis  avoient  fait  leurs  ma- 
?afins  de  quoi  faire  fubfifter  fon 
irmée  ;  &  pendant  qu'au  grand 
konnement  de  toute  l'Europe  les 
Impériaux  &  les  Bavarois  demeu- 
roient  dans  le  pays  de  Fulde  où 
ls  s'étoient  retirés  ,  l'armée  de 
France  &:  celle  de  Suéde  entrant 
dans  la  Franconie  &;  dans  la  Soua- 
be,  prirent  de  force  SchorendorfF % 
Dunckelfpield  &  Norlinghen  ,  qui 
voulurent  faire  quelque  réfiftance  ; 
Scpafferent  le  Danube  à  Ponawert 


winghen. 


136  Histoire  du  Vicomte 

Année  &  à  Lawinghen ,  dont  les  ennemis 
164s.      n'avoient  point  encore  fait  rompre 

les,  ponts. 
ils  entrent  Le  Duc  de  Bavière  n'eut  pas 
prennent"  '  plutôt  appris  que  nous  avions  paf- 
Rain ,  &  teïè  le  Danube  ,  qu'il  fe  retira  à  Bru- 
*h°£nàLa'nau,  fur  la  rivière  d'Inn  ,  ne  fe 
croyant  pas  en  fureté  dans  fa  ca- 
pitale. Le  Vicomte  de  Turenne  6c 
le  Général  Wrangel  avançant  tou- 
jours dans  le  pays  ,  parlèrent  le 
Lech ,  &  fe  rendirent  maîtres  de 
la  ville  de  Rain9la  meilleure  for- 
terefTe  de  la  Bavière  de  ce  côté- 
là;  &  voyant  que  l'Archiduc  Léo- 
pold  ne  faifoit  pas  le  moindre- 
mouvement  pour  arrêter  les  pro- 
grès de  nos  conquêtes  ,  ils  mar- 
chèrent à  Ausbourg  ,  en  deçà  du 
Lech  ?  perfuadés  qu'ils  forceroient 
cette  Place  à  fe  rendre  comme  les 
autres ,  fi  on  leur  en  lairloit  aufïi 
tranquillement  faire  le  fiege.  Mais 
le  Duc  de  Bavière  fit  déclarer  fi 
pofitivement  à  l'Empereur  qu'il 
s'accommoderoit  avec  nous  fi  on 
îaifîbit  prendre  cette  importante. 
Ville  ,  entre  laquelle  &  Munich 


DE  TURENNE.  LiV.  IL  137 
l  n'y  avoit  plus  aucune  Place  de  "ÂTT7V 
iéfenfe ,  que  l'Archiduc  Léopold  164s. 
sut  ordre  d'en  aller  faire  lever  le 
fiege,  L'ordre  étoit  le  plus  abfo- 
u  qui  fe  pût  donner  :  il  vint  donc 
ians  la  Bavière ,  oii  on  lui  envoya 
encore  de  grands  renforts  de  trou- 
ves ;  Payant  paru  à  la  vus  d'Augs- 
Dourg  avec  une  armée  fort  fupé- 
ieure  à  la  nôtre ,  nous  nous  reti- 
•âmes  à  neuf  ou  dix  lieues  de-là , 
lu  côté  de  Lawmghen.  L'Ar- 
:hiduc  parla  le  Lech  ,  vint  fe  carn- 
>er  aux  environs  de  Memmin- 
^hen,  &  ayant  un  grand  maga- 
in  de  vivres  à  Landsherg,  il  ré- 
blut  de  demeurer  là  fi  k>ng  tems , 
me  nous  fuirions  obligés  à  fortir 
le  la  Bavière  ,  ô£  à  aller  prendre 
les  quartiers  d'hiver  au-delà  du 
i  Danube. 

Les  chofes  étoient  en  cet  état ,     ils  vont  fe 
orfque  le  Vicomte  de  Turenne  &  ^ifirdeLand- 

A  1  1     -»xr  sberg   Se    des 

e   Général    Wrangel  ayant   con-  magafïns  des 
certé  enfemble    un  nouveau  de{-  ItnPériaux» 
fein  ,    firent  partir   notre   armée 
!des    environs     de     Lav/inghen  ,     Le  u  No- 
:  quoique  la  terre  fût   déjà  toute  vem  re* 


138  Histoire  du  Vicomte 

Année  couverte   de  neige  ,    &c  marche- 
16+6.      rent     droit   aux    ennemis.    L'Ar- 
chiduc ,  qui  avoit  devant  lui   d* 
grands  marais    &C  de  longs   défi 
lés,  crut  que  nous  allions  le  ve- 
nir attaquer  dans  un  camp  fi  avan« 
tageux.  Pour  le  confirmer  dans  cet 
te  perfuafion  ,  le  Vicomte  de  Tu 
renne  6c  le  Général  Wrangel  s'é- 
tant   approchés   à     une  lieue    d< 
lui ,  laifîerent  là  deux  mille  che 
vaux    qui     faifoient    face     à    foi 
camp,  ôc    marchèrent   avec  tou 
le  refle  de  l'armée  vers  le  Lech  I 
Ils  y  trouvèrent  le  pont  des  Im  1 
pénaux ,  fur  lequel  ils  parlèrent  :  il  ] 
s'avancèrent  auiîi-tôt  jufqu'à  Land<  1 
berg  qu'ils  prirent  par    efcalade  J 
&  s'étant  ainfi   rendus  maîtres  d\  I 
magafin  des  ennemis  y  où  Ils  trou 
verent  de  quoi  faire   fubfifter  no  I 
tre  armée  pendant  fix  femaines  1 
ils  fe  campèrent  en  cet  endroit  j 
&  commencèrent   à  envoyer  de; 
partis    jufqu'aux   portes    de   Mu- 
nich. 
L'Archiduc      Cependant  l'Archiduc  Léopold. 

le  retire  ;   &  r  x  r  .  x 

tes  François  ie    trouvant     fans     vivres    avec 


t)E  TURENNE.  Liv.IL   139  

eux  grandes  armées  qu'il  étoit  année 
ibligé  de  faire  fubfirter  ,  fut  con-  lé46. 
raint  de  décamper  &:  de  repayer  c™™™*£: 
?  Lech  pour  gagner  les  pays  hé-viere. 
éditaires  de  la  Maifon  d'Autriche  , 
»'fr  il  mena  hiverner  l'armée  de 
Empereur ,  &:  laifla  celle  du  Duc 
;e  Bavière  dans  les  Etats  de  ce 
^ince,  lequel  voyant  toutfon  pays 
n  proie  à  nos  troupes,  &  ne  pon- 
ant efpérer  de  fecours  d'aucun 
ndroit ,  nous  demanda  la  paix  , 
ffrit  de  fe  détacher  entièrement 
11  parti  de  l'Empereur,  &  de  de- 
îeurer  à  l'avenir  inviolablement 
ttaché  à  nos  intérêts  :  promettes 
rivole,  dont  on  ne  fe  contente, 
infi  que  nous  avions  fait  au  com- 
lencement  de  la  campagne ,  que 
uand  on  n'eu  pas  en  pouvoir  d'exi- 
ger d'autres  fur  étés.  Mais  comme 
ious  étions  alors  en  état  de  lui 
tonner  la  loi ,  nous  l'obligeâmes 
l  nous  remettre  entre  les  mains 
.awinghen  ,  Gundelfinghen  & 
rîochftet ,  dont  il  étoit  le  maître  , 
ifin  que  s'il  venoit  encore  à  nous 


____  140  Histoire  du  Vicomte 
Année  manquer  de  parole  ,  nous  puffions 
1646,  nous  en  fairre  raifonpar  le  moyen 
de  ces  Places  ,  qui  nous  ou- 
vroient  un  parla  ge  dans  fes  Etats, 
Ce  fut  en  partie  à  l'occafion  de  ces 
Conquêtes ,  que  la  France  fit  frap- 
per la  Médaille  N°.  2. 

On  y  voit  Mars  portant  un  Jave- 
lot chargé  de  plufieurs  Couronnes 
murales.  La  Légende ,  Mars  Ex- 1 
pugnator  ,  fignihe  ,  Mars  preneur  dt 
Villes.  L'Exergue  ,  XIII.  Urbes 
aut  Arces  captœ.  M.  DC.  XLVL 
veut  dire  ,  Treize  Villes  ou  Forte» 
tejjes  prifes  1 646. 

De  ces  treize  Villes  ,  le  Duc 

d'Orléans  ,    le  Duc    d'Anguien  , 

A  n  n  i  e  le  Marquis  de  la  Ferté,  le.Maré- 

1 647'      chai  de  la  Meilleraye ,  &  le  Maré- 

\l Vend' màî-  cnal  du  Plefîis  en  prirent  huit  ;  & 

tre  de  plu-  [e  Vicomte  de  Turenne  en  prit  lui 

iieurs  autres,  r     \  ■ 

ieul  cinq. 

La  Paix  ayant  été  ainfi  faite 
avec  le  Duc  de  Bavière  ,  &  les 
Suédois  étant  affez  forts  pour  Sou- 
tenir eux  feuls  la  Guerre  contre 
l'Empereur  en  Allemagne ,  le  Car- 
dinal Mazarin   envoya   ordre    au 


DE   TURENNE.  Liv.  IL    141    

Vicomte  de  Turenne  de  mener  ÂTT7T 
Ces  Troupes  en  Flandre  ,  où  notre  l6+7« 
armée  n'étoit  pas  ,  à  beaucoup 
près  fi  forte  que  celle  des  Espa- 
gnols ,  qui  étoit  commandée  alors 
par  l'Archiduc  Léopold.  Le  Vi- 
comte de  Turenne  quitte  donc  la 
Bavière  ;  &:  avant  que  d'aller  à 
Philisbourg  pour  parler  le  Rhin , 
prend  Béblighen  &C  Tubingue ,  dans 
.e  Duché  de  Wirtemberg  ;  Sten- 
beim  &c  Hoechfl ,  fur  le  Mein  ; 
Darmaft ,  Ghetnsheim  ,  &  quel- 
ques autres  Places ,  qui  pouvoient 
arlurer  nos  conquêtes  le  long  du 
Rhin ,  6l  nous  ouvrir  divers  paf- 
fages  dans  le  refte  de  l'Allemagne. 
Cependant  les  Allemands,  qui 
étoient  à  notre  folde  dans  fon  ar-    _       :  „  . 

,  ,         .        ,        ~  Les     Aile* 

mee  ayant  témoigne  allez  ouver-mans,  réduits 
tement  la  répugnance  qu'ils  avoient  Pa/- R°fen  »  fe 
à  aller  en  Flandre  ,  Rofen  ,  le 
plus  accrédité  d'entr'eux ,  penfa  à 
fe  rendre  maître  de  ce  corps  de 
troupes ,  de  la  même  manière  que 
le  Duc  de  Veimar  l'avoit  été  de 
fon  armée.  Pour  cela  il  engagea 
les  étrangers  à  refufer  d'aller  où 


ï  4i    Histoire  du  Vicomte 
XTT7I  on  les  vouloit  mener  ,  fous  prt,j 
1647.      texte  qu'il  leur  étoit  dû  cinq  ou  fi  \ 
mois  de  leur   paie  ;   ii  bien  qui 
lorfque  l'armée  ,  qui  avoit  parle  11 
Rhin  à  Philisbourg ,  flit  arrivée  | 
Saverne,  on  vint  dire  au  Vicoir 
te  de  Turenne  que  les  Allemanc  s 
le  j  Juin,  ne  vouloient  plus  marcher  ,&  qu'il 
difoient  tout  haut  qu'ils  ne  paifc 
roient  pas  outre.  Ce  Prince  ,  qi 
étoit  bien  éloigné  de  croire    qi 
l'auteur  de  cette  révolte  fut  R< 
fen ,  à  qui  il  venoit  tout  récemmei 
de  procurer  le  grade  de  Lieut  | 
nant  Général  de   Cavalerie ,  l'ei 
voya  vers  fes  compatriotes ,  poi  > 
les  porter  à  faire  leur  devoir  :  ma 
bien  loin  de  faire  ce  qu'il  devo  | 
pour  cela,  il  demeura  avec  eux 
il  envoya  dire  au  Vicomte  ,  qu  i 
le  retenoient  par  force  ;  &  coït 
mençant  à  donner  des  ordres  con  : 
me  un  Général  qui  ne  reconnohTo 
plus  de  Supérieur ,  il  ût  marche 
jour  &  nuit  les  Allemands ,  &  h 
mena  au-delà  du  Rhin  ,  qu'il  pan 
au-defîbus  de  Strasbourg.  Le  V 
comte  de  Turenne  le  fuivit  auff 


E    S 


DE  TURENNE.  Lïv.  II.     143  

:ôt  avec  ce  qui  lui  refloit  de  trou-  A  N  N 
Des  ;  &  quoiqu'il  eût  trois  mille  ^47. 
îommes  d'Infanterie ,  il  fit  quator- 
ze lieues  en  un  jour  ,  6c  joignit 
Dientôt  les  rebelles.  Rofen  fût 
)ien  étonné  de  voir  le  Vicomte 
de  Turenne  ;  il  ne  pouvoit  guère 
douter  que  fon  infidélité  ne  lui  fût 
:onnue  :  néanmoins  ,  s'imaginant 
p'il  pouvoit  encore  la  lui  dégui- 
er ,  ou  plutôt  n'ayant ,  ni  allez 
le  temps  ,  ni  allez  de  liberté  d'ef- 
)rit  dans  une  aufîi  grande  furpri- 
é  pour  réfléchir  fur  le  parti  qu'il 
levoit  prendre ,  Fous  voyei ,  lui  dit- 
.1 ,  comme  on  m  emmené  malgré  moi. 

Le  Vicomte  de  Turenne  feignit  Turenne  les 
le  croire  ce  qu'il  lui  difoit  de  la  reenf  *£>*£ 
prétendue  violence  qu'on  lui  fai-  fen ,  &  pafTe 
bit.  11  étoit   en   droit   de  donner dans,  I(LLu" 

r      1  1     11  o  m    /      •    xembourg. 

ur  les  rebelles  ;  &  comme  il  etoit  ■> 
beaucoup  plus  fort  qu'eux  ?  il  pou- 
voit les  faire  pafler  au  fil  de  l'é- 
pée  :  mais  confidérant  le  befoin 
que  la  France  avoit  alors  de  ces 
troupes  ,  il  aima  mieux  effayer  de 
les  ramener  à  leur  devoir.  Il  pria 
Rofen  de  pérfévérer  dans  l'atta- 


144  Histoire  du  Vicomte 
a"T7T"e  chement  qu'il  avoit  pour  la  Couron 
^47«  ne ,  au  fervice  de  laquelle  il  s'é- 
toit  dévoué  depuis  fi  long-tems 
&  d'employer  les  bons  offices  au 
près  de  fes  compatriotes.  Il  ren 
voya  toutes  {es  troupes  ,  pour  n< 
donner  aucun  ombrage  aux  Aile 
niands  :  il  ne  prit  avec  lui  que  qua 
tre  de  fes  dom  étriqués  ,  &  mar 
chant  toujours  avec  Rofen  fan 
le  quitter  d'un  pas  ,  cet  Officie 
n'eut  bientôt  plus  aucun  crédi 
parmi  fes  propres  foldats  ,  qui  1< 
foupçonnerent  de  tramer  quelqu 
chofe  contr'eux  avec  le  Vicom 
te  de  Turenne,  parce  qu'il  vivoi 
bien  en  apparence  avec  lui;  à  quo 
il  étoit  alors  en  quelque  façon  en 
gagé  d'honneur,  fans  pouvoir  fain 
autrement.  Il  voulut  perfuader  ai 
Vicomte  de  Turenne  ,  qu'il  y  avoi 
peu  de  fureté  pour  lui  parmi  ce_: 
étrangers  ,  afin  qu'il  retournât  \ 
fon  armée  :  mais  il  lui  répondit 
fur  cela ,  d'un  ton  qui  lui  ht  corn 
prendre  ,  qu'il  n'avoit  nul  befoir 
d'être  rarïuré.  Il  continua  donc 
de  marcher.    On  arriva  à  _  Etlin 

ghen 


DE  TURENNE.  Liv.  IL    145 

ghen  ,  petite  ville  du  Marquifat  de  A  „  ,:  t 
Bade ,  à  huit  lieues  de  Philisbourg  ;       i*47« 
&  là  ,  le  Vicomte    de    Turenne 
voyant  que  Rofenavoit  perdu  tou- 
te la  confiance  des  Allemands,  il 
fit  venir  de  Philisbourg  cent  Mouf- 
^uetaires  qui  l'enlevèrent ,  6c  qui 
le  conduisirent    dans  cette  forte- 
reffe.    Alors    deux  régimens    en- 
iers  vinrent  fe  joindre  au  Vicom- 
e  de  Turenne  ,  6c  le  reconnurent 
:>our  leur  Général  :  tous  les  OrH- 
:iers  de  ce  corps  de  troupes ,  juf- 
i  [u'aux  caporaux ,  fe  rendirent  aufîî 
uprès  de  lui ,  proteftant  qu'ils  lui 
>béiroient  en  toutes  chofes.    Les 
utres  ayant  choifi   des   cavaliers 
»our  Commandans ,  prirent  le  che- 
lin  delà   Franconie ,  6c   le    Vi- 
i  omte  de  Turenne  voyant  qu'il  n'y 
voit  plus  rien  à  ménager  avec  eux, 
es  pourfuivit  à  la  tête  de  ceux  qui 
toient  rentrés  dans  leur  devoir  > 
Z  les  ayant  atteints  à  Koningsho-    Au^    mois 
j'en  dans  la  vallée  du  Tauber  ,  il  d'Aoû^ 
es   fit  charger,    il    en   tailla    en 
ûeces  trois  cens ,  il  en  fit  un  pa- 
eil  nombre  de  prifonniers ,  6c  le 
G 


' 


____    i4<î  Histoire  du  Vicomte 
Année  refte  lui  échappa  par  la  fuite.  Il 
l647>      auroit  pu  faire  punir  les   prifon- 
niers  comme  rebelles ,  mais  ayant 
Au  mois  de  égard  à  leurs  fervices   paffés ,  il 
Septembre.    jeur   parcionna ,  il   les  incorpora 
dans  les  troupes  qu'il  alla  rejoindre. 
&  étant  enfin  arrivé  dans  le  Luxem- 
bourg ,  il  fe  rendit  maître  de  la  ville 
de  Virton,  du  château  de  Manguin, 
&  de  quelques  autres  Places. 
L'Arctûduc      L'Archiduc  Léopold  ,    croyan 
affoibii  par  fa  qU'^  avoit  de  grands  defleins   fui 

venue  ,   perd   *  ^  .  °  r  i  i*     /     w 

diverfes    yii  cette  Province  ,  tut  oblige  d  y  en 

Ies*  voyer  un  détachement  de  fon  ar 

mée  ;&  l'ayant  ainli  affaiblie  ,  non 

feulement  il  ne  fut  plus  en  état  d< 

rien  entreprendre  en  Flandre, mai  : 

encore  il  ne  put  fauverles  villes  d« 

Dixmude ,  de  la  Baffée  &  de  Lens 

qui  furent  prifes  par  les  Maréchaux 

de  Rantzau  &  de  Gaflion. 

La  conduite      La  Cour  rendit  toute  la  juftio 

de    Turenne  qu'elle  devoit  à  la  conduite  que  1< 

approuva!    Vicomte  de  Turenne  avoit  tenu» 

à  l'égard  des  Allemands  :  die  dor 

na  de  grandes  louanges  à  la  pm 

dence  avec  laquelle,  prenant  d< 

fages  tempéramens  dans  cette  con 


DE  TURENNE.  Llv.lL    147  . 

on&ure  délicate  ,  il  avoit  fu  fi  à  A  N  N  \  % 
propos  difîimuler ,  punir  ,  pardon-  1647. 
1er ,  ménager  les  efprits ,  fans  rien 
perdre  de  ion  autorité;  faire  des 
exemples  des  particuliers,  &  con- 
erver  la  confiance  du  corps  ;  6c 
>our  faire  parler  jufqu'à  la  dernie- 
e  poflérité  le  fouvenir  des  con- 
[iiêtes  qu'il  avoit  faites  durant 
:ette  campagne ,  on  fit  frapper  la 
Médaille  N°.  3. 

On  y  voit  un  Quadrige  chargé 
.'un  trophée  que  couronne  la  Vie- 
Dire, 

La  Légende  Diverfo  ex  Hofle  9 
gnifle ,  la  France  triomphante  de 
ifferens  ennemis. 

L'Exergue  ,  XI  Urbes  aut  Ar- 
\es  captez.  M.    DC.  XL V IL  veut 
ire  ,   on^e    Villes    ou    Fortere[fes 
rifes.  1647. 

De  ces  onze  villes ,  les  Maré- 
haux  de  Rantzau  &:  de  Gafîion 
n  prirent  trois ,  &  le  Vicomte  de 
Turenne  en  prit  lui  feul  huit. 
Cependant  le  Duc  de  Bavière       TZ — 

*  1  r>      1  1      •  .  I646. 

oyant  que  les  Suédois  rempor-    Ilretournâ 
rient  de  très-grands  avantages  fur  cnAiicjnagaç 
Gij 


148  Histoire  du  Vicomte 


Année  l'Empereur ,  &  craignant  qu'ils  m 

1*48.      devinffent  trop    puiffans  ,   joignii 

&  chaffe  les  fon  armée  à  celle  des  Impériaux 

Impériaux  &  r  >  1  •    /  v 

les  Bavarois ians  avoir  égard  au    traite    qui 

au  delà   du  yenoit  de  faire  avec  nous  &  ave< 

la  Couronne  de  Suéde  ;  6c  le  Gé 

néral  Melander,  qui  étoit  alors  à  1; 

tête  des  deux  armées  ,  étant  entr< 

dans  la  Heffe ,  avoit  déjà  pouffé  1 

Général  "Wrangel  jufques  dans  1 

pays  de  BrunrVich ,  lorfque  le  V  j 

comte  de  Turenne  reçut  ordre  d'à  - 

1er  à  fon  fecours.  Il  part  aufîi-tô 

du  Duché  de  Luxembourg  avec  fo  I 

armée  ,  s'avance  dans   le   Palat 

nat ,  fait  lever  ,  chemin  faifant  ?  1 

fiege  de  Worms  aux  Impériaux  t 

aux  Efpagnols,  &  paffe  le  Rhin 

Mayence.  A  cette  nouvelle  les  In 

périaux  &  les  Bavarois  quittent  1  \ 

pays  de  Heffe ,  &£  fe  retirent  ve 

le  Danube. 

joint  Wran-      Le  Général  Wrangel  fe  troi 

se  '  vant  ainfi  délivré  d'eux  ,  traver: 

la  Heffe  ,  6c  s'avance  jufqu'à  Gh 

yourfuit    les  lenhaufen  dans  le  Comté  de  H; 
«anemis;        nau  ,  entre   ja   Heffe    &  la   Fra] 

çonie ,  où  le  Vicomte  de  Turenr 


DE  TURENNE.  Liv.  IL  149  __ 
l'étant  venu  joindre  ,  ils  réfolu-  ÂTTTT 
rent  de  parler  le  Mein ,  &  d'al-  »«4*. 
1er  chercher  les  ennemis  poux 
les  combattre.  Le  Général  Me- 
ander  ayant  appris  que  nous 
avions  parTé  le  Mein  ,  paffe  le 
Danube  à  la  hâte  ,  &  marche  vers 
Ausbourg.  Nous  le  pourfuivons 
avec  encore  plus  de  diligence. 
Nous  parlons  le  même  fleuve  après 
lui  à  Lawinghen ,  où  nous  laiffons 
nos  gros  équipages ,  nos  malades  , 
$c  tout  ce  qui  pouvoit  nous  embar- 
-arTer.  Le  Vicomte  de  Turenne  & 
e  Général  Wrangel  prennent  les 
devans  avec  la  cavalerie ,  en  don- 
lant  ordre  à  l'infanterie  de  fuivre 
ivec  le  canon  le  plus  promptement 
qu'il  fe  pourroit. 

On  atteignit  bientôt  à  Zufmars-  &  ies  défait  à 
îaufen  ,  l'arriére  -  garde    de  l'ar-  Zufmarshau^ 
née  ennemie  qui  achevoit  de  paf-  en* 
er  un  bois  à  la  faveur  de  trente 
efcadronsque  commandoitle  Com- 
:e  de  Montecucully.  Comme  l'ar- 
mée du  Vicomte  de  Turenne  avoit 
'avant-garde  dece  jour-là ,  il  chargea 
ttfti  trente  efcadrons  à  la  tête  de 
G  iij 


_  ijo  Histoire  du  Vicomte 

A~n  k  é  i  notre  cavalerie  :  il  les  rompit  ,  les 
'^48.  mit  en  défordre ,  les  obligea  à  fe 
fauver  au  travers  du  bois ,  &  les 
pourfuivit  jufqu'à  une  petite  plai- 
ne qui  étoit  au  bout  de  ce  bois, 
où  il  trouva  le  Général  Melan- 
der  qui ,  ayant  été  averti  de  ce  qui 
fe  panoit  à  fon  arriere-garde ,  y 
étoit  accouru  avec  un  grand  corps 
de  cavalerie.  Le  combat  fut  fan- 
glant  en  cet  endroit ,  &  le  terrein 
long-tems  difputé  ;  mais  le  Géné- 
ral Melander  ayant  été  tué  ,  fa 
cavalerie  gagna  un  fécond  bois 
qui  étoit  au  bout  delà  plaine  ,  poiu 
fe  retirer  à  la  faveur  de  l'infante- 
rie dont  il  étoit  tout  bordé  du  côté 
de  cette  plaine.  Le  Vicomte  de 
Turenne  pourfuivit  les  fuyards  juf 
qu'au  bois  :  le  feu  de  l'infanterie  en- 
nemie fufpend  l'ardeur  de  fesfol- 
dats  ;  mais  le  Général  Wrangel 
ayant  trouvé  moyen  d'entrer  au 
milieu  du  bois  par  un  chemin  dé- 
tourné qui  étoit  fur  la  gauche. 
les  ennemis  qui  fe  virent  coupés 
perdirent  courage.  Tout  ce  qu'ils 
avoient  là  d'infanterie   flit  taillé 


DE  TURENNE.  Liv.  IL    151   

en  pièces  ;  leur  canon  &  leurs  ba-  a  n  n  é 
^ages  furent  pris  ;  on  pourfuivit  l6*%* 
a  cavalerie  qu'on  mena  toujours 
Dattant  pendant  une  heure  &  dé- 
nie ,  &  on  arriva  à  un  ruiffeau 
brt  profond  où  il  n'y  avoit  qu'un 
eul  gué  très-étroit  ,  qui  étoit  gar- 
lé  parle  Duc  de  Wirtemberg ,  Gé- 
îéral-Major  de  l'armée  impéria- 
e  ,  &c  ce  Prince  avoit  avec  lui  fix 
>u  fept  efcadrons  de  cavalerie , 
k  trois  bataillons  retranchés  au* 
lelà  du  ruiffeau  pour  en  défendre 
e  paffage.  Comme  nous  n'avions 
>oint  là  d'infanterie  pour  le  for- 
:er,  on  pointa  contre  les  ennemis 
artillerie  qu'on  leur  avoit  prife  , 
:royant  les  contraindre  à  coups  de 
:anon  à  quitter  ce  pofte  ;  mais  on 
ait  beau  les  canonner,  le  Duc  de 
Wirtemberg  vit  tuer  plus  de  la 
noitié  de  les  gens  fans  abandon- 
îer  le  paffage  :  il  effuya  notre  feu 
ufqu'à  la  un  du  jour  :  il  eut  cinq 
:hevaux  tués  fous  lui  ;  &£  par  cet- 
e  étonnante  fermeté ,  il  empêcha 
me  toute  l'armée  ennemie  ne  fût 
aillée  en  pièces  ;  ce  qui  en  ref- 
G  iv 


152  Histoire  du  Vicomte 


a  n  n  é  1  toit  fe  retira  durant  la  nuit  vers 
i6**i  Augsbourg  ,  &  y  paiTa  le  Lech.  Le 
Vicomte  de  Turenne  &  le  Géné- 
ral Wrangel  les  y  pourfuivirent 
fans  leur  donner  de  relâche  ;  mais 
ils  n'eurent  pas  plutôt  parlé  le  Lech 
que  les  ennemis  fuyant  toujours, 
parlèrent  l'Amber ,  l'Ifer  &:  l'Inn  , 
&  fe  réfligierent  dans  l'Autriche, 
abandonnant  toute  la  Bavière  à  no- 
tre armée. 

Alors  le  Duc  de  Bavière  ne 
trouvant  plus  de  fureté  pour  lui 
dans  aucune  ville  de  fes  Etats ,  il 
en  fortit  &  fe  retira  dans  l'Arche- 
vêché de  Saltzbourg  ,  où  il  fut  obli- 
d'aller  chercher  un  afyle  à  l'âge 
ge  de  foixante  &  quinze  ans.  Delà 
il  dépêcha  couriers  fur  couriers  à 
l'Empereur ,  &il  le  prefîa  tellement 
Le  14  Oc-  de  faire  la  paix ,  qu'elle  fut  enfin 

lobre.  conclue  à  Munfter  entre  l'Empereur 

&  le  Roi  de  France ,  &  les  Alliés  de  f 
l'un  &  de  l'autre.  Toute  l'Europe 
reconnut  qu'elle  étoit  due  en  par- 
tie aux  grandes  actions  que  le  Vi- 
comte de  Turenne  avoit  faites  cette 
année  en  Allemagne  ;  &  la  France  , 


DE  TlJRENNE.  LlV.  IL    T^J 

»our  immortalifer  une  campagne  A  N  N  t  * 
i  glorieufe  ,  fit   frapper  la    Mé-      164a. 
aille ,  N°.  4. 

On  y  voit  la  Victoire ,  qui  d'une 
îain  tient  une  couronne  de  lau- 
1er,  &  de  l'autre  une  pique  ,  au 
out  de  laquelle  eft  un  trophé.  La 
■égende  Vicloriafraclœ  Fidei  Ultrix  , 
gnifie ,  la  Victoire  venger  ejje  de  la, 
"oi  violée,  L'Exergue  ,  Pulfo  trans 
)enum  Bavaro.  M.  DC.  XLV1II. 
eut  dire  :  Le  Duc  de  Bavière  chajfé 
u-ddà  de  la  rivière  d*lnn.  \6^8. 

Par   le  Traité  de  Munfter  ,  le    Ce  que  ga2 
andgraviat  d'Alface ,  le  Suntgaw ,  sneAa  ^rf n" 
rifach ,  &  la  Préfecture  des  dix  Munaer.e  C 
illes  Impériales  qui  font  en  Alfa- 
?,  ainfi  que  le  droit  de  mettre 
irnifon  dans  Philisbourg ,  furent 
:cordés  à  la  France ,  avec  tous  les 
roits  de  Souveraineté  que  l'Em-  .  j 

ereur  6c  l'Empire  pouvoient  avoir  I j 

rr  Pignerol  ,  &  fur  les  Villes  & 
vêché  de  Meu ,  Toul  &  Verdun. 
m  céda  aufll  à  la  Landgrave  de 
iefle  ,  qui  avoit  toujours  été  at- 
ichée  à  nos  intérêts  ,  l'Abbaye 
'Hirfchfeld ,  avec  le  droit  de  Sei- 
G  y 


154  Histoire  du  Vicomte 

: —  gneurie  fur  quatre  Bailliages  de  la 

Année   vV^   /i    i_   v  o,  r     '  j    • 

1648.  Weltphalie  ;  &:  aux  Suédois  no< 
alliés,  les  Duchés  de  Brémen  &  de 
Ferden  ,  avec  \&  ville  de  Wilshu-1 
fen  y  la  ville  &  le  port  de  Wifmar , 
toute  la  Poméranie  citérieure ,  le: 
Ifles  de  Rugen  &  de  Wollin  ,  le: 
villes  de  Stetin  ,  Gartz  ,  Dam  & 
Golnau,  &  plusieurs  autres  avanta 
ges  très-conîidérables.  Ainfi  fîniren 
nos  guerres  avec  l'Empereur  6 
avec  l'Empire.. 

Fin  du  Livre  fécond. 


HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE. 

LIVRE    TROISIEME. 

E  n  d  A  N  t  que  nos  guer- 
res étrangères  fe  termi- 
noient  fi  giorieufement  y.  ".'«.. 
y  il  s  en  tormoit  une  beau-  à  ce  livre 
oup  plus  dangereufe  au  milieu 
e  l'Etat ,  où  la  fureur  des  diiTen- 
ons  civiles  s'étant  élevée  ,  l'efprit 
e  révolte  gagna  en  moins  de  rien 
out  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  fi- 
tele  dans  le  Royaume  ,  les  Parle- 
rons ,  les  Princes  du  Sang  ,  &£ 
G  v j 


Anne 


ij6  Histoire  du  VicomPte 

a  n  n  é*E  &  même  le  Vicomte  de  Turenne  ; 
16 48.      trifte,  maisfincere  partie  de  l'Hif- 
toire  de  ce  grand  Homme ,  ou  je 
raconterai  fes  fautes  ,  fans  en  dilïï- 
muler  la  honte  ,  comme  j'ai  ra-  : 
conté    jufqu'à   préfent  fes    belles 
actions ,  fans  en  exagérer  le  méri- 
te. Mais  afin  de  pouvoir  faire  bien 
entendre  quelle  part  il  eut  à  nos  ! 
malheureufes  divifions  ,  il  faut  re- 
monter jufqu'à  leur  origine  ,  &  fai- 
re voir  la  fituation  où  étoit  la  Fran- 
ce alors ,  par  rapport  au  Gouver- 
nement. 
Caufes  &      Le  Roi  Louis  XIV  étoit  en-J 
me^SriâCore  mineur  ;  &  la    Reine    Ré- 
Guerre  civi-  gente  ne  faifant  rien  que  par  le  ] 
confeil  du  Cardinal  Mazarin  ,  c'é-  j 
toit  proprement  lui  qui  gouvernoii  1 
le  Royaume.  Ce  Minirire ,  charge  j 
des  entreprifes  ,  &  perfuadé  que 
l'argent  étoit  le  reffort  des  fuccès . 
multiplioit ,   par  toutes  fortes  de 
moyens ,  les  Importions  publiques 
Le  Parlement  de  Paris ,  qui  croyoit 
que  ces  importions  ne   fe   pou- 
voient  faire  fans  fon  confentement. 


DE   TURENNE.  I*V.  ///.    I  57 

s'oppofa  formellement  à  l'exécu-  A  N 
tion  d'un  Edit ,  par  lequel  on  vou-  1*4* 
loit  faire  une  nouvelle  levée  de 
deniers  fur  le  peuple,  Le  Cardi- 
nal Mazarin ,  choqué  de  l'obftacle 
que  le  Parlement  mettoit  à  fes 
defleins  ,  retrancha  par  un  autre 
Edit ,  les  gages  de  tous  les  Officiers 
de  Juitice  ,  afin  de  regagner  fur 
eux  ce  qu'on  l'empêchoit  de  pren- 
dre fur  le  peuple.  Le  Parlement , 
piqué  à  fon  tour  de  ce  retranche- 
ment de  gages  ,  entreprit  d'éta- 
blir une  Chambre  de  Juftice  ,  qui 
prît  connoiffance  des  malverfations 
commifes  au  maniment  des  Fi- 
nances, &  de  faire  rendre  comp- 
te au  Cardinal  Mazarin  de  l'em- 
ploi de  tous  les  deniers  levés  de- 
puis le  commencement  de  la  Ré- 
gence. Le  Cardinal  regarda  cette 
entreprife  comme  un  attentat  con- 
tre l'autorité  Royale  ,  6c  fit  arrêter 
quelques  Membres  du  Parlement, 
croyant  intimider  par -là  tout  le 
Corps.  Mais  à  cette  nouvelle  ,  le 
i  peuple  qui  étoit  perfuadé  que  le 


NES 


158  Histoire  du  Vicomte 

Année  Parlement  n'avoit  en  vue  que  le 
1648.     foulagement    du    public  ,    s'étant 
foulevé ,  &  ayant  pris  les  armes  , 
la  Cour  fut  obligée  de  remettre 
en  liberté  les  Officiers  qu'elle  avoit 
fait  arrêter.  Le  Cardinal  Mazarin  y 
outré   d'avoir    été   ainfi    réduit  à 
céder  aux  Rebelles ,  qui  fembloient 
triompher  de  fon  peu  d'autorité  , 
réfolut  de   fe  venger     du   Parle- 
Le  g  jan-  ment   &  du  Peuple.   Il  fortit  de 
vien^.     Paris  .  ^  emmena   le  Roi  &  la 
Reine  à  Saint  Germain  en  Laye  ; 
&  fe  flattant  de  forcer  les  Parifiens 
à  tout  ce  qu'il  voudroit  par  la  fa- 
mine ,  il  engagea    le  Prince    de 
Cefi  ainfi  Condé  à  bloquer  Paris.  Le  Parle- 

que    s  appel-  ,       r      T-    A    ,        r  .  x 

Joû  le  Duc  ment  de  ion  cote  ,  le  prépara  a 
«FAnguien  ,  une  vigoureufe  défenfe  ,  donna  un 

depuis  lamort  A°^i  1  -i     1  '    t        •    i     /-> 

eu  Prince  de  Arrêt  par  lequel  il  decraroit  le  Car- 
Condé  fon  dmal  Mazarin,  perturbateur  du  re- 
pos public  ,  &  lui  enjoignit  de  for- 
tir  du  Royaume  ,  délivra  des  com- 
mifïions  pour  lever  des  gens  de 
guerre  :  &  les  Ducs  de  Bouillon 
ck  d'Elbeuf  lui  étant  venus  offrir 
leurs  fervices  ,  il  les  donna  pour 


N    M    E 


de  Turenne.ZjV.777.  159 

Lieutenans  Généraux  au  Prince  de 
Conti ,  qu'il  fit  Généraliflime  de  l6w? 
fes  troupes.  En  cette  qualité  ,  le 
Prince  de  Conti  envoya  un  hom- 
me de  confiance  à  l'Archiduc  Léo- 
pold  ,  pour  le  porter  à  joindre  les 
forces  des  Efpagnols  à  celles  du 
Parlement, 

Telle  étoit  la  fituation  des  affai-  dJ™ nn^e 
res  ,  lorfque  le  Cardinal  Mazarin  le  Parlement 
envoya  ordre  au  Vicomte  de  Tu-?  elî  aba.n" 

J     „  r  donne        des 

renne  d  amener  les  troupes  aux  troupes, 
environs  de  Paris,  &  que  le  Duc  de 
Bouillon  lui  écrivit  pour  l'engager 
à  prendre  le  parti  du  Parlement,  lui 
repréfentant  que  le  Cardinal  Maza- 
rin faifoit  naître  tous  les  jours  de 
nouvelles  difficultés  pour  empêcher 
la  confommation  de  l'échange  de 
Sedan ,  &:  que  s'il  ne  favoit  tirer 
avantage  de  Farmée  à  la  tête  de  la- 
quelle il  étoit ,  on  n'auroit  bientôt 
plus  aucun  égard  pour  fa  maifon» 
Chacun  étoit  fort  en  peine  de  fa- 
voir  quel  parti  il  prendroit.  D'un 
côté  une  conjoncture  fi  favorable 
<le  revenir  contre  la  celîion  forcée 


Année 


î6o  Histoire  du  Vicomte 
d'une  Souveraineté  ,  faifoit  crain- 
te, dre  qu'il  ne  voulût  profiter  de  la 
conjoncture;  &:  de  l'autre,  l'exa&e 
probité  dont  il  faifoit  profefiion  , 
donnoit  lieu  de  croire  ,  qu'il  ne 
voudroit  pas  facrifier  fon  devoir 
au  rétabliffement  de  fa  maifon. 
Toute  la  France  étoit  dans  l'im* 
patience  de  voir  à  quoi  il  fe  déter* 
mineroit  ,  lorfqu'on  apprit  qu'il 
s'étoit  déclaré  pour  le  Parlement, 
&  qu'il  avoit  pris  le  Serment  de 
tous  les  Officiers  de  troupes  qui 
étoient  à  fes  ordres  ;  tant  il  efl 
vrai  ,  qu'il  arrivera  plutôt  que 
l'homme  agifTe  contre  fon  propre 
caractère ,  qu'on  ne  voie  une  vertu 
entièrement  pure  en  ce  monde.  Le 
Parlement ,  ravi  d'avoir  le  Vicomte 
de  Turenne  de  fon  côté  ,  donna  un 
Arrêt  par  lequel  il  étoit  enjoint  à 
tous  Officiers  &  Sujets  du  Roi  d'o- 
béir à  ce  Général  ;  &  par  lequel  il 
étoit  ordonné  qu'on  feroit  un  fonds 
pour  fournir  à  la  fubfiilance  de  fon 
armée.  Mais  le  Cardinal  Mazarin 
ayant  envoyé  Hervard  à  cette  ar- 
mée avec  beaucoup  d'argent ,  la  ' 


de  Turenne.  Liv.  1IL  161  

lus  grande  partie  des  Officiers  &  A  N  N  ?  £ 
es  foldats  abandonnèrent  le  Vi-       1^49. 
omte  de  Turenne. 

r>    r^  1     '      \  vi  II  fe  retire 

Ce  General ,  voyant  qu  une  pou-  en  Hollande, 
oit  rien  exécuter  de  fort  confidé-  Se  revient  à 
ible  avec  le  relie  des  troupes  quila  Cour%    * 
oulo  ent  fuivre  fa    fortune  ,    fe 
îtira  t-i  Hollande,  où  il  demeura 
ifqu'à  la  conclufion  du  Traité  de 
aix  qui  fe  fit ,  peu  de  tems  après  , 
ntrele  Roi  6c  le  Parlement.  Par  un 
ies  articles  de  ce  Traité,  »  le  Roi 
|  déclaroit  qu'en  échange  de  la  Prin- 
cipauté de  Sedan  ,  il    donneroit 
!  incerTamment  de  fes  domaines  au 
Duc  de  Bouillon  jufqu'à  la  con- 
!  currence   de  la  valeur  de   ladi- 
te  Principauté  :  que  ce    qui   lui 
avoit  été  promis  pour  le  rang  de 
ceux  de  fa  maifon ,  feroit  ponc- 
tuellement  exécuté  :  que    quand 
|il  difpoferoit  du  commandement 
de  fes  Armées ,  il  auroit  égard  au 
i mérite  du  Vicomte  de  Turenne; 
&  qu'il  le  gratifieroit  même   en 
(toutes  fortes  d'occafions  de  ce  qui 
!  lui  conviendroit   félon   fa  naif- 
fance«.Sur  la  foi  de  ce  Traité,  le 


î6i   Histoire  du  Vicomte 


Année  Vicomte  de  Turenne  partit  de  Hol- 
l*49»      lande ,  &  revint  à  la  Cour ,  où  il  ar- 
riva juftement  dans  le  tems  que  le 
Cardinal  Mazarin  &  le  Prince  de 
Condé  ,  voulant  être  chacun  feul  k 

te  i4  Juin. maître,  faifoient  paroître  quelque 
chofe  de  fi  aigre  &  de  fi  piquant , 
jufques  dans  les  premières  froideur: 
par  où  commença  leur  méfintelli- 
gence ,  qu'il  etoit  aifé  de  juger  : 
qu'elle  dégénéreroit  bientôt  en  un< 
haine  implacable.  Leur  divifionpar 
tageant  toute  la  Cour,  il  n'y  avoi 
perfonne  qui  ne  prît  parti  pouri'ui 
ou  pour  l'autre.  Le  Vicomte  de  Tu 
renne  feul  demeuroit  neutre  ,  &  n« 
s'était  point  encore  déclaré  pour  au 
ain  des  deux. 
u    fembîe      Cependant   notre  armée   d'Al 

pncher  pour  lemagne  ayant  appris  fon  retour  ei 

Je  Prince,  &c  r         &  ■>  r|  .      ^  j        j/| 

eft  recherché  France ,  envoya  a  la  Cour  des  de 
par  Mazarin.  pûtes ,  qui  le  demandèrent  pour  Gé 
néral  ;  mais  on  ne  jugea  pas  à  pro 
pos  de  lui  confier  fi-tôt  un  parei 
emploi.  Le  Vicomte  de  Turenne 
regardant  ce  procédé  comme  un< 
contravention  à  ce  qu'on  lui  av< 
promis  par  le  Traité  de  Paix  % 


DE  TURENNE.LV.7/7.    163  , 

'en  prenant  au  Cardinal  Mazarin  aTTTb 

ït  auprès  du  Prince  de  Condé  quel-      l54* 

nies  démarches ,  par  lesquelles  il 

embloit  qu'il  eût  defTein  d'entrer 

lans  fon  parti.  Mais  le    Cardinal 

viazarin  ne  fe  mit  pas  fort  en  peine 

le  rompre  cette  liaifon  :  fe  perfua- 

lant  que   la  fortune  éclatante  où 

toit  alors  le  Prince  de  Condé ,  lui 

ttiroit  tous  fes  partifans  ;  &  que , 

uand  il  auroit  exécuté  ce  qu'il  me- 

itoit  contre  ce  Prince ,  on  ne  s'em- 

refleroit  pas  beaucoup  à  s'attacher 

lui.  Enfin ,  il  le  fit  arrêter  avec  le 

rince  de  Conti  fon  frère ,  &  le  Duc    £e  1 8  Jân- 

eLonguevilleleurbeau-frere;  &viec  i6)9> 

les  fit  conduire  tous  trois  au  Châ- 
?au  de  Vincennes.  Il  envoya  le 
larquis  de  Ruvigni  au  Vicomte  de 
\irenne  pour  l'aflurer  de  fon  ami- 
é,  lui  promettre  le  commande- 
îent  de  l'Armée  de  Flandre ,  lui 
•ffrir  une  de  (es  nièces  en  mariage , 
Z  lui  protefter  qu'il  vouloit  défor- 
lais  partager  fa  fortune  avec  lui. 

Mais  le  Vicomte  de  Turenne  ,  il  fe  déclare 
ui  étoit  bien  éloigné  de  régler  fes  P™r  Ie  Prin' 
ffe&ions  fur  la  profpérité  ou  la  dif- 


K    N 


164  Histoire  du  Vicomte 
~~7  grâce  des  perfonnes,  n'accepta  au- 
î«;o.      cune  de  fes  offres.  Ce  qui  lui  faifoit 
&  traite  avec  prendre,  ce  parti  n'étoit,  ni  lanaif- 

]«EfFagnol,fance   du    prin^    Çondé,     ni    foi! 

rare  mérite  ,  ni  même  les  avance? 
qu'il  lui  eût  faites  ;  car  bien  loir 
de  le  rechercher  avec  les  emprefTe- 
mens  avec  lefquels,  au  jugemeir 
de  tout  le  monde  ,  il  méritoit  d'ê- 
tre recherché ,  il  Tavoit  affez  né 
gligé.  Mais  il  fuffîfoit  qu'un  hom- 
me fût  perfécuté  ou  malheureux 
pour  que  le  Vicomte  de  Turen 
ne  fe  f entît  aurli-tôt  porté  par  foi 
penchant  naturel  à  le  fecourir 
Ainfi ,  dès  qu'il  vit  les  Princes  ai 
pouvoir  du  Cardinal  Mazarin ,  i 
iortit  de  Paris  :  &:  s'étant  rendu  ;| 
Stenay ,  place  forte  fur  la  Meufe 
qui  appartenoit  au  Prince  de  Con- 
dé  ,  il  invita  tous  les  amis  &  tou 
tes  les  créatures  de  ce  Prince  i 
l'y  venir  joindre.  Le  Cardinal  Ma- 
zarin envoya  après  lui ,  ajoutam 
encore  de  nouvelles  promettes  3 
celles  qu'il  lui  avoit  faites  :  mai; 
le  Vicomte  de  Turenne  n'y  voulin 
point  entendre  ;    6c    perfévéram 


N    N    E    £ 


DE  T-URENNE.  Liv.  III.  165 
lans  le  deffein  qu'il  avok  formé,  il 
rendit  fa  vaifTelle  d'argent  pour  is$o. 
ever  des  troupes  :  il  employa  au 
nême  ufage  les  Pierreries  de  la 
Ducheffe  de  Longueville  ,  qui  les 
ui  vint  apporter  ;  il  fit  tenter  la  fi- 
lélité  des  troupes  qui  a  voient  fer- 
n  fous  lui  en  Allemagne  ,  &C  il 
:n  débaucha  trois  régimens  qui 
dnrent  le  trouver.  Il  propofa  une 
-igue  à  l'Archiduc  Léopold,  qui 
ommença  par  demander  qu'on  lui 
émît  la  Ville  de  Stenay  ;  mais  le 
Vicomte  de  Turenne  la  lui  refufa , 
ie  voulant  point  fe  défaiiir  de  l'un- 
ique Place  où  il  pouvoit  fe  reti- 
er  &  fe  mettre  hors  du  pouvoir 
les  Efpagnols.  On  ne  laifTa  pas 
éanmoins  de  conclure  le  traité  , 
•ar  lequel  l'Archiduc  Léopold  s'en- 
;agea ,  pour  le  Roi  d'Efpagne ,  à 
ie  point  faire  la  Paix ,  qu'on  n'eût 
endu  la  liberté  aux  Princes  :  &  le 
/icomte  de  Turenne  promit  de  ne 
>oint  mettre  les  armes  bas  ,  que 
a  France  n'eût  offert  des  articles 
le  paix  juftes  &  raifonnables  aux 
Lfpagnols  ;  &  ce  Traité  ayant  été 


i66   Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  £  E  ratifié  par  le  Roi  d'Efpagne ,  le  Vi 
i^jo.  comte  de  Turenne  &£  l'Archidu< 
Léopold  joignirent  leurs  troupe 
&  à  la  tête  de  leur  Armée  ,  qu 
étoit  de  dix-fept  à  dix-huit  mill< 
-hommes ,  ils  entrèrent  en  France 
par  les  Frontières  de  la  Picardie 
ils  afiiégerent  le  Catelet  ,  petit 
Place  à  la  iource  de  l'Efcaut ,  qu'il 
prirent  en  trois  jours.  De  là  ,  il 

Le  14  Juin,  allèrent  affiéger  la  Ville  de  Guife 
mais  il  tomba  une  telle  abondanc 
de   pluie  pendant  ce  Siège ,  qu  j 
les  chemins  en  furent  entieremer 
rompus  ;  de  forte  que  les  charriol  » 
deftinés  à  voiturer  des  vivres  au  i 
afïiégeans  ,  ne  pouvant  plus  aile 
fans  un  nombre  prodigieux  de  chc 
vaux ,  ck  les  Espagnols  en  ayar  ; 
très-peu ,  la  difette  devint  fi  grand 
dans  leur  Camp,  qu'ils  furent  obli 
gés  de  lever  le  fiége  ,    &  d'alk 
chercher  des  vivres  du  côté  de  lj 
Capelle.  La  pluie  ayant  enfin  cefle 
le  Vicomte  de  Turenne  &c  l'Arch 
duc  Léopold  afiiégerent  la  Cape 

te  j  Août,    le  9  &  s'en  rendirent  maîtres  en  di 
jours.  Après  la  prife  de  cette  Place 


DE  TURENNE.  Liv.  III.    \6j    

Is  pafïerent  la  Rivière  d'Oife  :  le  année 
Vicomte  de  Turenne  s'avança  avec  No- 
rois mille  chevaux  jufqu'à  Vervins 
our  obferver  notre  armée  qui 
toit  à  Marie.  Mais  le  Maréchal  du 
lefîis-Praflin ,  qui  la  commandoit, 
n  délogea  aiuTi-tôt ,  &fe  retira  der- 
iere  les  Marais  de  Notre-Dame  de 
iefTe.  Le  Vicomte  de  Turenne ,  fe 
oyant  maître  de  la  Campagne ,  par 
i  retraite  de  ce  Maréchal  ,  alla 
rendre  Rhétel,  Château  Porcien 
:  Neufchâtel  ,  paffa  la  Rivière 
'Aifne ,  prit  la  Ville  de  Fifme ,  for- 
i  le  Maréchal  du  Plefîîs  à  s'aller 
îfermer  dans  Reims  avec  fon  ar- 
iée ,  envoya  prier  l'Archiduc  Léo- 
old  de  lui  amener  le  refte  des 
oupes,  en  pofta  un  corps  derrie- 
ï  la  Marne ,  en  fit  avancer  un  autre 
la  Ferté-xMilon  ;  &  s 'étant  ainfi 
indu  maître  de  tous  les  partages 
fquà  Paris,  il  fe  difpofoit  à  venir 
•  lendemain  invertir  le  Château 
2  Vincennes ,  pour  en  tirer  lesLc  lS  Août, 
rinces  :  6c  il  auroit  peut-être 
•œcuté  ce  deffein ,  fi  on  ne  les  eût 
romptement  transférés  au  Châ- 


i___  168  Histoire  ou  Vicomte 
A  n  n  é  i  teau  de  Marcouffis,  qui  eft  entre Ps 
itfjo.      ris  &c  Orléans.  Le  Vicomte  de  Tuj 
renne  ayant  ainfi  manqué  fon  coup 
ait  obligé  de  rebrouffer  chemin 
&  ayant  repaffé  l'Aime  avec  fol 
Le  15  sep-  armée,  il  alla  afliéger  Mouzon  fi 
ccmbre.        ia  Meufe.    La  pluie  qui  tomba  el 
abondance  durant  ce  fiége,  & 
peu  d'artillerie  qu'avoient  les  Efp; 
gnols ,  fut  caufe  qu'il  demeura  fe 
femaines  à  prendre  cette  Place  :1'A 
chiduc  Léopold  ayant  remené  ei< 
fuite  le  gros  de  l'armée  hiverner  < 
Flandre  ,  le  Vicomte  de  Tureni 
demeura  avec  huit  mille  homrri 
fur  la  frontière  ,  entre  l'Aime  & 
Meufe,  pour  veiller  à  la  conferv 
rion  des  Places  qu'il  avoit  prifes  fi 
ces  deux  rivières. 
Perd  Rhe-      Quoique  la   faifon  fût    déjà 
cfcei,  eftforcé  avancée   le  Maréchal  du  Pleflis , 

&  difpofuîon  le  Cardinal  Mazann  qui  1  etoit  v 
de  fonArmée.  nu  ;omc[re    ne  lanTerent  pas  d'e 

Au  mois  de  '  \      r  >         j      t,l  1   i 

Décembre,  treprendre  le  liège  de  Rhetel  av< 
l'armée  du  Roi ,  qui  s'étoit  rep< 
fée  durant  toute  la  campagne  , 
qui  grofîie  de  plufieurs  détach 
mens  que  le  Cardinal  Mazarin 

avo 


BE  TURENNE.Zrt'.///.    169     

ivoit  fait  venir,  fe  trouvoit  alors  A  N  N  j 
brte  de  dix-neuf  à  vingt  mille  hom-  1650, 
nés.  Le  Vicomte  de  Turenne  lanTa 
nveftir  cette  Place ,  6c  ne  voulut 
narcher  pour  la  fecourir ,  que  lorf- 
m'elle  feroit  afîiégée  dans  les  for- 
nes  :  il  comptoit  de  défaire  aifé- 
nent  notre  armée  ,  quand  elle  fe- 
oit  partagée  en  quartiers  autour  de 
Ihetel ,  &  de  faire  ainfi  lever  le 
ege  de  cette  ville.  Delliponti,  le 
>remier  homme  de  cetems-là  pour 
1  défenfe  des  Places,  en  étoit  Gou- 
erneur.  Il  y  avoit  dedans  dix-fept  à 
ix-huit  cens  hommes  de  garnifon , 

I  le  Vicomte  de  Turenne  n'auroit 

II  garde  de  croire  qu'elle  n'eût  te- 
u  que  trois  jours  ;  néanmoins  ,  y 
tant  arrivé  le  quatrième  jour  du 
ege ,  il  trouva  que  Delliponti  l'a- 
oit  lâchement  vendue  &  livrée  ; 
Z  que  le  Maréchal  du  Pleiîîs ,  ayant 
ufli-tôt  levé  fes  quartiers,  avoit 
émis  toutes  fes  troupes  en  un  feul 
orps  d'armée ,  qui  étoit  même  déjà 
ange  en  bataille.  Le  Vicomte  de 
Turenne  n'ayant  donc  point  d'au- 
re  parti  à  prendre  que  celui  de  la. 

H 


170  Histoire  du  Vicomte 

Année  retraite ,  retourne  au  plus  vite  fur 
j*jo.      fes  pas,  fait  quatre  grandes  lieues 
fans  s'arrêter  ,  gagne  la  Vallée  de 
Bourg ,  &  y  faitrepofer  fon  armée, 
après   avoir   toutefois    laifTé  der- 
rière lui  quelques  cravates  pour  le 
venir  avertir  en  cas  que  nous  le 
pourfuivnTions  ,    comme  en  effet 
nous  le  fîmes.  Car  le  Maréchal  du  | 
PleiTis,  ayant  entrepris  de  forcer 
ï-e  1  j  Dé?  le  Vicomte  de  Turenne  à  com 
ccmbw,        battre,  ou  à  repaffer   la  Meufe 
marcha  après  lui  prefque  toute  la 
nuit,  fi  bien  qu'à  la  pointe  du  joui 
le  Vicomte  de  Turenne  fut  avert 
par"  les  cravates ,    que   nous  non 
avancions  avec  toute  la  diligena 
poflible,  &  que  nous  n'étions  pa! 
fort  éloignés  de  lui.  Le  Vicomte  d( 
Turenne  fort  auffi-  tôt  de  la  Vallée, 
&  prenant  fur  celle  des  deux  hau 
leurs   qui  eft  à   gauche  lorfqu'or 
vient  de  Rethel ,  fait  encore  dein 
grandes  lieues ,  en  fe  retirant  avec 
fon    armée  par  un    brouillard  i 
épais ,  que  nous  ne  le  voyons  nul- 
lement ,    quoique   nous  marchaf 
fions  de  l'autre  côté  du  vallon ,  fui 


DE  TURENNE.Iîv,///.  17Î 
ia  hauteur  qui  étoit  à  droite.  Mais 
le  foleil  diflipant  peu- à -peu  le 
brouillard  ,  fur  les  dix  heures  & 
demie ,  les  deux  armées  ,  qui  n'é- 
:oient  féparées  que  par  le  vallon,  le 
lécouvrirent  l'une  l'autre  en  même- 
ems.  Le  Vicomte  de  Turenne ,  pér- 
imant dans  le  defTein  de  fe  retirer , 
continua  fa  route  ;  6c  le  Maréchal 
lu  Plefïis,  réfolu  de  le  combattre , 
>ourfuivit  aufîi  la  fienne ,  marchant 
>lus  d'une  lieue  durant  fur  une  col- 
ine  parallèle  à  celle  où  étoit  le  Vi- 
omte  de  Turenne.  Il  paffa  ainfi  le 
illage  de  Semuyde  &C  le  bourg  de 
aint  Etienne,  les  deux  armées  fe 
ôtoyant ,  tantôt  à  la  demi-portée 
u  canon ,  tantôt  à  la  fimple  portée 
u  moufquet,  félon  que  la  vallée 
toit  plus  large  ou  plus  étroite.  Il 
herchoit  quelque  paffage  aifé ,  par 
ù  il  pût  aller  attaquer  le  Vicomte 
Le  Turenne,  &  il  s'étoit  déjà  re- 
>enti  plus  d'une  fois  d'en  avoir 
nffé  d'aflez  faciles ,  dans  l'efpé- 
ance  d'en  rencontrer  de  plus  com- 
jnodes  qu'il  ne  trouvoit  pourtant 
hoint  ;  lorfque  voyant  qu'il  étoit 
Hij 


ïji  Histoire  du  Vicomte 

  K  N  É  E  midi,  &c  qu'il  n'y  avoit  plus  gueres 
1650.      gue  trois  heures  de   foleil  ,  il  ré* 
folut  de  paffer  le  vallon  de  quel- 
que manière  que  ce  fût ,  dans  la 
crainte  de  ne  plus  retrouver  le  len- 
demain le  Vicomte  de  Turenne ,  s'il 
lui  lahToit  la  nuit  pour  fe  retirer, 
Il  fît  donc  faire  halte  à  fon  armée 
entre  le  bourg  Saint  Etienne  &  le 
bourg  de  Sommepy  dans  la  plaine 
nommée  le  Blanc-Champ ,  &£  com- 
manda qu'on  la  mît  en  ordre  de  ba 
taille  pendant  qu'il  iroit  reconnoî- 
tre  le  fond  du  vallon.  Le  Vicomte 
de  Turenne  ,  qui  s'apperçut  de  ce 
mouvement  ,  vit  bien  qu'il  alloi 
être  attaqué ,  &t  qu'il  ne  pouvoit  ab 
folument  s'empêcher  d'en  venir  aiu 
mains  avec  nous,  quoique  la  parti< 
fût  fort  inégale.    Il  avoit  un  gran( 
avantage  fur  nous ,  en  demeurant  lu: 
la  hauteur  où  il  étoit ,  puifque  nou 
ne  pouvions  venir  à  lui  qu'en  mon 
tant;   mais  d'un  autre  côté  notr< 
infanterie  n'étoit  point  encore  ar 
rivée ,  &  il  lui  étoit  avantageux  d< 
nous  attaquer  avant  que  nous  eu( 
fions  toutes  nos^  troupes  enfemble 


de  Turënne.ZjV.77/.  173 
ïl  balança  queique-tems  ces  deux  A  N  N  .  8 
avantages;  ck  s'étant  enfin  déter-  .  165©. 
miné  à  attaquer  le  premier ,  il  parla 
le  vallon  :  il  s'avança  dans  la  plaine 
de  Blanc-Champ  avec  (on  armée, 
ou  plutôt  avec  ce  petit  corps  de 
troupes  qui  lui  tenoit  lieu  d'armée, 
&  qui  étoit  compofé  d'Allemands  , 
de  Lorrains  &  de  François.  Il  n'a- 
voit  que  huit  mille  hommes  en  tout, 
&  ils  furent  bientôt  rangés  en  ba- 
taille. Il  mit  les  Allemands  à  l'aîle 
droite ,  avec  îe  Sieur  de  Lavau  pour 
les  commander  ;  les  Lorrains  à 
'aile  gauche  avec  leurs  Officiers  ; 
Se  les  François  au  centre  de  ces 
deux  ailes. 

D'autre  côté  ,   le  Maréchal  dit    Dîfpofïcïon 
Plefîls  avoit  auffi.  rangé  fon  armée ,  <*e  f^*   j* 

r        •     r  '  r\     Maréchal    du 

quoique  toute  ion  intantene  ne  fut  pieffis  -  praf- 
pas  encore  arrivée.  Il  avoit  donné  Iin« 
le  commandement  de  fon  aile  droi- 
te au  Marquis  de  Villequier,  &:  ce- 
lui de  l'aile  gauche  au  Marquis 
d'Hocquincourt  ,  tous  deux  Lieu- 
tenans  Généraux  :  &c  il  s'étoit  mis 
au  milieu  de  la  première  ligne  ,  à 
la  tête  du  corps  de  bataille.  Il 
H  iij 


174  Histoire  du  Vicomte 
avoit  avec  lui  les  vieux  régimens 

A  n.n  e  E  .  .  .  r        -    r 

lé^o.      Allemands,  qui  avoient  lervi  ious 

le  Vicomte  de  Turenne  ;  &  fon 

armée  étoit  de  quinze  à  feize  mille 

hommes. 

Turenne  eft      Les  chofes  étant  dans  cette  dif- 

defait  a  Rhe-        ^  •  1  1  > 

&1  polition ,  les   deux   armées  com- 

mencèrent à  s'approcher  fort  près 
l'une  de  l'autre.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne, à  la  tête  de  fon  aile  gauche, 
chargea  l'aile  droite  du  Maréchal 
du  Plefïis  :  &  de  cette  première 
charge,  furent  tués  de  notre  côté 
le  fils  aîné  du  Maréchal  du  Pleffis 
&  le  Prince  Palatin,  du  côté  des 
Efpagnols*  Il  eft  vrai  que  le  Vi- 
comte de  Turenne  enfonça  l'aile 
droite  du  Maréchal  du  Pleflis  ;  mais 
il  lui  fallut  faire  pour  cela ,  de  fi 
grands  efforts,  que  fesefcadrons  ne 
fe  trouvèrent  guère  moins  rompus 
que  les  nôtres  :  de  forte  qu'ayant 
été  obligé  de  reculer  pour  fe  re- 
mettre en  ordre ,  le  Maréchal  du 
Plefïis  eut  aufli  letemsde  fe  rallier: 
&:  la  contenance  avec  laquelle  il 
fe  préparoit  à  foutenir  un  fécond 
choc  j  faifant  juger  au  Vicomte  de 


DE  TuRENNE.Liv./77.    175 


)^ 


Turenne,  qu'il  ne  trouvèrent  pasA 
moins  de  réfiftance  qu'au  premier,       j*$o 
il  fit  mettre   les   deux  lignes  de 
L'aile  où  il  étoit,  en  une  feule;  & 
lyant  fondu  fur  nous  avec  encore 
dIus  de  vigueur  que  la  première  fois 
qu'il  nous  avoit  chargés,  il  rom- 
pit entièrement  nos  efeadrons ,  &C 
e   rendit  maître  de  notre  canon, 
Vlais  il  n'en  alloit  pas  de  même 
1  fon  aile  droite.    Le  Sieur  de  La- 
fau  qui  la  commandoit ,  eut  bien 
imelqu'avantage  à  la  première  char- 
ge furie  Marquis  d'Hocquincourt, 
jui  commandoit  la  gauche  de  notre 
irmée;  mais  à  la  féconde  charge  , 
ryant  été  fait   prifonnier  ,  &  les 
allemands  qui  étoient  de  ce  côté- 
à ,  ayant  pris  la  fuite  ,  le  Marquis 
l'Hocquincourt  détacha   un  Offi- 
cier Général  avec  quelques  efea- 
Irons  après  eux  pour  les  pourfui- 
/re  ;  &  ayant  mené  le  refte  de  fon 
lîle  viclorieufe  au  fecours  du  Ma- 
réchal  du  Pleffis ,  nous   chargeâ- 
mes à  notre  tour  le  Vicomte  de 
Iurenne   avec    beaucoup   de  vi- 
gueur :  &  ce  fut-là  que  le  fort  de 
H  iv 


_  276  Histoire  du  Vicomte 


^nnée  la  bataille  étant  tombé ,  on  com- 
l6î°-  battit  avec  tout  l'acharnement 
qu'on  voit  dans  les  combats  les 
plus  opiniâtres  6c  les  plus  fan- 
glans.  Les  efcadrons  de  l'un  6c  de 
l'autre  parti  furent  plufieurs  fois 
rompus  ,  6c  fe  rallièrent  autant  de 
fois ,  6c  revinrent  toujours  à  la 
charge.  Le  Vicomte  de  Turenne 
fit  un  ravage  effroyable  dans  no- 
tre armée  avec  fon  canon  char- 
gé à  cartouches  à  la  tête  de  fon 
bataillon.  Mais  le  Maréchal  du 
Pleflis  ,  qui  avoit  là  l'élite  de 
fes  deux  ailes,  ayant  encore  joint 
fa  féconde  ligne  à  la  première  , 
tomba  d'abord  très-rudement  fur 
le  Vicomte  de  Turenne ,  6c  éten- 
dant enfuite  fa  droite  6c  fa  gauche 
autour  de  ce  Général,  l'enveloppa 
d'une  ii  grande  multitude  de  trou- 
pes ,  qu'il  fe  trouva  avec  le  feul  la 
Berge ,  fon  Capitaine  des  Gardes, 
au  milieu  de  notre  camp.  Huit 
cavaliers  qui  le  reconnurent  vou- 
lurent fe  faifir  de  lui  ;  mais  en 
ayant  mis  quelques-uns  hors  de 
combat,  il  fe  débarraffa  fort  vi- 


DE  TU  RENNE.  Llv.  III.  I77  _____ 
goureufement  du  refte.  A  peine  A  N  N  i  g 
étoit-il  fauve  de  ce  danger,  qu'il  i6$o. 
fut  arrêté  par  quelques  autres  de 
nos  foldats ,  qui  l'ayant  vu  aux 
prifes  avec  les  huit  cavaliers  ,  ju- 
gèrent qu'il  devoit  être  de  l'armée 
ennemie;  mais  la  Berge  leur  ayant 
ait  qu'ils  étoient  de  l'armée  de 
France ,  &  que  ces  huit  cavaliers 
Soient  des  Allemands  ,  qui  ne  les 
ivoient  voulu  tirerque  parce  qu'ils 
îe  les  connoiflbient  point ,  ils  laif- 
erent  aller  le  Vicomte  de  Turen- 
îe,  qui  n'auroit  jamais  pu  leur 
échapper  s'il  eût  été  obligé  d'en 
fenir  une  féconde  fois  aux  mains  ; 
:ar  fon  cheval  étoit  bleffé  de  cinq 
:oups.  Il  marcha  encore  long-tems 
tu  petit  pas,  &  rencontra  enfin 
in  Officier  de  fes  troupes  qui  lui 
)rêta  un  cheval  ,  avec  lequel  il 
irriva  à  l'endroit  où  il  a  voit  rangé 
on  armée  en  bataille.  Les  deux 
ignés  avoient  été  entièrement 
•ompues  :  la  cavalerie  Lorraine  & 
allemande  étoit  en  fuite  ^  fon 
irtillerie  avoit  été  prife  ,  6c  Dont 
'Siftevan  de  Gamarre  qui  la  com- 
Hy 


__         178  Histoire  du  Vicomte 
Jr~N  t  E  mandoit  fait  prifonnier  ;  toute  foi* 
16 50.      infanterie  avoit  j  etté  les  armes  bas  y 
excepté  le  feul  régiment   de  Tu- 
renne  qui  s'étoit  fait  hacher  en  pie-* 
ces,  de  forte  qu'il  fi'eut  pas  d'autre 
parti  à  prendre  que  celui  de  rame- 
ner les  débris  de  fon  armée. 
ïl  fe  retire      II  donna  ordre  qu'on  menât  dans. 
dans  le  Lu-  \e  Diidié  de  Luxembourg  ce  qu'on 

acembourg.  .     r  »         1 

en  pourroit  iauver.  Comme  il  ne 
reftoit  pas  encore  une  heure  de 
jour ,  Û.  que  les  troupes  du  Ma- 
réchal du  Pleffis  étoient  extrême- 
ment fatiguées ,  le  Vicomte  de 
Turenne  fut  foiblement  pourfuivi 
dans  fa  retraite  ;  &  n'ayant  perdu 
en  tout  que  la  moitié  de  fon  armée , 
il  retrouva  encore  quatre  mille  hom- 
mes qu'on  lui  ramena  à  Mont- 
medy ,  ville  du  Luxembourg,  où  il 
fe  rendit  le  lendemain  du  combat. 
II  fe  retira  dans  cette  Place  plu- 
tôt qu'à  Stenay  dont  il  étoit  le  maî- 
tre ,  afin  qu'on  ne  s'imaginât  pas 
qu'il  voulût  abandonner  les  Efpa- 
gnols  par  la  mauvaife  opinion  qu'il 
pouvoit  avoir  du  parti  depuis  la 
perte  de  la  bataille  >  ce  que  TAr- 


DE  TURENNE.  Liv.IIL    ÎJÇ 


hiduc  Léopold  ayant  appris  ,  il  a  n  n  é  g 
ui  en  fut  fi  bon  gré  ,  qu'il  lui  en-      l6î°» 
oya  un  pouvoir  pour  nommer  à 
Qutes  les  charges  qui  vaquoient 
>ar  la  mort   des    Officiers    qui 
voient  été  tués  dans  le  combat, 
£pour  donner  aux  troupes  qui  lui 
eftoient  des  quartiers  en  tel  en- 
iroit  des  terres  du  Roi  d'Efpagne 
[u'il  voudroit.  Il  lui  envoya  même, 
>eu  de  tems  après ,  cent  mille  écus 
ur  la  fomme  qu'il  lui  avoit  promi- 
e  par  le  traité  fait  entr'eux.  Mais 
e  Vicomte  de  Turenne  ayant  re- 
u  alors  des  lettres  par  lefquelles 
>n  lui  mandoit    qu'on  travailloit 
ortement  à  la  liberté  des  Princes  , 
l  renvoya  les  cent  mille  écus  ,  ne 
:royantpas  pouvoir  ,  avec  juftice, 
>rendre  l'argent   des   Efpagnols , 
lans  un  tems  où  il   eftimoit  que 
on  engagement  avec    eux    alloit 
inir.  En  effet ,  le  Cardinal  Maza- 
in  en  avoit  agi  avec  tant  de  hau- 
teur depuis  la  victoire  de  Rhetel, 
que  fa  fierté  avoit  réveillé  la  haine 
publique ,  de  manière  que  la  Reine 
voyant  tout  le  monde  réuni  contre 
Kvj 


180  Histoire  du  Vicomte 

A  n  k  é  e  lui  •>  fut  enfin  obligée  à  le  faire  for- 

rff**     tir  du  Royaume  ,  &c  à  remettre  les 

Princes  en  liberté. 

iifahfapaîx      Turenne     ayant    appris    cette 

;rciaLritTe  nouvelle  à  la  Roche  en    Ardenne 

es  )  ex  quitte 

lesEfpagnols.  où  il  étoit,  fe  retira  à  Stenay ,  d'où 
il   écrivit  à  l'Archiduc    Léopold  ; 
pour  l'affurer  qu'il  ne  fortiroit  poinl 
de  cette  Place  qu'il  n'eût  exécuté  \ 
ce  à  quoi  il  s'étoit  engagé  par  le 

|:e  ï^révrier.  traité  qu'il  avoit  fait  avec  les  Ef-J 
pagnols  ;  à  favoir ,  de  ne  point  met'  i 
tre  les  armes  bas  que  la  France  ntûi  \ 
offert  à    F Ef pagne   des  articles    dt  I 
paix  jufles&  raifonnables.  Il  écrivil  \ 
aum*  en  même-tems  au  Prince  (te  1 
Condé ,  pour  le  prier  de  faire  en-  i 
forte  que  la  Cour  envoyât  inceflam-  i 
ment  uneperfonne  de  confidératior  j 
à  Stenay ,  avec  ordre  d'y  travailler 
à  la  paix ,  lui  repréfentant  que  fans 
çâa  il  ne  pouvoit  fe  retirer  hon- 
nêtement d'avec  les  Efpagnols.  Le  \ 
Prince  de  Condé   ayant    follicité 
fortement  cette  afraire ,   la  Reine 
Régente  envoya  à  Stenay  le  Sieur  de 
Croiffy,  Confeiller  du  Parlement, 
&  le  Sieur  Friquet  y  étant  auflîyft; 


N    N    E   E 


DE  TlJRENNE.  LiV.  III.   l8l 

u  de  la  part  de  l'Archiduc  Léo- 
>old,  le  Vicomte  de Turenne  prefta  l^u 
i  fort  la  négociation,  que  la  France 
bffrit  d'abandonner  la  Catalogne  , 
jle  ne  fe  plus  mêler  des  affaires  du 
|loi  de  Portugal  ,  6c  d'envoyer 
jiir  la  frontière  le  Duc  d'Orléans, 
ivec  un  plein  pouvoir  de  conclure 
a  paix,  fi  les  Efpagnols  y  vou- 
I  oient  aufîi  envoyer  l'Archiduc  avec 
le  même  pouvoir.  Mais  le  Roi 
jl'Efpagne  refufa  de  le  faire  ;  &le 
/icomte  de  Turenne  l'ayant  en 
j'ain  follicité  pendant  deux  mois 
>our  cela,  il  fe  crut  fuffifamment 
:  légagé  d'avec  les  Efpagnols  ,  de 
ibrte  qu'après  les  avoir  remerciés 
ivec  toute  la  reconnoifTance  pofli- 
)le  de  l'afîiftance  qu'ils  lui  avoient 
lonnée  ,  &  des  manières  honnêtes 
rvec  lesquelles  ils  en  avoient  tou- 
ours  ufé  envers  lui ,  il  partit  pour 
Paris  ;  ÔC  ayant  appris  en  chemin  que 
:es  Princes  &:  plufieurs  Grands  du 
Royaume  vouloient  venir  au  de- 
vant de  lui ,  il  prit  fi  bien  fes  mefu- 
ires ,  qu'il  arriva  un  jour  plutôt  qu'on 
KLelattendoit;  pour  ne  pas  recevoir  Le  m.  M».- 


181  Histoire  du  Vicomte 


Année  des  honneurs  d'un  fi  grand  éclat  à  la 
l6)1'  vue  de  toute  la  Cour ,  eftimant  que 
ç'auroit  été  infulter  en  quelque  ma-, 
ni  ère  à  la  foibleffe  du  Prince ,  forcé , 
aie  bien  recevoir  au  retour  d'une, 
guerre  où  il  venoitde  porter  les  ar- 
mes contre  lui ,  que  d'entrer  d'une, 
manière  d  brillante  dans  la  capitale! 
de  fes  Etats  ;  &  que  la  Ma j  efté  royale , 
fi  fort  humiliée,  exigeoit  au  moins \ 
la  bienféance  d'un  air  modefte  dans  j 
des  fujets  qui  triomphoient  fi  vifi- 1 
blement  du  Souverain.  Si-tôt  que  : 
le  Prince  de  Condé  fut  qu'il  étoit  j 
arrivé,  il  l'alla  voir  :  le  mena  aui 
Louvre  ;  il  l'anima  à  former  des| 
vues  pour  les  plus  grands  établiffe-1 
mens  qui  fufîent  dans  le  Royaume  3 1 
lui  proteilant  qu'il  s'emploieroit  i 
avec  chaleur  pour  les  lui  faire  ob- 1 
tenir  r  &:  il  1  affura  que  {i  jamais , 
Foccafion  s'en  préfentoit ,  il  lui  ren- , 
droit  le  même  fervice  qu'il  venoit 
de  recevoir  de  lui.  Le  Vicomte 
de  Turenne  répondit  à  ces  honnê- 
tetés comme  il  le  devoit  ;  &  fans 
vouloir  tirer  aucun  avantage  du  cré- 
dit de  ce  Prince  pour  fon  utilité 


DE  TU  RENNE.  Liv.  IlL   l8| 

irticuliere ,  il  le  pria  feulement  de  a  h  n  l  3 
ire  enforte  que  les  troupes  qui      l65*» 
înoient  de  travailler  avec  tant  d'ar- 
mrpour  fa  liberté,  euflent  de  bons 
lartiers  d'hiver. 

Peu  de  tems  après  le  Prince  **  obtîe*£ 
î  Condé  fe  plaignant  de  ce  que  Sedan?Se 
îfprit  du  Cardinal  Mazarin  ré- 
îoit  toujours  dans  le  Confeil ,  mal- 
é  Ton  éloignement,  rompit  ouver- 
ment  avec  la  Cour ,  &  fit  tout  ce 
i'il  put  pour  engager  le  Vicomte  Le*  Juillet 
ï  Turenne  dans  fes  intérêts,  of- 
int  de  lui  donner  Stenay ,  &  pro- 
ettant  de  faire  rétablir  le  Duc  de 
)uillon  dans  fa  Souveraineté  de 
:dan.  Mais  la  Reine  ,  qui  avoit 
icore  la  même  autorité  pour  le 
ouvernement^  quoique  le  Roi 
it  été  déclaré  majeur  y  voulant 
ifîi  de  f  on  côté  gagner  le  Vicomte 
!  Turenne ,  fit  pafter  au  Parlement 
ichange  de  Sedan ,  &  par-là  donna 

dernière  main  à  la  confomma- 
on  de  cette  grande  affaire  ;  de 
•rte  que  le  Prince  de  Condé  Jetant 
lé  dans  fon  Gouvernement  de 
uienixe  pour  fe  préparer  à   la 


i?4  Histoire  du  Vicomte 

Année  guerre  ;  &  la  Reine  ayant  mem 

lH^     le  Roi  à  Poitiers,  pour  être  plus; 

portée  d'obferver  les  démarches  di 

Prince  de  Condé  ,  le  Vicomte  d< 

Turenne  ,  qui  n'avoit  plus  aucur 

lieu  de  fe  plaindre  de  la  Cour,  parti 

de  Paris  ,  &  alla  offrir  fes  fervice 

à  la  Reine. 

il  accepte      Comme  le  Maréchal  d'Hocquin 

îe  comman-  court  avoit  déjà  été  mis  à  la  têt 

Hoceqnuina-veC  de  ^mée  ,    la  Reine  fit  deman 

co«t.         der  au  Vicomte  de  Turenne  ,  s'i 

voudroit  bien  la  commander  con 

jointement  avec  ce  Maréchal.  Oi 

doutoit  que  le  Vicomte  deTurenn 

voulût  s'accommoder  de  cette  aiTo 

dation  r  mais  ce  Prince  ,  entran 

dans  la  néceiTité  où  la  Cour  étoi 

alors  de  ménager  toutes  les  perfon 

nés  de  fervice,  ne  voulut  pas  qu'or  j 

dégoûtât  un  homme  de  ce  mérite- 1 

là  ,  en  le  dépouillant  tout-à-fait  di  y 

commandement ,  &  fe  contenta  di 

le  partager  avec  lui. 

L'fpartîdu      Cependant  le  Prince  de  Con- 

Ptince  de    dé  fortifioit  de  jour  en  jour  fon 

g^fefor" parti;  &  la  Reine  ayant  fu  qu'il 

avoit  fait  un  Traité  avec  les-Efpa-1 


N    N    E    » 


"DE  TURENNE.  Liv.  III.    I S Ç 

,ols,  rappeila  auprès  d'elle  le  Can- 
nai Mazarin  pour  fe  fervir  de  fes  **! 
•nfeils ,  ÔC  lui  redonna  ladminif- 
ition  générale  des  affaires.  Le 
tablirTement  de  ce  Miniftre  irrita 
telle  forte  le  Parlement  de  Paris, 
t'il  mit  fa  tête  à  prix  ,  &  que  le 
uc  d'Orléans  fe  déclara  pour  le 
ince  de  Condé ,  dans  le  parti  du- 
lel  entrèrent  le  Prince  de  Tarente , 
;  Ducs  de  Beaufort ,  de  Nemours 
de  Rohan ,  les  Comtes  de  Tava- 
s  &  de  Marfm ,  &  plufieurs  autres 
rfonnes  confidérables  ,  qui  ayant 
vé  des  troupes  chacun  de  leur  cô- 
,  trouvèrent  moyen  de  faire  une 
mée  de  quatorze  à  quinze  mille 
>mmes ,  qu'ils  menèrent  aux  envi- 
ns  de  Montargis. 

Le  Prince  de  Condé  ayant  ap-  &  il  joîntfe 
is  cette  agréable  nouvelle ,  partit Pamfans> 
iîi-tôt  de  Guienne  ,  pour  venir 
mdre  cette  armée  ,  avec  laquelle 
fe  promettoit  de  défaire  aifément 
lie  du  Roi ,  qui  étoit  fort  infé- 
eure. 

Le  Roi  avoit  alors  quitté  Poi- Tu  renne  raa^ 
îrs ,  pour  fe  rendre  à  Saumur ve    er£eai** 


186  Histoire  du  Vicomte 
dans  l'Anjou;  &  le  Cardinal  Maza 
rin  ayant  jugé  à  propos  de  mené 
la  Cour  le  plus  près  qu'il  fe  poui 
roit  de  Paris ,  pour  maintenir  dar. 
le  devoir  cette  grande  ville  qui  dor 
ne  ordinairement  le  branle  au  reft 
du  Royaume  ,  il  fut  réfolu  qu'o  : 
marcheroit  ,  de    Saumur  où   l'o 
étoit ,  jufqu'à  Gien  en  remontant  1  j 
Loire ,  pour  s'afïurer  des  villes  qi  j 
font  fituées  fur  cette  rivière.  Tour*  j 
Amboife  ,  Blois  &  toutes  les  autr<  j 
Places  donnèrent  au  Roi  des  ma 
ques  de  leur  obéhTance  ;  &  il  n' 
eut  que  la  feule  ville  d'Orléans  qi 
lui  ferma  fes  portes,  à  la  follicifci 
tion  de  Mademoifelle ,  fille  du  Di  | 
d'Orléans  >  qui  l'y  avoit  envoyé 
exprès  pour  cela*  Comme  on  appr< 
choit  fort  des  quartiers  de  l'armé 
ennemie ,  le  Vicomte  de  Turenn  i 
fut   chargé  du  foin  de  couvrir  1 
marche  de  la  Cour ,  &  de  veille 
à  fa  fureté*  Aufli-tôt  qu'il  eut  reç 
cet  ordre ,  il  partit  avec  feulemer 
vingt  ou  vingt-cinq  perfonnes  pou 
aller  reconnoître  l'état  de  Gergeau 
petite  ville  entre  Orléans  ck  Gien 


DE  TURENNE.  LivJlL   187 


le  pont  de  laquelle  les  ennemis  A  n  n 
roient  pu  parler  la  Loire  ,  &  fur-  l6^- 
fjendre  la  Cour  dans  fa  marche» 
(j;  pont  avoit  deux  portes  ,  Tune 
I a  droite  de  la  rivière  du  côté  où 
S)it  l'armée  ennemie  ,  &  l'autre 
sj  côté  de  la  ville ,  fous  les  murail- 

de  laquelle  la  Cour  devoit  paf- 

;  &  il  y  avoit  un  petit  pant-levis 
vant  cette  porte.  Les  ennemis 
i  voyoient  l'importance  des  fui- 

que  pouvoit  avoir  pour  eux  la 
fe  de  ce  paffage  ,  y  avoient  en- 
yé  le  Baron  de  Sirot ,  Lieutenant 
:néral ,  avec  un  corps  de  troupes  y 
ur  s'en  rendre  le  maître  ;  &  lorf- 
e  le  Vicomte  de  Turenne  y  ar- 
a  ,  il  entendit  un  grand  bruit  du 
ion  &  de  la  moufqueterie    des 
aemis  qui  avoient  déjà  forcé  la 
rte  qui  étoit  au-delà  de  la  ri- 
re ,  &c  caffé  les  chaînes  du  pont- 
ris  ,  &  qui  n'avoient  plus  que 
porte  de  la  ville    à   enfoncer 
ur   entrer  dedans.    Le   Vicom- 
de  Turenne ,  voyant  que  tout 
3Ît  perdu  ,   fi  les  ennemis    ve- 
•ient  à  bout  de  leur  entreprife  9. 


i88  Histoire  du  Vicomte 

Année  &  réfolu  de  périr  s'il  le  falloit 
l6îl>  pour  fativer  le  Roi  d'un  danger 
éminent ,  envoya  ordre  à  quelqu( 
régimens  qui  étoient  à  deux  lieu< 
de  là  ,  de  venir  en  diligence  :  ilo 
donna  aux  ibldats  de  la  garnifon  c 
la  ville  ,  qui  n'avoient  ni  balles 
ni  poudre ,  de  fe  faire  voir  fur  1» 
remparts  avec  leurs  moufquets: 
fit  en  même-tems  ouvrir  la  por 
du  pont ,  il  mit  pied  à  terre  avi 
le  '  peu  de  gens  qu'il  avoit  ;  &C 
tournant  vers  le  rempart  de  defli 
le  pont-levis  .>  il  cria  de  toute  fa  fo 
ce  aux  foldats  ,  qu'il  leur  défei 
doit  de  tirer  fans  {on  ordre  ,  fi 
peine  de  la  vie  ;  afin  que  les  ei 
nemis  l'entendant  ,  cruffent  qu'i 
avoient  de  quoi  tirer.  Après  cela 
ayant  ordonné  qu'on  fît  une  ban 
cade  la  plus  forte  qu'on  pourro 
devant  le  pont-levis  ,  il  s'avanç 
jufqu'au  milieu  du  pont  pour  coi 
vrir  ce  travail ,  s'abandonnant  à  toi 
le  feu  des  ennemis  ,  qui  lui  tuerer 
dix  à  douze  de  (es  domeftiques 
les  côtés  ,  &C  blefferent  prefqu 
tous  les  autres  :  &;  la  barricad 


ïe  TurennlI/vJ//.  189 

ant  été  achevée  ,  il  fe  mit  der-  "ÂTTTe 

?re  en  attendant  fes  troupes.  Le      i6^« 

iron  de  Sirot  fît  en  vain  tout  ce 

l'il  put  pour  forcer  cette  barrica- 

\ ,  pendant  que  ies  gens  travail- 

ient  à  un  logement  vers  le  milieu 

1  pont.  Le  Vicomte  de  Turenne  la 

fendit  durant  trois  heures  entie- 

s ,  au  bout  defquelles  le  fecours 

l'il  avoit  envoyé  chercher  étant 

•nu  ,  il  défit  lui-même  la  barrica- 

; ,  il  chargea  i'épée  à  la  main  les 

xipes  du  Baron  de  Sirot ,  il  les 

affa   du  logement  où   elles    s'é- 

ient  établies,  il  les  pouffa  au-de- 

de  la  rivière  dans  une  féconde 
arge  où  le  Baron  de  Sirot  fut 
é  :  il  rompit  le  pont  ;  &C  ayant 
é  par-là  aux  ennemis  toute  efpé- 
nce  de  parler ,  il  alla  rejoindre 

Cour  ,  en  préfence  de  laquelle 

Reine  dit  tout  haut  .  qu'il  ve- 
nt de  fauver  l'Etat.  En  effet  , 
mais  le  Roi  n'avoit  couru  un  fi 
and  danger  ;  &c  la  fureté  de  fa 
srfonne  &  de  tout  l'Etat  dépen- 
dit tellement  du  fuccès  de  cette 
Faire  ,  que  fi  les  ennemis  euffent 


190  Histoire  du  Vicomte 
Année  emporté  Gergeau,  ils  auroient  e! 
1*5 1.      levé  toute  la  Cour  fans  aucun  ol 
tacle. 
11  fait  tête      Gergeau  ayant  été  ainfi  fauve' 

Q>n?dtCe  dele  Roi  marcha  à  Gien,  &  l'an» 
y  ayant  pafTé  ia  Loire ,  le  Vicom 
de  Turenne  &  le  Maréchal  d'Hc 
quincourt ,  qui  commandoient  cr 
cun  la  moitié  des  troupes  ,   ail 
rent  fe  pofter,  le  premier  à  Bri! 
re  &c  le  fécond  à  Blefneau ,  av 
Le  *       1#  l'infanterie  ;  &  répandirent  la  cl 
valerie  en  divers  quartiers  aux  en 
rons  ,  afin  qu'elle  pût  fubfiïter  pi  ! 
commodément  pour  les  fouragej 
n'y  ayant  point  encore  d'herbe  i  ] 
la  terre.  Le  lendemain  le  Vicoi  J 
te  de  Turenne  ,  étant  allé  dîner  I 
Blefneau  avec  le  Maréchal  d'Hc] 
quincourt,  &  ayant  vu  par  occl 
fion    la  difpofition    de    les   que] 
tiers  qui  étoient  extrêmement  <fl 
gnés  les  uns  des  autres,  il  lui  di 
»  qu'il  ne  pouvoit  s'empêcher  il 
»  lui  témoigner  qu'il  le  trouve  :i 
»  bien  expofé  ,  &  qu'il  lui  co 
»  feilloit  de  refTerrer  fes  quartiei  \ 
w  A  quoi  le  Maréchal  d'Hocqui 


1>Z  TURENNE,  Liv.  III.  191 
uirt  répondit  ,  »  qu'il  n'y  avoit  A  „  N 
rien  à  craindre  ,  &  qu'en  fai-  16^ 
fant  une  bonne  garde ,  on  remé- 
dieroit  à  tout  «.  Le  Vicomte  de 
irenne  ,  n'ayant  répliqué  rien  au- 
;  chofe  ,  linon  »  qu'il  ne  préfu- 
moit  pas  affez  de  lui-même ,  pour 
prétendre  lui  donner  des  avis», 
>'en  retourna  à  ion  porte  de  Bria- 
;  &£  la  nuit  fuivante  on  lui  vint 
*e  que  le  Prince  de  Condé  ,  qui 
)it  alors  à  la  tête  de  l'armée  en- 
mie  ,  ayant  forcé  la  garde  avancée 

Maréchal  d'Hocquincourt,  avoit 
nétré  jufqu'aux  quaniers  qui  en 
)ient  les  plus  éloignés.  A  cette 
uvelle ,  le  Vicomte  de  Turenne, 
enant  l'infanterie  qu'il  avoit  au- 
ès  de  lui ,  réfolut  d'aller  promp- 
nent  au  fecours  du  Maréchal 
locquincourt  ,  quelque  danger 
'il  y  eût  pour  lui  à  fe  mettre  en 
irche  fans  fa  cavalerie  ,  à  qui  il 
voya  ordre  de  le  venir  joindre  en 
:  igence  à  Ouzouer  ,  entre  Blef- 
|  au  &  Gien  ,  où  il  falloit  nécef- 
rement  qu'il  allât  fe  porter ,  afin 

mettre  la  Cour  hors  d'infulte: 


£    £ 


j 192  Histoire  du  Vicomte 

à  N  N  é  E  malheureufementpourlui,ilnepi 
a^jz.      trouver  aucun  guide  ;  de  maniei 
que  la  nuit  étant  très  -  obfcure , 
devoit  craindre  de  donner  à  toi 
momens  dans  les  troupes  du  Prin< 
de    Condé.    Il  falloit    donc    qu 
s'arrêtât  prefque  à  chaque  pas  po 
écouter  les  tambours  &  les  tir 
baies  1  ôc  voir  fi  nous  ne  nous  a 
prochions  point  trop  des  ennem 
Ayant  marché  dans  ces   inquiet1 
des  durant  toute  la  nuit,  enfin 
fe  trouva  à  la  pointe  du  jour  da 
une  fort  grande  campagne  où 
cavalerie  Tétant  venue  joindre , 
-      vit  deux  ou  trois  des  quartiers 
Maréchal  d'Hocquincourt  en  fei 
&C  il  apprit  que  le  Prince  de  Con 
en  a  voit  enlevé  cinq  de  fuite ,  pi 
tous  les  bagages  ,  forcé  l'infant 
rie  à  fe  renfermer  dans  Blefnea 
&  pouffé  la  cavalerie  trois  ou  qi 
tre  lieues  vers  la  Bourgogne, 
nouvelle  de  cette  défaite  répan 
l'alarme   dans  la  ville  de  Gien , 
jetta  la  Cour  dans  la  dernière  co 
ternation.  On  crut  que  le  Roi  ' 
loit  être  enlevé  par  le  Prince 

Cond< 


BE  TURENNE.  Liv.  III.    19} 
londé  :  on  ne  favoit  où  le  fauver ,  A         "** 

7    Année 

1  le  Confeil  auquel  affilia  le  Ma-      kj;*, 
îchal  du  Pleffis-Praflin  ,  délibéra 

ir  la  proportion  qui  fut  faite ,  de  le 
tener  promptement  à  Bourges ,  &C 
e  rompre  le  pont  de  Gien  dès 
u'il  auroit  paffé  la  Loire.  Cepen- 
int  le  Vicomte  de  Turenne ,  ju- 
rant qu'il  auroit  bientôt  le  Prince 

2  Condé  fur  les  bras ,  cherchoit 
lelque  porte  avantageux  où  il  pût 
rrêter  feulement  pendant  un  jour  , 
>ur  donner  le  tems  au  Maréchal 
Kocquincourt  de  raffembler  les 
xipes  diffipées.  Tous  les  Officiers 
énéraux  ,  au  contraire  ,  étoient 
ivis  qu'au  lieu  d'attendre  avec 
s  forces  fi  inégales  l'armée  vie- 
rieufe ,  il  falloit  retourner  vers 
en  pour  mettre  la  perfonne  du 

I  )i  en  fureté  ,  foutenant  que  c'é- 
|  .t  le  feul  parti  qu'il  y  eût  à  pren- 
l  *  dans  cette  extrémité.  Mais  le 
H  comte  de  Turenne  perfiflant  dans 
f  1  deffein  ,  marchoit  toujours  en 
a  ant.  Fortement  occupé  du  foin  de 
p  urvoir  à  un  fi  grand  danger ,  iln'é- 
Éjutoit  perfonne  :  ainfi  fans  rien 

I 


194    Histoire  du  Vicomte 

^  n  n  é  e  répondre  ,  il  donnoit  fes  ordres ,  & 
'ffi.      fe  hâtant  de  gagner  un  endroit  qu'i 
avoit  remarqué  la  veille  en  rêve 
nant    du    quartier    du    Marécha 
d'Hocquincourt ,  &  qu'il  croyoi 
tout-à-fait  propre  pour  exécuter  c 
qu'il  avoit  envie  de  faire,  il  preffo 
les  troupes ,  qui    alloient   déjà 
grands  pas ,  de  hâter  encore  lei  j 
marche.  Tellement  qu'étant  arrivé 
ce  pofte  qu'il  cherchoit ,  il  réfol 
d'y  attendre  les  ennemis.  La  Berg- 
Ion  Capitaine  des  Gardes  ,  lui  vi 
dire  là ,  que  chacun  murmuroit, 
[u'on  croyoit  qu'il  alloit  tout  pe 
Ire ,  s'il  ne  retournoit  au  plutôt  à 
perfonne  du  Roi  pour  le  lauver. 1 
Vicomte  de  Turenne ,  plus  atten 
alors  à  ce  qu'on  lui  difoit ,  par 
plaifir  qu'il  avoit  d'avoir  heureul 
ment  trouvé  un  endroit  fi  favoi 
ble  ,  qu'il  n'avoit  remarqué  le  je 
précédent  qu'en  paffant ,  répond: 
la  Berge ,  qu'on  propofoit  là  u 
plaifante  reflburce  ;  lui  demanda 
fi  après  ce  qui  venoit  de  fe  parle 
Orléans ,  où  l'on  avoit  fermé 
portes  au  Roi,  dont  l'armée  n'avi 


7 


DE  TURENNE.  LiV.  III.    Itf    

icore  reçu  aucun  échec ,  on  pou-  A  N  N  i 

Dit  le  flatter  qu'aucune  Ville  vou-      1651. 

t  le  recevoir ,  lorfqu'il  fe  préfen- 

roit  vaincu  &  fugitif  ?   Il  faut , 

outa-t-il ,  vaincre ,  ou  périr  ici. 

îrfuadé  donc ,  que  les  armes  du 

yi  feroient  entièrement  décrédi- 

is ,  s'il  fuyoit  devant  les  ennemis  , 

fe  difpofoit  à  leur  faire  tête  dans 

e  affez  grande  plaine ,  au  milieu  de 

[uelle  étoient  un  bois  6c  un  ma- 

I  s  qu'il  a  voit  devant  lui  :  le  bois 

>it  fur  fa  droite ,  &  le  marais  fur 

gauche.  Il  y  avoit  entre  l'un  &C 

"itre  une  efpece  de  levée  de  terre 

chauffée  ,  par  laquelle  on  pou- 

t  venir  à  lui ,  &  par  où  il  ne 

ivoit  paffer  que  deux  efcadrons 

front.    Le    Prince    de  Condé 

Bût  quatorze  mille  hommes  ;  ÔC 
il   n'en  avoit    que   trois  mille 
:j  cens.   Néanmoins   ayant  fait 
réflexions  fur  le  fuccès  de  fon 
fein ,  par  rapport  à  la  fituation 
l<  lieux  ,  il  envoya  le  fieur  Per- 
aJ  dire  au  Cardinal  Mazarin ,  que 
eltoi  pouvoit  demeurer  à  Gien  en 
il  rance. 


196    Histoire  du  Vicomte 

a  N  n  s  e       D'autre  part ,  le  Prince  de  Con- 
l6fr-      dé  ,  qui  venoit  de  défaire  le  Mare 

&  Je  trompe  j^^  d'Hocquincourt ,  ne  croyan 
pas  que  le  Vicomte  de  Turenne  osa 
l'attendre  ,  s'avançoit  vers  Giei 
à  deffein  d'y  envelopper  le  Roi  à 
toute  la  Cour  :  6c  il  fut  fort  furpris  1 
lorfqu'étant  arrivé  ou  bout  de  1 
chauffée ,  oppofé  à  celui  où  éto 
le  Vicomte  de  Turrenne,  il  le  vj 
arrêté  là ,  de  manière  qu'il  feirJ 
bloit  vouloir  lui  difputer  le  paff  j 
ge.  Il  eft  certain  ,  qu^  s'il  avoit  e  j 
la  liberté  de  mettre  toute  fon  a  1 
mée  en  bataille  dans  le  même  cl 
té  de  la  plaine  ou  étoit  le  Viconl 
te  de  Turenne  ?  il  l'auroit  taillé  «  1 
pièces  ;  6c  il  eût  pu  paffer  égàll 
nient  par  fa  droite  6c  par  fa  ga  ] 
che ,  en  faifant  le  tour  du  mar;  I 
ou  du  bois  :  mais  le  Vicomte  1 
Turenne  ,  voulant  l'empêcher  c 
faire  réflexion,  6c  l'engager  à  el 
trer  dans  la  plaine  ,  en  pafTant  ptf| 
la  chauffée ,  fans  lui  laiffer  le  tem  >l 
d'examiner  s'il  ne  pouvoit  poi 
aller  d'une  manière  plus  fure  p  'k 
un  autre  endroit,  leva  tout-d'i  I 


deTurenne  Llv.  III.   197    _^ 

oup  fon  camp  ;  &   reprenant  le  a  n  n  ê  e 
iemin  de  Gien,  il  fît  marcher  fes      i6v- 
oupes  avec  la  même  vîtefTe  que 
il  avoit  pris  la  fuite. 

Le  Prince  de  Condé,  perfuadé  pour  rctom- 
u'il  le  fauvoit  à  Gien ,  il  enfila  aufîi-  er-  iur 
>t  la  chauffée  pour  le  pourfui- 
*e.  Le  Vicomte  de  Turenne  ,  de 
n  côté ,  ravi  de  le  voir  donner 
ms  le  piège ,  continuoit  à  fuir  de- 
mt  lui  :  mais  ne  voulant  pas  laif- 
r  parler  plus  de  troupes  qu'il  n'en 
nivoit  battre  ,  il  fit  enfin  tout- 
un  coup  volte-face  ,  6c  marcha 
:pée  à  la  main  aux  ennemis.  Le 
ince  de  Condé ,  qui  vit  bien 
Drs  qu'il  s'étoit  laiffé  furprendré  , 
voya  ordre  à  les  troupes  de  paf- 
r  au  plus  vite  ;  mais  le  Vicomte 

Turenne  ayant  prévu  ce  mou- 
iment ,  avoit  fait  pointer  tout  fon 
|  non  droit  à  la  chauffée ,  fi-bien 
1e  le  canon  emportant  des  files 
itiers  de  ceux  qui  la  repaffoient  , 
le  fut  bientôt  toute  couverte  de 
orts. 

Cependant  la  Cour  étoit   dans 
I  grandes  inquiétudes  touchant  le 

mi 


N    N 


198   Histoire  du  Vicomte 
fuccès  de  cette  journée  ,  quelque 
sji.      chofesquele  Vicomte  de  Turenn 
lui  eût  fait  dire  pour  la  raffurei 
On  envoyoit  des  gens  à  tous  mq 
mens  pour  favoir  des  nouvelles  cl 
ce  qui  fe  pafïbit ,  ôc  être    avert 
affez  à    tems  pour  fe  fauver  :  o 
commençoit  à  détendre  l'appart  ; 
ment  de  la  Reine  ;   les  équipagi  1 
avoient  même  paffé  le  pont,  &c  L ) 
Pionniers  fe  tenoient  tout  prêts'  ) 
le  rompre ,  pour  mettre  la  Loi:  : 
entre  le  Roi  &  les  ennemis ,  loi 
qu'on  apprit  que  le  Prince  de  Co: 
dé  ayant  manqué  fon  coup ,  s'étc 
retiré  avec  fon  armée ,  &  que 
Vicomte   de  Turenne  revenoit  < 
Gien  fans  avoir  perdu  un  feul  hor  i 
me.  Le  Roi ,  le  Cardinal  MazarL  i 
&  toute  la  Cour,  lui  donnèrent  m 
le  marques  de  reconnoiflance  : 
la  Reine  ,  rendant  témoignage  à  <  I 
qui  lui  étoit  dû  pour  un  fi  impc 
tant  fervice  ,  dit  encore  devant  to 
le  monde  y  qiïil  venoit  de  remeti 
une  féconde  fols  la  Couronne  fur 
tête  de  fon   Fils* 


DE   TURENNE  Liv.  III.    199     

Le  Prince  de  Condé  fe  plaignit  TTTTe 
brtdu  malheur  qui  lui  avoit  julle-       ««**• 
lient  fait  trouver  en  fon  chemin  le  Condé ferc^ 
eul  homme  du  monde  qui  le  pou- 
roit  empêcher  de  mettre  fin  à  la 
îuerre  ce  jour  là  ;  &  laiffant  fon  ar- 
lée  fous  les  ordres  du  Comte  de 
Tavannes ,  il  s'en  alla  à  Paris ,  pour 
r  rafïurer  i'es  partifans,  qui  étoient 
ort  ébranlés  de  ces  deux   grands 
oups ,  par  lefquels  le  Vicomte  de 
\irenne  venoit  de  donner  tant  de 
éputation  aux  armes  du  Roi. 

La  Cardinal  Mazarin  fit  faire  une     Gênérofité 
Lelation  de  cette heureufe  journée,  fnve^Hoc- 
ù  reprenant  les  chofes  dès  la  veil-  quincourc. 
; ,  il  commençoit  par  le  confeil 
ue  Le  Vicomte  de  Turenne  avoit 
onné    au    Maréchal    d'Hocquin- 
ourt  de  rapprocher  fes  quartiers  : 
I  mis  le  Vicomte  de  Turenne ,  ayant 
u  cette  Relation  avant  qu'on  l'im- 
j  rimât ,  pria  le  Cardinal  Mazarin 
'ôter  cet  article  ,  lui  reprefentant 
jUe  ce  Maréchal  avoit  déjà  afTez 
e  chagrin  d'avoir  été  battu ,  fans 
augmenter  encore   par   une  cir- 
I  iv 


2ôo    Histoire  du  Vicomte 

A  n  h  é  e  confiance  fi  mortifiante  :  6c  l'arti 
16 jz.       cle  fut  ôté  à  fa  prière  ;  pendant  qui 
le  Maréchal  d'Hocquincourt,  vou 
lant  rejetter  fa  faute  fur  le  Vicomt 
de  Turenne ,  fe  plaignoit  hautemer 
de  ce  qu'il  n'étoit  pas  venu  afiez-tc 
à  fon  fecours ,  &  faifoit  tout  c 
qu'il  pouvoit  pour  lui  imputer  i 
défaite  ;  ce  qui  ayant  été  rapport  j 
au  Vicomte  de  Turenne ,  il  ne  d  j 
autre  chofe ,  finon  »  qu'un  homm 
»  aufïl  affligé  que  l'étoit  ce  Mar»  I 
»  chai,  devoit  avoir  au  moins  la  1  : 
»  berté  de  fe  plaindre.  «  y 
ïisremenent      La  faute  du    Maréchal   d'Hoc 
Gemiàîn"2  *■*  quincourt  ayant  été  fi  glorieufemei 
réparée,  le  Roi  continua  fa  roui 
vers  Paris  ,  le  long  de  la  riviez  j 
d'Yonne.   Le  Comte  de  Tavanmi 
fe  mit  auiTi-tôt  en  campagne ,  poi  j 
Surprendre  la  Cour  en  quelque  ei  '■ 
droit  :  mais  le  Vicomte  de  Turei  : 
ne  &  le  Maréchal  d'Hocquincour 
qui  couvroient  la  marche ,  laiflai 
Montargis  &   l'armée    du   Princ 
de  Condé  fur  leur  gauche  ,  firei 
pafifer  le  Roi  à  Auxerre  &  à  Sen: 
pour  gagner  Melun  \  &c  ne  bornai 


DE  TURENNE.LV.///.    201  

>as  leur   attention   à    garantir    la  A  N  N  t  z 

our  de  toutes  furprifes,  mais  ta-  1*51. 
:hant  encore  de  dérober  une  mar- 
:he  au  Comte  de  Tavannes  pour 
xniper  fon  armée ,  firent  une  tel- 
e  diligence ,  qu'ayant  paffé  la  ri- 
dere  de  Loing  à  Moret ,  &c  traver- 
é  la  Forêt  de  Fontainebleau ,  ils 
rriverent  à  la  Ferté-Alais  avant 
es  ennemis  ;  ils  affluèrent  par-là 
/lelun  &  Corbeil  au  Roi ,  qui  fe 
endit  à  Saint  Germain  en  Laie  : 
£  ayant  de  cette  forte  couvert  fa 
larche  l'efpace  de  près  de  quatre- 
ingt  lieues ,  vinrent  fe  camper  à 
Châtre,  entre  l'armée  du  Prince 
e  Condé  &c  Paris  ;  ôtant  aufli  au 
>omte  de  Tavannes  toute  commu- 
ication  avec  cette  grande  Ville  ,, 
e  laquelle  il  tiroit  fes  recrues ,  Se 
Dûtes  les  autres  choies  dont  il  pou* 
oit  avoir  befoin, 

Le  Comte  de  Tavannes  n'ayant  &  défont  /« 
lus  de  fourages  à  Montargis  ,  &:Rebell'esàE- 

Li'i  if  11»  tamres,  qu'ils 

raignant  les   entreprîtes  de   1  ar-  aiBegenu 
née  du  Roi,  s'il  s'écartoit  dans  la 
rampagne  pour  y  chercher  de  la. 
ubfiftance ,  s'alla   enfermer   avec 
I  y 


loi  Histoire  du  Vicomte 
a  w  h  è  e  ^on  arm^e  ^ans  Etampes ,  où  l'oit 
i<s{u      avoit  retiré  toute  la  récolte  de  la 
BeaufTe  ,  Province  très-fertile  en 
bleds  :  &  quelques  jours  après, 
Mademoifelle  y  étant  venue ,  pour 
s'en  retourner  de  là  à  Paris ,  & 
ayant  envoyé  demander  un  Paffe- 
port  au  Vicomte  de  Turenne  pai 
un  Trompette,  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  le  fît  attendre  jufqu'au  len- 
demain ;  de  forte  que  Mademoi-  s 
felle   fut   obligée  de   refter    deun 
jours  à  Etàmpes.    Le  Vicomte  d( 
Turenne  6c  le  Maréchal  d'Hocquin  l 
court ,  qui  favoient  que  l'armée  di  . 
Comte  de  Tavanes  n'avoit  poin 
été  au  fourage  ces  deux  jours-là 
fe  doutant  bien  qu'elle  iroit  fi-tô  : 
que   Mademoifelle    feroit  partie ,  4 
j&  4  Mai.  marchèrent  toute  la  nuit  avec  leur:  ; 
troupes  vers  Etampes  y  pour  voii  - 
s'ils  ne  pourroient  point  entrepren 
dre  quelque  chofe  contre  l'armée , 
lorfqu'elle  feroit  fon  fourage.  Le: 
premiers  prifonniers ,  qu'ils  firenl 
en  appro  chant,  leur  apprirent  que  k 
Gomte  de  Tavannes  avoit  rangé  fon 
armée  en  bataille  fur  le  chemin 


DE  TURENNE.£*V./77.    XOJ 

par  où  devoitpaffer  Mademoifelle, 
qui  a  voit  fouhaité  de  la  voir  fous  l6î* 
les  armes  ;  curiofité  qui  coûta  cher 
au  Prince  de  Condé  :  car  le  Vi- 
comte de  Turenne  &  le  Maréchal 
d'Hocquincourt  s'avancèrent  avec 
tant  de  diligence ,  que  le  Comte 
de  Ta  vannes  n'eut  pas  le  tems  de 
iàire  rentrer  toute  fon  armée  dans 
a  Ville,  lorfqu'il  les  eut  apperçus; 
i  bien  qu'ils  lui  taillèrent  en  pièces 
ieux  mille  hommes  dans  le  Faux- 
>ourg ,  outre  plufieurs  Officiers ,  du 
îombre  defquels  fut  le  Comte  de 
wftemberg  ;  &  rirent  deux  mille 
ept  cens  prifonniers,  qu'ils  emmê- 
lèrent avec  eux  à  Châtre  r  avec 
out  ce  qui  fut  pris  dans  le  Faux- 
>ourg  ,  qui  fut  pillé»  Trois  jours 
iprès  le  fuccès  de  cette  affaire,  dont 
e  Vicomte  de  Turenne  feul  avoit 
x>nçu  le  deifein  ,.  le  Maréchal 
l'Hocquincourt  étant  allé  dans  for* 
jouvernement  de  Peronne  9  toute 
l'armée  du  Roi  ,  demeura  fous  les 
>rdres  du  Vicomte  de  Turenne.  Ce 
Général ,  alors  maître  d'entrepren- 
Ire  ce  qu'il  jugeroit  à  propos  p 
l  vj 


NEE 


204  Histoire  du  Vicomte 

Année  voyant  que   toutes  les    forces  du 
^j*«      Prince  de  Condé  &  de  fes  Parti- 
fans  ,  en  deçà  de  la  Loire  ,  étoient 
réduites  à   ce  qui  leur   reftoit  de 
troupes  dans  Etampes ,  &  qu'en  les 
difîipant  il  mettoit  fin  à  la  guerre 
U  2?  Mai.  civile,  réfolut  d'aller  afïiéger  cet- 
te Ville ,   ou    plutôt  l'armée  qu: 
étoit  dedans.     Cette    armée  étoiw 
de  fix  mille  hommes  ;  &  il  n'ei 
avoit  que  fept  mille  cinq  ceas.  Ain  j 
fi  totit  le  monde  regarda  ce  fieg<  3 
comme  l'entreprife  la  plus  témé 
raire  :  mais  le  Prince  de  Condé  I 
qui  connoifîbit  mieux  que  perfon  I 
ne  la  capacité  &  la  prudence  du  Vi f 
comte  de  Turenne ,  en  jugea  au . 
trement.    L'armée  qui  étoit   dan  ; 
Etampes,  étoit  tout  ce  qui  lui  ref  I 
toit  de  troupes  ;  il  craignit  que  1<  î 
Vicomte  de  Turenne  n'eût  de  tel:  I 
avantages  au  fiege  de  cette  Place  S 
que  cette  armée  ne  fût  enfin  for- 
cée de  fe  rendre  à  difcrétion ,  au 
quel  cas  il  fe  trouveroit  fans  ref- 
fource  :  il  manda  donc  à  l'Archiduc 
Léopoîd,  que  s'il  ne  lui  envoyoi 
promptement  du  fecours,  fon  parti 


N    N    E    8 


DE  TURENNE.  Lîv.IIL  10J 
itloit  être  entièrement  détruit. 
.'Archiduc ,  voyant  le  prefTant  dan-  i*s  ^ 
;er  où  il  étoit  y  fit  marcher  en  dili- 
;ence  vers  Paris  le  Duc  de  Lor- 
aine,  qui  dépouillé  de  fes  Etats, 
L'a  voit  pour  tout  bien  que  neuf 

dix  mille  hommes  de  troupes, 
fu'il  s'étoit  engagé  d'employer  au 
srvice  du  Roi  d'Efpagne  pour  cet- 
e  année-là. 

Cependant  le  Vicomte  de  Tu-    Turennei*; 
enne  continuoit  à  battre  la  Vil-  ^f  donnera' 
*  d'Etampes,  au  fiege  de  laquel-  chafleauDuc 
i  le  Duc  d'Yorc,  qui  fut  depuis  de  Lorraine' 
loi  de  la  Grande-Bretagne ,  vint 
I  trouver,  pour  apprendre  fous  lui 
Ê  métier  de  la  guerre;  &  quoi- 
ue  ce  Prince ,  fugitif  du  Royaume 
e  fes  Pères,  fut  alors  dans  une 
Drtune  fort  au-defïbus  de  fa  naif- 
mce,  le  Vicomte  de  Turenneen 
fa  envers  lui  avec  des  manières 
I  refpe&ueufes  6c  û  tendres ,  qu'il 
ai  fit,  en  quelque  façon,  oublier 
Dûtes  fes  infortunes.    Il  ne  pou- 
'oit  guère    commencer    par   une 
>lus  belle  occafion  d'apprendre  le 
aétier  7  que  par  celle  de  ce  fiege  ; 


io6  Histoire  du  Vicomte 

a  m  n  é  e  car  u  les  attaques  furent  vives 
i6it.      la  défenfe  ne  fut  pas  moins  vigou^ 
reufe  :  les  affiégés ,  qui  étoient  ei 
aufli  grand  nombre  que  les  ame- 
geans,  changèrent  ceux-ci  de  quel 
ques  ouvrages  qu'ils  avoient  pris 
de  forte  qu'il  fallut  les  reprendr 
une  féconde  fois  ;  &  le  Vicomfcj 
de    Turenne    n'étoit    pas   encorl 
fort  avancé  ,   lorfqu'ayant  apprij 
que  le  Duc  de  Lorraine  marchoij 
à  grandes  journées,  il  manda  ai i 
Cardinal   Mazarin  ,  qu'il   croyoi  j 
ne  devoir   pas   attendre    qu'il   il 
trouvât  enfermé  entre  l'armée  dl 
ce  Prince  &  celle  du  Prince  dl 
Condé.  Mais  le  Duc  de  Lorrain»! 
ayant  fait  accroire  au  Cardinal  Mal 
zarin  ,  que  c'étoit  pour  le  fervij 
ce  du  Roi  qu'il  amenoit  fes  trou: 
pes  en  France  ,   ce   Cardinal  en) 
voya  des  routes  pour  les  faire  vel 
nir  par  Etampes,  &c  manda  au  Vi' 
comte  de  Turene  ,.  qu'il  eût  à  de-i 
meurer   fans  nen  craindre  ;  qu'i 
avoit    un  Traité   fecret   avec    h 
Duc  de  Lorraine  ,.  &  qu'il  étoi 
fur  de  lui  &  de  fon  armée,  ht 


A    N    N    É   S 


DE  TURENNE.I/v.///.    2O7 

'icomte  de  Turenne  continua  donc 
;  fiege  ,  prefïa  {es  attaques  ,  fe  16^ 
?ndit  maître  de  la  contrefcarpe 
:  de  la  demi -lune  ;  ÔC  il  alloit 
ire  attacher  le  mineur  aux  mu- 
illes  de  la  ville ,  lorfque  le  Car- 
nal  Mazarin  lui  fit  lavoir  par 
1  courier  ,  que  fi-tôt  que  le  Duc 
;  Lorraine  étoit  arrivé  à  Paris  9 
s'étoit  déclaré  pour  le  Prince  de 
onde  ;  que  fon  armée  étoit  au- 
'iTus  de  Charenton ,  entre  la  Sei- 
;  &  la  Marne  ;  &:  qu'il  faifoit  re- 
onter  de  Paris  un  grand  nom- 
e  de  bateaux  ,  à  deftein  de  fai- 
un  pont.  A  cette  nouvelle  ,  le 
icomte  de  Turenne  leva  le  fie- 
5  d'Etampes  ,  vint  paffer  la  Sei- 
]  i  à  Corbeil ,  traverfa  la  forêt  de 
|  nart ,  &C  s'approcha  le  plus  près 
fil  put  du  Duc  de  Lorraine.  Ce 
•ince  s'étoit  campé  fur  la  hau- 
ur  de  Villeneuve  -  Saint  -  Geor- 
?s ,  pofte  très  -  avantageux  ,  où  il 
'oit  devant  lui  la  rivierre  d'Yerre, 
:  fa  gauche  un  bois  ,  &  à  fa 
•oite  la  Seine  ,  fur  laquelle  il 
ifoit  faire  un  pont  9  afia  que  fou 


io8  Histoire  du  Vicomte 


Année  arrr,ée  &  ceu*e  du  Prince  de  Con 
i«i*.  dé  fe  puiTent  joindre.  Le  Vicom- 
te de  Turenne  ayant  reconnu  cet 
te  difpofition  y  alla  fur  le  foir  pal 
fer  l'Yerre  auprès  de  Brunoy ,  mar 
cha  toute  la  nuit  autour  de  Groi 
bois ,  &:  ayant  gagné  le  derrière  di 
camp  des  ennemis  à  la  pointe  d 

le  i7  Juin,  jour ,  il  fe  difpofa  à  les  aller  atta 
quer  9  quoiqu'il  eût  trois  mille  hoir 
mes  moins  qu'eux.  Le  Duc  d 
Lorraine,  qui  ne  fubfiftoit  plus  qu 
par  le  moyen  de  (es  troupes  ,  n 
voulant  pas  les  expofer  au  fort  d'i 
ne  bataille  r  lui  envoya  demar 
der  quartier.  Le  Vicomte  de  Ti 
t  renne ,  qui  fa  voit  que  l'armée  d'1 
tampes  venoit  joindre  les  Lorrain* 
ÔC  qui  craignoit  qu'elle  ne  parût 
tous  momens,  demanda  au  Du 
de  Lorraine  qu'il  lui  livrât  fon  por 
fur  le  champ ,  &  qu'il  fortît  de  fo 
poite  à  l'heure  même  ,  pour  s'e 
retourner  d'où  il  étoit  venu  ,  £ 
s'avançant  toujours  plus  près  pou 
achever  de  le  déterminer ,.  le  Duc 
qui  vit  bien  qu'il  alloit  charger ,  li 
yra  fon  pont ,  qui  fut  aufli-tôt  roir 


D  E  T  U  R E  N  N  E.  Liv.  III.   200 


u ,  &C  donna  des  otages  pour  af-  A  N  N  â  E 
irance  qu'il  fortiroit  du  Royaume      iSji. 

jours  comptés,  &  par  la  route 
ui  lui  feroit  prefcrite  ;  &  au  mê- 
le infiant  il  commença  à  faire  dé- 
ler  fes  troupes  devant  le  Vicomte 
e  Turenne ,  qui  demeura  en  batail- 
:  jufqu'à  ce  qu'elles  fuiTent  entie- 
îment  forties  de  leurs  retranche- 
tens.  L'armée  d'Etampes  ,  qui 
•riva  alors  de  l'autre  côté  de  la 
?ine ,  voyant  le  pont  rompu  6c  le 
>uc  Lorraine  parti,,  fe  retira  à 
illejuy,  où  le  Prince  de  Condé 
ant  venu  en  prendre  le  com- 
landement,  il  la  mena  à  Saint 
loud  :  il  la  fit  camper  le  long  de 

rivière  jufqu'à  Surefne,  &  s'é- 
.ntafïuré  du  pont  de  Saint  Cloud  >  j 

crut  n'avoir  rien  à  craindre  dans 
g  pofle  ,  quoiqu'il  n'eût  plus  que 
iiq  mille  hommes. 

D'autre    part    le    Vicomte  de  J  L%  *ïncre 

1  r  n  1  1        i     rr   •      «e    Conde  le 

urenne  périmant  dans  le  deflein  retire  fous  les 
|u'il  avoit    formé  de  difîiper   ce  n.iurs  de  Pa* 
jefle  de  troupes  pour  mettre  fin  à 
i  guerre ,  &:  voyant  que  de  quel- 
que côté  qu'il  marchât  au  Prince 


A 


N    N    E    E 


110  Histoire  du  Vicomti 
de  Condé ,  ce  Prince  pouvoit  tou 
r*jV  *  jours   mettre   la  Seine    entre  foi 
armée  &:  celle  du  Roi ,  en  faifan 
rompre  le  pont  de  Saint  Cloudê 
éviter  le    combat  j  il  engagea  L 
Cardinal  Mazarin  à  faire  venir  d 
Lorraine  le  Maréchal  de  la  Fert 
avec  le  corps  qu'il  y  commandoit 
afin  d'avoir  afîez  de  troupes  pouj 
aller  attaquer  les  ennemis  pard<| 
vant  et  par  derrière   en    mêmej 
tems,  ce   qu'il   ne  pouvoit    fairl 
avec  fon  armée  ,  qui ,  par  les  pe:  j 
tes  qu'il  avoit  faites  à  Etampeîl 
n'étoit  plus  que  de  fix  mille  hom  j 
mes.  En    attendant  ce  renfort,  I 
alla  prendre  la  Cour  à  Melun  o  J 
elle  étoit  alors  ,  il  pafla  la  Marn  I 
àLagny ,  &c  la  mena  à  Saint  Denis  J 
où  fon  armée  fe  rendit  aufîi-tôtl 
&  le  Maréchal  de  la  Ferté  l'ayar 
joint  avec  trois  mille  hommes,  ilj 
ordonnèrent  qu'on  leur  amenât  d 
Pontoife    des  bateaux  pour  fair 
un  pont  à  Epinay  ,   &  y   fair 
paffer  une    partie  de   leurs  trov 
pes  ,  afin  que  le   Maréchal  de  1 1 
Ferté  pût  attaquer   le   Prince  d 


DE  TURENNE.  Liv.  III.    lit 

!ondé  de  l'autre  côté  de  la  Seine ,  a  «  *  é 
endant  que  le  Vicomte  de  Tu-  x*î**- 
mne  l'attaqueroit  en  deçà.  Mais 
peine  le  pont  fut-il  achevé  ,  que 
!  Prince  de  Condé  en  ayant  eu 
ns,  &  voyant  que  fa  défaite  étoit 
lévitable  s'il  demeuroit  dans  fon 
imp,  réfolut  de  mener  fon  ar- 
ée  dans  cette  langue  de  terre 
il  fe  fait  la  jonction  de  la  Seine 
:  de  la  Marne  au  deiïus  de  Cha-  • 
•nton  9  comme  le  meilleur  porte 
fil  pût  prendre  aux  environs  de 
iris.  Dans  cette  vue  il  décam- 
i  à  l'entrée  de  la  nuit ,  il  pafla 
r  le  pont  de  Saint  Cloud  &:  le  fit 
>mpre ,  il  traverfale  bois  de  Bou- 
<gne,  defcendit  au  Cours  de  la 
eine,  croyant  venir  pafler  au  mi- 
Sd  de  la  Ville  par  la  porte  de  la 
onférence  ;  mais  les  Parifiens 
ayant  point  voulu  la  lui  ouvrir, 
fut  obligé  de  faire  le  tour  de  la 
ille  pour  gagner  le  porte  où  il 
Duloit  aller.  Il  tourna  donc  au 
ouï  du  Cours  de  la  Reine ,  prit  en- 
e  le  Roule  &  la  porte  Saint  Hono- 
;  3  marcha  par  la  Ville-l'Evêque  r 


2 1 1  Histoire  du  Vicomte 
àTTTT  par  les-Porcherons;&laiffant  Mofr'J 
i^ji.       martre  à  gauche,  il  alla  paffer-lJ 
long  des  Fauxbourgs  Saint  Denis" 
Saint  Martin  ck  du  Temple  ,  faifl 
iant    défiler  fes    troupes  par  1(1 
foliés  &  les. jardinages  qui  fe  troil 
vent   autour  de    la  Ville  de  al 
côtés-là  y   6c  preffant  la  marcr.j 
tant  qu'il  pouvoit,  dans  la  craim 
que  4e  Vicomte   de   Turenne  1 1 
tombât  fur  fon  arriere-garde  ava: 
qu'il  fût  à    C  harenton.     Mais  . 
Vicomte    de   Turenne ,    ayant  : 
que  le  Prince  de  Condé  avoit  d 
campé ,  &  fe   doutant  bien   qu 
vouloit  aller  prendre  le  pofte  d'ei 
tre  la  Seine  &  la  Marne ,  où  il  a 
roit  pu  tirer   les   chofes    en  loi 
gueur  ,   partit    aufli-tôt    d'Epine  > 
pour  le  fuivre  ;  ck  ayant  fait  ave  ' 
tir  le  Maréchal  de  la   Ferté ,  q  ' 
étoit  déjà  au-delà  de  la  rivière,  c' 
revenir  le  joindre  avec  (es  troupe 
il  marcha  toute  la   nuit  avec  1< 
fiennes  :  il  paffa  par  Saint  Denis ,  t 
par  la  Chapelle;  il  joignit  fur  1< 
huit    heures    l'arriére  -  garde    à 
l'armée  du  Prince  de   Condé  a 


DE  TURENNE.iSv.77/.    213 


iiixbourg  Saint  Martin  ;  &  l'ayant  A  ~  N  T  j 
it  charger,  l'alarme  fe  répandit      1*5*»' 
1  un  moment  jufqu'à  l'avant-gar- 
3 ,  qui  étoit  déjà  bien  près   du 
mxbourg  Saint  Antoine.   Le  Prin- 
de  Condé,  voyant  alors  qu'il  lui 
oit  impofïible  de  gagner  le  pof- 
où  il   vouloit   mener    fon    ar- 
ée  ,  fit  fa're  halte;  &c  trouvant 
la  tête  du  Fauxhourg  Saint  An- 
ine  des  retranchemens  que  les  Pa- 
fiens  y  avoient  faits  pour  arrêter 
5    Lorrains  qui   venoient   piller 
I  [qu'aux  portes  de  Paris  ,  pendant 
l'ils  étoient   à  Villeneuve-Saint- 
eorges ,  il  profite  de  cet  avanta- 
:  que  le  hazard  lui  offre  :  à  mè- 
re que  fes  troupes  arrivent ,  il 
>  fait  entrer  dans  ce  Fauxhourg  , 
I  toutes  les  avenues  duquel  iltrou- 
î  encore  des  barrières  faites  pour 
rêter  les  denrées  qui  paient  des 
roits  d'entrée  ,  outre  les  retran- 
;iemens    qui    étoient   à    la  tête, 
les  Pariiiens ,  ne  voulant  pas  re- 
jsvoir  fes  bagages  dans  la  Ville , 
I  les  fait  mettre  le  long  du  fof- 
'i  ;  il  fortifie  les  retranchemens 


îi4  Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  É  E  &  les  barrières  autant  que  le  tem 
i*ji.      le  peut  permettre;  il  fait  faire  de 
barricades  &  des  traveries  au  m' 
lieu  des  rues;  il  fait  percer  les  mai 
fons,  &  y  loge   des  Moufquetav 
res  qui  puhTent  tirer  à  couvert; 
garnit  de  cavalerie  &£  d'infanter: 
tous  les  endroits  par  où  il  pei^ 
être  attaqué,  &:  il  en  donne  le  con  I 
mandement  à  des  Officiers  égal* 
ment  dhlingués  par  leur  expérien 
ce  ;  il  fait  fa  place  d'armes  du  gran 
efpace  qui  err.  devant  la  porte  d 
la  Ville,  &  prend  toutes  lesprécai 
tions  néceffaires  pour  une  vigoi 
reufe  défenfe. 
Turehnei'y      Cependant  le  Vicomte  de  Til 
pourfuit,  juf-  renne  avoit  continué  de  charg<| 

<iu  au   Faux-  i>        •  j       j        1?  i 

bourg  saint  *  arrière  -  garde  de  1  armée  enm] 
Antoine.  mie,  en  la  fuivant  le  long  ât\ 
Fauxbourgs ,  &  étoit  enfin  arriv  I 
à  celui  de  Saint  Antoine,  où  il  votij 
loit  demeurer  fans  combattre  julj 
qu'à  ce  que  le  Maréchal  de  î] 
Ferté  l'eût  joint;  afin  qu'attaquarto 
enfemble  le  Prince  de  Condé,  l'u  j 
du  côté  de  Rambouillet ,  &  l'ai] 
tre  du  côté  de  Pincour ,  il  ne  pin 


DE  TURENNÉ.I/V.r//.  I15 
folument  échapper  :  &  de  cette  A  N  K  £  E 
rte  fa  défaite  paroifToit  infailli-  1551. 
e.  Mais  le  Cardinal  Mazarin , 
oyant  que  les  troupes  du  Vi- 
>mte  de  Turenne  feules  étoient 
(fifantes,  lui  fît  donner  ordre  d'at- 
quer  les  ennemis  par  le  Roi  mê- 
e ,  qu'il  a  voit  amené  fur  la  hau- 
arde  Charonne,  afin  que  de  cet 
droit  il  pût  voir  tout  ce  qui  fe 
fferoit  dans  une  action ,  qui  al- 
it,  félon  toutes  les  apparences  , 
•nner  le  dernier  coup  au  parti  du 
ince  de  Condé,  £:  finir  la  guerre 
vue. 

Le  Vicomte  de  Turenne  fufpen-  &  recoïc  or- 
:  néanmoins  l'exécution  de   cet  f,re  abfoiu  de 

1  o      \-rr>  vi  1  y  attaquer. 

dre  ;  &  différant  tant  qu  il  pou- 
>it  le  combat  pour  s'afïlirer  mieux 
victoire,  il  envoya  repréfenter 
la  Cour,  que  fon  canon  n'étoit 
>int  encore  arrivé  ;  &  qu'il  y  au- 
it  de  la  témérité  à  attaquer  > 
îs  canon  ,  une  armée  dans  un 
|>fte  aiuTi  bien  retranché  que  l'é- 
it  le  Fauxbourg  011  le  Prince  de 
jondé  s'étoit  logé.  Mais  le  Car- 
jnal  Mazarin ,  impatient r'de  voir 


il 6  Histoire  du  Vicomte 
JTT77  entamer  l'affaire ,  lui  envoya  un  (à 
i6y~.      cond  ordre  de  la  commencer;  <J 
cela  en  termes  fi  abfolus ,  que  à 
Prince,  ne  pouvant  s'empêcher  ca 
l'exécuter ,  s'y  prépara  tout  de  boiLî 
&:  prit  toutes  les  mefures  qui  po  I 
voient  le  faire  réufïir  dans  cette  ir] 
portante  journée, 
pian  de  ce      Pour  avoir  une  idée   jufte  < 
Fauxbourg.   terrein  qui  fervit  de  fcene  à  cel 
grande  action,  il  faut  le  figurer 
Fauxbourg  Saint  Antoine  comr 
une  efpece  de  patte  d'oie ,  dont 
partie  la  plus  large  s'étend  du  c 
té  de  la  campagne  ,  6c  va  toujoi 
en  fe  refTerrant  du  côté  de  la  pc 
te  de  la  Ville.  Tout  cet  efpace 
divifé  par   cinq  rues ,  dont   tr< 
grandes  le  percent  de  part  en  pai 
fçavoir  ,  la  grande  rue  ,  qui  eft 
milieu  du  Fauxbourg,  &  qui  vaç 
puis  la  porte  jufques  dans  la  ca) 
pagne;  la  rue  de  Charenton ,  ^ 
efl  fur  la  droite  ;  &:  la  rue  de  Cl 
ronne,  fur  la  gauche.    Ces  tr< 
rues  fuivent  la  difpofition   de 
patte  d'oie  ,   &  font   plus   éa 
té  es  lune  &  l'autre  à  proporti< 

quel  5 


DE  TURENNE.Z/V./If,   217 

a'elles  font  près  de  la  campa-  A  N  N  é  , 
ie.  Des  deux  autres  rues,  l'une  1651. 
*rce  depuis  la  campagne  jtifqu'au 
ilieu  du  Fauxbourg ,' &  aboutit 
ms  la  grande  rue  du  côté  de  celle 
:  Charenton  ;  &  l'autre  eft  du  co- 
de Charonne.  Outre  ces  cinq  rues 
11  partagent  le  Fauxbourg  dans 
longueur  ,  il  y  en  a  plufieurs 
11  le  traverfent  dans  fa  largeur , 
as  ou  moins  longues ,  félon  qu'el- 
;  font  plus  proches  de  la  ville  ou 
|  la  campagne. 

Le  Vicomte   de   Turenne  ,  qui  ^Bataille  qui 
anoiffoit  parfaitement  ce  Faux-  sJe  dc°0nnndeée^ 
arg ,  commença  par  étendre  fon  Turenne. 
née  fur  une  feule  ligne  courbe  , 
puis  le  bas  de  Charonne  jufqu'à    , 
L  rivière  de  Seine ,  pour  ne  laiifer 
a  :une  ifTue  libre  aux  troupes  du 
Bnce  de  Condé.    Après  cela,  il 
fl  plufieurs  détachemens  pour  les 
ajiques  qu'il  ordonna  de  faire  à 
\i  tête  de  chaque  rue ,  lorfqu'on 
al  oit  forcé  les  premiers  retran- 
ebmens.  Il  commanda  qu'on  eût 
fin  de  s'aflurer  des  rues  de  tra- 
tkp  à  mefure  qu'on  avançerok 
K. 


_^ iî8     HlSTOIKE   DU   VlCOMTI 

Année  dans  *e    Fauxbourg ,  afin  que  le 
i^jz.      divers  corps  de  troupes  puftent  i 
prêter  la  main  l'un  à  l'autre  dar 
les  grandes  rues ,  &  s'entre-fecou 
rir  :  ayant  donné  {es  ordres  pov 
toutes  les  autres  chofes  qu'il  juge 
à  propos  ,  il  marcha  aux  retra 
chemens  des  ennemis  qui  faifoiei 
un  feu  terrible  ;  il  les  chaffa  néa 
moins  par  un  feu  fupérieur  ;  il 
combler  les  retranchemens  ;  ÔC 
trouvant  à  l'entrée  du  Fauxbourj 
il  s'avança  vers  la  grande  rue ,  do 
il  s'étoit  deftiné  l'attaque  :  il  en 
abbatre  la  barrière  à  coups  de  h 
che;il  en  força  même  la  ban  fi 
cade,  malgré  la  vigoureufe  réfiffe  I 
ce  de  ceux  qui  la  défendoient;  I 
marchand  en  bataille  dans    œi 
grande  rue  ,  en  renverfant  tout  j 
qui  fe  trouvoit  fur  fon  paffage  ;  I 
alloit  emporter  les  traverfes  ,  d(i 
niers  retranchemens  des  ennemi  i 
lorfque  le  Prince  de  Condé,  ei-j 
mant  qu'il  devoit  marcher  lui-él 
me  pour  repomTer  le  Vicomte  & 
Turenne ,   ramaffa  autour  de    I 
toutes  les  perfonnes  de  qualité  3 


: 


BE  TURENNE   I/V.  III.   ïïff 

fon    armée    qui    n'avoient    point  aTTTT 

de    commandement ,  les   Volon-      i6$*. 

taires  &  les  Gentilshommes  qui 

itoient  à  fon  fervice,&à  la  tête  de 

i:e  corps  de  cavalerie,  ayant  fon- 

!lu  fur  les  troupes  du  Roi ,  il  les  fît 

>lier,  &les  ramena  battant  jufqu'à 

ja  barricade  ;  derrière  laquelle  le 

/icomte  de  Turenne  ayant  pris  des 

j.ens  frais,  pendant  que  le  Prince 

e  Condé  faifoit  reprendre  haleine 

ux  fiens  ,  il  paffa  une  féconde  fois 

J  i  barricade  ;  &  taillant  en  pièces 

;  dus  ceux  qui  fe  préfentoient  devant 

li ,  il  força  toutes  les  traverfes  ;  &: 

I  avoit  déjà  pénétré  jufqu'à  l'Ab- 

jj  aye  de  Saint  Antoine  ,  qui  efl  au 

îilieu  du  Fauxbourg  :  mais  le  Prin- 

b  de  Condé  étant  revenu  fondre 

r  lui  avec  fon  efcadron  choifi ,  le 

t  encore  reculer  jufqu'au-delà  de  " 

grande  barricade.  Le  Vicomte 

lie  Turenne  revint  une  troilieme 

>is  à  la  charge  :  il  entra  encore 

!ès  avant  dans  la  rue  ;  &  trouvant 
•ujours  le  Prince  de  Condé  de- 
int  lui ,  il  fut  encore  repouffé.  On 
iîfauroit  combattre  avec  plus  dV 
Kij 


$10  Histoire  du  Vicomte 

A  N  .N  à \  piniâtreté .  qu'on  le  fit  en  cet  en* 
i5ji.      droit.  Les  maifons  de   cette   rue 
furent  prife.  &  reprifes  par  les  deu? 
partis.  Le  Prince  de  Condé  &:  1< 
Vicomte  de  Turrenne   efïuyeren; 
fouvent  le  feu  des  Moufquetaires  ! 
qui  étoient  dedans ,  pour  aller  l'un  ;  i 
l'autre.  Jamais  deux  Généraux  n'ej 
vinrent  aux  prifes  de  plus  près ,  qu 
firent  là  ces  deux  grands  homme 
Ils  fe  mêlèrent ,  l'épée  à  la  main 
toutes  les  charges  qui  furent  fa 
tes.  Ils  fe  trouvèrent  par-tout  a 
milieu   du  feu    &  des  armes.  I 
combattirent  fouvent   l'un  contr 
l'autre  à  la  portée  du  piflolet , 
ils  étoient  tous  deux  tout  couver 
de  fang.  Les  autres  attaques  fe  I 
rent  &:  âirent  foutenues   avec 
même  vigueur.  La  confuiion  61 
fi  grande  en  quelques  endroits ,  qi  i 
deux  efcadrons  du  Prince  de  Co 
dé ,  fe  prenant  pour  ennemis , 
chargèrent   l'un   l'autre  ,  pendai 
que  ceux  du  Vicomte  de  Turenr 
donnoient  également  fur  tous  h 
deux.  Les  Comtes    de  Boffut  < 
de  Gaflres ,  les  Marquis  de  Flan 


DE   TURENNE  Liv.  III.   221   m 

marin  Se  de  la  Roche-GiflFart ,  y  fu-  TTT7V 

'        1  A/i       r\   •       J       1       ANN   E  mi 

rent  tues  du    cote  du  Prince   de      x*m 
Condé  ;  &  le  Duc  de  la  Roche- 
7oucaut  y  reçut  un  coup  de  mouf- 
juet  *  dont  il  penfa  perdre  la  vue. 
Du  côté  de  l'armée   du  Roi ,  les 
vfarquis  de  S,  Maigrin  &  de  Nan- 
ouillet  furent  tués;&  le  Marquis 
le  Manciny ,  neveu  du  Cardinal 
vlazarin  ,  bleffé  à  mort.  Enfin  le 
Vicomte  de  Turenne ,  après  avoir 
»ien  des  fois  avancé  &:  reculé  dans 
i  grande  rue ,  voyant  qu'il  ne  pou- 
oit  venir  à  bout  de  forcer  ce  gros 
e  gens    de    qualité   &c   de    bra- 
es ,  qui  étoient  autour  du  Prince 
e  Condé  ,  afFoiblit   adroitement 
>n  attaque ,  pour  fortifier  celle  du 
lomte  de  Navailles,  qui  combat- 
)it  à  fa  gauche  dans  la  rue  de  Cha- 
mton  ;  de  forte  que  le  Comte  de 
favailles ,  ayant  forcé  les  barrica- 
es ,  &  les  traverfes ,  fe  voyoit  maî- 
•e  de  toute  la  rue ,  &  alloit  pren- 
re  le  Prince  de  Condé  par  derrie- 
ï  pour  l'envelopper,  fi  ce  Prince 
verti  qu'il  alloit  être  coupé ,  n'eût 
romptement  gagné  fa  place  d'ar* 
K  ii} 


mmmmmmmmmt  iiï  Histoire  du  Vicomte 

Année  mes.  Les  troupes  du  Prince  deCon 

****•      dé,  rebutées  de  tant  d'attaques 

refuferent  d'avancer ,  &  ne  lui  von 

lurent  plus  obéir.  Le    canon  di 

Vicomte  de  Turenne  étant  arriv 

dans  ce  moment ,  il  le  fit  pointe 

à  la  tête  de  chaque  rue  ,  où  per 

fonne  n'ofa  plus  paroître  :  &:  tout 

l'armée  du  Prince  de  Condé  s'< 

tant  recognée  contre  la  porte  d 

la  Ville  &  dans  la  place  qui  efl  ai 

devant ,  le  Vicomte  de  Turenne  i 

avancer  fon  canon ,  &  alloit  fait 

un  carnage  épouventable  de  toi 

tes  ces  troupes  ainfi  ferrées  &  I 

maffées  y  lorfque  les  Parifiens  ,  qi 

jufques-là  étoient  demeurés  fpe£fc 

teurs  neutres  entre  les  deux  partis 

voyant  l'extrémité  où  étoit  rédu 

le  Prince  de  Condé ,  fe  déclarerei 

en  fa  faveur ,  6c  lui  ouvrirent  le 

portes   de  la  Ville.  Le  Maréch; 

de  la  Ferté ,  qui  arriva  alors ,  ayar 

joint  le  corps  qu'il  commandoit  au  I 

troupes  du  Vicomte  de  Turenne 

ce  Prince  alloit  fuivre  les  ennem 

jufqiles  dans  la  Ville ,  où  ils  fe  fan 

voient  avec  beaucoup  de  défordre 


N    N    E   B 


DE  TuRENNE.  Liv.  Ht.   11  j" 

nais  Mademoifelle  s'étant  fait  ou-  A 
Tir  la  Baftille  ,  &  en  ayant  fait  ti-       i*î*. 
er  le  canon  fur  l'armée  du  Roi , 
e  Vicomte  de  Turenne  fut  obligé 
[e  fe  retirer. 
Le  Prince  de  Condé  ayant  paffé  Co"fé  **** 

.  J  r  /        au  travers  de 

u  travers  de  Pans  avec  ion  armée ,  paris,  fe  cam- 
i  mena  au-delà  duFauxbourg  Saint  j;rcieareIa  *^ 
/i£tor,verslaSalpêtriere,  entre  la  çok  un  puif- 
eine  6l  la  rivière  de  Biévre ,  ou fans  *"ecouts> 
es  Gobelins  ;  &  s'étant  retranché 
|  ntre  ces  deux  rivières ,  de  telle 
prte  qu'on  ne  pouvoit ,  ni  le  for- 
|  er  ,  ni  affamer  fon  armée  ,  qui 
[  voit  derrière  elle  Paris  ,  d'où  elle 
|  iroit  abondamment  toutes  fortes  de 
abfiftances ,  il  écrivit  à  l'Archiduc 
|  .éopold ,  pour  lui  repréfenter  qu'il 
'étoit  plus  en  état  de  tenir  la  cam- 
pagne; &  que  s'il  ne  lui  envoyoit 
Le  plus  puiiïans  fecours  que  par  le 
Laffé,  il  ne  pourroit  pas  réfutera 
j  armée  du  Roi.  L'Archiduc,  crai- 
gnant que  le  Prince  de  Condé  n'a- 
bandonnât le  parti ,  s'il  ne  lui  ac- 
i:ordoit  tout  ce  qu'il  demandoit  y  lui 
envoya  aulïi-tôt  fon  armée  de 
Flandre  ?  fous  les  ordres  du  Corn* 
K.iv 


_  ii4  Histoire  du  Vicomte 

XTTTI  te  ^e  Fuenfaldaigne ,  &  engagea  et 

»*?*.      même  -  tems  le  Duc  de  Lorraine 

qui  étoit  demeuré  fur  les  frontie 

res,  à  marcher  avec  fes  troupes.  Ce 

deux  armées  faifoient  plus  de  ving 

mille    combattans  :  elles    avoier 

ordre  de  joindre  le  Prince  de  Cor 

dé  9  &  d'aller  enfuite  accabler  l'ai 

mée  du  Roi ,  qui  n' étoit  que  de  bu: 

:1   _       ,  mille  hommes. 

La  Cour  te-       ,  ,  .        ,    A  *      A 

duite  à  fe  ré-      Mazann  n  eut  pas  plutôt  appr 

fugier  à  Pon-  ce  deffein ,  qu'il  crut  que  tout  éto 

perdu.  Il   voulut  traiter  avec   1 

Prince  de  Condé  :  maïs  ce  Prince 

qui ,  à  l'approche  de  tant  de  troi 
/*_   /i_it_*^    TA.,, i  • ^.itj.  j* 


pes 


fe  flattoit  d'être  bientôt  e 


état  de  lui  faire  la  loi ,  n'écout 
fes  proportions  que  pour  gagne 
du  tems,  en  le  leurant  d'un  accom 
modement.  On  envoya  à  Rouen 
pour  favoir  fi  on  y  voudroit  rea 
voir  la  Cour  :  mais  les  Normands 
ée  qui  le  Cardinal  Mazarin  n'étoi 
pas  plus  aimé  que  des  Parifiens 
refuferent  de  donner  retraite  z\ 
Roi ,  tant  que  ce  Cardinal  feroi 
auprès  de  lui.  On  chercha  un  au- 
tre afyle  en  Bourgogne  :  mais  tf 


DE  TURENNE.Z/v.7/7.  22^  _ 
fut  fans  fuccès.  Le  Cardinal  Ma-  A  N  N  é 
sarin,  rejette  de  tous  côtés  avoit  1*5 *. 
?nfîn  réfolu  de  mener  le  Roi  à 
Lyon  ;  &  il  fe  difpofoitdéjà  à  par- 
ir  pour  s'y  en  aller  avec  toute  la 
Cour,  lorique  le  Vicomte  de  Tu- 
•enne  lui  fit ,  pour  ainfi  dire ,  tou- 
:her  au  doigt  &  à  l'œil ,  que  fi  on 
'éloignoit  fi  fort  de  Paris  ,  les  Ef- 
>agnols  en  feroient  bientôt  les  mai- 
res ;  &  que  de  fe  retirer  à  Lyon  , 
'étoit  leur  abandonner  tout  ce  qui 
toit  depuis  cette  Ville  jufqu'en 
•landre.  Il  lui  fît  comprendre  qu'il 
l'y  avoit  rien  à  craindre ,  ni  du 
Duc  de  Lorraire,  ni  du  Comte  de 
•uenfaldaigne  ,  tant  qu'ils  n'au- 
oient  pas  joint  le  Prince  de  Con- 
lé  ;  àc  que  pour  empêcher  leur 
Dnttion  ,  il  falloit  faire  enforte 
[ue  l'armée  du  Roi  fût  toujours 
:ntre  lui  &  eux:  fi  bien  qu'ayant 
ait  goûter  ces  raiions  au  Cardinal 
vlazarin,  il  mena  la  Cour  à  Pon- 
oife  ,  afin  qu'elle  ne  fût  pas  fi  ex- 
>ofée  aux  entreprises  du  Prince  de 
^ondé  :  &  ayant  fu  que  les  enne- 
nis  étoient  déjà  arr    es  à  Chauny  7 


^__  226  Histoire  du  Vicomte 
Année  petite  ville  fur  la  rivière  d'Oife,  il 
**$*•  marcha  à  Compiegne  pour  défen- 
dre le  paffage  de  la  rivière  d'Aine* 
Mort  du  Duc  Ce  fut  durant  ce  féjour  de  la 
it  Bouillon.  çour  à  Pontoife  que  le  Duc  de 

Le  $  Août,      t,       .11  ^         \ 

Bouillon  y  mourut ,  après  quatorze 
jours  de  maladie  ,  dans  un  tems  5 
où  ,  par  la  fupériorité  de  fes  lu- 
mières pour  le  Gouvernement,  il 
avoit  pris  un  fi  grand  afcendant  fut  \ 
tous  les  Miniftres  dans  le  Confeil  3 
qu'on  commençoit  à  le  regardei  I 
comme  un  homme  plus  capabk 
d'être  à  la  tête  des  affaires ,  que  le 
Cardinal  Mazarin  même  ,  &  qu'i!  \ 
alloit  être  bientôt  en  état ,  par  for 
crédit ,  de  rétablir  les  brèches  irré  i 
,    parables  qu'il  avoit  faites  à  fa  Mai-  j 
ion*  C'eft  ce  <me  le  Duc  de  h 
Rochefoucault  donne  affez  à  con -i 
noître  dans  fes  Mémoires  :  &  la 
réflexion  qu'il  fait  fur  cela  eft  f 
belle ,  quaifurément  on  me  faura  j 
•.bon  gré  d'en  avoir  paré  mon  Ou- 
vrage. La  voici  en  propres  termes: 
Dans  le  tems  que  Monjîeur  de  Cha  • 
vigny  mourut  ,  le  Duc  de  Bouillon  I 
mourut  à  Pontoife,  Cette  mon  de* 


DE  TURENNE.  Liv.  ///.   217 


vroit  elle  feule  guérir  les  hommes  a  n  n  é  1 
le  V ambition  ,  &  les  dégoûter  des  l6\*\ 
ilans  divers  qu'ils  font  pour  leur 
iévation  ;  car  l'ambition  du  Duc 
le  Bouillon  étoit  foutenut  de  toutes 
es  grandes  qualités  qui  pouvoient  la. 
tndre  heureufe.  Il  étoit  vaillant  , 
\  favoit  parfaitement  tous  les  or- 
dres de  la  Guerre.  Il  avoit  une  élo* 
uence  facile  ,  naturelle  &  injinuan- 
%  Il  avoit  Uefprit  net  9  fertile  en 
Kpédiens  ,  &  propre  à  foutenir  les 
flaires  les  plus  difficiles  ;  outre 
'iil  avoit  un  fens  droit  ,  &  un\ 
ifeernement  admirable.  Il  écoutoit 
s  confeils  qiCon  lui  donnoit ,  avec 
ouceur  ,  avec  attention  ,  &  avec 
v  certain  égard  avec  lequel  ilfai- 
dt  valoir  les  raifons  des  autres  9 
fembloit  en  tirer  fes  réfolutions. 
es  avantages  pourtant  lui  furent 
\refqu1 inutiles  par  V opiniâtreté  de 
||  fortune  ,  qui  s'oppofa  toujours 
\  fa  prudence  ;  &  il  mourut  pré- 
fément  dans  le  tems  que  cette 
Verne  prudence  &  les  befoins  de 
b  Cour  Cavoient  apparemment  fur» 
lontée* 

K  Yj 


^  218  Histoire  du  Vicomte 

•4-  Quoique  le   Vicomte   de   Tit- 

16^1.  renne  ne  tut  pas  inienlible  au  re~ 

'         „ .  tabliffement  de  fa  maifon  ,  ce  ne 

Turennefait  r  .  ,      .  ...    r  ■ 

sêtt  aux  Ef-  fut  point  par  cet  endroit  qu  il  tut 
jagnois  &  touché  de  la  mort  du  Duc  de  Bouil- 
orrams.  ^^  ^  ^  pleura  un  frère  très-aimable , 
&  pour  qui  il  a  voit  toute  la  ten- 
dreffe  poffible.  Il  faudroit  être  d'un 
aufli  bon  naturel  que  lui ,  pour  com- 
prendre combien  fa  douleur  fut  vi- 
ve :  &  ce  qui  achevoït  de  la  ren- 
dre accablante  pour  lui ,  c'eft  qu'il 
étoit  obligé ,  malgré  qu'il  en  eût ,  de 
l'étouffer  ,  &  de  la  renfermer  en 
lui-même  ;  l'Etat  étant  alors  en  un  fi 
grand  danger ,  que ,  s'il  avoit  paru 
la  moindre  altération  fur  fon  vifa- 
ge ,  on  auroit  cru  les  affaires  du 
Roi  entièrement  ruinées.  En  effet , 
le  Comte  de  Fuenfaldaigne ,  après 
la  prife  de  Chauny,  avoit  joint  le 
Duc  de-Lorraine  :  ils  avoient  paffé 
l'Aine ,.  ils  avoient  marché  à  Fif- 
mes  ,  6c  alloient  s'avancer  vers  la 
Marne  ,  fi  le  Vicomte  de  Turenne 
ne  s'y  fut  oppofé.  Mais  ce  Géné- 
ral,  fe  tenant  toujours  vis-à-vis 
d'eux  %  pour  obferver  leurs  mou* 


deTurenne.Z/v.Z/7.  ifjjf 

remens  ,  fit  fi  bien  pofler  fon  pe-  ~" T* 

it  corps  de  troupes  ,  quen  quel-  165t. 
ue  endroit  qu'ils  fe  préfentaflent  y 
!  leur  en  fit  par-tout  une  barrière 
npénétrable ,  de  forte  que  le  Corn- 
e  de  Fuenfaldaigne  fut  contraint 
e  retourner  en  Flandre  avec  fon 
rmée ,  de  laquelle  il  détacha 
éanmoinsfïx  mille  hommes  ,  qu'il 
liffa  au  Duc  de  Lorraine  ,  qui  les 
d  demanda  ,  en  l'afïurant  qu'avec 
e  renfort  il  fauroit  bien  venir  à 
out  de  joindre  l'armée  du  Prince 
e  Condé.  Ainfi  le  Duc  de  Lor- 
dne ,  fe  trouvant  à  la  tête  de  feize 
tille  hommes  ,  manda  au  Prince 
e  Condé  ,  qu'il  alloit  tâcher  de  fe 
ofter  encore  une  fois  à  Ville  neu- 
e-Saint  George  ,  où  il  feroit  faire 
n  pont  fur  la  Seine ,  par  le  moyen 
uquel  leurs  armées  pourroient  fe 
>indre.  Dans  cette  vue  ,  il  propo- 
1  quelques  articles  à  la  Cour  ,  fe 
attant  qivon  ne  prendrait  pas  fi 
rès  garde  aux  mouvemens  qu'il 
îroit  faire  à  fon  armée  ,  pendant 
u'on  traiteroit  d'un  accommode- 
ment, avec  lui  j  mais  comme  on  y; 


_____  ijo  Histoire  du  Vicomte 
A  n  *  ê  e  a  voit  déjà  été  trompé ,  le  Vicomte 
16 'f  *'•  de  Tur enne  obferva  fes  démarches 
d'une  manière  qui  lui  fit  bien  voir 
qu'on  ne  faifoit  aucun  fond ,  ni  fur, 
fes  propositions  r  ni  fur  fa  parole,  i 
Ayant  donc  tenté  en  vain  de  paffer 
la  Marne  aux  environs  de  Lagny  3 
de  Meaux  &  de  Château-Thierry . 
et  fâchant  bien  que  le  Vicomte  de  i 
Turenne  n'oferoit  pas  s'éloigne]  i 
beaucoup  de  Pontoife,  oùétoitle 
Roi  y  à  caufe  du  voifinage  du  Prin 
ce  de  Condé  9  il  alla  paner  la  Mar 
ne  vers  Châlons ,  prefqu'à  l'extré 
mité  de  la  Champagne  ;  &  redef 
cendant  enfuite  entre  cette  riviè- 
re &  la  Seine ,  il  s'avançoit  à  gran- 
des journées  par  la  Brie ,  fe  hâtanl 
de  gagner  la  hauteur  de  Villeneu 
ve-Saint-George  :  mais  le  Vicomte 
de  Turenne  ayant  paifé  la  Marne  à 
Lagny  ,  arriva  à  ce  pofte  avant  le 
Duc  de  Lorraine  ,  &  s'y  retrancha 
d'une  manière  à  ne  pas  craindre 
qu'on  ofât  l'y  attaquer.  Cependant 
comme  en  demeurant  là  ,  les  deux 
armées  ennemies  pou  voient  fe 
joindre  fans  aucune  oppofition  ;  on 


DE  TURENNX.  Liv+  III.   1}  I  

rut  que  le  parti  qu'il  avoit  pris ,  A  N  N  é  3 
iroit  des  fuites  très-fâcheufes  pour      i*$  *. 
ii.  Le  Prince  de  Condé  ne  man- 
ia point  de  venir ,  avec  fon  armée 
ouver  le   Duc  de  Lorraine  ,  qui 
:oit  à  Montgeron. 
Ils  unirent  leurs  troupes ,  ils  dé- ,  Condé  é§ 

/  r  »«i     1  •      \  >  ■    Lorraine  re& 

Dererent  fur  ce  qu  ils  dévoient  fair  ferrent    Tu. 

I  ,  &  ne  jugeant  pas  à  propOS  d'at-  renne  entre  la 
1     xr  *.     J     T  J  Seine    &    la 

quer  le  Vicomte  de  Turenne  de  ce  Marne .  belle 
ké-là ,  où  il  leur  auroit  fallu  paffer  retraite    que 

rivière  d'Yerre  devant  lui ,  ils  au    ureane* 
:folurent  de  s'y  prendre  comme 

avoit  fait  lui-même  ,  lorfque  le 
^ic  de  Lor  aine  occupoit  ce  mê- 
e  pofle.  Ils  allèrent  donc  parler 
if  erre  aux  environs  de  Brunoy  ; 
>  tournèrent  autour  de  Grosbois  , 
:  vinrent  fe  préfenter  en  bataile 
ins  la  plaine  qui  efl  du  côté  de 
harenton.  Ils  avoient  vingt  mille 
Dmmes  ;  &  le  Vicomte  de  Tu- 
mne  n'en  avoit  que  huit  mille, 
eanmoins  ,  lorfqu'ils  eurent  vu 
Dmment  il  avoit  fortifié  fon  camp  9 
s  ne  crurent  pas  pouvoir  mieux 
2uflir  par  cet  endroit  que  par  l'au- 
*e  i  &  n  ofant  entreprendre  de 


N    N    E    E 


232  Histoire  du  Vicomte 
forcer  fes  retranchemens  ,  ils  ré 
t6i**  folurent  de  lui  fermer  tellement  h 
pafTage  de  ce  -côté-là  ,  qu'il  ne  pu 
te  retirer  que  par  l'une  des  deu: 
rivières  entre  lefquelles  il  étoi 
refferré ,  &  de  profiter  de  l'avan 
tage  qu'ils  aur oient  à  l'attaque 
dans  fa  retraite.  Comme  il  n'a 
voit  que  vingt-huit  efcadrons  d 
cavalerie ,  &  qu'ils  en  avoient  qua 
tre-vingt ,  il  leur  fut  aifé  de  lui  bai 
rer  la  plaine  ;  ils  s'approchèrent  d 
lui  à  la  portée  du  canon  ,  ils  i 
campèrent  là ,  ils  s'y  retranchèrent 
&  le  tenant  comme  afîiégé  dan 
Fangle  des  deux  rivières  011  j 
étoit,  ils  mandèrent  à  ceux  de  leu 
parti  qui  étoient  à  Paris  ,  qu'il 
avoient  enfin  réduit  le  Vicomte  d 
Turenne ,  ou  à  combattre ,  ou  à  pé  ; 
rir  de  faim  dans  fon  camp  ;  qui 
ne  leur  pouvoit  plus  échapper ,  ô 
que  fa  défaite  étoit  inévitable  ;  &  | 
il  n'y  avoit  perfonne  qui  ne  le  crût  i 
&  qui  n'en  jugeât  ainfi.  Tout  1< 
monde  frondoit  ouvertement  1; 
conduite  de  ce  Général ,  fur  c( 
qu'il  s'étoit  laiffé  enfermer  de  cetfc 


BE  TURENNE.IzV.///.    13} 

naniere  ;  quelques-uns  même  Tac-  a  n  n  é  b 
:ufoient  d'intelligence  avec  les  En-  I61U 
îemis.  Jamais  la  Cour  ne  s'étoit 
rue  fi  embarraffée  :  le  Rai  avoit 
;ncore  une  fois  éloigné  le  Cardi-  Le  isAoûj; 
îal  Mazarin  y  pour  faire  ceffer  le 
>rétexte  de  la  Guerre  civile  ;  mais 
es  Ennemis  n'en  avoient  que  plus 
l'audace ,  regardant  l'éloignement 
te  ce  Cardinal  comme  un  effet  de 
1  foibleffe  du  Confeil ,  qui  cédoit 
la  nécefiité  où  ils  avoient  fil  le 
éduire.  Le  Parlement  avoit  dé- 
laré  le  Duc  d'Orléans ,  Lieutenant- 
général  du  Royaume ,  &  le  Prin- 
e  de  Condé  ,  Généraliffime  des 
j*mées  de  la  Couronne.  Les  Mi- 
iftres  ,  tremblans ,  faifoient  des  of- 
es  excefîives  à  ce  Prince  ,  qui ,  fe  ' 
^gardant  déjà  comme  l'arbitre  de 
)ut ,  rejettoit  bien  loin  tous  les 
rojets  d'accommodement  qu'on 
li  propofoit ,  quelque  avantageux 
u'ils  lui  fuffent  :  &  jamais  il  n'a- 
oit  conçu  de  (i  hautes  efpéran- 
es  ,  lorfque  le  Vicomte  de  Tu- 
mne  ,  ne  pouvant  fubfifter  plus 
mg-tems  dans  fon  camp ,  où  il  y 


234  Histoire  du  Vîcomte 

A  N  H  é  E  avoit  déjà  cinq  femaines  qu'il  étoit 
i^ji.      &  voyant  quil  falloit  néceffaire 
ment  en  déloger  ,  fe  mit  à  obfer 
ver  les   ennemis  9   comme  s'il  f  I 
fut   promis  quelqu'avantage   dan 
fon  pofle ,  fur  les  mOuvemens  d 
leur   armée.  Il  ordonna   même 
fon  avant-garde  d'efcarmoucher  d  i 
tems  en  tems ,  pour  leur  faire  cro  I 
re  qu'il  vouloit  en  venir  aux  main*  1 
il  fit  remplir  de  pieux  de  bois  I 
fichés  en  terre  ,  tout  l'efpace  qu'  I 
avoit  deffein  de  laiffer  derrière  lu:] 
pour  y  embarrafîer  les  ennemis  I 
en  cas  qu'ils  voulurent  le  pouil 
fuivre.  Il  fit  faire  plufieurs  ponl 

4  aÛ  ftoc-  far  la  tiviere  û  Yerre  ;  &  il  fit  A  j 
t©brc.'         filer  fon  armée  fi  fecrettement  di  j 
rant  une   nuit  ,  qu'avant  que  1(1 
ennemis    s'apperçuffent     d'aucu  | 
mouvement  ,  il  étoit  déjà  arriv  • 
à  Corbeil  avec  fon  artillerie  &C  û 
bagages.  Cette  retraite  le  combla  d 
gloire  ,  &  couvrit  de  confufion  le 
ennemis. 
Ces  Princes      peu  Je  jours  après ,  le  Duc  d 
Fiandrc.nt  ™  Lorraine  s'en  retourna  en  Flandre 
ôc  le  Prince  de  Condé  fç  retira  par 


DE  TURENNE.  Liv.IIL   %tf 


\\  les  Efpagnols.  Les  affaires  ayant  Année 
tiluite  changé  de  face  :  La  Reine    Tl6XH    [ 
;mena  le  Roi  a  Pans  ,  ou  il  rut  vient  à  Paris; 
îçu  au  milieu  des  acclamations  Se  f    Ju^enîff 

t        r/V  ,  «        les  chafle  du 

es  applaudiflemens  du  peuple  :  Royaume. 
:  elle  y  établit  l'autorité  Roya-  LBe»°^ 
;  avec  tant  de  hauteur ,  qu'au  pre- 
tier  ordre  le  Duc  d'Orléans  fe 
jîtira  à  Limours  ,  Mademoifelle  à 
ûnt  Fargeau  >  8c  tous  les  Officiers 
.1  Parlement,  quiétoient  fufpects, 
îx  divers  endroits  qui  leur  furent 
ïfignés  pour  exil.  Le  Vicomte  de 
urenne  fut  toujours  auprès  de  la 
îrfonne  du  Roi  ,  à  fon  entrée 
ms  Paris  ,  mais  il  ne  demeura  pas 
•ng-tems  à  la  Cour  :  &  fâchant 
le  le  Prince  de  Condé  avoit  pris 
hâteau-Porcien  ,  Rhetel  ,  Mou- 
n  ,  Sainte-Menehould  ,  Bar-le- 
'uc  &  quelques  autres  places ,  à  la 
veur  defquelles  il  fe  flattoit  d'hi- 
>rner  en  France  7  il  réfolut  de  re-  LejoOa« 
)mmencer  la  campagne  ,  quoi-  bre 
.l'on  fût  dans  la  faiion  où  les  ail- 
es ont  coutume  de  la  finir.  Il  dit 
i  Roi  en  partant  ,  qu'il  efpéroit 
npêçher  les  ennemis  de  prendre 


i$6  Histoire  du  Vicomte 

n  .  des  quartiers  d'hiver  dans  le  Royair 
1^52.  me.  Il  alla  fe  remettre  à  la  tête  d1 
l'armée  avec  le  Maréchal  de  la  ¥ei\ 
té  ,  il  s'avança  du  côté  de  la  Loi1 
raine ,  &c  fans  s'amufer  à  toutes  le! 
petites  Places  ,  où  les  Ennemi  ( 
avoient  mis  garnifon  pour  l'ail 
rêter  ,  il  marcha  à  eux  dans  ]J 
deffein  de  leur  donner  bataille.  ! 
parla  la  Meufe,  derrière  laquel'l 
étoit  le  Prince  de  Gondé  5  aux  ei  I 
virons  de  Toul  ;  &  le  Prince  cl 
Condé  fe  retira  aufîi-tôt  à  Conl 
mercy.  Le  Vicomte  de  Turenrl 
l'y  pourfuivit  ;  &:  le  pouffant  toi  jl 
jours  devant  lui,  il  le  fit  reculer  cl 
Gornmercy  à  Saint  Mihel ,  de  Saii  I 
Mihel  à  Damvilliers  r  &  de  Dair  I 
villiers  encore  plus  loin  dans  le  Li  j 
xembourg ,  où  il  le  força  de  fe  r<| 
tirer  :  &  rabattant  enfuit  e  fur  lespJ 
tites  Places  de  la  Lorraine  ,  il  Ici 
prit  toutes  à  difcrétion.  Le  Ca; 
dinal  Mazarin  ,  apprenant  ces  fuel 
Au  eemmen-  ces ,  rentra  dans  le  Royaume ,  cl 
Décembre/6  vint  trouver  le  Vicomte  de  Twl 
renne  ,  comme  il  afliégeoit  Bar-le 
Duc ,  fe  flattant  qu'on  attribueroi 


N     N     £    S 


I65J, 


DE  TURENNE.  Liv.  III  237 
fes  confeils  les  entreprifes  de  ce 
énéral  ,  &  que  cela  le  réconci-      U51. 
=roit  peut-être  avec  les  peuples, 
>'nt  il  étoi.t  fi  prodigieufement  haï. 
;  fiége  de  Bar-le-Duc  ne  dura  que 
pt  jours ,  &  après  la  prife  de  cet- 
Ville  ,  le  Vicomte  de  Turenne 
archa  à  Château  Porcien ,  dont  il 
rendit  maître    en  fix  jours.  Il 
t  vrai  que  le  Prince  de  Condé 
oit  pris  Vervins  durant  le  fiége 
cette  dernière  Place  :  mais  le 
comte  de   Turenne  ne  voulant 
Iffer  aux    ennemis   aucun  pofte 
|i    Picardie ,  mena  fon  armée  à 
}  ?rvins  ,  &  cette    Place  ne  tint 
Il  e  douze  heures  9  quoique  la  gar- 
bn  fût  de  feize  cens  hommes.  Il 
t  bien  voulu  enlever  encore  au 
ince  de  Condé  Rhetel ,  Moufon, 
Sainte-Menehould,  avant  que  de 
itter  la  frontière  ,  mais  le  froid 
ceflif  qu'il   faifoit    cette   année 
oit  tellement  gelé  la  terre ,  qu'il 
impofîible  d'ouvrir  la  tranchée 
Avant  aucune  de  ces  Places. 

11  s'en  retourna  à  Paris  avec  le    11  revient  à 
<  .r.dinal  Mazarin  ?  qui  fut  auffi-tôi la  Cour  '  * 


%$t  Histoire  du  Vicomte 
Année  remis  à  la  tête  des  affaires.  LeR< 
i^î3-      donna  le   gouvernement   du   L 
tft  fait  Gou  moufin  au  Vicomte  de  Turenni 
LimouL ,  &  &  le  fit  Miniftre  d'Etat ,  afin  qu 
^lininre  a  e<  eût  entrée   au  (  onfeil  ,  penda 
tout  le  tems  qu'il  refleroit   à 
Cour. 
il    époufe      Ce  fut  fur  la  fin  de  cet  hive 
^ademoifeiie  qUe  je  Vicomte  de  Turenne  épc 
o'ra&ere  de  &  Mademoifelle  de  la  Force.  E 
cetce  Perfon-  £t01t  d'une  des  plus  grandes  m: 
ions  de  la  Guienne ,  &  fille  u 
que  &  héritière  du  Maréchal  D 
de  la  Force  ;  mais  les  qualités 
Tefprit  &  du  cœur  étoient  en  € 
fort  au-deffus  des  avantages  dej 
naiffance    6c  de  la  fortune.   Il 
vertus  ,  que  l'on  a  tant  de  pein  i 
infpirer  aux  personnes  de  fon  ft 
à  force  d'inftru&ions  &    d'ext 
pies ,  fembloient  être  le  fond  r 
me  de  fon  tempérament  &  de  l 
caractère.  Elle  avoit  naturellem 
dans  l'ame  je  ne  fais  quelle  gr 
deur ,  qui  ne  de  voit  rien  à  l'é 
cation.  C'étoit  l'efprit  le  plus  i 
vé  ,  &:  en  même-tems  le  plus  <i 
cile«  Elle  poffédoit  les  langues  1 


A    N    N    S    1 

I653. 


deTurenne.I/v.7/7,  239 
■antes ,  &  avoit  des  connoiffan- 
es  qui  pafîent  de  beaucoup  la  por- 
ie  ordinaire  des  femmes  ;  fans  fe 
roire  pour  cela  au-  deflus  d'elles, 
es  manières  ,  quoique  pleines  de 
ignité ,  étoient  toutes  limples  & 
)utes  unies.  Enfin ,  pour  faire  corn- 
rendre  tout  fon  mérite  en  deux 
iots,  elle  étoit  véritablement  di- 
îe  d'être  la  femme  du  Vicomte 
;  Turenne. 

Ce  Prince  paffa  avec  elle  le  H  faïc  tête 
•intems  de  cette  année-là  ;  car  g^cr£ 
>mme  nos  troupes  avoient  fatigué  loigne  de  Ja 

irant  prefque  tout  l'hiver  ,  nous  ^J*6  ** 

1>.  pûmes  nous  remettre  en  cam-  fours  villes. 
gne  qu'au  mois  de  Juin.  Il  pré- 
nt  néanmoins  encore  les  enne- 
is  ;  &  fâchant  qu'une  partie  de 
ir  armée  étoit  (ur  la  Sambre  & 
utre  dans  le  Luxembourg ,  il  s'al- 
mettre  entre  deux  avec  les  trou- 
:s  ;  &  ayant  obligé  par-là  les  en- 
mis  à  faire  un  grand  détour 
>ur  fe  joindre ,  il  eut  le  tems  de 
h-  prendre  Rhetel ,  avant  qu'ils  u  ?  Juilitt. 
j:ffent  être  affemblés.  Il  eft  vrai, 
*  'alors  ayant  trente  mille  hommes , 


t4°  Histoire  dv  Vicomte 
A  &  le  Vicomte  de   Turenne  n'ti 

ï£j3.  ayant  que  douze  mille  ,  ils  nrer 
trembler  la  Picardie  ,  fur  les  froni 
tieres  de  laquelle  le  Prince  de  Cor 
dé  vint  fe  préfenter  ,  menaçant  1 
Royaume  d'une  invaiion  général 
Il  n'y  avoit  point  de  garnifon  dai 
la  plupart  des  Places  ;  &  s'il  y  el 
avoit  dans  quelques-unes,  c'étoj 
ii  peu  de  chofe  qu'on  n'y  devcj 
faire  aucun  fond  en  cas  de  liégj 
Cependant  9  comme  elles  étoiel 
également  expofées  ,  on  ne  favc  I 
îaquelleferoitla  première  attaqué  I 
les  Ennemis  pouvoient  choifir,  I 
leur  gré,  Corbie,  Peronne ,  Han1 
Saint-Quentin,  Guife,  ou  Noyol 
Il  aurait  fallu  jetter  des  troupl] 
dans  toutes  ces  Places  ;  ce  que  i 
Vicomte  de  Turenne  ne  pouvcl 
faire  fans  réduire  fon  armée  | 
rien,  n'ayant  que  fept  mille  hor^ 
mes  d'Infanterie.  Dans  cet  étaS 
il  réfolut  de  conferver  fon  arnuh 
entière  ,  de  fuivre  le  Prince  <ljj 
Condé  par-tout  où  il  iroit,  &  de  il 
s'éloigner  jamais  plus  de  troislieii' 
des  Ennemis  ;  afin  que  s'ils  &I 

noie: 


IDE  ÎURENNE.  Liv.  III.   24Î 
loient  afliéger  quelque  Place  ,  il  A  " 
>ut  être  a  portée  d  en  renforcer  la      1*5*4    * 
;arnifon ,  &;  de  choifir  toujours , 
trois  lieues  à  la  ronde  autour  de 
ur  camp ,  l'endroit  le  plus  avan- 
igeux  pour  s'y  pofter  ;  &  c'eft  ce 
u'il  exécuta  avec  fuccès  ,  durant 
Hite  cette  campagne.  Le   Prince 
e  Condé  vint  plufieurs  fois  recon- 
Ditre  fon   camp  ôc  fon  armée  ; 
ais  l'ayant  toujours  trouvé  très- 
en  retranché ,  il  ne  jugea  pas  à 
•opos  de  l'attaquer.  Il  voulut  fai- 
venir  de  Cambrai  un  grand  con- 
)i  de  vivres  :  mais  le  Vicomte 
:  Turenne  en  ayant  été  averti, 
iffa  promptement  la  Somme ,  ÔC 
:tant  avancé  avec  cinq  cens  die- 
ux jufqu'à  Bapaume  ,  les  enne- 
is  ,   qui   étoient  déjà    iortis  de 
imbrai ,  n'oferent  paffer  outre  , 
y  rentrèrent  au  plutôt  avec  leur 
-nvoi.  Le  Prince  de  Condé  dé- 
:ha  le    Comte    de  Duras   avec 
)is  mille  chevaux ,  pour  aller  in- 
ftir  Guife  ,  mais  le  Vicomte  de 
arenne  ayant  aufîi-tôt  repaffé  la 
î  -mme ,  envoya  dans  Guife  deux 

la 


242  Histoire  du  Vicomte 
A  k  n  E  e  mille  chevaux ,  qui  y    arriverez 
16 tft      avant  le  Comte  de  Duras  ,  quoi 
qu'ils  eufTent  la  moitié  plus  de  che 
min  à  faire  que  lui.  Le  Prince  d 
Condé  &  l'Archiduc  Léopold ,  qi, 
avoient  joint  depuis  peu  l'armée  er 
nemie  ,  voyant  ainfi  tous  leurs  dei| 
feins  traverfés  ,  furent  quinze  joun 
à  délibérer  fans  rien  entreprendre 
&:  après  avoir  tenu  beaucoup  cl 
confeils  ,  ils  quittèrent  enfin  la  P| 
cardie ,  &C  marchant  à  grandes  joi 
nées  en  Champagne  ,  ils  allere 
aiTiéger  Rocroi ,  qui  efl  la  demi 
re  Ville  frontière  de  cette  Provi 
ce ,  du  côté  de  la  Flandre.  Comn 
cette  Place  efl  toute  entourée 
bois  ,  6c  qu'il  efl  impofîible  de 
fecourir  ,  quand  elle  efl  une  fc 
inveflie ,  le  Vicomte  de  Tureni 
leur  lahTa  faire  le  fiége  ;  &  cèpe 
dant  nous  allâmes    prendre  Mo 
fon  &  Sainte  Menehould  ;  de  foi 
que    les    ennemis   furent    entier 
ment  chaffés  de  la  France ,  où 
ne  leur  refla  plus  aucune  Place  qi 
Rocroi. 


BE  TURENNE.  Llv.IIL   243     ^^^^ 
L'année  fuivante  ,  le  Roi  étant  Année 
lié  fe  faire  facrer  à  Reims,  le  Car-      Ru- 
inai Mazarin,  pour  donner  de  l'é- ,  Le  J  J"ln.» 
lat  a  cette  cérémonie  ,  eut  deilein  &  stenay  af- 
e  faire  en  même-tems  quelque  flé2é* 
onquêtefur  les  ennemis,  &C  le  ref- 
:ntiment    qu'il    avoit     contre   le 
rince    de   Condé    lui  ayant  fait 
îoifir  Stenay  ;  qui  étoit  la  place  de 
reté  favorite  de  ce  Prince,  Fabert 
it  ordre  d'en  faire  le  fiége  ,  6c  le 
icomte  de  Turenne  fut  chargé  du 
in  d'en  empêcher  le  fecours. 
Le  Prince  de  Condé  ?  piqué  de  Condé  affil- 
;  qu'on  s'attachoit  à  une  ville  qui  £e  Arras  •  & 

.   a  •         o  *       Turenne  mar- 

1  appartenoit,  oc  ne  voyant  pas  che  à  foafe- 

Iur  à  la  pouvoir  fecourir,  fe  pro-  cours* 
)fa  d'afïiéger  de  fon  côté  quelque 
ace  de  réputation  ,  dont  la  con- 
lête  pût  le  venger  de  la  prife  de 
nay ,  &  même  dédommager  les 
pagnols  de  toutes  leurs  pertes 
ffées.  Dans  cette  vue  ,  il  fit  con- 
itir  l'Archiduc  Léopold  au  fiége 
\rras,  capitale  du  pays  d'Artois 
juelle  n'eft  qu'à  quarante  lieues 
Paris  y  la  Place  étoit  déjà  in-  Le  3  Juillet; 
Lij 


___  î44  Histoire  du  Vicomte 
Année  vefHe  ,  qu'on  ne  pouvoit  encor 
i^55»      croire  que  les  ennemis  ofafïent  fo? 
mer  une  pareille  entreprife.  Mor 
dejeu  ,  qui  étoit  Gouverneur  d'A 
ras ,  s'attendoit  fi  peu  à  être  afli< 
gé ,  qu'il  avoit  envoyé  toute  fa  t\ 
valerie  ,  à  la  réferve  de  cent  ma  i 
très  ,  à  de  Bar ,  qui  avoit  ordre 
fe  jetter ,  avec  le  camp  volant  qu 
commandoit  9  fur    la  frontière 
dans  la  première  Ville  des  em 
rons  qui  feroit  inveftie  ;  &  il 
put  rentrer  dans  Arras  ,  -  où  Mo 
dejeu  fe  trouvoit  avec  deux  mi 
cinq  cens  hommes  de  pied ,  &;  cf 
chevaux  pour  toute  garnifon. 
Cardinal  Mazarin ,  alarmé  de  I 
te  entreprife  ,  s'adrefla  au  Vicon 
de  Turenne  pour  y  mettre  ordi 
lui  offrant  pour  cela  de  faire 
ver  le  fiége  de  Stenay  ,  s'il  av 
befoin  des  troupes  qui  étoient 
vant  cette  Place.  Mais  le  Vico 
te  de  Turenne ,  croyant  qu'on  p« 
voit    bien    fecourir   Arras  ,  i 
j  abandonner  Stenay  ?  en  laiffa  c< 
tinuer  le  fiége  ,  6c  commença  j 
détacher  le  Chevalier  de  CrecjT 


deTurenne.  Liv.  III.  24^  _ 
£  deux  autres  Officiers ,  avec  dou-  a  n  k  é  * 
e  cens  chevaux,  leur  ordonnant  ^n» 
'aller  par  divers  endroits  fe  jetter 
ans  Arras ,  où  ils  entrèrent  heu- 
eufement ,  &  où  il  marcha  après 
ux  avec  le  Maréchal  de  la  Ferté. 
,es  ennemis  avoient  trente  mille 
ommes  ,  &£  nous  n'en  avions  que 
uatorze  mille.  Avec  û  peu  de  trou- 
es ,  il  n'étoit  pas  porîible  de  les 
haffer  de  devant  Arras  à  force  011- 
erte.  Aufli  le  Vicomte  de  Tu- 
=nne  n'entreprit- il  pas  de  les  at- 
iquer  dans  leurs  lignes  :  il  fe  pro- 
ofa  feulement  d'empêcher  qu'ils 
e  fifTent  venir  des  vivres  d'aucun 
tidroit  ;  afin  que,  ne  pouvant  fub- 
(ter  devant  la  Place  ,  ils  fuffent 
bligés  de  lever  le  liège.  Pour 
;la  ,  il  s'avança  jufqu'à  la  vue  de 
ur  camp  ,  auprès  de  Mouchy-le- 
reux  ,  entre  la  Scarpe  &;  le  petit 
liffeau  qui  defcend  à  Arleux.  Le 
laréchal  de  la  Ferté  fe  campa  fur 
bord  de  la  Scarpe  :  &  le  Vi- 
:>mte  de  Turenne  s' étant  poilé 
:r  la  hauteur  de  Mouchi ,  pour 
puper  les  vivres  aux  Efpagnols 
L  iij 


t        446  Histoire  du  Vicomte 
Année  du  côté  de  Douay ,  de  Bouchai] 
l*i$      6c  de  Valenciennes  ^il  envoya  fu  j 
fa  gauche  le  Colonel  d'Efpence 
Bapaume  ?  pour  empêcher  les  er 
nemis  de  faire  rien  venir  de  Catr 
bray  ;  &:  fur  fa  droite ,  le  Comte  <3 
Broglio  à  Lens  ?  pour  leur  ôter  ] 
communication  de  Lille  ;    &C 
Comte   de   Lillebonne  à  Perne< 
pour  barrer  le  paffage  à  tout  < 
qu'ils  auroient  pu  tirer  d'Aire  l\ 
de  Saint  Orner  :  il  s'empara  des  a 
très  poftes  qui  étoient  entr'eux ,  i 
des  Places  dont  ils  pouvoient  tir« 
leurs  munitions  ;    il   fe  faifit   d 
Châteaux  6c  autres  lieux  de  d< 
fenfe  des   environs  ,  tout  autoi 
d'Arras  :  il  y  logea  quelques  trou 
pes  ;  6c  il  les  fit  fi  bien  retranche; 
qu'on  ne  devoit  pas  craindre  qi 
les  ennemis  les  vinffent  attaquei 
il  les  refferra  enfin ,  &  il  les  bloque 
pour  ainfi  dire  ,  tellement  de  toii 
côtés ,  que  n'ayant  plus  la  liber 
de  la  campagne  pour   les  four; 
ges  &:  pour  les  convois ,  ils  mai' 
querent  bientôt  de  toutes  chofe 
Dans  cette  extrémité  ?  ils  preflerei 


N    N     E    » 


DE  TURENNE.  Liv.  III.   l^j 

eurs  attaques  le  plus  vivement  qu'ils 
nirent  pour  emporter  au  plutôt  la  »*$* 
3lace  ;  mais  ils  n'en  purent  venir 
t  bout.  Toutes  leurs  reffources 
toient  dans  un  grand  convoi  , 
jue  le  Comte  de  Boutte ville  leur 
levoit  amener  du  côté  de  Saint- 
yo\.  Le  Vicomte  de  Turenne  mar- 
:ha  aufîi-tôt  à  ce  pofte  ,  6c  s'eri 
aifit  encore.  On  fit  ce  qu'on  put 
>our  enlever  le  convoi ,  &c  l'on 
mpêcha  bien  les  charriots  de  paf- 
ïr  ;  mais  le  Comte  de  Bouttevil- 
3  ne  laiffa  pas  de  trouver  moyen 
e  faire  entrer  de  nuit  ,  dans  les 
gnes  un  grand  nombre  de  Ca- 
aliers ,  qui  portoient  en  croupe 
es  munitions  :  de  forte  que  les 
.fîiégeans  s' étant  remis  à  pouffer 
:urs  attaques  avec  de  nouveaux 
(Forts ,  Mondejeu  fit  favoir  au  Vi- 
omte  de  Turenne  qu'il  ne  pou- 
oit  plus  tenir  que  très-peu  de 
>urs ,  &  qu'il  feroit  bientôt  forcé 
e  fe  rendre ,  s'iln'étoit  fecouru.  Le 
ricomte  de  Turenne  favoit  fort 
ien  qu'il  n'étoit  pas  aufîi  preffé 
u'il  le  difoit  ;  mais  voyant  qu'on 
L  iv 


N    N    E 


148  Histoire  du  Vicomte 
ne  pouvoit  plus  déformais  fauve* 
J654.  la  Place  qu'en  fecourant  les  afîié- 
gés ,  il  réfolut  d'attaquer  les  ligne* 
dès  le  lendemain.  Néanmoins  ayan 
appris  le  foir ,  par  un  courier  du  Car 
U  18  Août.  ^na^  Mazarin  ,  que  Stenay  capi 
'  tuloit ,  &  qu'on  lui  alloit  envoyé 
les  troupes  qui  en  avoient  fait  l<i 
fiége  ,  il  jugea  à  propos  d'atten" 
dre  ce  renfort  ,  &C  cependant 
il  alla  reconnoître  le  camp  de  ; 
Efpagnols.  Il  fit  pouffer  toute  | 
leurs  gardes  jufques  dans  leurs  n 
*  tranchemens  ,  pour  mieux  décou1 
vrir  l'état  des  lignes  ,  &  du  ter 
rein  qui  étoit  devant  :  il  vifit  ! 
tous  les  côtés  du  camp  ,  pour  dor 
ner  également  jaloufie  à  tous  le  ; 
quartiers  ,  &:  tenir  les  ennemis  dan  1 
l'incertitude  de  l'endroit  par  où  il  I 
feroient  attaqués  ;  &  ce  fut  en  pal1 
fant  auprès  du  quartier  du  Prine1 
de  Condé,  que  le  Duc  de  Joyeufè1 
qui  étoit  avec  le  Vicomte  de  Turen1 
ne  ,  fut  bleffé,  dans  une  efcarmou 
che  ,  d'un  coup  de  carabine ,  don 
il  mourut. 


DE  TURENNE.Z/V. ///.   Ï49 

Cette  vifite  des  lignes  ayant  fait   aTTTT 
iger  aux:  ennemis  qu'on  avoit  def-      l6)+- 
îin  de  les  attaquer,  ils  redouble-    Difpoficion 
înt  d'une  part  leurs  efforts  pour  hâ-  ennemis!5 
r  la  prife  de  la  Place  ;  &  de  l'au- 
e,  ils  fortifièrent  de  nouveau  leur 
imp  ,  dans  la  crainte  d'y  être  for- 
îs.  Ils  avoient  prefque  par-tout 
mbles  foffés  &  doubles   lignes, 
elle  de  circonvallation  avoit  deux 
ifes  de  largeur  &  neuf  pieds  de 
ofondeur ,  avec  des  redoutes  & 
s  fortins  d'efpace  en  efpace  ,  ÔC 

l'artillerie  dans  toutes  les  embra- 
*es.  L'avant-fofle ,  qu'ils  avoient 
t  faire  au  devant  de  cette  ligne  r 

qui  régnoit  tout  autour  ,  étoit 

Ige  de  neuf  pieds ,  &  profond  de 
.  Ils  ordonnèrent  ,  outre  cela  , 
'on  élevât  des  épaulemens  par  tout 
tr  camp ,  pour  fe  couvrir  du  ca- 
n  de  la  ville  ,  auffi-bien  que  de 
ui  de  la  campagne.  Ils  embarraf- 
ent  tous  les  paflages ,  de  charriots 
îverfés ,  dont  ils  firent  des  efpe- 
;  de  barrières  ;  &:  dans  tout  le 
IJTéiri  qui  étoit  entre  la  ligne 
L  v 


1 50  Histoire  du  Vicomte 
de  circonvallation  &  Pavant  -fof- 
fé  ,  ils  firent  creufer  douze  rangées 
de  puits,  ou  grands  trous,  de  cinq 
pieds  de  profondeur  ,  difpofés  en 
forme  d'échiquier  ,  avec  des  peti-  ! 
tes  palhTades  ,  élevées  feulemen'; 
d'un  pied  &  demi  hors  de  terre 
dans  les  intervalles.  Enfin ,  ils  for 
îifierent  leur  camp  par  toutes  for  : 
tes  de  travaux  &  de  retranche  I 
mens,  &  même  par  de  nouveau:! 
ouvrages  qui  jufques-là  n'avoierl 
point  encore  été  ufités.  Tellemer  1 
que  l'attaque  des  lignes  effrayo:^ 
toute  l'armée  ;  &  que  quand  pj 
vint  à  en  parler  ,  chacun  en  mui  ) 
muroit  tout  haut  comme  d'uni 
«ntreprife  impofîible.  Cependari 
le  Maréchal  d'Hocquincourt  arriv  J 
avec  les  troupes  de  Stenay  ;  &  il 
Vicomte  de  Turenne  voulant  fai- 
re revenir  nos  Soldats  de  cette  tei  t\ 
reur  dangereufe  dont  ils  étoient  pr<  I 
venus  ,  il  les  mena  au  Mont  Sain  tf 
Eloi  ,  pofte  que  les  ennemis  o< 
cupoient  à  une  lieue  de  leur  camp  ri 
ê£  il  s'en  rendit  le  maître.  Il  Uî 
|aifit  avec  la  même  facilité  2  d- 


DE  TURENNE.  Liv.  III.    l^t  * 

endroit  nommé  le  Camp  de  Cèfar.  aTTTs 

fit  attaquer  divers  autres  poftes,  1654. 
ue  les  Afliégeans  tenoient  autour 
e  la  Place  ;  &  nos  gens  battirent 
ar-tout  l'ennemi  :  de  forte  que, 
emandant  eux-mêmes  qu'on  les 
lenât  aux  lignes ,  le  Vicomte  de 
"urenne  fe  difpofa  tout  de  bon  à 
îs  attaquer. 

Le  Prince  de  Condé  ,  l'Ardu-  Tutenneîes 
ne  Léopold,  le  Duc  de  Wirtem-  f;^^*" 
erg ,  les  Princes  de  Lorraine  &  de  ' 
igné  ,  les  Comtes  de  Ftienfaldai- 
îe  ,  de  Garfie  ,  &c  de  Ligneville  , 
s  Barons  de  Chat  e!  et  &c  de  Brior- 
e,  &  Dom  Ferdinand  de  So- 
? ,  partageoient  toute  la  circon-* 
dlation  par  leurs  différens  quar- 
ts ;  &  ils  étoiënt  convenus  d'un 
rnal ,  par  le  moyen  duquel  celui 
entre  eux  qui  feroit  le  premier 
taqué  ,  avertiroit  les  autres  ;  fi 
âitefois  on  oîoit  les  attaquer 
ms  la  fituation  où  ils  écoient  ; 
'  qu'ils  avoient  bien  de  la  peine 

croire.  Néanmoins  le  Vicomte 
î  Turenne  ?  ayant  concerté  l'exé- 
itiQK    de   cette    entre orife  avec 
L'vj 


^___  fi ji  Histoire  du  Vicomte 
ÎTTTe  les  Maréchaux  d'Hocquincourt  & 
Mrt*      de  la  Ferté  ,  il  commença  par  dif- 
pofer  les  chofes  de  manière ,  que 
li  on  ne  venoit  pas  à  bout  de  chaf 
fer  les  ennemis  de  devant  Arras  J 
on  y  fît  du  moins  entrer  un  bor 
corps  de  troupes  ;   &  que ,  fi  or 
ne  pouvoit  pas   même  forcer  le 
lignes  ,  chacun  pût  revenir  dam 
fon  camp  ,  &  y  trouver  une  re  j 
traite  aiTurée.  Il  fit  avertir  de  foi  j 
deiTein  Monde  jeu  ,  afin  qu'il  le  fe 
çondât  par  {qs  forties*  Il  régla  qu<  j 
les  trois    corps  donneroient  tous 
trois  fur  un  même  front  ,  &  noi 
point  par  des  endroits  féparés  ;  par 
ce  qu'alors,  les  uns  s'attendant  au: 
autres ,  on  ne  fait  pas  toujours  tou 
les  efforts  qu'on  pourroit  faire  foi 
même  pour  forcer.  Il  voulut  qu< 
l'attaque  fe  fît  de  nuit  ,   afin  qu< 
l'ennemi ,  ne  voyant  point  de  que 
côté  on  viendroit  l'attaquer  ,  n'o  : 
fat  dégarnir  aucun  endroit.  Il  com 
manda  divers  pelotons   d'infante- 
rie, 6c  plufieurs  petites  troupes  de 
cavalerie  ,  pour  donner  l'alarme 
de  toutes  parts  aux  environs  des 


deTurenne.  Liv.III.  ij) 

lignes ,  ayant  réfolu  de  faire  par-  J  N 
tout  de  fauffes  attaques ,  pour  cou-      x^4. 
vrir  le»  véritables  :  &c  après  avoir 
pris  toutes  les  -utres  mefures,  ôc 
ionné  tous  les  ordres  qu'il  jugea 
îéceffaires  ,  les  trois  Généraux  9 
;hacun  à   la  tête  du  corps    qu'il 
:ommandoit ,  commencèrent  à  fai- 
e  défiler  leurs  troupes  à  l'entrée 
le  la  nuit.  Le  Vicomte  de  Turen- Le  *4  Ao^ 
ï ,  étant  à  l'avant-garde  avec  le 
)uc  d'Yorck  ,  fit  prendre  la  mar- 
ne ,  par  deslieux  couverts ,  afin  d'en 
érober  la  connoiflance   aux  en* 
émis.  Il  étoit  deux  heures  après 
îinuit  ,  quand  on  arriva  aux  li~ 
nés  :  on  marcha  le  plus  fecrette- 
lent    qu'on    put.  Néanmoins  un 
oup  de  canon ,  qu'on  entendit  du 
ôté  des  Efpagnols  ,  ne   pouvant 
voir  été  tiré  que  pour  fervir  de  fi- 
nal ,  Ri  juger  au  Vicomte  de  Tu- 
*nne  que  nous  étions  découverts, 
i.'eft  pourquoi  ,  fans  attendre  le 
«laréchal  d'Hocquincourt ,  qui  de- 
oit  combattre  à  fa  droite  ,  &  qui 
étoit  égaré  par   la  faute  de  tes 
uides  7  il  réfolut  de  commencer 


,i?4  Histoire  du  Vicomte 
Année  aufli-tôt  l'afFaire  avec  le  Maréchal 
.**S4i      de  la  Ferté  9  pour  ne  pas  laiffer 
aux  ennemis  le  temps  de  fe'recon- 
noître.  Il  envoya  néanmoins  au- 
paravant quelques  foldats- autour, 
de  la  circonvallation  ,  portant  de 
longs  cordeaux ,  garnis  de  mèche; 
allumées  ,  afin  de  faire  croire  au> 
Efpagnols  r  que  c'étoient  autant  d< 
Moufquetaires    qui    les   environ- j 
noient ,  &  qui  les  alloient  attaquai 
de  tous  côtés  à  la  fois,  &  de  lel 
obliger  par4à  à  fe  tenir  tous  cïan  > 
leurs  quartiers ,  fans  en  affoiblir  au 
cun  pour  fortifier  les  autres.  Apre 
quoi ,  ayant  mis  fon  infanterie  fe  j 
deux  lignes  ,  fa  cavalerie  derriè- 
re ,  &  à  la  tête  de  tout  quelque  ' 
cavaleries  détachées  ,  pour  fourmi 
aux   gens   de  pied  les  fafcines  &  ; 
tes  outils  dont  ils  pouvoient  avoii 
befoin  ;  il  marcha  au  quartier  d< 
Dom    Ferdinand  de  Solis  ,  où  i 
s'étoit  propofé  de  faire  fon  atta 
que.  L'avant -foffé  fut   comblé  & 
paffé  en  moins  de  rien.  Il  fit  aufïi 
tôt  jetter  des  claies  fur  tous  le: 
trous    qui   étoient  entre  l'avant 


DE  TU  RENNE.  Liv.IIl.  l^Ç 


N    N     E   «-< 


Ibffé  &  la  ligne  de  circonvalla-  A 
[ion  :  il  fit  arracher  ou  enfoncer  Iôî4 
tout-à-fait  les  petites  paliffades  qui 
étoient  dans  les  efpaces  entre  ces 
trous ,  6c  franchisant  tous  les  obf- 
:acles ,  par  lefquels  les  affiégeans 
ivoient  cru  rendre  leur  camp  ina~ 
jordable  ,  il  arriva  jufques  fur  le 
)ord  du  foffé  dé  la  ligne.  Il  eft 
rrai  qu'en  cet  endroit,  les  Efpa- 
;nols  firent  une  furieufe  décharge 
ur  nos  gens  ;  mais  cela  ne  fervit 
[lia  nous  faire  pouffer  plus  vive- 
nent  l'attaque  :  on  effuya  le  feu 
les  ennemis  :  on  fe  mit  à  combler 
e  foffé  avec  les  fafcines.  Les  fol- 
lats  du  régiment  de  Turenne  n'at- 
endirent  pas  même  qu'il  fût  com- 
blé :  ils  fe  précipitèrent  dedans  ,  à 
i  fuite  de  leurs  Capitaines  :  on 
eur  y  jetta  des  échelles  avec  lef- 
juelles  ils  efcaladérent  le  retran- 
chement ;  &  Fifica  ,  Capitaine 
lans  ce  régiment  ,  ayant  le  pre- 
Inier  gagné  le  haut  du  foffé,  y 
>lanta  le  Drapeau  de  fa  Compa- 
gnie, en  criant  :  Vive  Turenne  !  A 
;e  çri,  nos  gens  tentant  redouble^' 


N    N 


256  Histoire  du  Vicomte 
leur  ardeur,  commencèrent,  avec 
6^.  '  une  émulation  incroyable ,  a  arra- 
cher les  paliffades  à  l'envi  les  uns 
des  autres ,  à  ébouler  le  parapet , 
&  à  renverfer  tous  les  travaux  de 
la  circonvallation.  Le  Marquis  de 
Bellefond  fut  le  premier  qui  ouvrit 
un  paffage  à  la  cavalerie  ,  en  for  : 
çant  une  barrière.  Les  lignes  fu- 
rent  bientôt  après  percées  &  ou  < 
vertes  en  cet  endroit  :  toute  la  ca- 
valerie y  trouva  entrée  à  la  poin-l 
te   du  jour.  Il    eft  vrai  ,  que   fc( 
Maréchal  d'Hocquincourt    n'étoii) 
pas  encore  arrivé ,  &  que  le  Mare  j 
chai  de  la  Ferté  n'avoit  pu  venir  ï  j 
bout  de  forcer  le  côté  qu'il  avoi1  ) 
attaqué;  mais  les  troupes  de   co 
dernier  étant  entrées  à  la  fuite  do 
celles  du  Vicomte  de  Turenne ,  or  J 
abbattit   les  épaulemens ,  &  toiu< 
les  ouvrages   par  lefquels  les  Af-  I 
fiégeans  avoient  fortifié  leur  camp 
Les  Efpagnols,  faifis  d'épouvante,, 
abandonnèrent    leurs     retranche- 
mens ,  avec  le  défordre  &  la  con- 
fufion  qu'on  peut  s'imaginer  dans 
une  pareille  déroute.  L'ennemi  ef- 


DE  TURENNE.  Liv.IIL  1}J 
jya  toute  la  fureur  du  foldat  vie-  A 
\oneux  :  tout  plia  oc  prit  la  fuite  i*5^ 
(evant  nous ,  jufqu'aux  Généraux; 
la  réferve  du  Prince  de  Condé , 
ui ,  voyant  la  plupart  de  nos  fol- 
ats  courir  au  pillage ,  vint  avec 
îs  troupes  de  Ion  quartier  char- 
sr  le  Maréchal  de  la  Ferté  ,  &c 
ouffa  fi  vigoureufement  tout  ce 
ui  étoit  devant  lui ,  qu'on  vit 
îeure  que  par  une  révolution  fu- 
Lte  il  alloit  faire  changer  la  for- 
ne  de  cette  grande  journée  ;  le 
[aréchal  de  la  Ferté  n'ayant  plus 
autre  reflburce  que  celle  de  fe 
tter  dans  Arras  pour  fe  fauver. 
orfque  le  Vicomte  de  Turenne 
t  averti  des  grands  efforts  que  le 
rince  de  Condé  faifoit  de  ce  cô- 
-là  ,  il  y  vint  à  la  tête  de  fon 
:giment  de  cavalerie  ,  chargea 
s  efeadrons  ennemis ,  le  rom- 
t  entièrement ,  &  les  fît  fuir 
ins  un  grand  défordre.  Le  Prince 
$  Condé  ne  laifTa  pas  de  tourner 
te  avec  beaucoup  de  fierté ,  & 
î  rallier  plufienrs  fois  fes  trou- 
as devant  nous  :  mais  enfin ,  le 


_____  158  Hïs.toi&e  du  Vicomte 
Année  Vicomte  de  Turenne  le  força  à  £ 
i6w*  retirer ,  comme  les  autres  Gêné 
raux.  Il  défit  quelques-uns  des  ei 
cadrons  ,  que  ce  Prince  avoit  lail 
fés  derrière  lui  pour  faire  fa  re! 
traite  :  6c  il  auroit  pu  les  taille! 
tous  en  pièces  ,  s'il  avoit  eu  pli 
de  troupes  pour  les  pourfuivre 
mais  l'impatience  de  piller  poffd 
doit  tellement  nos  gens  ,  qu'il  fi 
impoiFible  de  les  mener  plus  lo: 
que  la  circonvallation  ,  6c  qu'cj 
ne  put  de  tout  le  jour  rallier  l'a:  i 
mée.  Les  ennemis  perdirent  ,  t  j 
cette  occafion  ,  près  de  fept  mil  \ 
hommes,  qu'on  leur  tua,  ou  qu'cj 
£t  prifonniers  :  on  leur  prit  foixaj  I 
te  &  quatre  pièces  de  canon ,  dei  I 
mille  charriots  ,  fix  mille  tentes  j 
neuf  mille  chevaux ,  tous  les  équ  I 
pages  des  Officiers ,  &  le  bagage  c  j 
refte  de  l'armée.  De  notre  côté? 
nous  n'y  eûmes  que  trois  ou  quatu 
censfoldats  de  tués,  6c  quelque 
blefTés.  Le  Vicomte  de  Turenne  3 
reçut  un  coup  de  moufquet ,  qui  lit{ 
Bt  une  contulion,  &  eut  un  chevtf 
tué  fous  lui.. 


DE  TURENNE.  Llv.HL   1J9 

Le  Roi  &  le  Cardinal  Mazarin .  ~~ 7         T 

.     /      .  \    r>  '  •  /     A  n  n  e  $. 

m  etoient  a  Peronne  ,  vinrent  a      1*54. 
irras ,  exprès  pourlui  témoigner  la     ,  R  . 
econnoirTance  qu'ils  avoient  du  fer-  à  Arras. 
ice  important  qu'il  venoit  de  ren-    Le  i8  Ao^? 
re  à  l'Etat.  Ils  laifTerent  toute  l'ar- 
îëe  fous  fes  ordres,  &  ils  emmené* 
ent  les  Maréchaux  d'Hocquincourt 
l  de  la  Ferté  avec  eux  à  Paris.  Pour 
erpétuer  le  fouvenir  d'un  événe- 
ent  fi  mémorable  ,  on  frappa  la 
lédaille  n°.  5. 

On  y  voit  deux  Victoires  ,  qui 
ettent  fur  un  trophée  une  couron- 
\  vallair  e ,  f  emblable  à  celle  que  les 
omains  donnoient  aux  Généraux 
armée ,  qui  avoient  forcé  les  re- 
anchemens  des  ennemis.  La  Lé- 
înde,  Perrupto  Hifpanorum  Vallo9 
tflris  direptis  ,  lignifie  :  Les  li- 
ns des  Efpagnols  forcées  ,  &  leur 
wip  pillé,  L'Exergue  ,  Atrebatum 
'nratum  ,  M.  DC,  LIF.  Arras  fe- 
uru  ,  1654. 

L'heureux    fuccès    du    fecours      Prife   du 
Arras ,  fat  fuivi  de  la  prife  du  §SS£!  ^ 
Hiefnoi ,  &  de  celle  de  Clermont 
Argonne  ?  par  où  on  finit  la  cam- 
gne, 


160  Histoire  du  Vicomte 

Année       L'année  d'après  ,   quoique  l'ar 

ltfH-      mée  des  ennemis  fût  aufîi  nombreu 

Prife  de  di-  ^e  ^ue  ^a  nôtre ,  nous  ne  laiffâme 

vcrfes  villes,  pas  de  prendre  Landrecy ,  Condé 
Saint-Guilain  ,  &  plufieurs  autre 
villes  &C  châteaux  des  environs 
dont  nous  nous  rendîmes  maîtres  { 
malgré  les  inondations  qu'on  avo  j 
faites  tout  au  tour  ,  &  à  la  vue  d 
toutes  les  troupes  des  Efpagno] 
jointes  ensemble.  Car  le  Prince  cl 
Condé  vint  fouvent,  àlatêtedefcl 
armée ,  pour  nous  faire  lever  le  ûéi  I 
de  devant  ces  villes  :  mais  noi  I 
avions  û  bien  pris  nos  mefures ,  qt  1 
tous  {qs  efforts  fe  réduifirent  à  c  ï 
légères  efcarmouches  LeViconrl 
de  Turenne  fit  rafer  celles  de  c<  g 
Places  qui  ne  pouvoient  nous  êtil 
d'aucun  ufage  ;  il  fit  fortifier  les  ai  I 
très,  &  il  les  pourvut  de  vivres  lï 
de  munitions  ;  il  fe  rendit  maître  <| 
la  campagne,  &:fit  fubfifterfonail 
mée  dans  le  pays  ennemi. 
l6s6.  Tous  ces  avantages  remporta 

avec  tant  de  facilité  fur  les  Efp<  ! 
gnols ,  portèrent ,  l'année  fuivante  i 
le  ^Vicomte  de  Turenne  à  affiég* 


DE  TURENNE.IzV.///.    %6î 

me  de  leurs  plus  importantes  pla-  A  N  N  .  . 
es.  Dans  cette  vue  ,  il  marcha  i^-s. 
Valenciennes  avec  fon  armée  &C  siège  de  va- 
elle  du  iMaréchal  de  la  Ferté  qui  ^-^"j^ 
toit  alors  malade.  Comme  l'Ef- 
aut  traverfe  cette  Place  ,  il  fit 
affer  le  Marquis  d'Uxelles  ,  avec 
i  moitié  des  troupes ,  à  la  droite 
e  ce  fleuve ,  &  demeura  avec  le 
efle  à  la  gauche.  Il  y  jetta  deux 
onts ,  l'un  au-deffus ,  &  l'autre 
Li-deffous  de  la  Ville ,  pour  la  corn- 
iiinication  des  deux  armées  :  & 
?s  ennemis  ayant  lâché  leurs  éclu- 
?s ,  pour  inonder  la  partie  la  plus 
affe  du  terrein  où  fes  troupes 
toient  campées ,  il  y  fit  faire  une 
igue  plus  élevée  que  l'endroit  le 
lus  haut  où  l'eau  pouvoit  mon- 
m  II  fit  faigner  les  réfervoirs 
es  afîiégés  ;  il 'fit  creufer  plufieurs 
anaux  ,  pour  faire  écouler  l'eau 
ans  l'Efcaut  :  &  la  digue  étoit 
onflruite  de  manière  ,  qu'elle  re- 
çoit dans  Valenciennes  la  plus 
rande  partie  des  eaux  qui  auroient 
»u  entrer  dans  notre  camp ,  &  inon- 
loit  un  Fauxbourg    &  un  quar- 


161  Histoire  du  Vicomte 


a  n  n  é  i  tier  de  la  ville.   Les  Efpagnols  3 
iéj5.      voulurent  jetter  du  fecours  :  mai' 
le  Vicomte   de  Turenne  fit  fail- 
li bonne  garde  tout  autour,  qu'il 
n'en  purent  venir  à  bout.  Les  lî 
gnes    de    circonvallation    &    dl 
contre vallation    ayant    été    faite  1 
avec  les  ouvrages  néceffaires  poi-| 
la  fureté  du  camp  ,  il  fit   ouvri 
la  tranchée    en   deux  endroits 
il  pouffa  fes   deux  attaques  ave 
toute  la   vigueur  pofîible  ;   & 
en  étoit  déjà  à  la   contrefearpe 
lorique  le  Maréchal  de  la  Ferté 
qui  n'étoit  pas  encore  tout-à-fa 
guéri  y  vint  au  fiége  par  ordre  d 
Cardinal  Mazarin ,  qui  voulut  ai 
folument  qu'il  y  allât  ,    peut-êtr 
parce  qu'il  étoit  bien  aile  qu'il  y  ei 
toujours  quelqu'un  qui  eût  part  au 
entreprifes  du  Vicomte  de  Tureil 
ne  ,  afin  qu'il  ne  s'accréditât  p< 
autant  qu'il  auroit  fait ,  s'il  n'en  ei 
partagé  la  gloire  avec  perforn* 
Quoi  qu'il  en  foit ,  le  Maréchal  d 
la  Ferté  étant  arrivé  devant  Val 
lenciennes  7  il  fe  mit  à  la  tête  d 
fon  armée  ,  à  la  droite  de  l'Efcan 


DE  TURENNE.I/V.7/7.   263    ^ 

h  étoit  Ton  quartier.  Comme  ce  aTTTï 
lartier  étoit  celui  où  les  enne-  ^5<>. 
is  pouvoient  arriver  le  plus  aifé- 
ent,  le  Vicomte  de  Turenne  l'a- 
>it  fait  fortifier  par  des  lignes 
mbles  &  palifTadées:  mais  le  Mâ- 
chai de  la  Ferté  ,  croyant  qu'une 
ule  ligne  fumYoit  ,  tit  rafer  l'au- 

,  &:  continua  l'attaque  que  le 
icomte  de  Turenne  avoit  fait 
mmencer. 

Cependant    Don  Juan   d'Autri-  DonJuanva 
e  j  à  qui  le  Roi  d'Efpaene  venoit  ? u£cour?  dc 

j      ^         ,       ^  r    b  .       la  Placeront 

donner  le  Gouvernement  des 
ys-Bas ,  voulant  fignaler  fon  ar- 
Tée-  en  Flandre  ,  avoit  ramaffé 
.ites  les  milices  du  Pays  ;  &  les 
ant  jointes  à  fon  armée ,  ainû 
e  quelques  renforts  qu'on  lui 
oit  envoyés  d'Allemagne ,  il  étoit 
nu  avec  le  Prince  de  Condé  fe 
mper  à  la  vue  de  Valenciennes , 
1  ris  le  deflein  de  fecourir  cette 
ice. 

Le  Vicomte  de  Turenne  fe  dou-  lefiége  t&  u- 
ît  bien  que  les  ennemis  attaque-  l^ZàJ% 
ient   les  lignes  au   quartier  du  la  Ferté. 
iréchal  de  la  Ferté  ,  parce  que 


264  Histoire  du  Vicomte 
J*77T7  ce  quartier  étoit  le  plus  expofé 
x*5*.      lui  manda  »  que  ,  s'il  le  vouloit 
»  il  lui  enverroit  quatre  ou  cin 
»  régimens   »   Mais  le  Maréch; 
de  la  Ferté  ,  recevant  l'honnêt 
té  du  Vicomte  de  Turenne  ,  con 
me  il  auroit  fait  une  injure  ,  lj 
envoya  dire  ,   »    qu'il   garda  f 
»  troupes  povir  fa  propre  défenf( 
»  qu'il  auroit  peut-être  autant  h 
»  foin  de  fe cours  que  lui  ;  &  qv 
»  lui  offroit  la  moitié  de  fon 
»  mée  ».  Le  Vicomte  de  Turen 
€ut  beaucoup  de  chagrin  de  ce  q 
ce  Maréchal  prenoit  la   chofe 
cette,  manière.  Prévoyant  le  pi 
judice  qui  en  pouvoit  arriver  a 
affaires  du  Roi ,  il  lui  envoya  f 
re  encore  une  fois  la  même  oifi  . 
en  lui  repréfentant  le  danger  0*111 
étoit  :  mais  le  Maréchal  de  la  F 
té  ne  fit  que  rire  de  ces  avis  , 
ne  daigna  pas  même  tenir  hors  c 
lignes  ,    ni  gardes  ,    ni    battei: 
d'eftrade  ,  qui  puffent  l'avertir 
l'approche   des  ennemis.   Aufîi  1 
te  ï  j  Juillet,  nuit  fuivante,  le  Prince  de  Con£ 
&  Dom  Juan  d'Autriche ,  étant  ^1 


N    N    E    | 


DE  TURENNE.ZzV.///.    léf 

us  l'attaquer ,  ils  arrivèrent  jufques 
■  le  bord  du  foffé  de  fon  premier  "  1Y5S 
^franchement ,  fans  avoir  été  dé- 
Diivérts.   Ils  forcèrent  la    ligne , 
il  ils  ne  trouvèrent  prefqu'aucu- 
2  réfiftanee  ,  &  firent  prisonniers 
Maréchal  de  la  Ferté  ,  les  Corn- 
s  d'Eftrées  ,  de  Gadagne  ,    &  de 
randpré  ,  Lieiuenans  Généraux , 
us  de  quatre  cens  Officiers  ,  & 
es  de  quatre  mille  Soldats  ;    ce 
n  fut  fait   en  moins  d'un  quart 
îeure  :  de  forte  que  le  Vicomte 
Turenne  ,  qui,  à  la  première  al- 
*me ,  avoit  couru  au  fecours  par- 
Ails  la  digue  :  fut  à  peine  au  bout, 
'il  vit  les  ennemis  qui   s'avan- 
ient  déjà  de  ce  côté-là ,  pour  le 
nir  forcer.  Il  ordonna  au  même 
tant  qu'on  rompît  la  digue  :  &:  les 
ant  arrêtés  par-là  ,  il  fit  prompte- 
mt  revenir  nos  gens  de  la  tran- 
ée,  retirer  le  canon  des  batteries , 
arger  les  bagages  ,  combler  les 
nés  ;  &:  ayant  fait  défiler  devant 
I  l'artillerie  6c  les  équipages  ,  il     - 
i  a  former  un  camp  fous  le  Quef- 
ijiavec  fon  armie  7  pour  fauver 
fl:te  Place.  M 


r66  Histoire  du  Vicomte 

A  n  k  é  e      Le  Prince  de  Condé  &   Doit 

16)6.     Juan  d'Autriche  y  marchèrent  aprèî 

Condé   &  lui 3  avec  leurs  troupes  ;  &:  ne  dou 

D.Juan  prcn-  tant  pomt  qu'il  ne  prît  la  fuite  de 

lient  Conde ,  r  K*  .*■  ,,.N 

&Turenne  la  vant  eux  ,  ils  avoient  déjà  com 
Capelie.       mandé  mille  chevaux  pour  le  pouî 
fuivre  ;  de  forte  ,  que  lorfqu'ils  fi 
rent  arrivés  affez  près  de  lui  pou 
découvrir  fon  camp ,  ils  furent  foi  ; 
étonnés  de  voir' que  les  tentes   j 
etoient  dreffées ,  qu'il  avoit  laifi 
tout  ouvert  ,  &:  qu'il  les  y  attei 
doit  de  pied  ferme.  Il  eft  vrai ,  qu 
l'approche  des  ennemis  ,  nos  fo 
dats,   épouvantés ,  commencera 
à  charger  les  bagages  ;  mais  le  V 
comte  de  Turenne ,  ayant  ordom  I 
que  perfonne  ne  fortît  de  fon  pofli 
oc  qu'on  ne  fît  aucun  retranch 
ment,  ni  aucun  autre  travail  devai 
le  camp ,  il  rafïiira  toute  l'armée  p 
le  peu  de  précaution  qu'il  pr eno 
Pour  défabufer  les  Flamands ,  à  q 
on  avoit  fait  croire  que  nous  n'; 
vions  plus  de  troupes  en  campagn 
il  envoya  des  Partis  jufqu'aux  port 
de   Bruxelles  :  &  fur  le  bruit  qi 
çouroit  que  les  ennemis  avoie 


N    N    E    £ 


DE  TU  RENNE.  Liv.  llL    iGj 
deffein  d'afliéger  Condé  ou  Saint> 
Guilain,  iljetta  dans  ces  deux  Places      i*?* 
mille  cavaliers,  qui  y  portèrent  cha- 
cun un  fac  de  farine  en  croupe.  Un 
fi  gros  détachement ,  fait  d'un  auffi 
petit  corps  de  troupes ,  en  préfence 
des  ennemis ,  qui  étoient  beaucoup 
plus  forts  que  lui ,  donna  une  telle 
confiance  à  fes  foldats ,  qu'ils  ne  ref- 
liroient  plus  que  le  combat  :  mais 
e  Prince  de  Condé  &c  Dom  Juan 
l'Autriche  ,  n'ayant  pas  jugé  à  pro- 
pos d'en    venir   aux    mains  avec 
îous ,  décampèrent  les  premiers  , 
k:  tombèrent  fur  Condé  qu'ils  pri- 
ent ,  6c  dont  ils  firent  démolir  les 
I  brtifl cations;  après  quoi ,  ils  alle- 
ent  afîiéger  Saint-Guilain.  Mais  le 
/icomte  de  Turenne ,  qui  avoit  eu 
e  tems  de  ramafTer  les  débris  de 
armée  du  Maréchal  de  la  Ferté  , 
yant  inverti,  la  Capelle  où  étoit  le 
principal  magafin  des  ennemis  ,  le 
}rince   de  Condé   &  Dom  Juan 
l'Autriche  levèrent  aufîi-tôt  le  fié- 
;e  de  Saint-Guilain ,  pour  aller  au 
ecours  de  la  Capelle.  Ils  s'appro- 
;herentdes  lignes  avec  leur  armée  ; 
M  ij 


* 


268   Histoire  du  Vicomte 


Année  mais  ils  n'oferent  les  attaquer  :  & 
1  £5  s.      ie  Vicomte  de  Turenne  pritla  Place 
J*£ Valeur  vue  . 

La  pnie  de  cette  Ville  arrivée 
û  -  tôt  après  ce  qui  venoit  de  fe 
parler  à  Valenciennes  ,  6c  dans  un 
tems  où  la  Cour  fembloit  déM- 
pérer  des  affaires  ,  fut  regardée  en 
France  comme  un  avantage  très- 
confidérable  :  6c  pour  confervei 
éternellement  la  mémoire  d'un  fuc 
ces  fi  peu  efpéré ,  on  y  frappa  h 
Médaille  n°.  6. 

On  y  voit  la  Fortune ,  qui ,  d'une 

main  ,  tient  une  corne  d'abondan 

ce  ,  6c  de  l'autre  un  Gouvernail ,  ai 

haut  duquel  eft  une  couronne  mu 

raie.  Les  mots    de   la    Légende 

Fortuna  redux  ,  fignifient ,  la  Fortu 

ne  de  retour  :  &c  ceux  de  l'Exergue 

Capella  capta  9  M.  DC.  LVI.  prij 

de  la  Capelle ,  i65G. 

Turenne  eft      On  félicita  fort  le  Vicomte  d< 

Gén^raiXiI  Turenne  fur  l'heureux  événemen 

Cavalerie,     de  cette  entreprife.  On  lui  donn; 

la  charge  de  Colonel-Général  d< 

la  Cavalerie ,  l'année  fuivante.  Oi 

fit  même  plus  pour  lui  ;  on  lui  ac 


i 


DE  TURENNE.  Llv.  III.    269   

:orda   ce   qu'il  demandoit  depuis  a  n  n  é  1 
ong-tems  ;  à  favoir  ,  qu'on  ne  le       i*i* 
:ommît  plus  avec  le  Maréchal  de  r 

r         /  L    \       r  1      r  1  1     Le   14  Avn*.' 

a  Ferfe  :  de  iorte  que  le  liège  de 
Gambray  ayant  été  réfolu ,  il  y  fut  Le  %%  Mai, 
mvoyé  feul.  Mais  le  Prince  de 
3ondé  ayant  entrepris  de  jetter  du 
ecours  dans  la  Place ,  avant  que 
îous  euiTions  achevé  nos  lignes'; 
k:  y  étant  entré  lui  même  avec 
ingt  efcadrons  de  cavalerie  ,  on 
[uitta  ce  deffein.  Le  Maréchal  de 
a.  Ferté  eut  ordre  d'aller  faire  le 
lége  de  Montmédy  dans  le  Lu- 
lembourg  ;  6c  le  Vicomte  de  Tu- 
enne ,  de  tenir  la  campagne ,  pour 
'oppofer  à  ce  que  les  ennemis 
>oiirroient  entreprendre.  Le  Prince 
Je'  Condé  &  Dom  Juan  d'Autri- 
:hent  firent  diverfes  marches  &  con- 
re-marches ,  pour  s'approcher  de 
i  Place  ,  &C  y  jetter  du  fecours.  Ils 
jent  mine  de  vouloir  afïiéger  la 
>lûpart  des  Villes  qui  étoient  aux 
nvirons ,  pour  nous  faire  abandon- 
ier  notre  entreprife.  Mais  ils  ne  fil- 
ent faire  prendre  le  change  au  Vi- 
omte  de  Turenne  :  il  fe  préfenta^ 
M  iij 


ifo   Histoire  du  Vicomte 


A  «  n  é  s  avec  fon  armée ,  par-tout  où  ils  ef- 
-     ,tfJ7«      fayerent  d'aborder  les  lignes  j  &  ils 
n'oferent  jamais  l'attaquer.  Il  rom- 
pit toutes  leurs  mefures,  il  prévint 
tous  leurs  deffeins  ;  &  malgré  leurs 
le  e  Août.  ftratagêmes&  leurs  efforts,  la -Place 
fut  enfin  emportée  par  le  Maréchal 
de  la  Ferté. 
il  prend  s.      Après  la   prife   de   Montmédi,! 
jev«niVfiégele  Vicomte  Turenne  alla  afliégeij 
d'Ardrcs ,      S.  Venant,  Ville  fituée  fur  la  Lys . 
dans  le  Comté  d'Artois.  Le  Prince 
de  Condé  &  Dom  Juan  d'Autri- 
che ,  vinrent   encore  avec  leurs 
troupes  pour  fecourir  cette  Place  ;  ' 
mais  ayant  été  plusieurs  jours  de- 
vant nos  lignes  ,  fans  avoir  ofé  les 
attaquer  ,  ils  pafferent  dans  la  Pi- 
cardie ,  &  ils  afliégerent  Ardres , , 
pour  obliger  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  à  abandonner  le  liège  de  S, 
Venant.  Il  efl  vrai  que  le  Cardinal 
Mazarin  ne  lui  ayant  envoyé  aucun 
argent  pour  la  dépenfe  de  ce  Siè- 
ge ,  il  y  a  voit  lieu  de  croire  qu'il 
tireroit  afTez  en  longueur ,  pour  que 
les   ennemis  euffent  le  temps  de 
prendre  Ardres  :  mais  le  Vicomte 


j       DE  TURENNE.  Liv.  III.  1J1  

de  Turenne  ayant  fait  couper  fa  a  n  n  é  c 
ivahTelle  d'argent  en  morceaux  ,  l65> 
pour  la  distribuer  aux  foldats ,  il 
les  engagea  fi  bien  à  avancer  les  tra- 
vaux ,  que  le  Gouverneur  de  Saint- 
Venant  demanda  à  capituler.  Le  £e  i7  Août* 
Vicomte  de  Turenne  ,  fans  atten- 
dre que  la  capitulation  fut  réglée, 
i  détacha  aiuTi-tôt  de  fon  armée 
quatre  mille  chevaux  ,  6c  leur  or- 
i  lonna  de  marcher  à  Ardres  ,  par  les 
I  îauteurs  d'Aire  Se  de  Saint-Omer  , 
lâchant  bien  qu'on  ne  manqueroit 
bas  de  tirer  fur  eux  le  canon  de  ces 
3laces,&que  le  Prince  de  Condé 
k  Dom  Juan  d'Autriche,  aver- 
:is  de  notre  marche  far  le  bruit 
du  canon,  fe  retireroient  aufîi-tôt 
de  devant  Ardres.  En  effet  ,  ils 
levèrent  le  fiége  à  l'approche  de 
notre  détachement, ils  allèrent  du 
côté  de  Bourbourg ,  &  fe  retran- 
chèrent entre  les  rivières  d'Aaa  & 
de  la  Colme. 

Le  Vicomte  de  Turenne  vint  à 
Ardres  avec  le  refte  de  l'armée, 
après  la  prife  de  Saint-Venant  ;  &  *  £  defc^ 
royant  que  les  ennemis  étoient  fi 
M  iv 


'zyi  Histoire  du  Vicomte 


Année  éloignés  il   retourna  du    côté  d< 
i*î7.      la  Lys,  fe  faifit  de  la  Mothe  aux  i 

vetfes  autres  Bois  ;  &  fit  rafer  ce  Château ,  qu 

pJacçs.         incommodoit  fort  Saint-Venant  :  i 
marcha  enfuite  vers  la  Colme  ;  i 
fe  rendit  maître   de-  CaiTel  &  d< 
Vate  ;  il  prit  le  Fort  Rouge  ,  le 
Forts  de  Hennuyn ,  de  Ruth ,  d* 
Saint-Chriftophe  ,  &  la  Ville   d 
Bourbourg.  Il  força  le  Prince  d  I 
Condé  6c  Dom  Juan  d'Autriche   I 
fe  retirer  avec  leur  armée  fous  1  s 
canon  de  Dunkerque.  Il  fe  rendi] 

tt }  oaobre  maître   de   Mardik  ,  dont  la  prif  I 
alarma   tellement  les  Efpagnols  ? 
que ,  dans  la  crainte  que  nons  n'ai  " 
laffions  âffiéger  Gravelines,  ils  le  | 
verent  leur  Eclufes ,  &:  inonder ei? 
quatre  lieues   de   pays  autour  d<^ 
cette  Place  ;  mais  la  faifon  étoi 
trop  avancée  pour  une  pareille  en 
treprife.  Ainfi  le  Vicomte  de  Tu  ■ 

_  LJ  3  E>é-  renne  ,  ayant  mis  fon  armée  er 
quartier  d'hiver  ,  s'en  retourna  l 
-  la  Cour.  Les  ennemis ,  croyant  pro 
fiter  de  fon  abfcence  ?  affemblereni 
quelques  troupes ,  dans  le  deffein  ai 
reprendre   Mardik  :  mais  ayant  fv 


DE  TURENNE.  Liv.  III.   723    A  NN  â  fe 
que  ce  Général  étoit  revenu  fur  la       1657. 
frontière  ,  ils  s'en  retournèrent  chez 
sux. 

Pour  tranfmettre  aux  fiécles  à 
yenir  la  mémoire  des  principales 
idtions  d'une  Campagne  fi  glorieu- 
e,  le  Roi  fit  frapper  la  Médaille 

*°-  7-       . 
On  y  voit  la  France,  qui ,  d'une 

nain ,  tient  une  épée  nue ,  6c  de 

'autre  un  bouclier  ?  pour  faire  en» 

endre ,  que  durant  cette   campa- 

;ne  ;  nous  nous  étions  également 

ignalés  par  l'attaque  bc  par  la  dé-'      • 

enfe.  La  Légende  :  Fines    defenfi 

j  ampliati  7  fignifie  :  Les  Frontières 

'e  la  France  défendues  &  reculées  ; 

C   l'Exergue  :   Mardico    &    Fa  no 

lancli  Venantii  captis  ,  Ardrâ  obji-t- 

lione  Liberatâ,  M  .  DC.  LVII.  Mar- 

\ick  &  Saint-Venant  pris  ,  &  Ardres 

tcouru  ,  /  65  y. 

Cependant  il  y  avoit  déjà  un    T^JfJ'S 

:n  que  le  Cardinal   Mazarin  ,  6c  Séger^Dun- 

3romwel ,  Protecteur  de  la  nou-  keri'*e  »  &  t 

'elle    République    d'Angleterre  ym 

voient  fait  un  Traité  qui  portoit, 

\mq  les  François  6c  les  Anglois  at- 

M  y 


'A    N    N    É  ï 


274  Histoire  du  Vicomte 

i*jt;  taqueroient,  à  frais  communs,  les 
Villes  de  Dunkerque  &  de  Grave- 
lines  ;  que  la  première  de  ces  Pla- 
ces feroit  pour  l'Angleterre ,  &  que 
l'autre  refteroit  à  la  France  :  & 
comme  Cromvel  demandoit  l'exé- 

cution  de  ce  traité ,  d'un  ton  qui 

faifoit  appréhender  qu'il  ne  rom- 
pît avec  nous ,  fi  on  n'afliégeoit  au 
Au    eom-  plutôt  Dunkerque ,  le  Vicomte  de  1 
îfeMaiî""   Turrenne  eut  ordre  de  s'avancer  de  | 
ce  côté  là  ,  pour  voir  ce   qui  s'y 
pourroit  faire.  Il  n'y  avoit  person- 
ne qui  ne  regardât  ce  fiége  com- 
me une  entreprfe  chimérique  ;  car 
attaquer  Dunkerque  avant  que  d'a- 
voir pris  Furnes ,  Bergues  ck  Gra- 
velines ,  c'étoit  être  aSiégé  en  fai- 
fant  un  fiége ,  puifque  ces  Villes  J 
environnent  Dunkerque.  L'attaquer  i 
au  mois  de  Mai ,  il  n'y  avoit  point 
encore  de  fourage  fur  la  terre  :  at-  . 
tendre  plus  tard  ,  c'étoit  donner  le 
temps  aux  Efpagnols  de  venir  en 
corps  d'armée  défendre  les  abords 
de  cette  Place  %  qui  font  très-ma- 
récageux &  tout  entrecoupés  de 
«anaux  ?  &  par  conséquent  hazar- 


de  Turenne.  UvAlI.  ijj 

ier  une  bataille  dans  un  terrein  A  N  N  É  , 
crès-favorable  pour  les  ennemis  ,  1*58. 
5t  fort  défavantageux  pour  nous. 
Néanmoins  ,  comme  les  Efpa- 
*nols  faifoient  de  très-grandes  of- 
fres à  Cromwel  pour  l'engager  à  fe 
oindre  à  eux ,  &  qu'il  s'agiffoit 
le  conferver  ou  de  perdre  une  al* 
iance  fi  importante  >  le  Vicomte 
le  Turenne  réfolut  de  tenter  cet- 
e  entreprife  9  quelque  impoffible 
[u'elle  parût  à  tout  le  monde, 
lyant  donc  tiré  les  troupes  de 
eurs  quartiers ,  Se  afTemblé  fon  ar- 
aée ,  il  marcha  vers  Dunkerque.  A 
a  nouvelle  de  cette  marche  ,  les 
nnemis  lâchèrent  toutes  leurs 
clufes  9  de  forte  que,  quand  le  r.e  ij  $&à 
Vicomte  de  Turenne  fat  arrivé  à 
îergues  ,  outre  une  efpece  de  lac  , 
[ue  fait  en  cet  endroit  l'épanche- 
nent  de  la  Colme  ,  il  trouva  -tout 
e  pays  couvert  d'eau  ,  &  rempli 
le  marais  Se  de  watergancks.  Il 
te  reftoit  pour  tout  paffage  que  la 
ligue  qui  va  de  Bergues  à  Dun- 
:erque ,  chemin  que  les  pluies  de 
'hiver  avoient  entièrement  rom- 
M  v$ 


276  Histoire  du  Vicomte 
pu ,  &  qui  fe  trou  voit  même  en 
quelques  endroits  inondé  ,.  comme 
toute  la  campagne  qui  étoit  des 
deux  côtés.  Les  Efpagnols  avoient 
deux  grands  Forts  fur  cette  digu€ 
pour  nous  en  difputer  le  paiTage, 
Ils  y  avoient  fait  entrer  deux  rnilh 
hommes  ,  &  ces  deux.Forts  fe  dé 
fendoient  mutuellement  ,  étant  i\ 
la  portée  du  canon  l'un  de  l'autre  I 
Il  y  avoit  un  grand  nombre  de  re 
doutes  fur  les  rivières  &  fur  les  ca 
naux  :  on  ne  pouvoit  pas  s'arrête: 
dans  la  marche ,  tout  étant  couver 
d'eau  ;  &:  il  falloit  de  nécefïité  em 
porter   tout    de  fuite   les  forts  j 
les  redoutes  ;  &  les  pafTages  qui 
étoient  fortifiés.  Outre  cela  ,    1< 
Marquis  de  Leede ,  Capitaine  con 
fommé  dans  l'art  de  défendre  le:  ii 
Places,  &C  qui  avoit   défendu  h\ 
ville  de  Dunkerque  douze  ans  au 
paravant ,  lorfque  le  Prince  de  Con 
dé  l'avoit   alTiégée  ,  venoit  de  û 
jetter  dedans  avec  tout  ce  qu'il  } 
avoit  de  troupes  dans  le  voifinage  ; 
&:  prétendcit,  non-feulement  foute 
nirvigoureufementle  fiége  de  cette 


DE  TURENNTE.  Liv.  III.  IJJ    __tA_ 
VïWe  ,  mais  encore  nous  empêcher  A 
I approcher  des  environs,  par  le       1645» 
noyen  des  troupes  qu'il  a  voit  fait 
Lvancer  en  grand  nombre  fur  la  di- 
|;ue ,  &  qu'il  avoit  envoyées  vers  les 
brts, 

Tant  de  difficultés  auroient  pu  Difficultés 
ebuter  le  Vicomte  de  Turenne  ;  ^uil  eut  à 
nais  il  ne  delelpera  pas  de  les  lur-p0ur  y  uùi 
lonter  :  &  perfiftant  dans  la  ré-ver» 
jlution  d'exécuter  fon  deffeîn , 
lalgré  les  obftacles  qui  fe  préferv- 
Dient  de  tous  côtés  ,  il  paffa  la 
k>lme  ;  il  ordonna  qu'on  fît  un 
rand  nombre  de  fafcines  ;  il  les 
t  jetter  fur  le  chemin  ?  pour  l'af- 
ermir  &  le  raccommoder;  il  fit 
n  quelques  endroits  enfoncer  dans 
eau  des  pieux  qu'on  couvrit  de 
•lanches  ,  afin  que  les  cavaliers 
•uffent  paffer  deffus  tenant  leurs 
hevaux  par  la  bride  -r  il  fit  corn- 
1er  plufieurs  foffés  ;  il  fit  chercher 
2S  endroits  du  marais  les  plus 
&uts  &  les  moins  noyés  ;  il  éta- 
blit des  paffages  fur  les  watergancks 
i  for  les  canaux;  il  fit  fonder  par- 


ij8  Histoire  du  Vicomte 

Année  tout  le  terrein  ;  précautions  ,  qu 
l6i8'      néanmoins  ne  fervirent  que  pou 
le  paflage  du  bagage  &  du  canon 
Car  Tordre  de  s'avancer  vers  Dur 
kerque  ne  fut  pas  plutôt  donné 
qu'on  vit  tous  les  foldats ,  les  ar 
mes  hautes  ,  marcher  hardiment 
travers  les  eaux  débordées,  &-f 
preffer  à  l'envi  les  uns  des  autres , 
qui  pafïeroit  le  premier  y  quoiqu'il 
euffentde  l'eau  jufqu'à  la  ceinture  I 
Toutes  les  Gardes  des  Efpagnol 
prirent  la  fuite  à  notre  approche  j 
fans  attendre  que  nous  les  pouij 
faffions.  La  plus  grande  partie  dej 
troupes  qui  étoient  dans  les  fort, 
&  fur  la  digue ,  fe  fauva  dans  Dun 
kerque  ;  le  refte  fut  forcé  aprè 
quelque  réfiftance.  Le  Vicomte  d« 
Turenne   s'empara  des  redoutes  ; 
dans  lefquelles  les  ennemis  voulu 
rent  lui  difputer  le  paflage  :  il  \t\ 
chaffa  des  réduits  qu'ils  gardoien 
fur  les  canaux ,  &  arriva  enfin  de 
vant  Dunkerque  avec  fon  armée* 
situation  de     La  y^e  ^e  Dunkerque  eft  fi- 

Dunkerque  ,       ,  .,.  -  T  . 

ic  préparatifs  tuée  au  milieu  de  ces  collines  « 


deTurenne.  Liv.  III.  279 
ible  blanc ,  qui  s'élèvent  au  bord  7T7TT 
e  la  mer  Germanique  ,  depuis  Ca-  165s. 
lis  jufqu'à  l'Eclufe  ,  &  qu'on  ap-  *™  vm- 
elle  Dunes  ;  nom  qui  vient  du 
ieux  mot  Dun ,  qui  dans  le  lan- 
âge  des  Celtes ,  fignifioit  un  lieu 
tevé.  Du  côté  du  Midi ,  elle  efl 
îtourée  de  canaux  Se  de  marais  ; 
s  Dunes  font  également  à  fon 
evant  &  à  fon  Couchant;  &  la 
1er  qu'elle  a  au  Nord ,  &  qui  vient 
ittre  jufqu'au  pied  de  ces  Dunes 
ins  fon  flux  ,  laiffe  à  fec  par  fon 
flux  un  efpace  de  grève  d'envi- 
>n  cinq  cens  pas  ,  qui  demeure 
îcouvert  pendant  la  bafle  marée  .> 
:  qu'on  appelle  Leftrang ,  du  mot 
trang ,  qui ,  dans  la  Langue  Teu- 
nique  ,  fignifioit  Rivage  ,  &  qui 
unifie  encore  la  même  chofe  en 
amand.  Les  eaux  noyoient  tou- 
s  les  terres  baffes  autour  de  la 
iace  ;  il  n'y  avoit  aux  environs  5 
.  couvert ,  ni  bois ,  pour  les  hutes 
is  foldats.  Le  Vicomte  de  Tu- 
:nne  fut  obligé  de  faire  venir  de 
alais  ?  par  mer ,  tout  ce  qui  étoit 


*8o  Histoire  du  Vïcomte 
néceffaire  pour  les  travaux  du  fie 
ge  ,  ôc  poiu*  la  fubfiftance  de  l'a 
mée  ,  des  vivres  ,  des  fourages  I 
des  outils  r  des  paliflades,  &  ju  j 
qu'à  des  fafcines  ,  dont  on  avo^j 
befoin  pour  affermir  les  retranch*  5 
mens  qu'il  falloit  faire  aux  Dunei  i\ 
dans  un  terrein  fablonneux ,  &  qi  j 
s'éboule  aifément.  Lorfque  tout»j 
ces  chofes  furent  arrivées  ,  il  il 
travailler   aux  lignes  ;  il   les    il 
commencer  fur  le  bord  de  la  me 
au   pied  des  Dunes   qui  font  1 
Levant  de  Dunkerque  ;  d'où  pa 
fant  par-deffus  ces  Dunes,  ell 
alloient  gagner ,  en  tournant  autoi 
de  la  Place  ,  les  canaux  de  Furne: 
du   Honfcote  ,    de  Bergues  ,    c 
Bourgbourg ,  de  Mardick;  &  paffai 
fur  les  autres  Dunes  qui  font  a 
Couchant  de  la  Ville  ,  elles  aboi 
tifToient  à  Leftrang  ;  faifant  ainfii 
dans  leur  contour  une  efpece  d 
crohTant,  qui  avoit  la  mer  à  foi 
ouverture.  Cromwel  ,  en  exéci 
tion  du  traité  fait  avec  nous  ,  er: 
voya  de  ce  côté  là  une,  arméi 


deTurenne. Llv.III.  i8i  _ 
avale  >  pour  empêcher  qu'on  ne  A  M  N  È . 
îttât  du  fecours  dans  la  Place  par  16& 
et  endroit  :  de  forte  que  la  ville 
e  Dunkerque  fe  trouva  entiére- 
îent  invertie  par  mer  &:  par  ter- 
;.  Néanmoins ,  pour  clorre  tout- 
-fait  notre  camp  ,  il  nous  reftoit 
icore  à  fermer  Leftrang  :  cette 
endue  de  près  d'un  quart  de  lieue, 
ii,  demeurant  à  fec  durant  fix  heu- 
s  chaque  jour  &  chaque  nuit  , 
iffoit  aux  ennemis  un  chemin  fa- 
le  ,  pour  venir  à  Dunkerque  ;  ou 
|  Nieuport  ,  du  côté  du  Levant; 
i  de  Gravelines  du  côté  du  Cou- 
lant. Pour  leur  barrer  ces  deux 
iflages,  le  Vicomte  de  Turenne 
folut  de  faire  deux  eftacades  par 

travers  de  Leftrang ,  c'eft-à-di- 
•  ,  depuis  le  pied  des  Dunes  où 
îhToient  nos  lignes  ,  jufqu'à  l'en- 
•oit  où  la  mer  fe  retire  dans  les 
arées  les  plus  baffes,  Il  fit  donc 
îfoncer  très-profondément  dans 

grève  de  gros  pieux  ,  qui  for- 
cent neuf  pieds  hors  de  terre  : 

les  fit  lier  enfemble  d'une  chai- 


N    N 


282  Histoire,  du  Vicomte 
ne  de  fer  doublement  entrelacé"! 
**$*.*  °  il  fît  faire  derrière  ces  pieux ,  ui 
efpece  de  barrière  de  tous  les  ca; 
fons    de    l'armée    qu'on    rangée. 
le   long  de  l'eflacade  ,  quand  I 
mer  defeendoit  ,   &   qu'on  ôt<J 
avec  les  chevaux ,  loriqu'elle  coïc 
mençoit  à  remonter  :  enfin  ,  po  ] 
s'affurer  tout-à-fait  de  Leflrang ,  j 
fit  échouer  dans  le  fable ,  derrie 
ces  caillons  ,  pluiieurs  barques 
chaloupes  armées  ,  dont  le  can 
défendoit  les  abords  de    l'eftax 
de  ;  &  pour  furcroît  de  préa 
tion ,  il  faifoit  garder  les  bords 
la  mer  par  une  partie  de  fa  ca^ 
lerie  durant  toute  la  nuit.  Ap: 
ces  mefures  prifes ,  il  n'y  avoit  p 
rien  à  craindre  ,  finon  que  les  I 
pagnols  ne  fe  faififTent  de  quelqi 
Dunes  fort  hautes  qu'on  n'av< 
pas  pu  enfermer  dans  notre  cira 
vallation  ,  parce  qu'elles  en  étoie: 
un  peu  trop  éloignées  :  &  cornu, 
du  fommet  de  ces  Dunes  on  voy<  » 
à  découvert  nos  troupes,  le  Vicom 
de  Turenne  les  occupa  ôc  y  fit  fait 


DE  ÎURENNE.  Llv.  III.  183 
(S  retranchemens.  Tous  ces  tra- 
jux  étant  finis ,  &  les  fix  mille  An-       Uj$* 
pis  ,  que  le  Commandant  de  l'ar- 
me navale  avoit  fait  débarquer , 
jtant  joints  à  notre  armée  ,  fous 
!  ordres  de  Milord  Lockart ,  on 
jhibua  les  portes  aux  Officiers 
|:néraux  :  on  fit  plufieurs  ponts  fur 
canaux  pour  la  communication 
;  quartiers  :  le  Vicomte  de  Tu-  u  7  juîk 
ne  fit  ouvrir  la  tranchée  ,  &  le 
rdinal   Mazarin  amena  le    Roi 
;c  toute  la  Cour  au  fpe&acle  de 
te  grande  entreprife.  On  fit  d'a- 
•d  deux  attaques  ,  à  l'une  déf- 
iles on  employa  les  François  ;  &c 
autre  ,  les  Anglois.  Le  Vicomte 
Turenne  ne  fe  coucha  point  les 
îmieres  nuits,  pour  mieux  difpo- 
toutes  chofes  par  lui-même  :  & 
neveux ,  le  Duc  de  Bouillon , 
le  Comte    d'Auvergne  ,  qu'il 
)it   amenés  cette   année  -  là  en 
impagne  avec  lui  ,1e  fuivirent  par 
lit. 
Durant  les  premiers  iours  du      Premïef5s 

.1    r      r         1     r  r        •  \    attaques      &. 

!ge,  il  le  fit  plufieurs  lorties  oufomcs. 


ï§4   Histoire  du  Vicomte 

A  N  y  É  E  les  AfTiégés ,  qui  vinrent  plufiein 
1^58.      fois  attaquer  les  Afliégeansen  grar; 
nombre  &  fort  vigoureufemen» 
furent  toujours  repouffés  par  un  pi 
grand  nombre  ÔC  avec  une  pareil  « 
vigueur.  On  preffoit  vivement  il 
attaques  :  on  avançoit  les  trava  t 
avec  ardeur  :  on  avoit  même  enle  j 
quelques  paliïïades  fur  le  glacis , 
quelques  traverfes  dans  le  chen 
couvert ,  &Fonitoit  tout  prêt  à 
loger  fur  la  contrefcarpe. 

Les  Efpa-      Cependant  les  Efpagnols  n'< 

gnolsvontau  .:*,  1    ^s.  •    °  t^ 

recours;  de rent  Pas  plutôt  appris  que  Dl 
Dunkcrque.  kerque  étoit  inverti  y  qu'ils  réfo! 
rent  de  fecourir  cette  Place ,  à  qu 
que  prix  que  ce  fût  :  ils  leven 
un  fubfide  particulier  fur  tous 
peuples  de  la  Flandre  pour  l'exéc 
tion  de  ce  deffeiri.Ils  convoquera 
le  ban  &  Tarriere-ban  '9  ils  tiren 
toutes  les  garnifons  des  Places  ; 
raffemblerent  toutes  leurs  troupe 
comme  s'il  fe  fût  agi  de  la  confen 
tion  ou  de  la  perte  entière  des  Pa} 
Bas  ;  fi  bien  qu'en  très-peu  de  teii 
ils  formèrent  la  plus  nombrev 


be  Turenne  Z*V.  ///.  285 

née  qu'ils  enflent  encore  eue  fur  A  N  N  è  E 
•d.  Le  Prince  de  Condé  &t  Dom  i6<i, 
in  d'Autriche ,  à  la  tête  de  cette 
née  ,  qui  s'étoit  aflemblée  aux 
/irons  deNieuport,  s'avancèrent 
•s  Dunkerque  ,  &  le  Maréchal 
[ocquincourt  ,  qui  s'étoit  jette 
mis  peu  dans  leur  parti ,  s'étant 
)roché  trop  près  de  nous ,  en  nous 
tant  reconnoître  fut  tué  d'un 
ip  de  moufquet  par  quelques  fol- 
5  avancés. 

Dès  que  le  Vicomte  de  Turenne  Turenne 
que  les  ennemis  venoient  à  nous ,  marche  à  eux, 
;s  alla  reconnoître  ;  &  ayant  vu 
:  toute  leur  armée  étoit  déjà  en- 
à  de  Furnes  ,  marchant  au  mi-? 
l  des  Dunes  pour  nous  venir  at- 
uer  ,  il  réfolut  de  les  prévenir, 
'en  retourna  promptement  de- 
it  Dunkerque  ;  il  laifîa  un  nom- 
fuffifant  de  troupes  pour  carder  r 

01  1   /        Ti  1       Le   15    Juin. 

:amp  6c  les  tranchées.  11  voulut 
>liquer  à  Milord  Lockart  les  rai- 
s  qu'il  avoit  d'aller  combattre  les 
îemis  :  mais  ce  Général  le  pria 
ne  s'en  point  donner  la  peine  ; 


,       i86  Histoire  du  Vicomte 
A  *  ï  e  e  difant  qu'il  s'en  rapportoit  biei; 
X658.      lui  9  &  qu'il  s'informer  oit  de  <t 
raiions  après  la  bataille  ,  s'il  en  I 
venoit.  11  emmena  donc  les  Anglî 
avec  le  refte  de  l'armée  :  6c  m 
chant  au  milieu  des  Dunes ,  du  c<  : 
d'où  venoient  les  Elpagnols ,  il( 
tant  de  diligence  ,  qu'il  arriva  ?  \ 
portée  du  canon  de  leur  armcji 
avant  qu'ils  furTent  que  nous  fufli« 
fortis  de  nos  lignes.  Les  enne: 
furent  bien  furpris  de  nous  voi 
près  d'eux  :  ils  ne  s'étoient  avan 
vers  Dunkerque  que  pour  don 
courage  aux  affiégés  ;  ils  n'avoi 
point   encore  leur  canon  ;  & 
avoient  fait  leur  compte  de  r 
venir  aux  mains  que  lorfqu'il 
roit  arrivé  :   mais  le  Vicomte  ( 
Turenne  ,  voulant  les  attaquer  I 
le  lendemain  ,   fe    faifit  des  \  \ 
hautes  Dunes  qui  étoient  aux  ei  t 
rons  ,  &t  employa  la  plus  grai)B 
partie  de  la  nuit  à  les  fortifier  A 
des  retranchemens.  Il  dreffa  l'or  H 
de  bataille  tout  prêt,&  ayant  pou:  u 
à  la  fureté  des  bagages  oc  à  la  ga  * 


DE  TURENNE.Zn>./77.    287 
1  camp ,  il  fe  coucha  dans  le  fable  £~      ^ 
une  Dune ,  enveloppé  de  fon  man-      1  *5  s.E 
au ,  &:  dormit  ainfi  jufqu'à  la  poin- 
du  jour ,  qu'il  monta  à  cheval 
)ur  ranger  ion  armée. 
U  compofa  fa  première  ligne  de    Difpofuïon 
x  bataillons  &  de  vingt-huit  efca-  de  fon  camP« 
ons  de  cavalerie ,  quatorze  à  l'aile 
oite ,  &  quatorze  à  l'aile  gauche , 
le  canon  étoit  à  la  tête.  La  fe- 
nde ligne  étoit  de  fept  bataillons 
de  dix-huit  efcadrons  de  cavale- 
,  neuf  à  la  droite ,  &:  les  neuf 
très  à  la  gauche.  Quatre  efcadrons 
Gendarmes  étoient  derrière  la 
j  emiere  ligne  ,  pour  foutenir  l'in- 
jiterie  du, corps  de  bataille;  &  les 

!  efcadrons  de  cavalerie  ,  qui  fai- 
.ent  la  réferve  ,  furent  placés  à 
e  afTez  grande  diftance  ,  derrière 
.ite  l'armée  ,  afin  qu'ils  fufTent  à 
>rtée  de  fecourir  même  nos  trou- 
•s  devant  Dunkerque ,  en  cas  de 
foin.  Sa  prem:  ère  ligne  occupoit , 
rfon  front  de  bandiere,  tout  le 
tvers  des  Dunes  avec  la  prairie 
i  eft  à  droite  ?  &  Leftrang  qui  efi 


iS8  Histoire  du  Vicomte 

Année  à  gauche  ;  c'eft-à-dire  tout  cet  t< 
1^58.      pace  qUi  eft  depuis  le  flot  de  la  m« 
jufqu'au  canal  de  Furnes ,  6c  qui 
plus  d'une  lieue  d'étendue.  Comn 
la  pente  des  Dunes  eft  affez  doue 
on  y  rangea  les  bataillons  6c  les  ( 
cadrons ,  à  leur  diitance  &  à  le  j 
mefure  naturelle.  Les  lignes  ,  à  1 
vérité,  étoient  haut  &  bas  ,  fuiva 
la   difpofition  du  terrein  :  mail 
malgré  fon  inégalité,  elles  étoiel 
drenees  avec  tant  de  juftefTe ,  qu'< 
les  paroilïbient  avoir  été  tirées  I 
cordeau.  Le  Vicomte  de  Turen  j 
donna  l'aîle  droite   à  command 
au  Marquis  de  Crequi  ,  l'aîle  gs 
che  au  Marquis  de  Caftelnau,  i 
le  corps  de  bataille  aux  Marquis  -  i 
Gadagne  6c  de  Bellefond;  &  po^ 
lui ,  il  fe  mit  au  centre  de  l'arme 
Le  Comte  de  Schomberg ,  les  Me  ' 
quis  d'Humieres  6c  de  Varenne 
6>C  le  Baron  d'Equancourt ,  qui  îi  I 
foient  la  fonction  de   Lieutenar 
Généraux  furent  diftribués  aux  pc 
tes  où  ils  dévoient  être  employa 
Le  Général  Lockart  commanda  1' 

Angloi' 


DE  TURENNE.Z/v. ///.   289  

^nglois ,  le  Comte  de  Ligneville  ÂTTTi 
ies  Lorrains ,  le  Comte  de  Soiffons  ^s8* 
es  SuilTes ,  dont  il  étoit  Colonel 
Général ,  le  Marquis  de  la  Salle  les 
Gendarmes,  &  le  Marquis  de  Ri- 
:helieu  le  corps  de  réferve.  Le 
Domte  de  Buffi  Rabutin  y  fit  fa 
:harge  de  Mettre -de- Camp -Gé- 
téral  de  la  cavalerie.  Le  Duc  de 
îouillon  ,  Grand  Chambellan  de 

rance  ,  &  fon  frère  le  Comte 

'Auvergne  ,   fervirent  par  ordre 

u  Vicomte  de  Turenne  ,  à  la  tête 

e  fon  régiment  d'infanterie ,  com- 
te fimples  volontaires ,  quoique  le 

)uc  de  Bouillon  eût  un  régiment 

lui. 

Quant  aux  ennemis  ,  le  Prince   DJrp0fitÎ0ïf 

î  Condé,  6c  Dom  Juan  d'Autriche  de  celui  dis 

rent  aufîi  mettre  leurs  troupes  en  Ef?asnolî* 

rdre,  avec  toute  la  diligence  poiîi- 

e ,  y  employant  tous  les  Officiers 

énéraux ,  qui  eurent  bien  de  la 

îine  à  en  venir  à  bout  dans  un  ter- 

,infi  extraordinaire.  Ils  ne  firent^ 

,proprement  parler ,  de  toute  leur 

imée,  qu'un  corps  de  bataille  fans 

'les.  Ils  mirent  fur  une  feule  ligne  **N 

N 


A   K    N 


490  Histoire  du  Vicomte 
toute  leur  infanterie ,  foutenue  pc 
ï^7«*  *  quatre  lignes  de  cavalerie  en 
étoient  derrière.  Ces  lignes  n; 
voient  pas  plus  d'étendue  que 
travers  des  Dunes ,  &  n'alloient  qi 
jufqu  au  bord  de  Leftrang  d'un  c< 
té ,  &  jufqu'au  commencement  < 
la  prairie  de  l'autre.  Les  Générai 
n'avoient  ofé  mettre  des  troupes  i 
Leftrang  comme  nous  y  enavior* 
parce  que  le  Vicomte  de  Turen  jj 
avoit  fait  avancer  vis-à-vis  Tel 
droit  où  l'on  auroit  pu  les  pla<^ 
une  partie  des  vahTeaux  Anglo  j 
qui  avoient  ordre  de  faire  feu  con  î 
tous  les  Efpagnols  qui  paroîtroii  t 
fur  le  rivage.  Dom  Juan  d'Autric  r 
prit  le  commandement  de  la  dr  - 
te  qui  regardoit  la  mer.  Il  av^ 
pour  Lieutenans-Généraux  ,1e  E  : 
d'Yorck ,  qui  avoit  été  obligé  def  I 
tir  de  France ,  &  le  Duc  de  Gloc  - 
ter  ,  tous  deux  frères  du  Roi  d'i  - 
gleterre ,  Dom  Eflevan  de  Gama  e 
&  le  Marquis  de  Caracene.  Il  I 
toit  faifi  d'une  Dune ,  qui  étoit  s 
cent  pas  plus  avancée  vers  nousc  e 
ïes  autres  \  cette  Dune  étoit  tr  - 


2>E  TURENNE.  Liv.  ÎIÎ.   191        , 

hatite  &  très  efcarpée  :  il  y  avoit  a^é^ 
porté  un  de  fes  bataillons  ,  &  il  en  l6^ 
ivoit  fait  avancer  un  autre  derrière 
30ur  le  foutenir.  Le  Prince  de  Con- 
ié  eut  le  commandement  de  la  gau- 
:he  de  l'armée  qui  étoit  du  côté  de 
a  prairie  que  le  canal  de  Furnes 
raverfe ,  &  qui  efl  toute  entrecou- 
pe de  petits  fofTés.  Ce  Prince  fit  ai- 
ément  la  communication  de  ces 
1 3ues  ôt  du  canal ,  fur  lequel  il  fit 
I  lire  cinq  ponts  avec  des  barques. 
I  lomme  fa  cavalerie  ne  pouvoit  être 
1  mployée  dans  la  prairie,  à  caufe  des 
;  >fles ,  il  la  rangea  dans  l'efpace  qui 
El  (t  depuis  le  pied  des  Dunes  jufqu'à 
[bs  fofTés ,  fur  fept  lignes  plus  ou 
thoins  longues ,  félon  la  difpofition 
mi  terrein.  Il  mit  dans  un  lieu  un 
Heu  plus  couvert,  devant  fa  cava- 
le rie  ,  un  de  fes  bataillons  ;  &  il 
'ignit  tous  les  autres  à  ceux  de 
ii'om  Juan ,  pour  achever  de  for- 
er cette  groffe  ligne  d'infanterie  , 
è|.ii  étoit  à  la  tête  de  l'armée  Efpa- 
iiiole.  Il  avoit  fous  lui ,  pour  Lieu- 
Élnans-Généraux  ,  les  Comtes  de 
îloligny  ,  de  la  Suze ,  de  Meilles, 
N  ij 


292  Histoire  du  Vicomte 

ji  n  n  é  E  de  Guitaud ,  de  Perfan ,  6c  de  Bou 
i6j9,     teville ,    &    pour   Maréchaux-d< 
camp  ,  les  Marquis  de  Ravenel ,  d 
RomainyiHe  &  de  Rochefort. 


Fin  du  Livre  troljîcmc, 


HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE. 


LIVRE  QUATRIEME. 

E  s  chofes  étant  en  cet  : ; — 

t  o     1         i  ,Annee 

état,  oc  les  deux  armées      l6^. 
n'étant  éloignées  que  d'un    BataUle  dcs 
quart  de  lieue  l'une  de  Dunes. 
e  Vicomte  de  Turenne 
mmença  à  faire    canoner  celle 
•s  ennemis.  Comme  ils  n'avoient 
jûnt  de  canon,  &  qu'à  cette  dif- 
lice  nous  pouvions  leur  tuer  beau- 
«  up  de  monde  avec  le  nôtre ,  fans 
«'ils  puffent  nous  bleffer  perfon- 
N  iij 


'       294  Histoire  du  Vicomte 
'A  N  |  é  £  ne ,  il  femble    qu'ils  auroient  di 
i^j8.      s'approcher  au  plutôt  de  nous 
pour  ne  pas  fouffrir  la  perte  qu 
leur  caufoit  notre  artillerie    dan 
cet  éloignement ,  &  rendre  la  pai 
tie  égale.  Néanmoins  fe  conten 
tant  de  refferrer  leurs  rangs  à  me 
fure  que  notre  canon  les  éclairci 
foit ,  ils  ne   rirent  aucun  mouv<  j 
ment  pour  s'avancer  vers  nous  ;  (o  j 
qu'ils  ftiffent  abfolument  réfolus  il 
ne  point  engager  la  bataille,  qujl 
n'euffent  leur  canon  :  ou  qu'ils  pr<  1 
tendiffent  tirer  de  grands  avant  h 
gesde  la  confufion  où  ils  croyoie. :: 
que  nous  ne  pouvions  nous  emp< 
cher  de  nous  mettre  en  marchai 
Quoi  qu'il  en  foit  ,  le  Vicomte  (  i 
Turenne  ,  voyant  qu'ils    deme 
roient  immobiles  dans  leurs  pofle 
fit  avancer  fon  armée.  Il  n'y  av< 
qu'une  heure  qu'il  faifoit  jour  ,   S 
il  n'étoit  encore  que  cinq  heur'-l 
du  matin.  Il  ordonna  au  Marqi 
de  Créqui  &  de  Caftelnau  ,   c 
étoient  à  la  tête  des  Efcadrons  : 
nos  deux  ailes  ,  de  modérer  le  ' 
ardeur  dans  les  approches  ,  &  '■ 


DE  TURENNE   Liv.  IV.   2Ç)J 

ie  commencer  le  combat  ,   que  a  n  »  è  & 

srfque  l'infanterie  feroit  arrivée      l6ig> 

t  pourroit  donner  en  même-tems 

ue   la  cavalerie.    On  monta   &c 

n  defcendit  plufieurs  fois  dans  les 

)unes  :  à  chaque  fois  que  le  ca- 

on  fe  trouvoit  fur  les  hauteurs  , 

n  en  tiroit  quelques   volées  fur 

armée  ennemie ,  &C  l'on  fit  ainfi 

uatre  ou  cinq  décharges  durant 

.  .marche.  On  alloit  au  petit  pas  , 

in  de  pouvoir  garder  les  rangs 

ins  un  terrein  fi  inégal  :  on  étoit 

uvent   obligé    de    s'attendre  les 

îs  les  autres ,  pour  les  redreffer  ; 

3  forte  qu'on  mit  trois  heures  à 

ire  le  quart  de   lieue  qui  étoit 

litre  nous  &  les  ennemis  ;  le  Vi- 

>mte  de  Turenne  reconnoiffant 

■jours    davantage   leur   difpofi- 

pn  ,  leur  contenance ,  &  leurs 

j»rces  ,  à  mefure  qu'on  approchoit 

us  près  d'eux.  Il  étoit  huit  heu- 

»,  quand   on   fut  tout-à-fait  en 

"éfence.  Alors  le  Vicomte  de  Tu- 

nne  ayant  fait  remettre  en  ordre 

!  que  la  marche  a  voit  dérangé  , 

fe  montre  à  tous  les  corps  de 

N  iv 


it)6   Histoire  du  Vicomte 
l'armée  avec  un   air   de    gaieté  \ 
qui  infpire  de  la  confiance  à  tom 
le  monde  ,  &  il  fait  marcher  au* 
ennemis.  Comme  les  Anglois ,  pai 
le  rang  qu'ils  avoient  dans  notre 
première  ligne  ,  fe  trouvèrent  juf 
tement  vis-à-vis  de  cette  haute  Du 
ne  que  les  Efpagnols  avoient  oc 
cupée  ,  &  qui  étoit  plus  avancée 
vers  nous  que  les  autres  ;  lorfquj 
dans  la  marche  ,  ils  furent  arrivé! 
au  pied  ,  le  Vicomte  de  Turenni] 
envoya  prier  le  Général  Lockat 
de  s'en  rendre  le  maître.  Il  donn;  i 
ordre  en  même-tems  au  Marqui 
de  Créquy ,  de  charger  les  ennemi 
avec  fon  aile  droite  ;  &  au  Mar 
^  quis  de  Caftelnau  ,  de  marcher  1  \ 
long  de  Leftrang ,  61  de  fe  replie 
fur  les  ennemis ,  pour  les  prendr 
en  flanc  ,  s'il  pouvoit ,  avec  fon  a:  l 
le   gauche.   Les   Anglois  monten 
aufîi-tôt  avec  ardeur  ;  la  Dune  l 
trouve  toujours  de  plus  en  plus  ef  I 
carpée  vers  le  haut  :  ils  graviffen 
dans  le  fable  ,  &  les  rangs  de  der 
riere  foutenant  ceux  qui  font  de 
vant  avec  la  croffe  du  moufquet 


DE  TURENNE.  LiV.  IF.    297  

Is  fe  pouffent  l'un  l'autre  vers  la  A  N  N  é  E 
ime  :  à  mefure  qu'ils  en  appro-  is$8. 
hent  davantage  ,  les  Efpagnols 
2s  renverfent  à  coups  de  piques  : 
1  réfiftance  irrite  le  courage  des 
inglois,  ils  grimpent  de  tous  les 
ôtés  avec  acharnement ,  ils  s'ac- 
rochent  aux  armes  même  des 
nnemis ,  ils  faififfent  la  pointe  des 
allebardes  dont  on  veut  les  per- 
sr ,  &  ils  s'en  aident  pour  mon- 
r.  Ils  arrivent  enfin  fur  le  fom- 
iet  de  la  Dune ,  ils  y  plantent  leurs 
rapeaux  >  &  ils  en  précipitent 
s  Efpagnols.  Notre  infanterie  fe 
•int  aux  Anglois  au-delà  de  cette 
•une  ;  &  le  Régiment  de  Turen- 
ï ,  s'étant  avancé  hors  de  la  li- 
îe  ,  chargea  vigoureufement  deux 
itaillons  des  Efpagnols  ,  &  les 
>mpit.  Ces  deux  bataillons  prirent 

fuite  avec  tant  de  défordre  y 
l'ils  entraînèrent  avec  eux  la  ca- 
[îlerie  qui  de  voit  les  foutenir  :  &C 

Lieutenant-Colonel  du  Règl- 
ent de  Turenne  fut  bleffé  à  mort 
ms  cette  aftion ,  entre  le  Duc  de 


2.98  Histoire  bu  Vicomte 
Année  Bouillon  &  le  Comte  d'Auvergne 
i??*-  Cependant  le  Marquis  de  Ca£ 

■couCea?«Ef- telnau  aYant  9  felon  l'ordre  di 
pagnois  ,  &  Vicomte  de  Turenne ,  fait  marche: 
Us  charge  a-  je   iong  je  Leftrang  la  cavalerl 

yec  vigueur.  ,  A&  ,.,  &         ,    . 

de  laile   quil  commandoit  ,  pn 
non-feulement  en  flanc  les  enne 
mis ,  mais  fe  jetta  brufquement  er 
tre  leur  première  &  leur  fécond 
ligne  ;  &  ayant  ainû  coupé  leui 
rangs,  les  prend  à  revers ,  les  cha:  J 
ge  de  tous  les  côtés  ,  &  les  jettl 
dans  une  très -grande   confufioil 
Tous  ceux  qui  pouvoient  encor  : 
s'enfuir  ,  fe  fauverent.  De  ceu 
de  la  première  ligne  ,  qui  ne  1  'is 
pouvoient  pas,  on  fît  prifonnier 
ceux  qui  voulurent  bien  fe  rendre 
&  on  parla  les  autres  au  fil  de  l\  >\ 
pée. 
Turenne      Le  Vicomte  de  Turenne  s'éto 
x'oppofe  aux  toujours  tenu  jufques-là  au  centr 
ir"£de  l'ornée,  d'où  il  envoyoit  pa. 
remporte  une  tout  fes  ordres  ,  &  des  troupes 
Pleine  vi^i-  fuivant  les  befoins.  Il  obfervoit  d 
haut  des  Dunes  ,   tout  ce  qui  f 
paffoit  j  &  voyant  que  le  Marqui 


DE  TURENNE.  Lïv.  IV.    299    

le  Créquy  s'engageoit  trop  avant  aTTTT 
lu  milieu  des  ennemis  ,  il  courut  i6^* 
ufïi-tôt  de  ce  côté-là.  Ce  Mar- 
dis avoit  d'abord  fait  plier  l'aîle 
;auche  ,  qu'il  avoit  eu  ordre  d'at- 
aquer,  &  il  l'avoit  même  pouffée 
»rès  de  quatre  cens  pas  devant  lui  : 
îais  ,  comme  il  n'étoit  fuivi  que 
ar  quatre  efcadrons  ,  les  Efpa- 
nols  ,  ayant  reconnu  le  peu  de 
ens  qu'il  avoit  avec  lui ,  l'eurent 
ientôt  ramené  battant  jufqu'au 
ont   de    notre    aile    droite.   Le 

I  rince  de  Condé ,  qui  avoit  cou- 
lime  de   pouffer  les   fuccès  auffî 

•  an ,  qu'ils  pouvoient  aller  ,  vou- 

i  I  tirer  avantage  de  celui-ci  ;  &  s'é- 

nt  mis  à  la  tête  d'un  grand  corps 

I I  cavalerie  >  avec  les  Officiers  gé- 
ikaux  &  toutes  les  perfonnes  de 
i-ialité  de  fon  armée  ,  il  chargea 
j.goureufementle  Marquis  de  Cré- 
Liy;  il  rompit  même  quelques-uns 
2  nos  rangs  ;  &  peu  s'en  fallut 
ae ,  perçant  à  travers  notre  ar- 
lée  ,  il  ne  pénétrât  jufqu'à  Dun- 
srque  ?  ôc  ne  fecourût  la  Ville 

N  vj 


N    N    E    E 


300  Histoire  du  Vicomte 
afliégée ,  après  avoir  perdu  la  ba- 
**$*•     taille.  Mais  le  Vicomte   de    Tu- 
renne  ,  étant  venu  juftement  dam 
ce  tems-là  pour  foutenir  le  Mar- 
quis de  Crequy  ;  mena  lui-même 
à  la  charge  les  efcadrons  de  notre 
aile  droite ,  enveloppa  prefque  en 
tiérement  ceux  du  Prince  de  Con 
dé;  &  les  prenant  tout -à -la- foi' 
par  la  tête  &  par  les  deux  flancs  i 
fit  faire  une  fi  furieufe  déchar  g i 
fur  ce  corps  de  cavalerie,    qu':! 
l'ouvrit  en  plufieurs  endroits.  Il  ; 
fait  entrer  aufli-tôt  le  Comte  dl 
Buffy,  avec  des  troupes  fraîche- ■ 
Les  ennemis   tombent   de   toute 
parts ,  ou  morts ,  ou  bleffés  ,    0 
démontés ,  fous  le  feu  de  nos  gens 
tout  plie  ,  tout  fe    renverfe.   L 
Prince  de  Condé rallie  jufqu'à  troî 
fois  fes  efcadrons  ;  mais  ,  ayari 
toujours  été  rompus  par  le  Vicom 
te  de  Turenne  ?  ils  fe  lafTent  enfi; 
de  revenir  tant  de  fois  à  la  charge 
Le  Prince  s'avance  encore  une  foi 
vers  nous ,  pour  redonner  du  coi 
rage  à  fes  Soldats  :  il  s'expofe  me 


BE  TURENNE.  Liv.  IF.   30T  

lie  beaucoup  plus  qu'il  ne  l'auroit  A  N  N  ~£  "M 
lu ,  croyant  leur  inipirer  par  ému-      isjs. 
ation  quelque    defir    de  gloire  ; 
nais  il  n'en  fauroit  venir  à  bout. 
Tous  fes  gens  rebutés  l'abandon- 
ent  ,  à  la  réferve  des  Seigneurs 
'rançois,  qui ,  fiers  d'avoir  ce  Prin- 
e  à  leur  tête ,  ne  favent  ce  que 
l'err.  que   de  fe  ménager.  Cepen- 
ant  le  Vicomte  de  Turenne,  pouf- 
I  tnt  toujours  avec  la  même  vigueur 
;  Prince  de  Condé,  l'approcha  en- 
n  de  fi  près ,  que  le  cheval  de  ce 
rince  fut  tué  dans  une  décharge  : 
JÉpuffoles  ,   l'un   de  {es   Gentils- 
ommes  ,  lui  donne  aufli-tôt  le  rien 
tix  dépens  de  fa  liberté  ,  ayant  été 
lit  prifonnier ,  ainfi  que  les  Com- 
hs  de  Meilles ,  de  Coligni  ,    de 
oute ville ,  &  le  Marquis  de  Ro~ 
nainville  ,  qui  fe  facrifierent  pour 
livorifer  la  retraite  du  Prince  ,  & 
iiuver  fa  perfonne.  Comme  cette 
iéfaite   de  l'aîle    gauche    des  en- 
semis  arriva   prefqu'aufîi-tot  que 
elle  de  l'aîle  droite ,  on  vit  aufîi 
xite  leur  armée  fe  retirer  pref- 
u'en  même  -tems.  Le  Vicomte 


301  Histoire  du  Vicomte 

[Année  de  Turenne  commença  par  ren- 
ias, voyer  le  Marquis  de  Richelieu  de- 
vant Dunkerque ,  avec  la  Réferve 
afin  que ,  par  ce  renfort ,  les  trou 
pes  qui  y  étoient  refiées  fuffent  er 
état  de  s'oppofer  aux  forties  que 
les  Afîiégés  pouvoient  faire.  Il  f< 
mit  enfuite  à  pourfuivre  les  enne 
mis.  Ils  abandonnent  par-tout  leur 
poftes  devant  nous  ;  on  les  chaff» 
de  toutes  les  hauteurs  ,  &  on  le 
fuit  la  pique  &  l'épée  dans  les  rein 
à  leur  defcente  au  bas  des  Dunes 
&  jufques  dans  les  fonds  où  ils  au 
roient  pu  fe  rallier.  Les  ennemi 
font  réduits  à  chercher  leur  falu 
dans  la  fuite ,  ou  dans  la  compaf 
lion  de  nos  foldats. 
.,  .     ,  Les  Lorrains    font    prifonnier 

Suites  de  cet-  .  ,  r  11* 

te  viaoirc.  ceux  qui  veulent  le  rendre  :  les  An- 
glois  font  main  baffe  fur  tout ,  &:  n< 
veulent  faire  quartier  à  perfonne 
Prefque  tous  les  Officiers  de  l'ar- 
mée du  Prince  de  Condé  avoienl 
été  pris  ;  mais  le  François  ,  né  hu- 
main &  généreux  ,  les  laiffa  allei 
pour  la  plupart.  On  pourfuivit  les 
ennemis  jufqu  aux    portes    de  la 


DE  TURENNE.IzV.W.   }e>3 

pille  de  Furnes  ,  derrière  laquelle  a  n  m  f  s 
ls  fe  retirèrent.   On  fit  plus  de      l658» 
quatre  mille  prifonniers  ;  on  mit 
eur  cavalerie  en  déroute  :  la  rrweil- 
eure  partie  de  l'infanterie  fut  dé- 
aite  ;  &c  toute  leur  armée  tellement 
liffipée  &  détruite  ,  qu'à  peine  pu- 
ent-ils mettre  fix  mille  hommes 
nfemble,  pendant  le  refle  de  la 
jampagne.  Pour   ce  qui  efl     dte 
ous  ,  nous  n'y  eûmes  que  très- 
eu  de  Soldats  tués  ou  bleffés.  Le 
ricomte  de  Turenne  ne  fuivit  pas 
armée  Efpagnole  plus  loin,  Vou- 
I  m  retourner  au  plutôt  au  fiege  , 
:    rallia  les  troupes  qui  s'étoient 
n  peu  difperfées  ;  il  renvoya  au 
rince  de  Condé  douze  defes  Gar- 
|  es  ;  il  donna  ordre  qu'on  menât 
I  refle  des  prifonniers  011  on  de- 
oit  les  conduire  :  il  fit  defcendre 
evant  Dunkerque,  par  le  canal 
le  Furnes  ,    les  barques  chargées 
ie  munitions  ,    que    les   ennemis 
voient  fait  venir  avec  eux  par  ce 
anal  pour  leur  fubfiflance  ;  &c  il 
întra  avec  l'armée  dans  fon  camp, 
Chacun  y  prit  fon  premier  pofle  : 


3°4  Histoire  du  Vicomte 

A  «  n  é  e  *e  Vicomte  de  Turenne  y  pana  1: 
ifyfc.  nuit  à  cheval  9  crainte  de  furprift 
&  fit  commencer  quelques  fapes 
qui  fervirent  le  lendemain  pour  le; 
approches  :  on  les  pouffa  avec  cett< 
confiance  &c  cette  fierté  ,  que  don 
ne  une  victoire  remportée.  Les  Af 
fiégés  ,  de  leur  part ,  quoique  fan 
efpérance  de  fecours,fe  défendoier 
toujours  avec  la  même  vigueur  ;  ê  j 
l'on  fut  encore  trois  jours  à  prendr 
la  contrefcarpe ,  au  pied  de  îaquell 
on  étoit  avant  la  bataille. 

De  notre  côté  9  le  Marquis  d 

teinau  !  fait  Caftelnau  reçut  une  bleffure ,  dor 

Maréchal  de  il  mourut  quelques  joiu*s  après 

furTde  Leede^  avec  la  trifte  confolation   d'avoi  , 

&  prife    de  été  fait  Maréchal  de  France  ,  lor:| 

to    îue*    qu'il  fut  abandonné  des  Médecins  i 

&  qu'on   fut   qu'il   n'en    pouvo: 

plus  réchapper.  Du  côté  des  er 

nemis  ,  le   Marquis  de  Leede  fu 

bleffé  à  mort  ,  le  deuxième  jou 

après  notre  retour  au  fiege.  Enfin 

tous  ks  dehors  ayant  été  empor 

tés  ,  6c  nos  troupes  étant  logée 

au  pied   du  dernier  ouvrage  ,  1 

iei4Juin.yine  fe  rendit  ,.  le  feptieme  jc»ii 


BE  TURENNE.ZzV./r.     3O5    ___ 
orbs  la  bataille ,  Se  le  dix-huitieme  A  N  N  é  jj 
epuis  l'ouverture  de  la  tranchée;      iôjS, 
:1e  Roi  y  entra  comme  en  triom- 
he. 

'  Pour  conferver  à  la  poftérité 
mémoire  de  cette  importante 
pnquête,  &  celle  de  la  victoire 
?s  Dunes,  qui  l'avoit  précédée, 
1  frappa  les  deux  Médailles  n°.  8 

j  9- 

|  La  première  fait  voir  une  vie-    tMedaiflej 
I  ire  ,  qui ,  le  caducée  en   main  , 
larchoit  fur  les  ennemis  terrafles. 
\  es  mots  de  la  Légende  :  ViHoria 
Itcifera  ,  lignifient  :  La  Victoire  ap- 
erçant la  Paix»    Ceux  de  l'Exer- 
1e  :  Hifpanis  cœjis  ad  Dunkercam. 
Il,  DC.  INllliLes  Efpagnols  dé- 
I  lis  près  de  Dunkerque ,  /  658. 
\  La  féconde  repréfente  une  autre  n, Médaille 
j&oire  ,   qui  tient  un    bouclier , 
1  font  les  armes  de  la  ville  de 
unkerque.  La  Légende  :  Dunkerca 
'■rum  capta  ,   fignifie  :  Dunkerque 
jfe  pour  la  féconde  fois.  A  l'Exer- 
ie  eft  la  date  de  n 


Ces    deux     avions    étoient    û  MafarînexIT 

i  01  t    •  .     ge  de  Tuten- 

andes ,  ex  le  mente  de  les  avoir  ne  de  le  «- 


3°6  Histoire  du  Vicomte 

Année  faites  avoir  quelque  chofe  de  fi  fk 
1658.      teur  ,  qu'il  ne  faut  pas  s'étonner  : 
connoîtrc  au-  le  Cardinal  Mazarin  témoigna  un 
teu&dd Ce  flé  ^  ardente  envie    de  faire  croir 
bataille  ;"«  dans  le  monde  ,  qu'il  en  étoit  l'Ai 
que  Turenne  teur  ?  &  que  ia  gloire  lui  en  éto  ! 
due.  En  effet  ,   il  découvrit ,  fi 
cela  toute  fa  foiblefle  au  Comt 
de  Moret,  fon  favori  ;  &  il  le  cha  i 
gea  de  négocier  cette  affaire   ail 
près  du  Vicomte  de  Turenne  ,  a  I 
quel  il   l'envoya.   Le    Comte   cl 
Moret  avoit    ordre  d'engager   cl 
Général  à  écrire    une  lettre  ,  p;  j 
laquelle  il  témoignât  que  c'étoit  !  I 
Cardinal  Mazarin  qui  avoit  conçi 
le  deffein  du  fiége  de  Dunkerquel 
&  dreffé  le  plan  de  la  bataille  d<| 
Dunes;  &  qu'on  n'avoit  exécul!. 
en  campagne  ,  que  ce  que  ce  M: 
niftre  avoit  projette  dans  fon  c; 
binet.    On  lui  avoit  recommand 
de  manier  adroitement  cette  affain 
&  d'infinuer  plutôt  les  chofes ,  qu 
de  les  dire.  Le  Comte  de  Moret 
qui  fa  voit    que   c'eût  été  le  \n 
moyen  d'échouer  auprès  du  Vicoir 
te  de  Turenne  3  naturellement  en 


DE  TURENNE.  Liv.  IV.  307 
«mi  des  détours  &  des  artifices  ,  a  n  n  é  s] 
i  dit  tout  franchement  ce  que  le  I<5*8; 
ardinal  Mazarin  fouhaitoit  de  lui  ; 
iffurant,  qu'en  cas  qu'il  voulût 
ettre  à  prix  cette  complaifance , 
paffion  du  Cardinal  fur  cela  étoit 
vive  ,  qu'il  n'y  avoit  rien  qu'il 
accordât  pour  fe  fatisfaire.  Le  Vi- 
>mte  de  Turenne  ne  balança  point 
r  la  réponfe  qu'il  devoit  faire  à 
ie  pareille  propofition.  Il  dit  au 
Dmte  de  Moret ,  que  le  Cardinal 
azarin  pouvoit  fe  fervir  de  tels 
oyens  qu'il  lui  plairoit  pour  faire 
oire  qu'il  étoit  un  grand  Général 
armée  ;qu'il  n'empêcheroit  point 
l'on  ne  le  crût  ;  mais  que  ,  pour 
lettre  qu'il  lui  demandoit ,  il  fe- 
it  très-râché  de  fournir  quelque 
re  qui  pût  autorifer  une  chofe 
>ntraire  à  la  vérité.  „     .     „ 

Cette  reponle  etoit  moyti- renrecherchc 
mte  pour  le  Cardinal  Mazarin  ;  pas  engins 
bnmoins  il  ne  pouvoit  s'empê- 
ter  de  rendre  Juftice  au  mérite 
.1  Vicomte  de  Turenne  ;  il  admi- 
)it  fon  défintéreffement  ;  il  le  re- 
irdoit  comme  le  feul  homme  qui 


308  Histoire  du  Vicomte 


Année  pût  le  foutenir  dans  une  révolutioi 
16 s*  de  fortune  ;  &  il  tâchoit ,  par  tou 
tes  fortes  de  moyens  ,  de  forme 
des  liaifons  avec  lui.  Il  n'étoit  pa 
trop  bien  dans  l'efprit  du  Duc  d'An1 
jou,  qui  étoit  alors  l'héritier  pré' 
fomptif  de  la  Couronne  :  de  fort 
que ,  voyant  le  Roi  réduit  à  l'extu 

Le  (  Juillet.  m^  Par  *a  malacke  dont  ^  ^ut  a1' 
taqué  en  ce  temps-là  9  il  envoya  er  \ 
core  le   Comte  de  Moret  au  Vij 
comte  de  Turenne,  pourfavoir  s' 
pourroit  compter  fur  lui  ,   en  ca< 
que  le  Roi  vînt  à  mourir.  Le  Comt 
de  Moret  >  ayant  propofé  la  chof  ' 
au  Vicomte  de  Turenne  ,  ce  Gi 
néral  lui  dit ,  avec  fa  fincérité  ac 
coutumée ,  »  que ,  comme  il  croyoi 
»  qu'il  étoit  du  bien  et  de  l'intérê 
»  de  l'Etat ,  que  le  Cardinal  Maza 
»  rin  reftât  dans  fon  pofte ,  il  pou 
»  voit  l'afTurer ,  que ,  fi  le  Duc  d'An 
»  jou  parvenoit  à  la  Couronne  ,  i 
»lui    préfenteroit    très-fortemen 
»  combien  il  feroit  dangereux  d'ô 
»  ter  le  foin  des  affaires  à  un  Mi 
»  mitre  auffi  établi  que  l'étoit  alor: 
»  ce  Cardinal  «..On  auroit  bien  vou 


DE   TURENNE    Liv.  IV,   309 

qu'il  eût  promis  d'employer  fon  XTTT"i 
mée  pour  le  maintenir  dans  le  1658. 
jiniftere;  ôtle  Comte  de  Moret 
: ,  pour  cela ,  tout  ce  que  fçauroit 
jire  un  négociateur  affectionné  & 
ibile  :  mais  le  Vicomte  de  Tu- 
inne  ne  voulut  jamais  s'engager  à 
j:tre  chofe ,  qu'à  ce  qu'il  avoit  pro- 
iis  d'abord.  Ainfi  le  Cardinal  Ma- 
Jrin  fut  dans  de  grandes  inquié- 
jdes,  tant  que  le  Roi  fut  en  dan- 
Ir  :  mais  le  Roi  recouvra  enfin  fa 
iité. 

I  Le  Vicomte  de   Turenne  ,  qui  Turenne  fou- 
;oit  fufpendu  l'exécution  de  fes^f^ 
iffeins,  à  caufe  de  la  maladie  de 
I  Prince ,  en  pourfuivit  le  cours 
3  tôt  qu'il  reçut  la  nouvelle  de  fa 
i  nvalefcence.  Depuis  la  reddition 
'■*  Dunkerque,  il  s'étoit  rendu  maî- 
iî ,  en  moins  de  huit  jours  ,  du 
-Art  de  Linck,  &  des  Villes  de  Ber- 
■  es ,  de  Furnes ,  &  de  dixmude. 
.Drès  cela  ,  il  favorifa  la  prife  de 
^avelines,  en    couvrant  l'armée 
ià.  en  fafoit  le  fiége.  De  Grave- 
lies,  il  va  paffer  la  Lys  à  Deynfe; 
ife  faifit  du  Château  de  Gavre  fur. 


3ï0  Histoire  x>v  Vicomte 

A  n  n  é*e  l'Efcaut  ;  il  marche  à  Oudenarde 

i^j8.      il  trouve  en  chemin  le  Comte  c 

Chamilly  ,  à  qui  le  Prince  de  Cor 

dé  avoit  donné  ordre  de  fe  jett< 

dedans  avec  trois  régimens  ;  il  et 

te  ?  Sep-^ve  ce  Comte  &:  la  moitié  de  fl 

tembrc.       troupes ,  &  fe  rend  maître  de 
Ville.  ^ 
En   prend      Après    la    prife   d'Oudenardo 

piufieurs  au- ie  vicomte  de  Turenne  marche^ 
Menin ,  pour  parler  la  Lys ,  &  ail  j 
afliéger  Ypres  ;  &  ayant  rencont 
fur  fa  route   le  Prince  de  Lign 
qui  conduifoit  trois  mille  ho  mm 
à  Tournay  ,  il   les   attaque  ,  &  I 
en  fait  deux  mille  cinq  cens  prifo 
niers.  Il  force  les  habitans  de  M 
nin  à  laifTer  parler  fon  armée  i1 
leur  pont;  il  enlevé  outre  celai' 
régiment  de  Dragons ,   que  De  ' 
Juan    d'Autriche    envoyoit    da^ 
Le  i7  Sep-  Ypres,  &  réduit  cette  grande  Vil 
a  capituler  en  cinq  jours  de  lieg 
après  quoi    il   prend  encore  C 
mines ,  Gramont ,  &  Ninove  ; 
maître  de  tout  le  pays  qui  efl  eni 
l'Yper ,  la  Lys  &  l'Efcaut ,  il  envc 
des  partis  jufqu'aux  portes  de  Bi  : 


DE  TURENNE.   LiV.  IV.    3  II 

ûles ,  où  le  Prince  de  Condé  &      ~     ,  ! 

>om  Juan  d'Autriche  avoient  été      1*58. 

bligés  de  fe  retirer. 
Pour  immortalifer  le   fouvenir 

I  la  prife  de  toutes  ces  Places ,  le 

loi  fit  frapper  la  Médaille.  N°.  10. 
On  y  voit  une  Bellonne  dans  un 

uar  traîné  par  deux  chevaux ,  & 

j;tour  d'elle  trois  Dieux-Fleuves 
nverfés.  Les  mots  de  la  Légen- 
:  ViUoriarum  Impuus  ,  &C  ceux 
l'Exergue  :  ad  Scaldim  ,  Lyfam 
Yperam  ,  M.  DC.  LVIII.  figni- 
nt  ,  la  rapidité  des  victoires  de  la 
ance  ,  fur  VEfiaut  ,fur  la  Lys  9  & 

ïfTper,    iG58. 

I  Cette  rapidité  de   vicloires  fit    Les  Efpa- 

4'mbler  l'Efpagne  pour  la  perte  snolsconfen- 

r»  t^        S,&     „    *         .  iM  •      tent  au    ma~ 

<s  Pays-Bas.  Il  eit  vrai  que   lhi-riage  de  leur 
flr  mit  fin  aux  expéditions  du  Vi-  ïafanttT*vec 

.      r^  r  ..,,,.    Louis  XIV. 

Kmte  de  lurenne;  mais  il  netoit 
q|s  impofîible  qu'il  prît  le  refte 
I  la  Flandre  l'année  fuivante.  Les 
;lpagnols  n'avoient  de  refTource 
*  e  dans  la  pa  i  x  ;  6c  on  vouloit  bien 
«leur  accorder,  à  condition  qu'ils 
«nneroient  au  Roi,  pour  Epoufe  , 
lifante  Marie-Thérèfe,  qui,  à  eau- 


NÉS 


311  Histoire  du  Vicomt» 
le  de  la  mauvaife  fanté  &;  de  la  ma 
i6jg,      vaife  conftruc~tion  du  Prince  d'E. 
pagne,  étoit regardée  comme l'h- 
ritiere  préfomptive  delà  Couronr  j 
Mais  le  remède  ,  avec  cette  co 
dition,leur  parohToit  pire  quel 
mal  même  :  ils  trouvoient ,  que  c  j 
toit  expofer  leur  monarchie  à  cl 
venir,  quelque  jour,  une  fimtj 
Province  de  la  nôtre  ,  n'y  ay<] 
pas  d'apparence ,  que  lorsqu'un  F I 
de  France  feroit  maître  des  dej 
Royaumes,  il  quittât  le  féjour 
Paris  pour  aller  faire  fa  réfider 
à  Madrid;  &   que  faire  la  paix 
ce  prix  ,  pour  empêcher  la  pe 
de  la  Flandre,  c'étoit  facrifler 
Royaume  pour  fauver  une  Provin 
Mais,  d'un  autre  côté,  ils  confie 
roient  aum* ,  que ,  quand  nous 
rions  pris  le  refte  des  Pays-Bas , 
nous  venions  à  tourner  nos  am 
contre  l'Efpagne ,  où  il  n'y  av 
nulle  Place  forte,  nous  pourrions 
faire  la  conquête,  en  bien  moft 
de  tems  que  nous  n'en  aurions  mij< 
conquérir  la  Flandre  ;  &  qu'il  U I 
feroit  encore  bien  plus  fâcheux  d  ? 


DE  TURENNE.  Z/v.  IV.    31} 

•e  à  la  France  de  cette  manière- — — 

. ,  que  de  l'autre.  Ainfi,  après  y  l6*8, 
voir  bien  penfé,  &:  avoir  d'ailleurs  Le  s  Mai* 
it  renoncer  l'Infante  aux  Etats  du 
oi  fon  père  ,  ils  fe  déterminèrent 
nous  la  donner  :  6c  on  leur  accor- 
aufli-tôt  une  fufpenfion  d'armes , 
fqu'à  ce  qu'on  eût  réglé  les  articles 
1  traité  de  paix  6c  du  contrat  de 
iriage. 

Comme   Cromwel   étoit    mort 
elque  tems   avant  cette  trêve , 
s'éleva   alors  en  Angleterre  un 
rti  conûdérable ,  qui  prit  les  ar-  Turenne  s'ïn- 
s  en  faveur  du  Roi  Charles  IL  Le  vè\fïM  ré~ 

.    .  tabliflemene 

comte  de  JLurenne ,  ravi  de  trou-  du  Roi  d'An» 

r  une  occafion  de  rendre  iervice  si«c"c 

Roi  d'Angleterre  ;  &  perfuadé  en 

me-tems,  que  le  rétabliffement 

ce  Prince  feroit  avantageux  à  la 

I  nce ,  réfolut  de  profiter  de  cette 

sijon&ure  pour  le  faire  remonter 

I  le  Trône  il  favoit  que  la  flotte 

cl  ngleterre  étoit  dans  la  Mer  Bal- 

flie  :  il'voyoit  la  paix  réfolue  ôc 

fifque  conclue   avec  l'Efpagne  ; 

«l'y  avoit  rien  à  faire  pour  nos 

«jupes  ;  dans  le  Royaume ,  du- 


_  3X4  Histoire  du  Vicomte 

Année  rant    *a    treve  :  ^   les    fit   donc  fi 

i6^.      1er  vers  les  côtes  de  la  Picardie 
&C  il  s'avança  jufqu'à  Montreuil 
afin  d'être  à  portée    de   difpofe 
toutes  chofes  pour  l'embarquemer 
qui  fe  devoit  faire   à  Eftaples. 
acheta ,  pour  cela  ,  tous  les  Vai  | 
féaux  qui  étoient  fur  la  côte , 
toutes  les  munitions  de  guerre 
•fcdrsé,deîrjade   bouche   néceffaires.    Il   dort 
propre  main  ce  qui  lui  refloit  d'argent  au  D' 
??v  D,uc    .  d'York ,  qui  vint   à    Montreuil  : 

d  Yorck,  oui  ?  *i 

a  été  depuis  lui  oirnt ,  outre  cela  ,  la  vaiie. 

Roi  d'Angle-  dWent,  &fon  crédit p on rempru 
ter  de  quoi  tourmr  a  la  depenie 
cette  expédition.  Il  voulut  que  : 
neveux,  le  Duc  de  Bouillon  & 
Comte  d'Auvergne ,  accompagn 
fent  ce  Prince   en  Angleterre , 
l'affaire  fut  fi  avancée ,  que  Ton  et 
déjà  à  la  veille  du  jour  fixe  pc 
l'embarquement ,  lorfqu'on  apf 
que  le  corps  de  troupes ,  qui 
toit  déclaré  pour  le  Roi  d'Ang 
terre ,  avoit  été  entièrement  dél 
&  diffipé  par  ceux  du  parti  opp 
aux  intérêts  de  ce  Prince  ;  de  fo  i 
que  le  Vicomte  de  Turenne  ne  ] 


DE  TURENNE.  LiV.  VI.   3  I  Ç 

pas  pouffer  plus  loin  cette  entre-  "aTTTi 
prife.  1^55. 

i  Cependant  les  articles  du  trai-    v  .      , 
:e  de  paix  entre  la  France  oc  1  El-  Pyrénées ,  & 
:>agne  ,   &    ceux    du    contrat    de  ?"£gxiYdc 
Taariage  du  Roi,  avec  l'Infante,  fu- 
•ent  enfin  arrêtés  $c  fignés  au  pied 
les   Pyrenés ,  fur  les  confins  des 
leux  Royaumes  ;  &:  ce    fut   par 
:ette   célèbre    alliance  ,  que   finit 
me  guerre  qui  duroit  depuis  vingt- 
inq  ans. 
Le  Roi  voulant  récomp enfer  le  rTurenne  e?= 

,.  i       t-.  1  .  r  r  'au        Mare- 

/îcomte  de  lurenne  des  iervices  Chai  Générai 
[u'il  lui   avoit  rendus  pendant  le  dss    Armées 

v  j  •  •  o    v .  1    •    j  as  France ,  Se 

:ours  de  cette  guerre ,  lui  donna  n>eft  poinc 
a  charge  de  Maréchal  -  Général  tenté  par  rof- 
le  fes  camps  &z  armées.  Le  Car-  chargee  de 
linal  Mazarin  lui  fit  même  enten-  Connétable. 
Ire  qu'il  ne  tenoit  qu'à  lui  qu'il Le  *  AvriI- 
1e  fût  élevé  à  une  plus  haute  di- 

jnité  :  que  la    charge    de   Conné-  ■ 

able ,  qui  étoit  la  première  du 
Royaume,  avoit,  à  la  vérité,  été 
■  imprimée  à  caufe  de  la  trop  gran- 
lle  puiffance  qui  y  étoit  attachée  ; 
|[iie  néanmoins  le  Roi  la  rétabliroit 
Volontiers  en  fa  faveur,  fi  lui-mê- 
Oij 


N    N    E    a 
l66o% 


-  y\6  Histoire  du  Vicomte 

a  n  n  é  e  nie  n'y  mettoit  un  obftacle  par  la 
i66o>  Religion  qu'il  profeffoit.  Mais  le 
Vicomte  de  Turenne  n'étoit  pas 
d'un  carraclere  à  fe  laifler  tenter 
par  l'attrait  des  honneurs ,  quand  il 
s'aghToit  de  Religion.  L'offre  de 
la  première  charge  de  la  Couron-  ; 
ne  ne  fut  pas  capable  de  lui  faire 
quitter  la  Religion  Calvinifle  ,  tant  ij 
qu'il  la  crut  la  meilleure  ;  comme 
nulle  confidération  ne  put  l'y  rete- 
nir ,  quand  il  fut  perfuadé  du  con- 
traire ,  ainfi  que  nous  le  verron; 
dans  la  fuite  de  fon  Hiiloire. 
inconvénient  Les  intervalles  de  la  guern 
?uque,I,1!.(A'""  f°nt  ordinairement  de  grands   vui 

jette  l'hiitoi-  .  .  n     .  &        f     f 

ye  des  Gêné-  des  dans  1  hiltoire  des  Généraux 
d'armée ,  qui ,  tirant  pour  la  plupar 
tonte  leur  élévation  du  comman 
dément  des  troupes  à  la  tête  def 
quelles  ils  font ,  fe  trouvent  au  ni' 
veau  des  autres  hommes  durant  U 
tems  de  la  pai?^ ,  où  ils  ne  font  plu; 
rien  qui  foit  digne  de  la  connoif 
fance  de  la  poftériîé ,  &  qui  puifff 
par  conféquent  fervir  de  matière  < 
i'hifloire. 

Il   n'en  -eft  pas  de  même  de; 


ïaux 


DE  TURENNE.  Liv.  IF.   317     * 

grands  Hommes  :  ils  impriment ,  a  n  n  é  e 
ufques   dans  leurs    moindres  ac-      1^0. 
ions ,  je  ne  fais  quel  cara&ere  fin*  niaif n(?n  «J* 

1»  •  1  l  r  1  le  des  grands 

julier ,  qui  les  conlacre  en  quelque  Hommes  j 
naniere  ,   &C  qui  les  rend  dignes 
rêtrepropoféspourmodeles  à  tous 
es  fie  cl  es  à  venir. 

Tel  fut  le  Vicomte  de  Turen-  témoin  le  vï- 
ie.  Quand  il  n'auroit  jamais  donné  rce°™ee,  e  Tl1" 
i  batailles  ni  combats ,  il  n'auroit 
as  laifTé  de  s'acquérir  une  très- 
rande  réputation  ,  par  le  feul  mé- 
te  de  fes  vertus  civiles  ;  &  quel- 
u'avantage  qu'on  puiffe  retirer  de 
.  connoiffance  de  {es  a&ions  pu- 
liques  ,  comme  il  n'efl  pas  moins 
nportant  de  connoître  le  carac- 
tfe  de  fa  vie  privée ,  je  crois  qu'il 
ft  à  propos  d'en  dire  ici  quelque 
hofe. 

Il  eut  toujours  pour  les  vérités  sa  vraie 
mdamentales  du  Chriftianifme  un  Pié^« 
lâchement  à  l'épreuve  de  {es 
ropres  pafïions  ,  &:  des  mauvais 
temples  d'autrui.  Il  ne  pouvoit 
>uffrir  l'impiété  des  fentimens  ,  ni 
'  libertinage  des  mœurs  ;  &C  per- 
>nne  n'avoit  plus  d'averfion  que 
Oiij 


__        3i8  Histoire  du  Vicomte 

^  N  „  ^  E  lui  pour  les  gens  qui  menoient  une 

uso*      vie  icandaleufe.  Il  y  avoit  près  de  i 

cinquante  ans  qu'il  étoit  dans  lai 

Religion  Calvinifte  ,  croyant  qu<| 

c'étoit  la  véritable  Religion  ;  mai  ; 

enfin  il  commença  à  douter.  Il  n(' 

s'en  ouvrit  néanmoins  à  perfonne  ! 

&  il  tâcha  feulement  de  s'éclair' 

cir  lui-même    de   fes    difficulté1 

par  la  lecture  des  livres   Catholr 

ques.   Cette  lechire  augmenta  fel 

doutes  ,  6c  lui  fit  entrevoir  les  erl 

reurs  y  dans  lefquelles  il  fe  trouvo: 

engagé  par  le  malheur  de  fa  nai: 

fance  ;  &  dès-lors,  la  Religion  Ca 

viniite  lui  devint  îufpe&e.  Il  avoi 

dès-lors  de  la  révérence  pour  le 

chofes  faintes  ,  tout  ce  qui  porto: 

quelque  caractère  de  Religion  k 

étoit  facré  ;  il  refpe&oit  nos  Egl: 

fes ,  nos  Myfteres  ,  &  jufqu'à  no 

cérémonies.  Aufli  étoit-il  en  vén( 

ration  aux  Catholiques  même  ;  c 

qui  n'eft  arrivé  qu'à  bien  peu  d'ail' 

très  Calviniftes. 

Son  carac-      Quant  à  ce  qui  regarde  la  fo 

icrc    &   fes  c^t^  cjvj]e     ]amais  homme  ne  fu 

o  un  commerce  plus  aile  :  parlan 


DE  TURENNE.  LlV.  IV.    $l<) 

es  plus  petites  chofes,  comme  s'il  A  N  N  é  t 
àt  ignoré  les  grandes  ;  &:  cela,  i^o. 
vec  les  perfonnes  de  la  moindre 
)ndition ,  fans  jamais  fe  prévaloir 
2  la  fupériorité  de  fon  rang,  ni  de 
.41e  de  fon  efprit.  Il  s'accommo- 
^it  avec  tant  de  complaifance  au 
ira&ere  &  à  l'humeur  de  tout  le 
onde  ,  qu'on  étoit  fouvent  éton- 
\  qu'avec  de  fi  grandes  qualités 
wr  la  guerre  ,  il  fut  encore  le 
us  poli  6c  le  plus  aimable  homme 
l  fon  tems.  Tout  étoit  vrai  &C  fin- 
re  en  lui  ,  fentimens  ,  mœurs , 
anieres.  Auiîl  éloigné  de  la  famTe 
odeftie  que  de  l'orgueil ,  il  fe  laif- 
it  voir  à  tout  le  monde  tel  qu'il 
oit  :  il  parloit  de  fes  a&ions 
'ec  {implicite  ck  avec  ingénuité  , 
as  rien  exagérer  par  une  vanité 
iverte,  Se  Ians  rien  abaifTer  par 
rafînement  d'une  vanité  plus  dé- 
urnée.  Ennemi  déclaré  des  fla- 
Lirs,  qui  que  ce  foit  n'eût  ofé  le 
uer.  Il  marchoit  le  plus  fouvent 
ns  équipage  &:  ians  domeitiques  y 
mêlant  dans  la  foule  comme  un 
>mme  du  commun  ?  mais  il 
O   iv 


N    N    E 


310  Histoire  du  Vicomte 
avoit  beau  fe  confondre  ,  fa  repu 
16*0.      tation  le  faifoit  par- tout  reconno 
tre  :  le  peuple ,  au  milieu  duquc 
il  fe  meloit  avec  tant  de  modeflie  t 
ne  laifToit  pas  de  le  regarder  coït 
me  un  des  plus  grands  ornement 
du  fiecle.  Chacun  s'emprelToit  poul 
le  voir.  Ceux  qui  le  connonToient| 
le  montroient   des    yeux    &C    d 
gefte  à  ceux   qui  ne  le  connoil 
foient  pas.  Les  Etrangers ,  qui  v< 
noient  en  France ,  s'en  retournoier. 
fatisfaits  quand  ils  l'avoient  vu;^ 
fou  vent  nos  ennemis  même  encht 
riffoientfur  nous ,  quand  on  fe  mei 
toit  à  faire  le  dénombrement  de  fe[ 
exploits ,  ou  à  rappeller  la  mémo: 
re  de  fes  vertus. 
Sa  vie  do-      Réduit  à  quelque  chofe  de  plu, 
»ettrçue.      particuiier    encore    ,  &    renfer 
mé  ,  pour  ainfi  dire  ,  dans  les  bor 
nés  de  fa  maifon  ?  il  n'y  étoit  pa 
moins  admirable  qu'à  la  guerre  & 
dans  la  fociété.  C'eftlà  qu'il  paroi! 
foit  véritablement  grand,  par  la  feu 
le  fagelTe.  Jufqu'aux  gens  qui  le  fer 
voient ,  tout  le  monde  étoit  éton 
né  de  cette  fageïTe  :  car   au  liei 


DE  TURENNE.Iiv./K   \ 21       

que  la  plupart  de  ceux  qui  attirent  a  n  n 
'admiration  du  public  ,   font  pitié      l6So* 
[  leurs    domeftiques    témoins  de 
eurs  foibleffes ,  c'étaient  ceux  qui 
Soient  proche  de  fa  perfonne  ,  qui 
rvoient   pour   lui    des   fentimens 
Ifùne  plus  profonde  vénération  : 
<aree  que,  voyant  fes  vertus  de 
lus  près ,  ils  connoiffoient  mieux 
ombien  le  motif  en  étoit  pur  &C 
éfintéreffé.  C'étoit  le  plus  parfait 
poux ,  &:  le  meilleur  maître  qui 
rt  jamais.  Toutes  les  lettres  qu'il 
écrites  à  la  Vicomteffe  de  Turen- 
î  fa  femme ,  font  pleines  de  po- 
uffes qui  vont   quelquefois   juf- 
i*au  reipect:  on  n'y  fauroitvoir, 
ns  furprife  ,  l'attention  qu'il  avoit 
j  y&r  elle ,  au  milieu  de  tant  de  gran- 
i  »s  affaires  dont  il  étoit  chargé.  Il 
jHmpofïible  qu'elle  ne  fut  fortfen- 
^le  à  la  manière  dont  il  lui  ouvre 
n  cœur  dans  ces  lettres  :  mais  ce 
û  vraifemblablement  la  touchoit 
;stc©replus,  c'eilune  certaine  joie 
ve ,  qui  y  eft  par-tout  répandue, 
vqvii  fait  voir  qu'il  n'a  voit  point 
h  plus  grand  plaifir  que  celui  de 
ri  écrire.  O  y 


E    l 


ttmmmmmÊtmmm^  32,1  Histoire  du  Vicomte 
Année       Pour  ce  qui  eft  de  fes  domef 
1.6^0.      tiques,  il  vouloit  abfolument  qu< 

©ou"  fcs  Do-  c^acun  ft  *°n  devoir  ;  mais  quanc 
jaîefti.jues.     ils  étoient  fages  ,  ils   étoient  fur 
de  fa  prote&ion  pour  eux  &  pou 
leur  famille.   S'ils  avoient  une  an 
faire ,  il  en  faifoit  la  fienne  &  lj 
follicitoit  en  perfonne  ,  fans  vou  • 
loir  toutefois  que  fon  crédit  fît  toi I 
à  qui  que   ce  foit.    Aufîl  fa  ma  I 
fon  étoit-elle   remplie   d'honnêtd 
gens  ;  &£  il  n'y  avoit  pas  un   d  I 
les  domeftiques  qui  n'eût  de  la  prcj 
bité  &C  de  l'honneur ,  foit  que  ceu  I 
qu'il  choififToit  fiuTent  tels  par  eu:l 
mêmes  ,    ou  qu'il    communiqué  j 
quelque  chofe  de  fon  caractère  I 
tous  ceux  qui  l'approchoient. 
^Son  goûc      Quant  au   goût    qu'il    pouvol 
ircl  "   "  avoir  pour  ce  qu'on  appelle  litftj 
rature  ,.  il  eftimoit  les  gens  de  Le 
très  ,  6c  il  les  attiroit  chez  lui. 
aimoit  l'hiftoire  ,  &C   il  en   favoi 
faire  fon  profit.  Il  n'ignoroit  rie 
de  ce  qu'un  Prince  doit  {avoir ,  £ 
ne  s'amufoit  pas  à   apprendre  c 
qu'il  doit    ignorer.    La   converf; 
iion  des  gens  de  bon  fens  5  & ;  '  1 


DE  TURENNE.Z^V.  IV.   313 


eéture  des  livres  folides  ,  occupe-  A  N  N  é  r 
ent  une  partie  de  fon  loifir  pen-  i&o»- 
lant  les  fix  ou  fept  années  de  paix 
[ui  fuivirent  le  Traité  des  Pyre- 
tées.  Mais  fes  occupations  tran- 
uilles  n'empêchoient  pas  qu'il  ne 
rît  part  aux  affaires  publiques  du- 
ant  ce  tems-là  ,  &  que  ,  de  fon 
abinet ,  il  ne  donnât ,  pour  ainft 
ire ,  le  branle  k  ce  qui  fe  faiibit  de 
lus  confidérable  chez  nos  voifins. 
Toute  l'Europe  avoit  alors  les 
eux  tournés  fur  le  Portugal.  Les 
fpagnols  s'étoient  empares  de  ce 
.oyaume  en  1580.  Soixante  ans 
près,  c'eft-à-dire  en  1640,  les  Tt^  ftw 
ortugais ,  voyant  toutes  les  for-  du  Portugal* 
es  des  Efpagnols  occupées  à  re- 
lier à  la  France  ,  avoient  fecoué 
I  joug  de  l'Efpagne  ,  &  proclamé 
.oi  le  Duc  de  Bragance ,  qui  s'é- 
lit aifément  maintenu  fur  le  trô- 
e,  tant  que  les  Efpagnols  avoient 
té  engagés  dans  une  aufïi  grande 
juerre  que  celle  qu'ils  avoient 
jontre  nous.  Mais  cette  guerre 
ttant  finie  en  1660  ,  comme  nou3 
Wons- dit  ci-deffus  ,  les  Efpagnols 


ji4  Histoire  du  Vicomte 


Année  firent  marcher  toutes  leurs  trou« 
i6Gq.      pes  du  côté  du  Portugal ,  pour  ù 
reffaifir  au  plutôt  de  ce  Royaume 
Dom  Juan  d'Autriche  étoit  à  la  ta 
te  de  l'armée ,  &  avait  avec   lu 
toutes    les  vieilles   troupes    qu'i 
avoit  emmenées  de  Flandre  ,  ave 
d'anciens  Officiers  très-expérimer 
tés.    Les  Portugais  ,    fans    Gène 
raux  &c  fans  Alliés,  n'avoient  qu| 
très-peu  de  troupes  pour  foutenii 
une  û  grande  guerre  ;  &  tout  11 
monde  étoit  touché  de  la  trille  fi 
tuation  où  ils  fe  trotivoient. 
Turenne  s»î«-      Le  Vicomte  de  Turenne  ,   û 
têrefTe    pour  chant  combien  il  importoit  à  î 
&  y°yean^é  France  d'empêcher  que  les  Efp; 
pour  Générai  gnois  ne  fe  rendhTent  maîtres  dl 
s'chombag/ Royaume  de  Portugal  ,  entrepr; 
de  le  défendre  en  fon  nom  cor: 
tre  les  efforts  de  l'Efpagne.  Pou  g 
concerter  les  moyens   d'exécuté  j 
cette  entreprife  ,   il  falloit  néce! 
fairement  qu'il    conférât    avec  1 
Comte  de  Soure  ,  AmbaiTadeur  d  ; 
Roi  de  Portugal  en  France ,  &t  qu 
cela  fe  fit  fi  fecrettement ,  que  le 
Efpagnolsn'eaeuffent  aucune  cor 


DE  TURENNE.  Llv.  IV.    315     __^__ 

10'nTance  ;  puifque ,  par  le  Traité  a  h  n  é  a 
des  Pyrénées  ,  nous  nous  étions  l66°* 
engagés  à  abandonner  abfolument 
:es  Portugais.  Le  Vicomte  de  Tu- 
*enne  auroit  bien  pu  prier  le  Com- 
:e  de  Soure  de  venir  chez  lui  * 
nais  fa  maifon  étoit  trop  fréquen- 
ce ,  pour  qu'un  Miniftre  de  ce 
:ara&ere  y  put  être  caché.  C'efl 
>ourquoi  il  confia  le  fecret  de 
:ette  affaire  à  fon  neveu  le  Duc 
l'Albret  ,  fi  célèbre  depuis  fous 
e  nom  de  Cardinal  de  Bouillon  , 
)oyen  du  facré  Collège  ,  lequel 
l'avoit  alors  que  dix-neuf  ans ,  mais 
me  le  Vicomte  de  Turenne  eili- 
noit ,  quoiqu'à  cet  âge  ,  très-capa- 
)le  d'une  telle  confiance.  Aufîi  le 
3uc  d'Albret  fut-il  tenir  caché  le 
Domte  de  Soure  en  une  maifon 
Je  campagne ,  à  l'infçu  de  tout  le 
nonde  ,  autant  de  tems  qu'il  fut 
léceffaire.  Là  ,  le  Vicomte  de  Tu- 
•enne  eut  plufieurs  conférences 
ivec  cet  Ambafladeur,  pour  pren- 
Ire  connohTance  des  forces  du 
Dortugal  ;  &  étant  inftruit  à  fond 
lu  nombre  des  troupes  &c  de  l'é- 


f£6  Histoire  du  Vicomte 

a  h  n  é  e  tat  ^es  ^aces  ^ll  Royaume,  il  en- 
i66ot  gagea  le  Comte  de  Schomberg  à 
en  aller  prendre  la  défenfe  ,  à  la 
tête  de  l'armée  des  Portugais.  Ce. 
choix  étoit  d'autant  plus  judicieux.; 
qu'outre  la  capacité  du  Comte  do 
Schomberg  ,  fa  qualité  d'Etrangei, 
faifoit  qu'on  pouvoit  le  défavouer 
eh  cas  que  les  Efpagnols  vinfTen. 
àfe  plaindre  de  ce  que  nous  fomen 
tions  indirectement  la  guerre  en 
Portugal. 

Le  Vicomte  de  Turenne  enga- 
fesconièihgeâ,  outre  cela  ,  le  Roi  d'Angle 
jufquàiaPaixterre9  qUi  venoit  d'être  rétabli,  ; 
tug" &  i Ef- époufer  l'Infante  de  Portugal,  &'1 
pagne.         à  envoyer  un  corps  de  troupes  ai 
fecours  de  ce   Royaume.  Il  con> 
tribua  beaucoup  à  le  déterminer  ;  I 
nous  vendre  la  ville   de  Diinker-' 
que  ,  pour  avoir  de  quoi  fournir  il 
Fentretien  de  ces  troupes  ;  &  il  fi" 
parler  un  grand  nombre    de   fol 
dats  &  d'officiers  François  en  An- 
gleterre ,  d'où  on  les  tranfporta  er 
Portugal ,  pour  y  fervir  aux  ordre! 
du  Comte   de   Schomberg.  Lorf 
que  ce  Général  y  fut  arrivé  3  I 


qu'il 
de  fei 


DE  TURENNE.I/v./K   317 

îforma  encore  mieux  le  Vicomte  A  N  *  ?  9 

e  Turenne  des  befoins  &  des  ref-      ié*o. 

xtrces  de  ce  Royaume  ;  6c  fe  fer- 

ant  à  propos  des  fecours  que  lui 

rocuroit  ce  Prince ,  &  des  avis 

u'il  lui  donnoit  ,  il  battit  en  di- 

erfes  rencontres  les  Efpagnols,  èc 

>utint  la  guerre  avec  honneur  &C 

vec  avantage  contre  eux,  jufqu'au 

ms   où  le  Roi  d'Efpagne   fit  le 

aité  de  paix  ,  par  lequel  il  laif- 

it  le  Royaume  de  Portugal  à  la 

aifon  de  Bragance  r  qui    en  a .£ïïf££ 

mjours   joui  depuis.  Les  Portu- 166&. 

lis  voulant  témoigner  leur  recon- 

)iffance  au  Vicomte  de  Turenne , 

fut  réfolu  dans  le  Confeil  d'Etat , 

ae  le  Marquis  de  Sande  feroit  en- 

Dyé   en  France  ,  non-feulement 

rec  un  plein  pouvoir  de  traiter  du 

tariage  d'une  des  nièces  du  Vi- 

>mte    de  Turenne    avec  l'Infant 

>om  Pedre  ,  qui ,  dans  la  fuite  ,  a 

:é  Roi  de  Portugal ,  mais  encore 

/ec  un  ordre  exprès  de  conclure 

1  mariage  ,   félon   la    teneur   du 

écret  du  Confeil  d'Etat  ;  &  la 

tiofe  fut  fi  avancée  3  que  les  ar- 


}i$  Histoire  dû  Vicomte 
ticles    du   contrat    furent    ligné 
Néanmoins  ce  mariage  ne  s'étar* 
pas  fait ,  la  nièce  du  Vicomte  di 
Turenne  épotifa  le  Duc  Maximilie 
de  Bavière ,  frère  de  l'Electeur  d| 
ce  nom. 
Ses  foins  pour      Cependant  les  affaires  du  Pcw 
les   gcDs  dctugal   n'oceupoient  pas  tellemenr 
*****         le  Vicomte  de  Turenne ,  qu'il  ni 
donnât    en  même-tems  fes   foirl 
à  celles  de  la  France.  On  lui  coir  I 
muniquoit  les  mftruclions  que  To  I 
donnoit  aux  Ambaffadeurs  que  noi  I 
envoyions  dans  les  Cours  étrange! 
res  ,  &  les  affaires  les  plus  fecre  I 
tes  qu'on  négocioit  alors  avec  kl 
Princes  6c  les  Etats  Souverains  à  I 
l'Europe  j  &  nous  avons  eneorl 
ce  qu'il  a  écrit  fur  ces  fortes  de  mal 
tieres.  Il  y  démêle  les  divers  intel 
rets  des  Princes ,  avec  les  vues  d'il  I 
ne  politique  très-fine  ;   &  on  ]| 
trouve    des   réflexions    fi   fages 
qu'on  peut  les  comparer  à  ce  qu'i: 
y  a  de  plus  fenfé  dans  les  meilleur 
ouvrages  que  l'on  a  faits  touchan 
les  Loix  de   la  guerre    &    de  h 
paix.  Outre  cela  ,  il  affiftôit  àt 


N    N    Z    3 


deTurenne.  Liv. IK  329 

;ms  en  tems  au  Confeil ,  où ,  tou- 

îs  les  fois  que   nos  voifins  nous      i**° 

mrniffoient  des  occafions  de  rom- 

re  la  paix ,  il  fut  le  premier  à  diffua- 

m  la  guerre  ,  quelque  gloire  qu'il 

it  comme  afîuré  d'en  retirer.  Le 

oi  rendoit  à  fon  défintérerTement 

•utc  la  juftice  qui  lui  étoit  due  y 

nfi  qu'à  fes  autres  grandes  qua- 

és.  De  fon  côté  ,  le  Vicomte  de 

utenne  ne  l'approchoit  qu'avec 

ie  efpece  de  timidité  &  c'étoit 

ujours  avec  les  manières  les  plus 

fpe&ueufes  qu'il  lui  parloit  ,   &C 

l'il  traitoit  les  affaires  en  fa  pré- 

îce.  Cette  timidité  néanmoins  ne 

mpêchoit  pas  de  parler  fortement 

ntre  les  fautes  des  Minières  même 

;  plus  accrédités,  de  folliciter  vi- 

ment  le  Roi  en  faveur  des  gens 

mérite ,  6c  de  lui  demander ,  juf- 

'àl'importunité  ,  les  principaux 

îplois  du  Royaume  pour  ceux 

i   a  voient  les  qualités  les  plus 

Jopres  à  les  remplir  ,    fans  que 

h  gens-là  même  en  fuffent  rien. 

ï?s  qu'il  les  connoirToit  les  plus 

<$nes,  il  repréfentoit  continuelle- 


33°  Histoire  du  Vicomte 

An  n  é  i  ment  leur  capacité  &  leurs  fervices 

1660.      jufqu'à  ce  qu'il  eût  obtenu  les  pof 

tes  qu'il  demandoit  pour  eux.  (* 

Telles  étoient  les  occupation 

du  Vicomte  de  Turenne  lorfque  1 

mort  enleva  la  Vicomteffe  de  Ti 

Il   perd   fa  c    c  ,       A  • 

femme,  donc  renne  la  femme  ,  dont  je  ne  cro 
il  rend  la  doc.  pas  qu'on  pût  jamais  affez  louer  1( 
vertus  ,  û  elle  n'étoit  pas  mon 
hors  du  fein  de  la  véritable  Eglil 
de  laquelle  fes  pères  s'étpient  ma 
heureuiement  féparés.  Du  cara<i 
tere  dont  étoit  le  Vicomte  de  T  1 
renne  ,   il  efl  aifé  de   juger  corj 

(*)  Autant  qu'il  étoit  ardent  à  procur  1 
de  J'emploi  aux  autres  ,  autant  rétoit- 
peu  à  recevoir  celui  qui  lui  étoit  offe 
En  1666  ,  cinq  des  Provinces-unies  vo  I 
.    m  loient  qu'on  le  demandât  au  Roi  ,  po  j 

commander  les  troupes  de  la  Républi 
que,  &  même  l'illuftre  Monfieur  W 
approuvoit  ce  deiTein  ,  afin  que  le  Prin  ; 
d'Orange  pût  apprendre  le  métier  de  1 
guerre  fous  un  fi  grand  maître.  Mol 
fieur  de  Turenne  ,  qui  étoit  comme  (uni 
Généraiat  des  troupes  Françoifes,  ne  jug  • 
pas  à  propos  d'accepter  le  commandeme  j 
des  Hollandoifes. 


Note  de  l'Editeur. 


DE  TURENNE.Z/v./F.   33Î  ' 

en  il  fut  vivement  touché  de  fa  AnkU 
rte.  La  tendrefTe  infinie  qu'il  avoit  i$*°. 
>ur  elle  ,  fut  la  mefure  de  fa  dou- 
ir  :  tout  ce  qu'on  lui  put  dire 
mr  le  confoler  fut  inutile  ;  il  la 
*retta  pendant  toute  fa  vie.  Corn- 
s  il  n'en  avoit  point  d'enfans  9 
fallut  qu'il  rendît  fa  dot  au  Duc 

la  Force  :  il  vouloit  lui  rendre 
ts  qu'il  n'avoit  reçu.    Le    Duc 

la  Force ,  de  fon  côté ,  en  vou- 

t  moins  qu'il  ne  lui  en  appar- 

10k  ;  6c  ce  combat  de  généro- 

t9  dont  il  y  a  fi   peu  d'exem- 

îs  ,  dura  long-tems  entre  l'un  & 

atre. 

Ce  fut  dans  ce  tems-là  que  le  -7 7 

*  .       Anne! 

>i,  ne  pouvant  tirer  aucune  rai-       l667. 
1  des  Efpagnols  au  fui  et  de  quel- 
es  Provinces  des  Pays-Bas  qu  il  de  en  Fian. 
étendoit  appartenir  à  la   Reine  dre  ,  &   y 
r  droit  de  Dévolution ,  réfolut  de  fovilfesj*" 
rter   la  guerre   en  Flandre.  Le 
irdinal  Mazarin  étoit  mort  ,  & 
Roi  gouvernoit  par  lui-même, 
li/ant  donc  propofé  fon  defTein  au 
.'.comte  de  Turenne  ,  il  lui  dit, 
lai  fe  repofoit  entièrement  de  l'e- 


3ji   Histoire  du  Vicomte 

A         .     xécution  fur  fes  foins  ;   mais  qi1 
ftf«7.      cependant  il  vouloit  aller  dans  l1 
Pays-Bas  enperfonne,pourappr(| 
dre  de  lui  le  métier  de  la  giw 
re.  Le  Vicomte  de  Turenne  ,  xi 
de  cette  noble  inclination,  don1 
ordre  à  toutes  les  troupes  de  m;| 
cher  du  côté  de  la  Flandre  ;  & 
tôt  qu'elles  furent  affemblées  il 
la  frontière ,  le  Roi  s'y  étant  r<l 
du  ,  il  fut  réfolu  que  le  gros  de  1' 
mée  attaqueroit  la  Flandre  par 
i€  Mai.    milieu ,  &  qu'on  auroit  deux  carr 
volans  fur  les  ailes  ;  l'un  dans 
Luxembourg,  fous  les  ordres 
Marquis  de  Créquy ,  pour  veiller: 
les  Allemands  ;   &  l'autre  veri 
Mer ,  fous  le  commandement 
Maréchal  d'Aumont  ,   pour  ati 
quer  quelques  Places  de  ce  côi 
là.  Le  Duc  de  Noailles  fut  auffif 
voyé  dans  fon  gouvernement 
Roufîillon  avec  quelques  régimer  S 
pour  avoir  foin  de  cette  Provinc1 
&  la  répartition  des  troupes  aya' 
été  faite    félon   les    divers    cor 
dont  on  vouloit  fe  fervir  en  difl 
rens  endroits  ,  la   grande  arm* 


DE  TU  RENNE.  Liv.  IV.   333   

t  ordre  de  marcher  à  Charleroi  ÂTTTî 

•  la  Sambre.  A  ion  approche  ,      l667* 
Marquis  de    Caftel  Rodrigo  , 

)uverneur  des  Pays-Bas  ,  fit  fau- 

•  les  Fortifications  de  la  Place  , 
l'abandonna.  On  rétablit  très- 
jmptement  ces  fortifications  :  on 
npara  de  Binche  &  d'Ath ,  villes 
lées  entre  la  Sambre  &  l'Éfcaut  ; 

défit  fept  à  huit  cens  hommes 
vouloient  le  jetter  dans  Tour- 
,  ville  de  très-grande  réputa- 
l  ,  &  qui  ne  tint  pourtant  que 
ix  jours  devant  notre  armée, 
marcha  enfuite  à  Douay  fur  la 
ère  de  Scarpe  :  on  prit  cette 
e  &  fon  fort  en  trois  jours ,  ÔC 
denarde  fur  l'Efcaut  en  vingt- 
tre  heures  ;  après  quoi  on  fe 
it  d'Aloft  fur  la  Tenre ,  &  on  al- 
fïiéger  Lille  ,  ancienne  capitale 
la  Flandre  Françoife  ,  fortifiée 
quatorze  basions  royaux  ,  en- 
rée  de  doubles  foffés ,  dans  la- 
11e  il  y  avoit  une  garnifon  de  fix 
le  hommes  de  troupes  réglées  , 
>lus  de  trente  mille  babitans  por- 
t  les  armes  ?  &  qui  fut  néan- 


A    H  Jt    S    H 


334  Histoire  du  Vicomti 
moins  réduite  à  capituler  en  n<: 
66-j,     jours  de  tranchée  ouverte.  Cep  i 
dant  le  Maréchal  d'Aumont  ,   | 
fon  côté  ,  prit   Bergues ,  Furnej 
le  Fort  S.  François  ,  Armentier; 
&  Courtrai  ;  fi  bien  qu'on  fe  renl 
maître  de  treize  Places  en  mcl 
de  quatre  mois.  Le    Roi  voull 
que  le  Vicomte  de  Turenne  lui 
remarquer  tout  ce  qui  fe  parle  I 
qu'il  l'accompagnât  à  la  tranchil 
ck  qu'il  lui  rendît  raifon  de  toi| 
choies.  Aufîi-tôt  après  la  prifel 
Lille  ,  il  fit  un  détachement  de 
armée  ,    qu'il    envoya   contre 
Comte  de  Marfm  &c  le  Prince 
Ligne  ,   qui  avoient  afïemblé 
corps  de  troupes  ,  pour  s'opp< 
à  nos  entreprîtes;  mais  comm< 
ne  voulurent  pas  en  venir  aux  m; 
avec  nous  ,   on    les  attaqua  cl 
leur  retraite  auprès   du  canal  I 
Bruges.  On  battit  leur  arrière- 1 
de  ,  on  leur  prit  plus  de  qui! 
cens  chevaux,  on  leur  tua  uxl 
fept  cens  hommes ,  on  mit  le  ri 
en  déroute,  &:  perfonne  n'ofa  ]I 
paroître  devant  nous.  Le  Roi3Û 


DE  TURENNE.  Liv.  IK   33  <j 

oyant   maître  de  la  campagne  ,  A  N  v  à  % 
tablit  des  contributions  jufqu'aux       ^e7. 
ortes  des  plus  grandes  Villes  ;  il 
>rça  les  petites  Places  à  deman- 
er  la    neutralité  ,    pourvut  à  la 
ireté  de  celles  dont  il  s'étoit  ren- 
x  le  maître ,  &  nt  obferver  la  dif- 
pline  la  plus  exacte  à  les  troupes 
ms   tout  le  pays   nouvellement 
>nquis ,  afin  de  gagner  par- là  le 
«tir  des  peuples ,  &  les  faire  reve- 
r  de  l'averfion  que  les  Flamands 
'oient  eue  jufques-là  pour  la  do- 
ination  Françoife. 

Cependant  les  Efpagnols  ap-  -.  „.. 
•ehenderent  encore  une  101s  de  u-chapeiie. 
rdre  tous  les  Pays-Bas  :  ils  pffri- 
nt  de  terminer  par  un  accom* 
odement  es  conteilations  qui  fai- 
ient  le  fujet  de  la  guerre.  On 
xepta  le  parti.  La  ville  Impé- 
ile  d'Aix-la-Chapelle  fut  choifie 
)ur  le  lieu  où  fe  tiendroient  les 
>nférences  ;  mais  de  peur  que  les 
igo  dations  ne  tiraffent  en  lon- 
leur  du  côté  de  l'Efpagne  ,  le 
oi ,  en  perfonne ,  fuivi  du  Prince 
Condé  ?  alla  attaquer  la  Franche-: 


336    Histoire  du  Vicomte 

~7         ;      Comté  ,  quoiqu'on  fût  au  plus  fo: 

1667.      de  1  hiver;  o£  1  on  le  rendit  ma 

tre  de  cette  Province  en  dix  joui 

La  rapidité  de  nos  conquêtes  au] 

m  enta  les  alarmes  des  Efpagnoln 

ils  demandèrent  avec  emprerleme] 

la  paix  ,  laquelle  fut  enfin  conclu 

.     par  un  traité ,  qui  portoit  qu'en  re  \ 

c  z    a1,    dant  la  Franche  -  Comté  aux  Efp  j 

gnols,  nous  demeurerions  maîtr' 

de  toutes  les  Places  que  nous  avio 

prifes  fur  eux  en  Flandre. 

_.  .        ,       Les  occupations   de  la    euer 

îl  change  de    ,         ,  r .  A   ,    ,    & 

Bdigion  -,  n  avoient  point  empêche  le  A 
comte  de  Turenne  de  continu 
à  chercher,  dans  les  livres  cath 
liques  ,  l'éclair ciffement  des  de 
tes  qui  lui  étoient  venus  au  fu; 
de  la  Religion  Calvinifte.  La  pai: 
durant  laquelle  il  étoit  bien  moi 
occupé ,  lui  fut  encore  plus  1 
vorable  pour  s'en  éclaircir.  Il  fe 
tit  enfin  le  foible  du  Calvinifrm 
&c  preflé  par  fa  confeience ,  il 
connoître  ion  état  à  quelques  Ev 
ques  de  fes  amis  :  il  s'ouvrit  ei 
core  davantage  au  Duc  d'Albre 
qui,  par  d^s  lumières  fupérieure: 

te 


N    N    E   E 


DE  TURENNE.  Liv.  IV.  337 

eva   jufqu'aux    moindres    doutes 
[ui  pouvoient    lui    faire  quelque  **  ^^s, 
>eine.  Alors ,  convaincu  qu'il  étoit 
ors  de  la  véritable  Eglife  ,  quoi- 
u'il  fût  regardé  parmi  les  Cal  vi- 
nt es  comme  un  des  protecteurs 
e  leur  Secte  ,  il  l'abandonna.  Jl  Le  13  oao* 
[la  faire  fon  abjuration  entre  les  bre* 
lains  de  l'Archevêque  de  Paris; 
:  il  ne  l'avertit  de  fon  deflein ,  que 
veille  du  jour  où  il  la  devoit  fai- 
,  voulant  éviter  l'oftentation  qui 
■compagne  ordinairement  cesfor- 
s  de  cérémonies ,  quand  elles  vien- 
;nt  à  la  connohTance  du  public. 
j  Pape  lui  écrivit  un  Bref  pour  le 
liciter  de  fa  converfion  ,  qui  ré- 
uit  tous  les  Catholiques ,  à  mefuçe 
te  la  nouvelle  s'en  répandit  dans 
Chrétienté. 
'i  Cependant  le  Vicomte  de  Tu-*-;  m*n«  u"e 
inné,  perfuadé  que  fa  conduite  ^e,  °rt  ml" 
fes  actions  dévoient  déformais  ré - 
mdre  à  la  fainteté  de  la  Religion 
ji'il  venoit   d'embraifer  ,  paffoit 
1  efque  tout  fon  tems  dans  des  exer- 
ces de  piété  &  de  charité  ,  qui 
Soient  tout  le  monde  ;  fi  bien 

P 


,.  _ ,  ,      3 3^  Histoire  du  Vtcomte 
A  N  N  É  E  qu'onpouvoitlepropoferpourm 
i662.      déle  aux  anciens  Catholiques  m 
me,  &  que  tous  les  Calviniftes 
qui  fe  réunirent  depuis  à  l'Eglife  R 
maine  ,  avouoient  que  rien  n'av< 
tant  contribué  à  leur  converfio 
que  l'exemple  de  fes  vertus.  Il  ! 
voit  à  Paris  avec  une  fi  grande  fit  » 
plicité,  qu'il  fembloit  qu'on  fût.j 
cet  égard ,  dans  l'ancienne  Rom  j 
où  l'on  ne  diftinguoit  point  les  p  I 
grands  Capitaines,  d'avec  les  mo  I 
dres  Citoyens.  Ainfi ,  libre  de  l'a  I 
bition  &  des  autres  pafîions  qui  I 
tachent  les  hommes  à  la  Cour,  I 
pénétré  des  grandes  vérités  de  1 1 
tre  fainte  Religion ,  il  avoit  réf<  î 
de  paffer  fa  vie  dans  quelque  retl 
te ,  &  ne  s'occupoit  plus  que  ; 
cette  penfée. 


Fin  du  Livre  quatrième* 


HISTOIRE 

DU  VICOMTE 

DE  TURENNE. 


N    N    E    E 

I67Z. 


LITRE  CINQUIEME. 

E  Vicomte  de  Turenne  — 

étoit  dans  cette   pieufe 

difpofition  ,  lorfque  le 

Roi  lui  fit  part  du  deffein  &  prépare  à 

Kl  avoit  de  porter  la  guerre  en  faire  ia  guer-j 

ollande,   où  il  vouloit  aller  en[aendo*StHoI:: 

i^rfonne  ,  &  lui  ordonna  de  le  te- 

r  prêt  à  le  fuivre. 

La  guerre  ayant  donc  été  dé-,,1.1  Ia  Ieuc 

,     &         r      ^Jr^  '      '  J        D  déclare    ,     & 

1  aree  aux  Etats-Generaux  des  Pro-  fait  marchec 
inces-Unies,  le  Roi  fit  marcher fes  woupes* 
oites  fes  trgupes  vers  la  frontière 

pij 


34°    Histoire  du  Vicomte 

A  n  n  é  i  de  la  Hollande ,  &  il  donna  les  au- 
^7i»      tresordresnéceffaires  pour  pouvoir 

attaquer  avec  fuccès  cette  puifïant< 

République. 
Etataauei      Les  Hollandois,  de  leur  côté 

lll unie°s!in"firent  toute  la  diligence  pofîible 
pour  fe  mettre  en  état  de  fe  biej 
défendre.  Leurs  frontières  étoient 
pour  ainfi  dire ,  tout  hériffées  d 
îbrtereffes  ;  il  n'y  avoit  point  d'E  I 
tat  au  monde  où  il  eût  ,  à  prcl 
portion,  tant  de  Places  de  défenil 
que  dans  le  leur;  &  l'on  n'y  voyo  | 
prefque  pas  une  Ville  qui  ne  f{  I 
fortifiée  régulièrement.  Ils  avoieil 
devant  eux  la  Meufe ,  le  Rhin  fi 
l'iffel ,  trois  fleuves  qu'il  fembll 
que  la  nature  ait  fait  exprès  poi 
défendre  l'entrée  de  leur  pays,  il 
augmentèrent  les  garnifons  de  leu 
Places.  Ils  fortifièrent    les  paff; 
ges  ;  &  ils  formèrent  ,    de  tout< 
leurs  troupes,  trois  corps  d'armée 
qui  dévoient  être   campés  en  d 
vers  endroits  ,  de  manière  qu'i 
fufTent  à  portée  d'agir  où  l'on  e 
pourroit  avoir  befoin  ,  dans  toul 
l'étendue  de  leurs  frontières»  I 


DE  TURENNE.  Llv.  V.    341 

jMeufe  leur  parut  affez  bien  défen-  aTTTT 
idue  par  les  villes  fortes  qui  étoient      167%. 
deffus  ;  &C  le  Rhin  ,  par  fa  rapidi- 
té &c  par  fa   profondeur.  Il    n'y 
ivoit  pas  moins  de  forterefîes  fur 
'Iffel    que   fur  la   Meufe  :    mais 
j:ommel'Iffel  efl  en  quelque  façon 
e    dernier    retranchement    de    la 
i  -lollande  ,  ils  firent  tirer  une  gran- 
j le  ligne  le  long  de  ce  fleuve,  de 
i  eur  côté  ;  ils  la  fortifièrent  ,  au-  ' 
ant  que  le  tems  le  leur  put  per- 
nettre  ;  &  ayant  pris  les  autres  pré- 
autions  qu'ils  jugèrent  à  propos , 
Is  nous  attendirent ,  dans  la  réte- 
ntion de  faire  une  vigoureufe  ré- 
îftance  par-tout  où  ils  feroient  at- 
;  aqués. 

Cependant    nos    troupes    s'é-   ExpMHons 
ant  aflemblées  vers  Charleroi  fur  /im  urcent"e 
la  Sambre  ,  le  Roi  s'y  rendit ,  fui-  campagne» 
yi  du  Duc   d'Orléans  fon  frère  , 
lu  Prince  de  Condé  ,  &:  du  Vi- 
:omte  de  Turenne.  L'armée  fe  trou- 
va de  foixante  mille  hommes.  On  Le  %  Ma* 
a  partagea  en  quatre  corps  :  Et  le 
Vicomte  de  Turenne  ,  à  la  tête  de 
:eliù  qui  de  voit  faire  comme  l'a- 
P  »j 


342  Histoire  du  Vicomte 

".£  N  N  i  j.  vant-garde  ,  s'étant  chargé  de  s'a- 
i^7i.      vancer  le  premier  vers  les  pays  en- 
nemis ,  &  d'en  ouvrir  les  partages, 
décampa  des  bords  de  la  Sambre  ; 
&  laiffant  le  Brabant  Efpagnol  fui1 
fa  gauche  ,  marcha  dans  le  payi 
de  Liège ,  où  il  deftina  les  Ville! 
de  Saint  Tron  &  de  Tongres  à  fer- 
vir  d'entrepôt  pour  la  communica  , 
tion  de  Charlçroi  avec  les  Place;  i 
de  la  Meufe  ,  defquelles  il  avoi  : 
deffein  de  fe  rendre  maître.  Il  corn- 1 
mença  par  Vifet  ,  Fauquemont  | 
Sittart ,  Mafeyck  ,  &  quelques  au  j 
très  petites  Villes  fituées  fur  le:] 
bords  de  cette   rivière  ,   ou  aia! 
environs  ;  après  quoi  on  pafTa  In 
Meufe ,  on  traverfa  les  Duchés  d(; 
Limbourg  &  Juliers ,  on  entra  dans  : 
l'Ele&orat  de  Cologne ,  &  on  ou- 
vrit la   campagne   par  les  fiége* 

U  a  Juin.  d'Orfoy  ,  de  Rhimberg  ,  de  Bu- 
rick  &  de  "Wefel  ,  quatre  Ville; 
fuf  le  Rhin  ,  lefquelles  on  atta- 
qua en  même  tems,  &  qu'on  prii 
en  trois  jours.  De  Burick  ,  doni 
le  Vicomte  de  Tùrenne  avoit  faii 
le  fiége  y  il  marcha  à  Rées ,  &  enfui- 


K    N    E    S 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  343 
■  à  Emmerick  ,  dont  il  fe  faifit  ; 
|  qui  fut  fait  encore  en  trois  jours.  l67>- 
*s  ennemis  ,  alarmés  de  la  prife 
;  fix  Places  en  fix  jours,  accou- 
trent du  fond  de  la  Hollande  fur 
s  bords  du  Rhin  ,  de  peur  que 
ms  ne  fiflions  un  pont  en  quelque 
îdroit ,  pour  pénétrer  plus  avant 
ms  leur  Pays.  Mais  nos  Géné- 
ux ,  ayant  été  d'avis  qu'on  paffât 
•  fleuve  à  la  nage  ,  on  le  paffaLe  ll  Juîm; 
1  peu  au-defïbus  du  Fort  de  Tol- 
lis ,  à  la  vue  d'un  corps  de  Hol- 
ndois  retranchés  fur  l'autre  bord, 
ette  a&ion  étonnante  les  épou- 
inta  tellement ,  qu'ils  s'enfuirent 
'ec  frayeur  au  delà  de  l'IfTel ,  der- 
er  retranchement  ,  qui  pouvoit 
ul  nous  empêcher  d'entrer  dans 

cœur  de  la  Hollande.  Toutes 
s  troupes  des  ennemis  s'étoient 
ifTemblées  fur  fes  bords; le  Prin- 
ï  d'Orange  ,  Capitaine-Général 
es  armées  de  la  République  , 
:oit  à   leur  tête.  Les  Hollandois 

promettoient ,  qu'il  fauroit  bien 
étendre  le  paflage  de  ce  fleuve, 
mt  bordé  de  fortereffes  6c  de  fol- 
P  iy 


344   Histoire  du  Vicomte 

*  **  i  i  ^ats  >  ^  c'étoit  uiquement  fui 
\i-ju  cela  ,  que  l'efpérance  de  leur  falui 
étoit  fondée.  Néanmoins  le  Prince 
d'Orange  n'eut  pas  plutôt  appri« 
que  nous  avions  paffé  le  Rhin 
qu'il  abandonna  les  retranchemen 
de  1'Iffel  ,  jetta  une  partie  de  fei 
troupes  dans  les  Places  qui  étoien 
fur  le  bord  de  ce  fleuve  ,  &  s'en- 
fuit avec  le  refte  dans  le  fond  di 
pays ,  où  il  porta  la  confternatior 
&  l'épouvante.  Le  Vicomte  d< 
Turenne  ,  voulant  profiter  du  dé 
fordre  d'une  fuite  fi  précipitée 
fè  hâta  de  gagner  le  fleuve  di 
Rhin  ,  &  le  fit  paffer  à  la  nage 
par  une  troupe  de  cavalerie  :  la- 
quelle atteignit ,  au-delà  d'Arnhem; 
les  derniers  efeadrons  de  l'armée 
ennemie  ,  qui  n'alloient  pas  fi  vite, 
parce  qu'ils  efeortoient  le  canon 
ÔC  le  bagage.  Mais  à  peine  nous 
eurent-ils  apperçus ,  qu'ils  prirent 
la  flûte  6c  nous  laiflerent  leur 
canon  &  leurs  bagages.  Ce  ne  fut 
après  cela  qu'une  fuite  de  nou- 
velles conquêtes  ,  dont  la  rapidité 
étonna  toute  l'Europe.  Le  Roi  prit 


DE  TURENNE  Lïv.  V.     345  . 

)oesbourg  ,    le    Duc  d'Orléans  ÂTT77 

'.utphen  ,   &  le  Vicomte  de  Tu-      l67*« 

enne  les  Forts   de    Skinck  ,  de 

|jiotzembourg  ,  de  Woorn  ,  de 

laint  André  &  de  Crevecœur  ;  & 

;s  Villes  de  Nimegue  &  de  Gra- 

e  ,  Utrecht  y  Voerden  ,  Amers- 

>rt ,  Naerden ,  &  plulieurs  autres 

illes  aufli    confidérables  fe  fou- 

lirent  au  Roi ,  ou  furent  forcées 

ar  fes  armes.  On  avoit  déjà  plus 

î  vingt-cinq  mille  prifonniers  :  on 

étoit  emparé  de  prefque  toutes 

s  Places  fortes  que  les  ennemis 

soient  fur  la  baffe   Meufe  ,  fur  le 

hin  ,  fur  le  Vahal ,  &  fur  l'IffeL 

In  s'étoit  rendu  maître   de  qua- 

!  nte  de  leurs  Villes  en  vingt-deux 

urs  ;  de  forte  que  les  Hollandois 

folus  de  mettre  leur  pays  fous 

;au ,  s'ils  ne  pouvoient  autrement 

uver  leur  liberté  ,  voyant  que 

nus  forcions  tout   ce  qui  faifoit 

moindre  réiiitance  y  rompirent 

jiirs  Ponts ,  lâchèrent  leurs  Eclu- 

s  ,  &  percèrent  même  en  quel- 

iies  endroits  leurs  digues  ,  pour 

His  arrêter  par  les  inondations 

P  v 


^mmmmmmamm  346  Histoire  du  Vicomte 
Année  qu'ils  firent  autour  des  Places  oi 
1*7*»     ils  fe  renfermèrent.  Dans  ce  trii 
te  état  ,  ils  députèrent  vers  tou 
les  Princes  de  l'Allemagne  &  d 
Nord ,  pour  implorer  leurs  fecouti 
&  les  conjurer  de  s'oppofer  a 
plutôt  au  torrent  des  profpéritd 
de  la  France ,  dont  ils  difoient  qu  \ 
l'impétuofité  menaçoit  toute  l'Eu 
rope. 
il  eft  fait      Le  Roi  ,   ne  pouvant  avance 

Généralise  pkjs    ^  ?    ^    retouma   à    par 

ï«c  i$  juillet,  avec  le  Duc  d'Orléans ,  après  avo: 
fait   Généraliflime   de  toutes  f<| 
Troupes  qui  reftoient  dans  les  Prc 
vinces- Unies  ,  le  Vicomte  de  Tu 
renne  ,  auquel  il  voulut  que   1(1 
Maréchaux  de  Créquy  ,  d'Humi<] 
res   &    de    Bellefond  ,    obéhTei] 
comme  à  lui-même.  Ils  refuferei  ] 
d'abord  de  le  faire.  Ils  fe  repenti 
rent  prefque  auffî-tôt  de  ne  l'avoil 
pas  fait  ;  mais  le  Roi  ne  leur  par 
donna  ,  &  ne  leur  permit  d'aile 
faire   la  fonction    de  Lieutenant  I 
Généraux  fous  le  Vicomte  de  Til 
renne  ,  qu'aux  inftances  de  ton 
le  corps  des  Maréchaux  de  Fraa 


10  UB 


I>E  ÎURENNE.  Liv.  V.   347    ^ 

e ,  qui  demanda  grâce  pour  eux.  a  n  N  é  » 

Cependant    les     Envoyés     de      »«7*. 
[ollande  faifoient  dans  toutes  les    I!  I7Lr.che 

.    Z     .  1       contre  l  Elec- 

ours  voiiines  des  deicriptions  les  teUr  de  Bran- 
lus   touchantes  qu'ils  pouvoient  deb°urg  ^n 

1        r  '  1  i    1  11  \      r    arrête      10 

e  la  iituation  déplorable  ou  le  courç. 
•ouvoit  la  République  ;  &c  leurs 
ifcours  rirent  imprefïion  fur  l'ef- 
rit  de  plufieurs  Princes  ,  qui  , 
lus  jaloux  encore  de  nos  conquê- 
*s ,  que  touchés  de  la  ruine  des 
[ollandois ,  réfolurent  de  réunir 
airs  forces  pour  les  fecourir  ;  de 
>rte  que  l'Empereur  ,  le  Roi  de 
)annemarck,  les  Electeurs  de  Saxe 
l  de  Brandebourg  ,  les  Ducs  de 
runfVick  &c  de  Lunebourg  ,  & 
lufieurs  autres  Souverains  ,  firent 
nfin  une  ligue  contre  nous  avec 
îs  Etats-Généraux  des  Pr ovine es- 
Jnies.  L'Electeur  de  Brandebourg 
jt  le  premier  qui  fe  mit  en  cam- 
agne  pour  venir  à  leur  fecours. 
le  Prince  avoit  vingt  cinq  mille 
lommes  de  fes  propres  troupes  , 
'£  dix  mille  de  celles  de  l'Em- 
>ereur ,  que  lui  avoit  amenées  le 
bonite  de  Montecuculli.  11  avoiî 

P  V) 


A    M    N    É    E 


348  Histoire  du  Vicomte 

un  équipage  d'artillerie  de  foixante 
I^7t!  *  pièces  de  canon ,  &  d'un  très-grand 
nombre  de  mortiers.  A  la  tête  de 
cette  puiffante  armée ,  il  fe  flattoil 
d'aller  fort  embarraffer  le  Vicom- 
te de  Turenne  ,  qui ,.  étant  oblige 
de  mettre  des  garnifons  dans  pref 
que  toutes  les  Villes  de  la  Hollan 
de,  ne  pouvoit  avoir  gueres  d< 
troupes  de  refte  en  campagne.  I| 
jnenoit  avec  lui  le  Prince  Ele&oj 
rai  fon  fils  ;  il  croyoit  marcher  ;  j 
Une  victoire  fûre.  Il  avoit  déjà  fai  i 
fommer  l'Eleveur  de  Cologne  &  \ 
TEvêque  de  Munfter,  nos  alliés 
d'abandonner  les  engagemens  qu'il 
avoient  avec  la  France  ;  &  il  s'a 
vançoit  vers  le  Rhin  pour  nou 
venir  chercher.  Le  Marquis  de  Lou 
Vois ,  qui  étoit  Secrétaire  d'Etat 
&  qui  avoit  le  Département  de 
Affaires  de  la  Guerre  ,  écrivit  aui 
fi-tôt  au  Vicomte  de  Turenne  d< 
la  part  du  Roi  ,  lui  repréfentan 
de  quelle  importance  il  étoit  d'em 
pêcher  que  l'Ele&eur  de  Brande- 
bourg ne  paffât  le  Rhin,  mais  com 
ttrè  il  n'y  avoit  pas  d'apparem:< 


DE  TURÉNNE.  LiV.  V.    349 

[it'il  pût  garder  tous  les  portes  A  N  "  \ 
l'un  fleuve  de  cette  étendue  ,  le  k7». 
toi  lui  ordonnoit  feulement  d'em- 
pêcher ,  s'il  étoit  poflible  ,  que  les 
nnemis  n'y  prhTent  quelques  pof- 
es  confidérables ,  eftimant  qu'on 
e  pouvoit  pas  rendre  à  l'Etat  un 
lus  grand  fervice  que  celui-là, 
,e  Vicomte  de  Turenne  étoit  d'à- 
is  qu'on  rafât  la  plupart  des  Vil- 
îs  que  nous  avions  prifes  ,  afin 
e  pouvoir  faire  une  groffe  armée 
es  troupes  qui  étoient  employées 
les  garder  :  mais  comme  le  Con* 
îil  du  Roi  fut  d'un  autre  fenti- 
îent  ,  le  Vicomte  de  Turenne 
tant  obligé  à  mettre  des  garni- 
es dans  tant  de  Places  ,  &  à 
ûfler  outre  cela  une  armée  en- 
»ere  qui  tînt  la  campagne  en 
lollande ,  ne  put  prendre  que  dou- 
e  mille  hommes  avec  lui ,  pour 
lier  faire  tête  à  l'Ele&eur  de 
Irandebourg;  encore  y  en  avoit-il 
•armi  ce  petit  nombre  qui  n'étoient 
>as  trop  contens  d'aller  recommen- 
er  une  nouvelle  campagne  à  la  fin 
k  celle  qu'ils  venoient  de  faire  -y 


5p  Histoire  du  Vicomte 


A  N  N  é  8  de  forte  qu'il  y  en  eut  plufieurs , 
1^71»      &  même  de  la  Maifon  du  Roi , 
qui  quittèrent  l'armée.  Le  Vicom- 
te de  Turenne  ,  croyant  que  le 
manque  d'argent  en  avoit  oblige 
quelques-uns  à  prendre   ce   part 
malgré  eux  ,  offrit  fa  bourfe  au? 
Commandans    des  Compagnies  J 
&  les  ayant  engagés  par-là  à  l<| 
le  iosep-fluvre>  il  paffa  le  Rhin  à  Wefell 
tembre.        La  hardieffe   de    cette   démarchj 
furprit  toute  l'Allemagne ,  qui  avoi  | 
cru  qu'il   fe    contenteroit  de  dé  I 
fendre  le  paffage  de  ce  fleuve.  L;  1 
Cour  de  France  même  en  ait  étonl 
née  ;  &  le  Roi  lui  envoya  quatrl 
mille   hommes  ,   pour  remplace  ji 
les    foldats    qui    avoient    déferte  i 
L'Ele£reur  de   Brandebourg  ,  qui 
s'étoit  attendu    à    faire   tout    fui:| 
devant  lui ,  fiit  fort  déconcerté  1 
quand  il  apprit  que  le  Vicomte  d<  . 
Turenne   avoit  paffé  le  Rhin.  Il 
falloit  cependant  qu'il  marchât  ver:  j 
ce  fleuve ,  pour  aller  au  fecours  de;  J 
Hollandois.   Il   paffa  donc  l'Elbe  J 
&  le  Wefer  ,   6c  vint  gagner  lel 
Mein  ,  qu'il  paffa  auprès  de  Franc 


DE  TURENNE.  Lîv.  V.    J.JJ     

■t  Le  Vicomte  de  Turenne  ,  A  "  "  J  J 
oyant  que  l'Ele&eur  de  Brande-  x67u 
lourg  vouloit  aller  paffer  le  Rhin 
I  haut  ,  marcha  en  avant  ,  en 
emontant  par  la  droite  de  ce  fleu- 
e  avec  fon  armée.  Il  paffa  la 
ippe  ,  l'Emfer  &  le  Roer  ;  il  tra- 
erfa  le  Duché  de  Berg ,  &  vint 
ifqu'à  Naffau  fur  la  rivière  de 
ahn ,  au-deflus  de  Coblents.  L'E- 
SKeUr  de  Brandebourg  ,  après 
voir  fait  en  vain  plufieurs  tenta- 
ves  pour  paffer  le  Rhin  aux  en- 
trons de  Mayence  prit  enfin  la 
ifte  réfolution  de  repaffer  le  Le  ij  Dfc 
lein  ,  dans  l'efpérance  que  nousccmbre* 
îpafferions  auûi  le  Rhin  dès  que 
ous  le  verrions  éloigné ,  &  qu'ainfi 
pourroit  demeurer  ,  pendant 
hiver ,  dans  fon  Comté  de  la 
larck  ,  où  il  fe  trouveroit  tout  à 
ortée  d'entrer  en  Hollande  au 
rintems  prochain. 

Il  eft  peu  de  Grands  Capital-  B  Je  poin- 
tes ,  qui  n'euffent  cru  avoir  beau-f^j^™". 
oup  fait ,  que  d'avoir  non-feule-  tés  de  Ja 
tient  arrêté  l'Eledeur  de  Brande-  gJ^J* 
•oiirg ,   mais  encore  de   l'avoir 


3  <  i  Histoire  du  Vicomte 

a  m  h  é  s  omigé  à  retourner  fur  fes  pas.  L  j 
**7*.  Roi ,  qui  ne  s'étoit  point  attend  j 
à  un  fi  grand  fuccès  ,  étoit  plul 
que  Satisfait  ,  &  manda  au  VicorrJI 
te  deTurenne  de  repaffer  le  Rhin; 
&  de  mettre  fes  troupes  en  quai  j 
tier  d'hiver  dans  la  Lorraine  (* 


A  n  m  é  e  Et  comme  on  n'apprenoit  point  qu'il 
167 *'  eût  repaffé  ce  fleuve  ,  le  Marquil 
MaVquh"  dede  Louvois  lui  manda  :  »  qu'l 
Louvois.da-»  étoit  à  craindre  que  le  Rhin  ni 
££££  «vînt  à  geler ,  &  qu'il  ne  pût :  bierl 
à  s.  Germain  »  tôt  plus  le  repaffer  ;  qu'il  rifquoJ 
cn-Laye.      >y  ^  fa-re  ^r\Y  fon  armée  dans  un  ] 

»  faifon  aufïi  fâcheufe  ,  pour  pou!  ] 
»  fer  ,  peut-être  ,  l'Electeur  d  1 
»  Brandebourg  dix  lieues  plus  loi)  ] 
»  qu'il  n'étoit  ;  »  que  le  Roi  n<] 
vouloit  point  que  fes  troupes  tinl 
fent  plus  long-tems  la  campagne  I 
qu'il  lui  ordonnoit  abfolument  d( 
les  mettre  en  quartier  d'hiver  ;  &. 
qu'il  s'attendoit  d'apprendre  qu'el* 
les  y  feroient,  par  le  premier  cou-, 
rier  qui  viendront  Mais  le  Vicom-. 

(  *)  Lettres  du  Roi  datées  du  ai  &  du 
^  é  Ùécembre ,  à  Compiegne. 


eeTurenne.  Liv.  F,  35J 
t  de  Turenne ,  qui  avoit  bien  d'au- 
es  vues  pour  l'intérêt  &  pour  la 
oire  de  l'Etat ,  fe  contenta  de 
ander  au  Marquis  de  Louvois  , 
fil  n'étoit  pas  du  fervice  du  Roi 
l'il  repaffât  fi-tôt  le  Rhin  :  & 
)yant  tous  les  mouvemens  qu'on 
donnoit  dans  l'Empire  en  fa- 
îur  des  Hollandois ,  il  crut  devoir 
ire  ,  en  la  perfonne  de  l'Electeur 
1  Brandebourg  un  exemple  qui 
it  en  refpecl:  toute  l'Allemagne, 
ans  cette  vue  ,  il  marcha  vers  le 
omté  de  la  Marck ,  où  ce  Prin- 
s'étoit  retiré.  Mais  l'Electeur  de 
andebourg  >  bien  loin  de  l'y  at- 
tidre  ,  ne  penfa  qu'à  fe  couvrir 
quelque  rivière  ;  &  ayant  pafle 
Lippe  ,  il  crut  que  du  moins 
i  le  laifferoit  en  repos  dans  fon 
3mté  de  Ravensberg  ,  où  il  don- 
.  des  quartiers  à  {es  troupes.  Mais 
Vicomte  de  Turenne  9  étant  en- 
ï  auffi  dans  le  Comté  de  la  Marck , 
it  Altena  ,  Unna  &  Kamen  , 
illes  qu'il  lui  fallut  afliéger  dans 
s  formes  ,  &  dans  quelques-unes 
^quelles  il  y  avoit  plus  de  deux 


N    N    E 


554  Histoire  du  Vicomte 
mille  hommes  de  garnifon  qu'il  fî 
i  *7 'h  tous  prifonniers  de  guerre  ;  &  il  mi 
fi  peu  de  jours  à  forcer  les  autre 
Places  qui  voulurent  faire  quelqui 
réfiftance ,  qu'il  fe  trouva  maître  d< 
tout  le  pays  de  la  Marck  avant  qu< 
l'Electeur  de  Brandebourg  eût 
pour  ainfi  dire  ,  eu  le  tems  de  i 
reconnoître  dans  fon  Comté  de  Ra 
vensberg ,  où  le  Vicomte  de  Tu 
renne  ,  voulant  l'aller  attaquer, fij 
pafïpr  la  Lippe  à  fon  armée.  Mai) 
l'Electeur  s'éloignant  toujours  dj 
plus  en  plus  ,  à  mefure  que  non, 
avancions  vers  lui ,  leva  fes  quar , 
tiers  à  peine  établis  ,  &  reparla  1« 
Wefer  avec  précipitation ,  au  gran . 
étonnement  de  l'Allemagne  ,  qi 
étoit  dans  la  dernière  furprife  de  11 
voir  fuir  ainfi  devant  une  armé, 
plus  foible  de  la  moitié  que  1, 
îienne.  Le  Vicomte  de  Turenn. 
s'empara  du  Comté  de  Ravensberg, 
comme  il  avoit  fait  de  celui  de  1;| 
Marck  :  il  chafTa  la  garnifon  qu  | 
l'Elecleur  de  Brandebourg  avoi: 
mife  dans  la  Ville  d'Hoexter  fu 
le  Wefer  ?  de  parla  ce  fleuve  ?  à  dei, 


deTurenn.e.  Liv.  V,  355  ^^ 

<n  de  pourfuivre  cet  Electeur  juf-  A  "  N  \ 
Jes  dans  fa  Principauté  d'Halber-      i67i, 
1  d  où  il  s'étoit  retiré  ,  après  avoir 
Iffé  une  partie  de  fes  troupes  pour 
irder  les  portes  qui  étoient  entre 
1  &  nous.  La  faifon  étoit  extraordi- 
■irement  rigoureufe  ,  il  faifoitun 
f  >id  cruel,& la  terre  étoit  tellement 
iée  ,  qu'on  ne  pouvoit  ouvrir  la 
nchée  devant  les  Villes  qu'on  af- 
*eoit ,  &  qu'on  étoit  obligé  d'ef- 
rer  tout  le  feu  de  la  moufqueterie 
du  canon  des  ennemis  à  décou- 
rt ;  il  falloit  pafler  par  des  monta- 
is très-difficiles ,  &  par  des  défilés 
s-étroits.  Le  Vicomte  de  Turen- 
s'étant  couché  un  jour  derrière  un 
iffon  ,  pour  dormir  pendant  que 
:mée  pafïbit  un  de  ces  défilés  qui 
)it  fort  long  ,  quelques  foldats  le 
:onnurent  ,  &  comme  la  neige 
mmençoit  à  tomber  fur  lui,  ils  cou- 
rent aufïi-tôt  des  branches  d'arbre 
nir  lui  faire  une  hute  :  plufieurs 
valiers  qui  furvinrent  ,  voyant 
le  les  branchages  ne  le  mettoient 
ts  affez  à  couvert ,  donnèrent  tous 
l'envi  leurs  manteaux  pour  lui 


35^  Histoire  du  Vicomte 
à  v  n  é  e  fan*e  une  e^Pece  de  tente.  Sur  qu 
1 6 73 .  s'étant  éveillé ,  &  leur  ayant  dema 
dé  à  quoi  ils  s'amufoient  au  lieu 
marcher:  Nous  vo///o/z5,répondirej 
ils  ,  conferver  notre  Général  ;  c'ejfi- 
notre  plus  grande  affaire  :  &  Jl  no 
venions  à  le  perdre  ,  nous  ne  verrio 
peut-être  jamais  notre  pays.  Cèpe 
dantles  peines  que  les  foldats  avok 
à  fouffrir  font  prefqu'inconcev 
blés  ;  mais  l'abondance  où  ils 
trouvoient  dans  un  pays  ennem 
leur  faifoit  oublier  toutes  leurs  fa 
gués:  d'ailleurs , le  Vicomte  de  T 
renne  les  ménageoit  en  toutes  ch 
fes  avec  des  foins  fi  pleins  de  bont 
que  la  reconnoifiance  les  auroit  f; 
aller  avec  lui  jufqu'au  bout  du  mo 
de.  Ainfi  ,  malgré  tant  d'obftacl 
qui  fe  préfentoient ,  il  força  tousl 
paffages  ,  à  la  garde  defquels  1 
ennemis  avoient  îaiffé  des  tro 
pes  en  fe  retirant ,  &  prit ,  en 
peu  de  tems ,  toutes  les  Villes  c 
ils  avoient  jette  des  garnifons,  q\ 
l'Electeur  de  Brandebourg  ne  ) 
croyant  pas  en  fureté  dans  fa  Pri 
cipauté  d'Halberftad  où  il  étoit ,  r 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    357 

ffa  l'Elbe  à  Magdebourg  ,  &  fe 
ïigia  à  Berlin  ,  Capitale  de  fes  A  £7"  *  E 
ats. 

On   ne  comprenoit  pas   com-    Ses précau- 
înt  le  Vicomte  de  Turenne  ofoit  «ons  pour  fes 
ngager  ainfi  y  avec  une  armée ,  "0UPes* 
ns  un  pays  fi  éloigné  ,  où  il  n'a- 
it ni  Places  ni  Magazin  ;  mais 
tnme  il  favoit  aufli  trouver  des 
îburces  fuivant  les  befoins  ,  il 
urvut  fi  bien  à  la  fubfillance  de 
troupes  ,  qu'elles  ne  manque- 
î.t  de  rien. 

Il  eft  vrai  que  ,  dans  un  fi  grand  Poufle  l'E- 
•ignement,  il  ne  pouvoit  pas  en-  Ic^?"j5  *"£ 
yer  des  courriers  en  France  aufli  uie\  &  S- 
mlierement  qu'on  l'auroit  fou-bli8e.  *  df- 

T  /      0  *■  c  ,  mander       la 

ite  ;  6c  comme  on  rut  quelque-  paix. 

ns  fans  recevoir  de  fes  nouvel- 

,  {es  envieux  commencèrent  à 

clamer  contre  lui  ,  difant  qu'il 

toit  laiffé  couper ,  &  que  l'armée 

Roi  étoit  perdue.  Le  Roi  étoit 

ut-être  l'homme  de  fon  Royaume 

i  fût  le  plus  fur  fes  gardes  ,  lorf- 

i  'on  parloit  au  défavantage  des 

i  fens  ;  d'autant  plus  réfervé  à  s'ex-  r 

•jiquer  fur  les  gens,  que  le  déchai- 


3  5  8  Histoire  du  Vicomte 

Année  nement  étoit  plus  grand  contre  eu, 
167}.      H  ne  fe  déclaroit  prefque  jamais  i 
ces  fortes  d'occaîions  :  néanmoi 
dans  celle-ci ,  où  plufieurs  coun 
fans  murrnuroient  de  ce  qu'on  r 
favoit  ce  qu'étoit  devenu  le  \fc 
comte  de  Turenne,  il  lui  échap: 
de  dire  ,  qu'à  la  vérité  il  n'avoita» 
cune  nouvelle  de  lui.  Mais  on  I 
fut  pas  long-tems  fans  enrecevoia 
&  l'on  apprit  bientôt  ,    qu'api  j 
avoir  pouffé  l'Electeur  de  Bran<  t 
bourg  depuis  le  Rhin  jufqu'à  l'Elb  j 
fans  qu'il  ofât  tourner  tête  pour  (  i 
fendre  fes  Etats  ,  il  l'avoit  rédui  i 
chercher  un  afyle  dans  fa  Capital  i 
où  même  ne  fe  trouvant  pas  enù: 
reté ,  il  avoit  été  enfin  forcé  de  c  kl 
mander  la  paix  qu'on  ne  lui  acc(  I 
da  qu'après  qu'il  eut  donné  cautiJ 
de  l'a  parole ,  &  qu'il  eut  engagé  ji 
Duc  de  Neubourg  à  fe  rendre  g» 
rant  de  la  fidélité  avec  laquelle1.: 
promettoit  d'obferver  les  engag 
mens  qu'il  contra&oitavec  la  Fra 
ce  par  fon  traité.  Alors  la  médifa 
ce  fe  tut ,  &  les  envieux  du  Vicoi 
te  de  Turenne,  depuis  cela,  fe;:< 


t)E  TURENNE.  Liv.  V.   ^  _____ 
lerent  toujours  refpe&er  fon  mé-  A  *  *  J 
ite.  i<r7}. 

Jufqu'aux    ennemis    de    l'Etat,     Grande  gê- 

jjsne  pouvoient  s'empêcher  d'être  j^™1*^"' 
nichés  de  ce  mérite ,  comme  on 
;  vit  dans  ce  tems-là  à  l'égard  de 
Electeur  de  Brandedourg.  Car  lors 
lême  que  ce  Prince  étoit  pourfuivi 
ar  nos  troupes  d'une  manière  fi 
lortifiante  pour  lui ,  ayant  appris 
a'un  hapmme  étoit  paiTé  dans  le 
imp  du  Vicomte  de  Turenne ,  à 
sfTein  de  l'empoilbnner  ,  il  ne  put 
iiiffrir  qu'il  pérît  fi  malheureufe- 
lent ,  &  lui  en  donna  avis;  de  forte 
u'on  reconnut  ce  miférable ,  que 
:  Vicomte  de  Turenne  fe  contenta 
e  faire  chaffer  de  fon  armée. 
Au  refte  ,  le  loin  d'exécuter  un    Son  atten- 

jfti  grand  deffein  que  celui  «pfil^*^^ 
yoit  formé  contre  l'Electeur  de  faites  d'Ewt. 
randebourg ,  n'empêchoit  pas  qu'il 
e  travaillât  outre  cela  aux  princi- 
ales  affaires  de  l'Etat ,  non-feule- 
îent  en  ce  qui  concernoit  la  guer- 
e,mais  encore  en  ce  qui  regardoit 
;s  Négociations  ôc  le  Cabinet;  car 
•nie  confultoit  fur  les  unes  &  fur  les 


360  Histoire  du  Vicomte 

a  n  n  é  e  autres  ;  ^  kien  4ue  9  ^e  l'Allemagr 
i^7i»  où  il  étoit ,  il  mandoit  au  Roi  c 
qu'il  penfoit  fur  la  destination  d< 
différens  corps  d'armée  que  noii 
avions  dans  les  autres  pays ,  les  ei 
treprifes  qu'il  falloit  faire ,  le  non 
bre  des  troupes  qu'on  devoit  y  en 
ployer ,  &  les  endroits  où  l'on  po  j 
voit  établir  des  magafins  pour  leij 
fubfiftance.  Il  lui  envoyoit  fon  fe  j 
timent  fur  les  diverfes  propoûtio  I 
de  paix  ,  de  trêve  ou  dalliancj 
que  nous  faifoient  plufieurs  Princ  1 
&  Etats  Souverains  de  l'EuropJ 
comme  on  le  voit  dans  plufieurs  <  t 
{es  lettres,  &  de  celles  du  Marqijj 
de  Louvois.  * 

Le  Roi ,  pour  immortalifer  Te  | 
pédition  du  Vicomte  de  Tureji 
ne ,  fit  frapper  la  médaille  n°.  i 
On  y  voit,  auprès  d'un  trophée,  { 
Vicloire  ,  qui  écrit  fur  un  boucli  p 
le  nom  des  Villes  les  plus  confie!  ji 


*  Lettres  du  Vicomte  de  Turenne  < 

5  Décembre  1672  ,  &  du  18  Avril  167 

6  Lettres  du  Marquis  de  Louvois  du  : 
Kovembre  1672 ,  du  7  Janvier  &  du 
Mai  1673. 

rable: 


N     N     EX 


deTurenne.  Liv.  V.  361 

ables  que  le  Vicomte  de  Turenne  a 
rit  pendant  l'hiver  de  cette  année-      l*7j. 
ï,  La  Légende ,  A  Rheno  ad  Albim 
ulfo  Brandeburgenji  E/e&ore ,  figni- 
e  V Electeur  de  Brandebourg  pouffé 
tpuisle  Rhinjufquà  l'Elbe.UExer- 
ue  marque  la  date  1673. 
|  Cependant  l'Efpagne  voyant  le    Envoyé  en 
iccès  extraordinaire  de  nos   ar-Allace' 
tes ,  fe  ligua  avec  les  Hollandois  , 
:  Te  prépara  à  nous  faire  la  guer- 
!  du  côté  des  Pays-Bas;  &  1  Emp- 
ereur ayant  fait  de  toutes  les  trou- 
as de    {es   Etats  une  armée   de 
ente-cinq  mille  hommes  ,  il  or- 
mha  au  Comte  de  Montecuculli 
t  la  mener  au  fecours  de  la  Hol- 
ide  ,  &  de  faire  tout  fon  poflible 
mr  paiTer  le  Rhin ,  &  fe  joindre 
x  troupes  de  cette  République  , 
la  tête  defquelles  étoit  le  Prince 
1  Drange ,  ôc  à  celles  des  Efpagnols 
1e  commandoitle  Comte  de  Mon- 
rey  ,  Gouverneur  Général  des 
ys-Bas  ;  ne  doutant  point  qu'avec  i 

i^s  trois  armées  réunies  ,  il  ne  fût 
Té  de  nous  chaffer  ,  &C  de  la  Hol- 
life  &  de  l'Empire.  Le  Vicomte 

Q 


%6i  Histoire  du  Vicomte 


k  M  N  à  E  de  Turenne  vouloit  aller  cherche) 

i«7J-      l'armée  de  l'Empereur  jufques  dan 

viîomce    d"la  Bohême  ,  où  elle  s'affembloit 

Turenne   au  mais  le  Roi  lui  manda  de  n'en  riei 

Louïols  ,dt  faire»  ParCe  ^U'il  aV0it  rëf°lu  d'al 

tée  du  i]  A-  1er  rafer  en  Alface  quelques  Place 

StUtsL6?}  *  à^Pec^es-  ft  m*  ordonna  de  veni 
couvrir  le  Rhin  du  côté  de  cett 
Province  ,  &  d'empêcher  en  m't  \ 
me-tems,  s'il  étoit    poflible  ,  ij 
jon&ion  des  troupes  Impériales  1 
avec  celles  des  Efpagnols  &  d<] 
Hollandois ,  du  côté  du  Bas-Rhk 
&:  il  lui  envoya  pour  cela  quatid 
'    mille  hommes  de  renfort. 
ïi  pana  au     Pour   exécuter   ces  deux  ch< 
l'Aiiema  ne  ^es  »  *e  Vicomte  de  Turenne  quit 
&  punie  Us  les  Etats  de  l'Ele£teur  de  Brand 
vicuboli  &  b°urg  >  traverfa  le  Pays  de  Heffc 
îà"  jreve^    paffa.le  Mein  à  Selingenftat ,  &: 
porta  vis-à  vis  AfchafTenbourg.  1/ 
Comte  de  Montecuculli  étoit  ver 
de  la  Bohême  dans  la  Franconi* 
les  troupes  de  ce  Cercle ,  &  et 
les  de   l'Electeur  de  Saxe  &  < 
Duc  de  Lorraine ,  l'avoient  joint  < 
chemin  ;  &  il.  étoit  déjà  arrivé 
Nuremberg ,  d'où  il  pouvoit  égal 


DE  TURENNE.  lh*  V.   3^5  

tient  prendre  fa  marche  vers  le  a  *  n  i 
laut  ou  vers  le  Bas -Rhin.  Le  »*7*« 
Vicomte  de  Turenne ,  par  le  pofte 
ju'il  occupoit ,  étoit  aum*  à  portée 
le  l'empêcher  également  d'aller  de 
un  ou  de  l'autre  de  ces  deux  cô- 
és  :  mais  il  avoit  fallu  qu'il  fe 
>oflât  en- deçà  du  Mein  pour  cou- 
rir l'Alface  ;  &  le  Comte  de 
/lontecuculli,  en  lui  dérobant  quel- 
ues  marches ,  auroit  pu  paffer  ce 
euve  ,  &  aller  joindre  les  Efpa- 
nols  &  les  Hollandois  :  le  Vicom- 
i  de  Turenne  fe  rendit  maître 
e  tous  les  paffages  du  Mein  ,  à 
iréferve  de  celui  de  Virtzbourg, 
l.ont  l'Evêque  lui  donna  parole 
u'il  ne  laifferoit  point  paffer  les 
tnpériaux  fur  fon  pont ,  ik  lui  pro- 
lait de  garder  inviolablement  la 
neutralité;  de  forte  que  le  Comte 
lie  Montecuculli  ne  pouvoit  plus 
Itéformais  aller  ni  en  Hollande  9 
i  en  Alface  ,  qu'il  n'eût  aupara- 
vant battu  notre  armée.  Le  Vi- 
:omte  de  Turenne  l'attendit  quel- 
If  ue-tems  aux  environs  d'Afchaf- 
^enbourg  :  ce  Prince  pouvoit  tirer 


^_ ___  364  Histoire  du  Vicomte 

Année  5e  grands  avantages  du  pofte  ol 
l*7h     il  étoit,  en  y  demeurant.  Son  armé* 
étoit  de  beaucoup  plus  foible  que 
celle  du  Comte  de  Montecuculli 
néanmoins,  voyant  la  lenteur  ave< 
laquelle  ce  Général  mar choit ,  ij 
réiolut  d'aller  au-devant  de  lui ,  ô , 
timbre  Sep*  ^  hû. donner  bataille.  Il  pana  1 
Tauber  à  Mariendal  :  il  s'avançl 
jufqu'à  Rotteinghen  ,  &  il  s'apprcj 
cha  enfin  û  près  des  Impériaux  I 
qu'il  falloit  nécessairement  qu'ils  il 
retiraffent  ,  ou  qu'ils  acceptaiTer  1 
la  bataille.  D'un  côté ,  le  Comte  d  | 
Montecuculli  ne  pouvoit  décarrs 
per  devant  nous  ,  fans  expoier  fol 
arriere-garde  à  être  battue;  mal 
de  l'autre ,  il  appréhendoit  d'ênl 
encore  plus  battu  dans  une  affaii 
générale.  Ayant  donc  pris  le  par  : 
de  n'en  point  venir  aux  mains  av«l 
le  Vicomte  de  Turenne ,  pour  c  ! 
cher  le  deffein  qu'il  a  voit  de  fe  r-i-j 
tirer  ,  il  fit  un  petit  mouvemei 
vers  nous  ,  comme  s'il  eût  été  d<  j 
terminé  à  combattre  ce  jour-là 
bien  perluadé  que  nous  n'irions  c 
lui  qu'en  bataille  3  &  que  pour  not 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    36? 


y  mettre ,  il  nous  faudroit  du  tems,  a  *  n  é  * 
dont  il  profiteroit  pour  exécuter  le  ,  1*73* 
deflein  qu'il  a  voit  ,  comme  il  ût. 
Car ,  pendant  que  nous  rangions  no- 
:re  armée  ,  &  qu'il  nous  parouToit 
e  donner  de  grands  mouvemens 
>our  mettre  en  ordre  la  première 
igné  ,  il  faifoit  défiler  la  fecon- 
le ,  avec  tous  les  équipages  ,  der- 
iere  une  montagne  ,  à  côté  de 
aquelle  il  étoit  :  &  à  peine  fû- 
nes-nous  formés  ,  que  nous  vîmes 
a  première  ligne  défiler  comme 
a  féconde ,  &  fe  retirer  avec  le 
efte  de  l'armée  ,  qu'il  mena  en- 
te Ochfenfurt  &  Virtzbourg ,  dans 
in  endroit  tout  environné  de 
nontagnes  &  de  marais.  Le  Vicom- 
e  de  Turenne  fuivit  aufîi-tôt  les 
mpériaux ,  donna  fur  leur  arriere- 
;arde ,  &  y  fit  plufieurs  prifonniers, 
eur  enleva  une  partie  de  leurs 
«gages  &  de  leurs  munitions  ;  & 
1e  pouvant  les  engager  à  combat- 
re  ,  il  fe  porta  de  telle  forte  ail- 
les d'eux  ,  qu'ils  ne  pouvoient 
>lus ,  ni  marcher  vers  la  Hollande 
>ar  le  Mein  ,  dont  il  étoit  maître  3 


....  $66  Histoire  du  Vicomte 
^  „  N  É~E  ni  s'avancer  du  côté  de  l'AlfàccT 
1*73  •  «  fans  lui  prêter  le  flanc  &  expofe 
leur  armée  à  être  défaite.  Il  avo 
le  Mein  à  fa  gauche  ,  un  gran 
ravin  à  fa  droite  -,  &  derrière  li 
un  très-bon  pays ,  d'où  il  pouvo 
tirer  des  vivres  en  abondance  po\ 
faire  fubfifter  fon  armée  encoi! 
plus  de  deux  mois  :  fituation 
finir  cette  campagne  avantageufj 
ment  pour  la  France,  fi  l'Evêqil 
de  Virtzbourg  eût  gardé  la  nel 
tralité  ,  comme  il  l'a  voit  promis! 
mais  nous  ayant  manqué  de  p 
rôle ,  &  ayant  livré  fon  pont  ai 
Impériaux,  le  Comte  de  Mont' 
te  14  Sep-  cuculli  fit  aufli-tôt  paffer  fon  c  I 
jêmbrc.  non  &  fes  gros  équipages ,  &  mai 
cha  vers  le  Rhin  avec  fon  armé 
Il  n'avoit  point  de  pont,  non  pi 
que  nous  ,  fur  ce  fleuve.  S'il  eil 
treprenoit  d'y  en  jetter  un  ,  noi 
pouvions  en  faire  autant ,  &  paff 
même  avant  lui.  Mais  l'Ele£tei 
de  Trêves  ,  qui  nous  avoit  au: 
promis  de  garder  la  neutralité,  1 
ayant  encore  livré  les  deux  pon 
qu'il  avoit  à  Coblentz  7  fur  le  Rh; 


•de  Tûrenne.IjV.  V.   367 

m  fur  la  Mofelle ,  ce  Général  fut  A  *  *  «  i 
)ien  plutôt  que  nous  à  Bonn;  où  s'é-      »«7  j« 
[ant  joint  aux  Efpagnols  &  aux  Hol- 
[andois  ,  ils  afliégerent  cette  Place 
ivec  leurs  trois  armées  ,  &  la  pri- 
ent. Le   Vicomte   de   Turenne,    LeuNo^ 
>our  punir  l'Evêque  de  Virtzbourg  vembre. 
k  l'Electeur  de  Trêves  de  leur  in- 
idélité ,  fit  vivre  fes  troupes  à  dif- 
:rétion   dans   l'Evêché  de  Virtz- 
bourg ,  &  leur  donna  des  quartiers 
l'hiver  dans  l'Ele&orat  de  Trêves  ;    Lf  " 8  D* 

,  v  ^  i  ^   -  j     membre. 

£  après  une  Campagne  de  près  de 
leux  ans ,  il  alla  enfin  à  la  Cour  , 
>ii  le  Roi  l'attendoit  pour  confé- 
rer avec  lui  fur  les  diverfes  opé- 
ations  de  guerre  qui  dévoient 
>ccuper  fes  Armées  l'année  fai- 
sante. 

i  La   conquête   de    la   Franche-   A  N  NÉE 
Comté  fut  la  première  entreprife      1*74- 
>ar  laquelle  on  réfolut  d'ouvrir  la  11  féconde  la 
campagne.    Les  Places    de    cette  ^n^nech^ 
Province  n'avoient  ,  à  la  vérité ,  Comté. 
me  de  foibles  garnifons  ;  mais  il 
«oit  à  craindre  que  les  ennemis 
ne  vinrent  à  leur  fecours  ,  avec 
quelque  corps  d'armée  confidéra* 

Qiv 


368  Histoire  du  Vicomte 

j*  n  n  ê  i  ble  :  car  le  Duc  de  Lorraine ,  qti 
1^74.      regardoit  la  Franche -Comté  com 
me  le  paffage  le  plus  commode  pa 
où   il  pût  rentrer  un  jour  dan 
fes  Etats ,  s'intéreffant  par-là ,  plu: 
qu'aucun  autre ,  à  la  confervatioi 
de  cette  Province ,  s'étoit  chargé  d< 
la  fecourir ,  dès  qu'on  avoit  fçu  qu< 
nous  avions  deffein  de  l'attaquei 
Il  avoit  envoyé  le  Prince  de  Van  \ 
demont  fon  fils  fe  jetter /dans  cell 
le   des  Places  qui  paroîtroit  4è  i 
voir  être  la  première  afïiégée  ;  6  i 
il  étoit  déjà  lui-même  ,  avec  fc 
troupes ,  &  une  partie  de  celle 
de  l'Empereur  &  de  l'Elecleur  Pa 
latin ,  auprès  de  Bafle ,  où  il  deman 
doit ,  avec  de  grandes  infiances ,  au: 
SuhTes  la  permiflion  de  paffer  fu 
leurs  terres ,  pour  entrer  dans  1; 
Franche-Comté.  La  Maifon  d'Au 
triche  même  ,  qui  n'avoit  point  en ; 
core  voulu  leur  envoyer  d'Ambaf 
fadeur,  quoiqu'elle  eûtreconnulein 
indépendance,  leur  em  envoya  ur 
alors ,  efpérant  les  engager,  par  cet- 
te démarche  ,  à  accorder  le  palTa- 
ge  à  fes  troupes*  Comme  nous  n'a- 


N    N    E    S 


DE  TuRENNE.  Liv.  V.    \6$ 

irions  point  de  ce   côté-là  d'Ar-  A 

née  qui  pût  rien  faire  appréhen-      1*74. 

1er  au*  SuhTes  ,  il  étoit  à  craindre , 

|[ue  ,  fe  rendant  enfin  aux  follicita- 

|ions  de  l'Empereur ,  ÔC  à  celles  du 

)uc  de  Lorraine  ,   ils  n'accordaf- 

;nt  le  paffage  aux  ennemis  ;   &C 

î  bruit  couroit  déjà  qu'ils  étoient 

ir  le  point  de  le  faire  ,  lorfque  le 

ricomte  de  Turenne  entreprit  de 

empêcher,  &  d'aller  appuyer  la 

égo  dation  que  nous  avions  avec 

Ijx  à  ce  fujet.  Pour  cela,  il  or- 

tanna  à  une   partie   des  troupes 

I  A  étoient  en  quartier  dans  laLor- 

D.ine  &  dans  l'Àlface  ,  de  le  venir 

H  indre  du  côté  '  de  la  Suiffe  ;  ôc 

}Uec  quelques  compagnies  de  ca- 

(jîlerie  qu'il  prit  pour  efcorte ,  il  .1 

R  rendit  en  diligence  à  Hefinghen  , 

s  liage  qui  n'eft.  qu'à  une  lieue  de 

pUe.  Il  y  arriva  afîez  tard,  maisLe  I0  Ma?« 

An  que  toute  la  Ville  en  fût  in- 

rmée ,  il  y  envoya  le  lendemain , 

||  grand  matin,  ion  Maître  d'Hô^ 

l ,  avec  une  grande  fuite  de  pour- 

)yeurs  qui  avoient  ordre  d'ache- 

<r  6c  d'enlever  tout  ce  qui  fe  trou* 

Qv 


_  37°  Histoire  m;  Vicomte 

Année  veroit  dans  les  marchés  ,  &  de  d 

**74.      re  que  c'étoit  pour  le  Vicomte  <j 

Turenne ,  qui  étoit  arrivé  à  Hefi 

ghen ,  &  qui  donnoit  ce  jour- 

à  manger  aux  principaux  Officie 

de  fon  armée.  Ce  fracas  eut  f< 

effet  :  tout  Baie  ne  parla  que  \ 

l'arrivée  du  Vicomte  de  Turenn  ■ 

&  les  Magiftrats  de  cette  Ville 

fçacharit  fi  près  d'eux  ,  écouten  * 

nos  proportions  ,  &  refuferent  ti 

paffage  au  Duc  de  Lorraine ,  fi  bi  il 

que  le  Roi ,  qui  attaquoit  en  p<  •] 

fonne  la  Franche-Comté ,  s'en  r<  I 

dit  bientôt  le  maître. 

ïicomman-      Cette   nouvelle    conquête     l 

ff,  !,•  AU%  veilla  l'envie  de  nos  voifins  :  ce  i\ 

magne  ,     &  .  , 

donne  la  qui ,  juiques  la  ,  etoient  demeui» 
ïmplriaux*  neutres>  ^e  déclarèrent  contre  no  » 
L'Evoque  de  Munfter  notre  al  S 
nous  abandonna  &  fe  joignit  i» 
nos  ennemis  :  l'Ele&eur  de  Branc  I 
bourg  même ,  qui  nous  avoit  «  I 
mandé  la  paix  l'année  précédent 
voyant  prefque  toute  l'Europe  s  ■ 
nir  contre  nous,  crut  pouvoir  v  • 
1er  impunément  le  traité  qu'il  '1 
noity  pour  ainii  dire  5  de  figner,  t\ 


! 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    371    

fe  ligua  avec  les  autres.  Tout  en-  a  n  s  *  » 
tra  dans  la  ligue   :  le  Landgrave      **74- 
,de  Heffe  ,  l'Eledeur  Palatin,  l'E- 
deûeur  de  Trêves  ;  en  un  mot  , 
toute  l'Allemagne ,  hormis  l'Elec- 
teur de  Bavière  &  le  Duc  d'Ha- 
novre ,  qui  demeurèrent  neutres. 
À  un  fi  grand  nombre  d'ennemis , 
le  Roi  n'oppofa  que  le  Vicomte 
H  de  Turenne ,  &  il  l'envoya  contre 
il  eux  avec  dix  mille  hommes.  C'é- Le  7  Juûfc 
l|  toit  bien  peu  de  troupes ,  pour  ré- 
I  fifter  aux  efforts  de  prefque  toutes 
i  les  PuifTances  du  Corps  Germani- 
.'  que  réunies  enfemble.  Néanmoins  , 
i  comme  on  ne  lui  en  voulut  pas 
>l  donner  davantage  ,  il  fe  prépara  à 
I  faire  ce  qu'il  pourr oit  avec  ce  peu 
,de  forces.  Il  commença  par  enga- 
i|ger  Strasbourg  à  la  neutralité  :  il 
ij  tira  parole  des  Magiftrats  de  cette 
I  ville  ,  qu'ils  ne  lahTeroient  paffer 
I  aucun  de  nos  ennemis  fur  leur  pont; 
I  &  ayant  fçu  que  toutes  les  forces 
»de  l'Empire  dévoient  s'affembler 
•  dans  le  Paîatinat  ;  que  les  troupes 
I  de  l'Eleveur  Palatin  &  celles  du 
l!  Duc  de  Lorraine  y  étoient  déjà  ♦> 


37i  Histoire  du  Vicomte 

E  E  &  qu'elles  y  attendoient  le  Duc 
de  Bournonville,  qui  leur  amenoil 
celles  de  l'Empereur  ;  il  réfolul 
d'entrer  dans  le  Palatinat ,  &:  dt 
combattre  ce  qu'il  y  avoit  d'enne- 
mis affemblés  ,  avant  que  le  Duc 
de  Bournonville  les  eût  joints,  I 
étoit  beaucoup  plus  éloigné  d'eu? 
que  le  Duc  de  Bournonville:  ci 
Général  n'avoit  que  le  Necker  i 
paffer  ,  &  il  étoit  maître  de  1< 
faire  quand  il  voudroit ,  fur  h 
pont  de  Haibron  ;  au  lieu  qu'i 
ialloit  que  le  Vicomte  de  Turenin 
paffât  le  Rhin  ,  fur  lequel  il  n'a 
voit  point  de  pont,  Néanmoins 
ayant  pris  le  parti  d'exécuter  foi 
deffein  ,  malgré  toutes  les  difficul 
tés  ,  il  envoya  ordre  qu'on  fit  uj 
ï»e  ii  Juin,  pont  de  bateaux  à  Philisbourg  :  i 
partit  d'Hochfelt  y  près  de  Saverne 
avec  fix  mille  chevaux  &  quinze 
cens  hommes  d'infanterie  ;  il  y 
lahTa  deux  mille  ^,cinq  cens  hom- 
mes ,  à  la  garde  des  bagages  , 
qu'il  ne  voulut  pas  emmener;  & 
il  fit  une  telle  diligence  ,  que  dans 
deux  jours  il  arriva  vis-à-vis  Phi- 


DE  TURENNE.  LiV.  V.    273 

isbourg  ,  dans  le  moment  même  A  N  N  é  M 
fue  fon  pont  venoit  d'être  achevé  1*74. 
[y  parla  le  Rhin  auffi-tôt  :  il  em-  Le  14 Juin* 
lena  avec  lui  les  régimens  An- 
lois  de  Douglas  &  d'Hamilton  , 
ui  étoient  campés  fous  Philif- 
ourg  ,  avec  les  Dragons  du  Gou- 
erneur  de  cette  Place  :  il  y  prit 
ufli  fix  pièces  de  canon  ,  &  du 
ain  pour  trois  jours  ;  &  il  dé- 
icha  en  même-tems  plufieurs 
artis ,  pour  avoir  des  nouvelles  de 
armée  ennemie.  Le  Duc  de  Lor- 
line  &  le  Comte  Caprara  ,  qui 
1  commandoient ,  croyoient  le  Vi- 
omtc  de  Turenne  à  plus  de  quinze 
eues  de  Philisbourg  ,  lorfqu'il  y 
afTa  le  Rhin  ;  &  ils  furent  fort 
tonnés,  lorfqu'ils  apprirent  cette 
ouvelle.  Comme  ils  ne  vouloient 
oint  en  venir  aux  mains  avec 
,qus  ,  que  le  Duc  de  Bournon- 
'jlle  ne  les  eût  joints ,  ils  réfolu- 
ent  de  fe  retirer  au-delà  du  Nec- 
:er ,  &:  s'avancèrent  à  grandes  jour- 
nées vers  Hailbron  ,  pour  y  parler 
e  fleuve.  Le  Vicomte  de  Turen- 
£ ,  pénétrant  leur  deffein  ,  preiïa 


374  Histoire  du  Vicomte 

A  n  n  é  e  encore  plus  la  marche  de  fes  fol 
1^74.      dats  :  il  leur  avoit  fait  faire  douz< 
lieues  en  un  feul  jour ,  avec  de 
fatigues  inconcevables  ;   mais  il 
étoient  perfuadés  qu'il  ne  leur  au 
roit  pas  voulu  donner  la  moindr 
peine ,  fans  une  néceflité  abfolm 
Ainfi ,  bien  loin  de  murmurer  cor 
tre  lui ,  on  les  voyoit  fe  piquer  d'é 
mulation  ,  à  qui  feroit  paroître  pli  ; 
de  gaieté  dans  les  difficultés  d'un 
marche  fi  pénible ,  &  à  qui  iro 
plus  vite  9  dans  la  feule  vue  d 
faire  quelque  plaifir  à  ce  Prince 
qu'ils  regardoient  moins    cornai  ! 
leur  Général ,  que  comme  leur  p<  I 
re  ;  de  forte  qu'ayant  fait  près  (3 1 
trente  lieues  en  quatre  jours  ,  i  $ 
joignirent  les  ennemis  avant  quri 
fuiïent  arrivés  au  Necker. 
lis  fe  can-     Le  £>uc  &e  Lorraine  &  le  Coml 

tonnent    a  x        , 

sintsheim.     Caprara ,  nous  voyant  il  près  d  eu 
Shuatî°n  Ie  qu'il  leur  étoit  impoffible  de  noi 

cette  Ville  &  >   .  r         r     1  »v 

it  leur  armée,  éviter ,  ne  pemerent  plus  qu  a  occi 
per  quelque  pofte  où  leur  armé 
pût  être  en  fureté  contre  tout  ce  qu 
nous  pourrions  entreprendre  ,  jti: 
qu'à  ce  que  lel>uç  de  Bournonvilî 


DE  TURENNE.Z/V.f.    J75 

les  fût  venu  joindre.   Sintsheim  ,  "7TTT* 
011  ils  étoient ,  leur  parut  très-pro-      »*7* 
pre  pour  cela.  Cette  Ville  eft  à  une 
égale  diftance  de  Philisbourg  fur  le 
Rhin ,  &  de  Hailbron  fur  le  Neo 
ker.  Elle  eft  fituée  au  pied  d'une 
montagne  ,  dont  la  pente  eft  affez 
douce.  Une  vieille  Abbaye ,  qu'on 
la  fortifiée  ,  &  qui  fert  de  château  9 
sft  fur  une  hauteur ,  entre  la  Ville 
|  k  la  montagne ,  beaucoup  plus  éle- 
vée que  la  première ,  &L  un  peu 
plus  baffe  que  la  féconde.  Sur  cette 
montagne  eft  une  plaine  qui  eft 
I  fermée  par   derrière    d'un    grand 
jbois  ,   &  qui  eft  affez  fpacieufe 
pour  qu'on  y  puiffe  ranger  une  ar- 
mée en  bataille.  C'eft  là  le  pofte 
que  choifirent  le  Duc  de  Lorraine 
j&  le  Comte  Caprara  ,  pour  y  at- 
tendre le  Vicomte  de  Turenne.  Ils 
fe  faifirent  de  la  Ville  &  du  châ- 
iteau  ;  ils  y  jetèrent  une  partie  de 
i  leurs  bataillons ,  pour  les  défendre  ; 
&  ils  mirent  toute  leur  cavalerie , 
iavec  le  refte  de  leur  infanterie  en 
i  bataille ,  dans  la  plaine  qui  eft  au- 
î  deffus  de  la  montagne.  Toute  leur 


-376  Histoire  du  Vicomte 
"\w  K  é  E  armée  y  fut  rangée  fur  deux  15- 
1*74.      gnes:le  Comte  Caprara  fe  miti. 
la  tête  de  la  première ,  &c  le  Du< 
de  Lorraine  à  la  tête  de  la  fecon 
de.  Là  ,  adoffés  d'un  grand  bois  1 
qui  emp  échoit  qu'on  ne  pût  aller 
eux  par  derrière  ,  ils  voy oient  leu| 
droite  affurée  par  le   Château  &,i 
par  la  Ville ,  dont  ils  étoient  lel 
maîtres  ,  &  leur    gauche  fermé] 
par  une  chaîne  de  montagnes  eil 
carpées ,  qui  s'étendoient  fort  loi  | 
du  côté  de  Hailbron.  Ils  avoier] 
outre  cela ,  devant  eux,  au  pied  d  ] 
la  montagne  ,  &  au  delà  même  d  | 
la  Ville, la  rivière  d'Elfatz,  &  ui] 
gros  ruhTeau  ,  qui  les  enfermoieE( 
pardevant ,  du  côté  de  la  plaine  d] 
Sintsheim. 

Turennele*       j£*    fat    ^5?     Cete     P1?^     «F? 

y  force  ,  &  le  Vicomte  de  Turenné  arriva,  aprç] 
s^en  rend  quatre  jours  de  marche.  11  reconnç  ] 
Le  16  Juin,  d'abord  la  fituation  des  lieux  ,  &] 
la  difpofition  des  ennemis.  Il  ri<] 
pouvoit  les  aller  attaquer ,  ni  par  £ . 
droite ,  qui  étoit  fermée  par  dé.'] 
montagnes  efcarpées ,  ni  par  fa  gati-l 
che,  où  fe  trouvoient  la  Ville  &  k 


A    N    N     S    S 


DE  TuRENNE.ZzV.  V.  377 
bateau  ,  dont  ils  étoient  les  mai- 
es. Le  feul  endroit  par  où  l'on  1657 
ut  aller  à  eux  ,  étoit  un  défilé  qui 
1  de  gauche  à  droite ,  à  côté  de  la 
ille,  lequel  peut  à  peine  contenir 
jatre  hommes  de  front  ,  &  qui 
t  dominé  par  le  Château;  de  for- 
que ,  pour  aller  par  ce  défilé ,  il 
lloit ,  &  fe  rendre  maître  du  Châ- 
au  qui  le  commandoit  6c  forcer 
Ville  qui  eft  au-devant  du  Châ- 
au.  Nous  avions  devant  nous  les 
enues  de  Sintsheim  ,  qui  étoient 
utes  embarraflfées  de  jardinages 

de  rues  très  -  étroites  ;  &C  der- 
îre  ces  avenues  ,  un  gros  ruif- 
iu  &  une  rivière  profonde  %  qui 
Soient  guéables  en  nul  endroit , 

qu'il  falloit  paffer  avant  que 
irriver  à  la  Ville.  Plufieurs  four- 
s  &  ruiffeaux  forment  une  ef- 
ce  de  marécage  aux  environs 
cette  Ville ,  &  le  refte  du  terrein 
:;  fi  plein  de  haies  &  de  vignes  , 
e  les  gens  de  pied  même  ont 
n  de  la  peine  à  y  marcher» 
nites  ces  haies  &  ces  vignes 
)ient  occupées  par  les  ennemis  : 


A    H    M    É    £ 


3  78    Histoire  du  Vicomte 

ils  avoient  jette  des  Moufquetâi 
x*78."     res  dans  le  Fauxbourg  &  dans  1< 
jardinages  :  les  buifïons ,  les  bore 
des  ruifleaux  ,  tout  étoit  garni  d'ir 
fanterie  ;  6c  quand  on  feroit  veh 
à  bout  de  chaffer  cette  infanteri 
de  tous  les  endroits  qu'elle  occi 
poit ,  de  paffer  le  ruhTeau  &  ]. 
rivière  fur    lefquels  il   n'y    ave: 
qu'un  pont  ,  de  forcer   le   Fau:8 
bourg ,  la  Ville  &  le  Château ,  I 
de  gagner  enfin  le  défilé  ;  nous  n:  ij 
vions  ,  au  bout  de  ce  défilé ,  po  tj 
nous  mettre  en  bataille,  qu'un  pij 
tit  triangle  de  terrein  fort  étroit  gj 
qui  alloit  toujours  en  montant,  I 
dans  lequel  on   pouvoit   à  peii  < 
mettre  fix  ou  fept  efeadrons   <  . 
front.  Il  eft  vrai  que  ce  terrein  s:  s 
largifîbit  peu-à-peu  ,  à  une  cerfc 
ne  diflance  ;  mais  ce  n'étoit  qi 
une  portée  de  moufquet  des^i 
nemis  :  Et  comment  aller  form 
des  lignes  fi  près  d'eux  ?  Ils  n! 
voient,  à  la  vérité  ,  que  neuf  à  d 
mille  hommes  ,  non  plus  que  non 
mais  leurs  troupes  ,  fortant  de  bo 
quartiers  >  étoient  fraîches  &  rep 


DE  TURENNE.  Liv.  K  tf$ 


es  ;  au  lieu  que  les  nôtres  étoient  A  *  «  ■  s 
xtrêmement  fatiguées  d'une  mar-  ,<74, 
\e  de  près  de  trente  lieues ,  faites 
n  quatre  jours  &  fans  équipa- 
es.  Toute  leur  cavalerie  étoit 
uiraffée ,  &  la  plupart  de  nos 
avaliers  n'avoient  pas  même  des 
ufles.  Enfin  leur  armée  ne  pou- 
oit  manquer  d'avoir  ,  fur  la  nô- 
e  ,  l'avantage  d'un  grand  front, 
e  Vicomte  de  Turenne  vit  toutes 
2S  difficultés  comme  en  un  inf- 
int  ;  mais  il  envifagea  en  même- 
;ms  tous  les  embarras  ou  il  fe 
ouveroit  après  la  jonction  du  Duc 
e  Bournonville ,  s'il  ne  battoit  pas 
îs  ennemis  avant  que  ce  Géné- 
1  les  eût  joints  ;  ÔC  coniidérant 
utre  cela  quel  avantage  ce  feroit 
our  la  réputation  &  pour  les  in- 
:rêts  de  la  France ,  dans  la  con- 
>n£ture  des  affaires  ,  d'ouvrir  la 
imp^gne  par  une  victoire  ,  s'il 
ouvoit  venir  à  bout  de  la  rem- 
orter ,  il  fe  détermina  au  combat , 
îalgré  tant  d'obftacles  qui  de- 
oient  ,  ce  femble  ,  l'en  détourn- 
er. Ayant  ainfi  pris  parti,  il  corn- 


&gfl  Histoire  du  Vicomte 
A  n  v  é  s  mença  par  faire  mettre  pied  à  terr 
j^74.      à  (es  Dragons  ;  &  les  ayant  coir 
mandés  avec  toute  fon  infanterie! 
pour  fe  faifir  des  avenues  de  Sint) 
heim   9    chaffa    les    ennemis    m 
bords  du  ruiffeau  &  de  la  rivie; 
fur  lefquels  ils  étoient;  il  les  dél<! 
gea  des  vignes ,  des  jardinages ,  cjj 
fauxbourg  ,  &  de   tous  les  autr  : 
endroits  qu'ils  occupoient  ;  ce  qî 
fiit  exécuté  avec  tant  de  prompl 
tude ,  qu'en  moins  dune  heure  no  I 
nous  rendîmes  maîtres  de  tous  11 
environs  de  la  Ville  y  &  nous  no  I 
trouvâmes  fur  le  bord  du    £oM 
Les    ennemis  s'étoient  tous  jettl 
dans  la  Ville  ,  à  mefure  que  nol 
les  avions  pouffes  :  ils  s'étoient  iB 
tranchés  derrière  les  portes ,  avJ 
des  tonneaux  pleins  de  terre  , 
avec   de  grandes  pièces  de  bois: 
dont  ils  avoient  fait  des  traverf< 
Le  Vicomte  de  Turenne  fit  pafïf 
le  foffé  fur  des  fafcines  ,    dont->((j 
le    remplit  :  on  enfonça  une  d 
portes  de  la  Ville  ;  on  paffa  au  ! 
de  l'épée  une  partie  des  ennemiïi 
&  on  força  l'autre  à  fe   rendre  i 


DE  TlJRENNE.   Llv.  f.    381  

fcrétion.  Ils  avoient  eu  ordre  de  TT7T* 
joindre  l'armée  ,  au  cas  qu'ils  i674» 
:  piuTent  fe  maintenir  dans  ce 
>fle  ;  mais  l'attaque  en  fut  fi  vif 
; ,  qu'ils  n'eurent  pas  le  tems  de 
reconnoître  ,  &  qu'ils  furent ,  ou 
illés  en  pièces  ,  ou  pris  avant 
l'ils  euffent  feulement  penfé  à  ca- 
tuler  ,  ou  à  fe  retirer  par  les  der- 
îres ,  fur  la  hauteur  où  étoit  le 
os  de  leur  armée.  La  vigueur 
cette  action,  dont  la  nouvelle 
:  portée  dans  le  Château  par 
.elques  fuyards  ,  y  jetta  l'épou 
nte.  Tous  ceux  qu'on  avoit  mis 
dans  pour  le  défendre  ,  l'aban- 
•nnerent  &:  s'enfuirent.  Le  Duc 
Lorraine  &  le  Comte  Capra- 
,  qui  en  furent  avertis ,  y  envoyé* 
nt  promptement  un  régiment 
infanterie ,  mais ,  quoique  la  hau- 
ar  fur  laquelle  étoit  ce  Château , 
taffez  eîcarpée  de  notre  côté, 
>ns  y  arrivâmes  les  premiers  ;& 
lui  qui  commandoit  les  ennemis, 
rant  été  tué  de  la  pemiere  dé- 
*  large  qu'on  fit  fur  eux  ,  tous  les 
itres  prirent  auffi-tôt  la  flûte.  Le 


▲   M   M   t   I 


581  Histoire  du  Vicomte 

Vicomte  de  Turenne  s'étant  ain;1, 
1*74»  rendu  maître  du  Château,  qui  dcj 
minoit  le  défilé  par  lequel  feul  o'I 
pouvoit  aller  aux  Impériaux  ,  il 
mit  de  l'infanterie,  qui,  faifantfe1 
fur  celle  que  les  ennemis  avoieii 
dans  les  vignes  &  dans  les  hai li 
au-deffous,  les  en  chaffa.  Il  il 
délogea  enfuite  de  toutes  les  haï" 
teurs  qui  étoient  entre  la  Ville  j 
leur  armée.  Il  s'empara  des  deii 
côtés  du  défilé ,  &  les  borda  <  I 
Moufquetaires.  Il  fit  faire  deil 
ponts  fur  la  rivière  &  fur  le  ru  *» 
feau  :  l'armée  paffa  moitié  à  la  r  U 
ge ,  moitié  fur  les  ponts  ;  &  lo  tj 
que  tout  fut  arrivé  au  fauxboii* 
de  la  Ville  ,  le  Vicomte  de  Tk* 
renne  fit  paffer  d'abord  fon  infc  ^f 
terie,  à  la  faveur  du  feu  du  ch* 
teau  &  de  celui  des  Moufquet1* 
res  ,  qui  étoient  fur  les  hautei* 
du  défilé.  Les  ennemis  ne  g<^ 
doient  point  la  tête  de  ce  défila 
fe  flattant  que ,  de  la  manière  dot 
ils  étoient  poftés  ,  ils  déferoie; 
aifément  nos  troupes  ,  à  mefu 
qu'elles  viendroient  à  fe  former  <  : 


DE  TtJRENNE.  Liv.  K  383    

mt  eux  ;  de  forte  que  le  Vicomte  A  N  v  à  9 
»  Turenne  le  fit  pafTer  à  toute      1*74. 
n  infanterie ,  fans  aucun  obflacle. 
Leterrein  que  nous  avions  pour 
>us  mettre  en  bataille  au  fortir 
1  défilé ,  étoit  ferré  à  droite  par 
grand   clos  de  vignes  ,   &  à 
uche  par   une  longue  haie  qui 
tendoit  jufqu'à  la  montagne  où 
)ient  les   ennemis.  Le  Vicomte 
Turenne  fit  avancer  de  l'infan- 
îe  à  droite  &:  à  gauche  ;  il  jet- 
des  Moufquetaires  dans  le  grand 
>s  de  vignes  ;  il  fit  mettre  deux 
taillons  derrière  la  grande  haie  ; 
Dlaça  le  refle  de  fon  infanterie 
divers  portes ,  ou  en  corps ,  ou 
r  détachement ,  félon  la  difpo- 
ion  du  terrein  ;  à  deffein  de  fa- 
•rifer  fa   cavalerie  ,   lorfqu'elle 
riveroit  pour  fe  mettre  en  ba- 
lle ,  &  pour  la  foutenir  lorfqu'el- 
viendroit  à  être  chargée  par  les 
nemis.  Après  qu'il  eut  ainli  pof- 
fon  infanterie  ,  il  fit  pafler  tes 
valiers  deux  à  deux  par  le  me- 
Ici  défilé,  &  il  les  fit  mettre  en 
itaille  à  mefurc  qu'ils    étoient 


384  Histoire  du  Vicomte 

A  n  n  é  i  pafïes.  Le  terrein  étoit  fi  étroit 
**74-      qu'il  ne  put  y  former  que  des  li 
gnes  fort  courtes.  Il  donna  le  com 
mandement  de  l'aîle  droite  au  Mai 
quis  de  Saint  Abre ,  Lieutenant  Ge 
néral ,   ayant  fous  lui  le  fieur  d 
Beauvezé  pour  Commandant  de']' 
cavalerie ,  les  Comtes  de  Maulc 
vrier  &  de  Roye  pour  Maréchau 
de  camp  ;  &  Milord  Douglas  M 
Chevalier  du  Plefly  ,  avec  le  fieij 
du  Piloy  pour  brigadiers  ;  auxque  f 
fe  joignirent  les  C  hevaliersde  Ve  j 
dôme  &:  de  Bouillon ,  qui  faifoiej 
fa  campagne  en  qualité  de  voloit< 
taires.  Le  fieur  Foucault  ,  Lieufr 
nant  Général ,  fut  mis  à  la  tête  c  1 
l'aile  gauche ,  ëc  eut  fous  lui ,  poil 
Maréchaux  de  camp  ,  les  Comft 
d'Auvergne  &  de  la   Marclc;^;. 
pour  Brigadiers  , le  Comtes  de  H ;^ 
milton ,  le  Chevalier  d'Humieiîii, 
&:  le  fieur  de  Coulange.  Le  con  , 
mandement  du  corps  de  réfervefî 
donné  au  Marquis  de  Renty.  lf^ 
Vicomte   de  Turenne  avoit  poi  '. 
Aides  de  camp  y  les  Marquis  d'Ha 
court  &  de  Ruvigny ,  le  Chevali< 


DE  TURENNE.  Liv.  K    385  ^ 

Ie  Sillery ,  &  le  fieur  de  Silly-Gue-  a  n  n  é  \ 
tegaud.  Il  fe  mit  au  centre  de  l'ar-  **74» 
née  ,  à  la  tête  de  laquelle  il  fit 
vancer  le  canon  ;  &  il  ordonna 
ur  toutes  chofes  ,  à  fa  cavalerie 
i'efTuyer  le  feu  des  ennemis  fans 
irer ,  6c  de  ne  les  charger  que  l'é- 
►ée  à  la  main.  A  peine  eûmes-nous 
orme  deux  petites  lignes  à  mi- 
ôte  ,  que  les  ennemis  ,  qui  de  leur 
auteur ,  voyoient  tous  nos  mou- 
emens ,  ne  voulant  pas  nous  laif- 
ir  le  tems  d'en  former  une  troifié- 
1e ,  vinrent  fondre  fur  nous  avec 
>ut  l'avantage  que  leur  donnoit  la 
ente  du  terrein  ,  &  renverferent 
otre  première  ligne  fur  la  fecon- 
e.  Notre  canon  ne  faifoit  que 
'arriver,  &  il  étoit  encore  attelé  ; 
e  forte  que  les  attelages ,  épouvan- 
és  par  le  bruit  de  la  moufquete- 
ie  des  ennemis  ,  s'échappèrent  à 
ravers  nos  efcadrons  ,  &;  rom- 
ans nos  lignes  ,  entraînèrent  deux 
•ieces  de  canon  jufquà  Farriere- 
;arde ,  ce  qui  caufa  beaucoup  de 
:onfufion.  Le  Vicomte  de  Tu- 
enne  rétablit  ce  défordre  le  plus 
R 


386  Histoire  du  Vicomte 

Année  promptement  qu'il  lui  fut  poilible. 
*674.      ïVût  avancer  nos  bataillons  la  pi- 
que baiffée  ,  pour  arrêter  i'impé- 
tuofité  des  cuiraiîiers  de  l'Empe- 
reur ,  qui  faifoient  tous  leurs  ef- 
forts pour  enfoncer  nos  lignes  ;.& 
l'infanterie  angloife,  dont  une  par 
tie  fe  trouvoit  là ,  derrière  un  ri 
deau,  6c  l'autre  dans  les  haies ,  fi: 
de  fi  furieufes  décharges  fur  les  er 
nemis ,  que  n'en  pouvant  fouteni 
le  feu ,  ils  commencèrent  à  reci 
1er.  Notre  cavalerie  fe  rallia  ,  le 
rechalîa  fur  leurs  hauteurs;  non 
gagnâmes  un  peu  de  terrein.  Corr 
me  le  Vicomte  de  Turenne  avo: 
fait  paffer  le  défilé  à  de  nouvelle 
troupes   pendant    cette  premier 
charge ,  il  voulut  donner  une  noi 
velle  forme  à  fon  armée ,  &  re 
commença  tout  de  nouveau  à  1 
ranger  :  il   lailTa  véritablement  1 
cavalerie  dans  le  milieu  ,  comm 
elleétoit;  mais  il  fit  mettre  quatr 
gros  bataillons  fur  les  ailes,  &  de 
pelotons  d'infanterie  entre  les  ei 
cadrons  ,  pour  féconder  nos   ca 
valierslorf  qu'ils  en  viendroient  au: 


Anne* 


DE  TURENNE.  Liv.  K  587 
ftains  avec  les  ennemis.  Il  plaça 
on  artillerie  à  la  tête  ,  &  ayant  1*7+ 
lus  de  terrein ,  il  fit  une  troineme 
igné  ,  &£  ordonna  qu'on  étendît 
n  peu  plus  les  deux  autres.  Mais 
peine  notre  canon  avoit-il 
ommencé  à  tirer  que  les  en- 
emis  ne  voulant  pas  nous  laiiîer 
:  tems  de  former  un  plus  grand 
ont ,  revinrent  une  féconde  fois  à 

charge,  avec  l'élite  de  leurs  trou- 
es. Ils  rirent  plier  prefque  toute 
Dtre  première  ligne  :  ils  l'enfon- 
;rent  même  en  quelques  endroits , 
:  fe  firent  jour  à  travers  quelques- 
ns  de  nos  efcadrons  ;  6c  il  y  eut 
endant  un  tems  affez  de  défordre , 
our  craindre  l'événement  de  cet- 
;  journée.  Mais  le  Vicomte  de 
iirenne  avoit  fi  bien  poflé  ion  in- 
;nterie  ,  qu'elle  fe  trouva  par-tout 

portée  de  réparer  les  défavanta- 
es  qui  arrivèrent  à  la  cavalerie  ; 
:  les  divers  pelotons  d'Anglois  , 
ui  étoient  entre  nos  efcadrons , 
rent  un  (i  grand  feu  fur  les  cui- 
ifïïers  de  l'Empereur  ,  qu'ils  les 
mpêcherent  de  pafTer  outre  ;  fi 
Rij 


^§8  Histoire  du  Vicomte 
A  *  m  é  £  bien  que  ,  nos  efcadrons  s'étant  ral- 
l67\      liés,  &  le    Vicomte  de  Turenne 
s'étant  mis  à  la  tête  avec  tous  les 
Officiers-Généraux  ,  ils  fondirent , 
l'épée  à  la  main  ,  fur  les  ennemis , 
&  chargèrent  avec  les  cavaliers, 
Tous  les    eicadrons  fe    mêlerem 
dans  cette   charge ,  &:  notre    ca 
Valérie  rompit    prefque    les  cul 
rafliers  qui  étoient  devant  elle,  ij 
efl  vrai ,  que ,  comme  l'efpace  01  ; 
elle  pouvoit  être  foutenue  par  l'in-  ! 
fanterie  étoit  fort  étroit ,  ceux  qu  | 
vouloient  aller  en  avant  pour  ga  i 
gner  du   terrein  ,  non  -  feulemen  I 
n'en  étoient  plus  fe  courus ,  mai  i 
même  fe  trouvoient  infenfiblemen 
enveloppés  par  le  grand  front  de 
ennemis  ;  &  que  quelques-uns  d< 
nos  efcadrons  ,  s'étant   ainfi  troj 
avancés ,  furent    aufli  -  tôt  pris  er 
flanc  :  mais  ayant  bien-tôt  recon 
nu  la  faute  qu'ils  avoient  faite ,  il 
revinrent  en   diligence    fur  leur 
pas  ;  &  il  n'y  eut  pas  un  feul  de 
efcadrons  qui  furent  aïnfi  chargés 
qui  ne  fe  ralliât  de  lui-même  der 
riere  ceux  qui  n'avoient  point  ét< 


DE   TlJRENNE.  Lîv.  V.     389  ^ 

•ompus.  Le  grand  feu  que  nous  A  v  v  à  M 
aifions  de  derrière  la  haie  ,  étoit  1674. 
:aufe  que  les  ennemis  n'ofoient 
>as  feulement  tâter  notre  aile  gau- 
:he  ,  qui  étoit  de  ce  côté  là  :  ils 
éuniffoient  tous  leurs  efforts  con- 
re  notre  droite ,  &  ils  l'auroient 
teut-être  fait  plier  à  la  fin  ,  fi  le 
/icomte  de  Turenne  ne  l'eût 
►romptement  fortifiée  de  quelques 
fcadrons  qu'il  tira  de  la  gauche, 

1  ne  fe  contentoit  pas  d'aller  par- 
ai les  rangs  pour  encourager  fes 
roupes  de  la  voix  &  du  gefle  ;  il 
es  animoit  par  fon  exemple ,  en  ne 

2  ménageant  pas  plus  que  le  moin- 
Ire  foldat.  Il  fe  trouvoit  par-tout , 
lonnant  fes  ordres  avec  toute  la 
ranquillité  poflible.  Il  fe  mêla  dix 
bis  avec  les  ennemis  l'épée  à  la 
nain;  &  il  fut  plus  d'une  demi-heu- 
e  au  milieu  des  cuirafïi  ers  de  l'Em- 
pereur. 

Le  Duc  de  Lorraine  &  le  Comte    Comïnua- 
Daprara  n'en  faifoient  pas  moins:  "on.nde  ja 

|>     S/  «ni  Ar        1       1  Bataille      de 

x  s  étant  mis  a  la   tête    de  leur  sintsheim, 
trmée  avec  tous  les  Officiers-Gé- 
léraux ,  le   combat  devint  beau-, 
R  iij 


39°  Histoire  du  Vicomte 

a  n  w  é  e  coup  plus  terrible  qu'il  ne  l'avoif 
**74.  encore  été.  Il  n'y  eut  point  d'ef- 
cadron  qui  ne  chargeât  quatre  ou 
cinq  fois.  Les  étendarts  6c  les  dra- 
peaux furent  pris  &  repris  des 
deux  côtés.  Le  Marquis  de  Mont- 
gon  portoit  la  cornette  blanche  : 
la  lance  de  fa  cornette  ayant  été 
caffée  en  trois  morceaux ,  par  deux 
coups  de  fabre  ôt  un  coup  de  pif 
tolet ,  il  effuya  le  feu  de  deux  ba- 
taillons pour  ramaffer  cette  cor 
nette  ;  &  il  eût  encore  fon  épét 
caffée  d'un  fécond  coup  de  pifto 
let.  Nos  autres  Officiers  firent  éga- 
lement paroîtrc  leur  conduite  & 
leur  courage  dans  les  diverfes  ren- 
contres qui  fe  préfenterent.  La 
pouffiere  étoit  fi  grande  ,  qu'on  ne 
fe  voyoit  prefque  point  ;  &  la  con 
fufion ,  inévitable  dans  ces  fortes 
d'occafions  ,  contribuant  au  carna- 
ge ,  on  s'acharna  tellement ,  que 
l'on  étoit  mêlé  enfemble ,  amis  & 
ennemis ,  quelquefois  fans  fe  con- 
noître ,  ni  pouvoir  rejoindre  ceux 
de  fon  parti  :  le  défordre  étoit  fou- 
vent  égal  de  part  ôc  d'autre.  Les  en- 


beTurenne.  Liv.  V.  391 
lemisfe  rallièrent  jufqu'à  fept  fois ,  a  n  N 
&  rirent  huit  charges  confécutives  ;  l6~^ 
nais  ils  furent  toujours  rompus  & 
epoufTés  :  &  comme  à  chaque 
:harge  ils  perdoient  un  peu  de  ter- 
ein  ?  que  gagnoient  aufTi-tôt  nos 
roupes  ,  nous  étendions  toujours 
le  plus  en  plus  le  front  de  notre 
rmée  ;  de  forte  qu'il  le  trouva 
Lifqu'à  dix-huit  efcadrons  à  notre 
iremiere  ligne  ,  où  il  n'y  en  avoit 
|  u  d'abord  que  cinq  ;  &  que ,  mon- 
mt  toujours  peu-à-peu ,  nous  ar- 
ivâmes  enfin  au-defllis  de  la  mon- 
îgne.  Alors  le  Vicomte  de  Tu- 
enne  marcha  aux  ennemis  avec 
1  première  ligne  ,  réfolu  de  les 
harger  &:  de  les  pouffer  avec  tou- 
e  la  vigueur  pofîible.  Mais  le  Duc 
le  Lorraine  &  le  Comte  Capra- 
à  ,  voyant  le  terrein  que  nous 
vions  gagné  fur  eux ,  ne  jugèrent 
>as  à  propos  de  nous  attendre  ;  & 
rofitant  de  l'avantage  de  la  pouf- 
iere,  qui  nous  empêchoit  de  les 
'oir  bien  diftin&ement ,  ils  firent 
pprocher  peu-à-peu  leur  armée 
lu  bois  qui  étoit  derrière  eux  , 
R  iv 


.  392  Histoire  du  Vicomte 

A  N  N  é  E  &  où  tous  les  ennemis  fe  jetterent 
i^74«      pêle-mêle ,  pour  fe  retirer  du  cô- 
té  d'Heidelberg  ;  faifant    couvrii 
leur   retraite  par   quelques   efca- 
drons ,  qui  ,  après  avoir  fait  une 
affez  légère  charge  à  l'arriere-gar 
de ,  les  fuivirent  auffi-tôt  ,    &  f< 
retirèrent  avec  eux.  Le    Vicomte 
de  Turenne  ayantreconnu  les  bord: 
du  bois  &  l'entrée  des  routes ,  f< 
jetta  dedans   avec   toute  fon  ar; 
mée.  On  y  trouva  les  équipage  | 
des  ennemis ,  &  leurs  bleffés ,  qu'or  • 
prit  avec  les  traîneurs.  On  paiTij 
le  bois,  qui  avoit  une  demi-lieu*' 
j  de  largeur.  On  fuivit  les  ennemi  ■• 

plus  d'une  heure  dans  la  plaine . 
jufqu'à  une  autre  bois ,  où  ils  en- 
trèrent ,  &  où  ils  continuer  en 
leur  retraite.  Mais ,  comme  ils  pri 
rent  diverfes  routes  qui  nous  étoiem 
inconnues  ,  &  que  d'ailleurs  noî 
troupes  étoient  extrêmement  fati 
guées  d'une  marche  continuelle 
pendant  quatre  jours  &  quatre  nuits. 
à  la  fin  de  laquelle  un  combat  £ 
opiniâtre  avoit  achevé  de  les  épui- 
ier  ;  le  Vicomte  de  Turenne  k 


DE  TURENNE.   LÎV.   V.   393  

contenta  de  faire  pourfuivre  les  Ann  -s 
ennemis  jufqu'au  Necker,  par  le  167* 
Marquis  de  Renti,  à  qui  il  donna 
un  corps  de  cavalerie  ;  &  il  campa 
entre  les  deux  bois ,  avec  le  refte 
de  fon  armée.  Cette  retraite  fe 
fit  avec  tant  de  frayeur  de  la  part 
des  ennemis ,  que  plufieurs  ne  fe 
croyant  pas  en  fureté ,  après  avoir 
pane  le  Necker  à  Heidelberg ,  fi- 
rent encore  plus  de  feize  lieues  par- 
de-là ,  &ne  s'arrêtèrent  point,  qu'ils 
ne  fufTent  arrivés  à  Francfort. 

La  bataille  ,  avec  les  a&ions  qui  Tués  &  Méf- 
ia précédèrent ,  dura  depuis  trois  ^U^1  * 
heures  du  matin ,  jufqu'à  cinq  heu- 
res du  foir.  Nous  y  perdîmes  les 
1;  Sieurs  de  Coulanges  &  de  Roche- 
I  fort ,  tous  deux  Meflres  de  Camp  , 
I  près  de  cent  quatre  vingt  Officiers 
I  (ubalternes ,  &  environ  onze  cens 
Ifoldats  qui   furent  tués.  Le  Mar- 
1  quis  de  Saint-Abre  ,  le  Sieur  de  Sil- 
\  lery ,  &  le  Sieur  de  Beauvezé  y  fu- 
irent bleffés  à  mort  :1e  Chevalier 
de  Bouillon,  le  ( .  omte  de  la  Marck, 
■  les  Marquis  d'Aubeterre  &  de  la 
I  Salle  j  &  la  plus  grande  partie  des 

R  v 


394  HisfoiRE  du  Vicomte 
Officiers  fubalternes  y  furent  aufïi 
bleffés ,  mais  moins  dangereufe- 
ment.  Il  demeura  ,  du  côté  des 
ennemis ,  plus  de  deux  mille  morts 
fur  le  champ  de  bataille ,  fans  les 
bleffés  :  on  fit  cinq  ou  fix  cens  pri- 
fonniers  ;  on  prit  plufieurs  dra- 
peaux ,  étendarts  &  timbales ,  & 
quarante  charriots  chargés  de  ba- 
gages. Le  Vicomte  de  Turenne 
mit  tout  le  Palatinat  a  contribu- 
tion :  il  fit  donner  des  Vivres  en 
abondance  à  fes  troupes  haraffées  ; 
&  pour  les  remettre  entièrement 
de  leurs  fatigues  ,  il  les  ramena  au- 
delà  du  Rhin  ,  ou  étoient  les  équi- 
pages de  l'armée. 

La  France ,  pour  confacrer  à  la 
poftérité  la  mémoire  d'une  expédi- 
tion fi  prompte  &  û  vive,  fit  frap- 
per la  Médaille.  N°.  12. 

On  voit  une  Foudre  ailée.  Les  mots  : 
de  la  Légende  :  Vis  &  Cehritas  ,  fi- 
gnifient  :  Vigueur  &  Vîteffe  ;  &  l'E- 
xergue :  Pugna  ad  Sint^hemium  , 
M.  DC.  LXXIV.  Bataille  de 
Sintyheim  i€j4> 

Depuis  cette  bataille  ;  les  çnne- 


DE  TURENNE.  LlV.    V.    395 


mis ,  qui  avoient  été  difperfés  dans  k  N  v  é  s 
leur  retraite ,  s' étoient  raffemblésau-      ^74- 
delà  duNecker,  oùleDucdeBour-    Turrc.nner 

,     , 7    .     .       19  ,       T        pouiTuic     les 

nonville,  General  de  1  armée  lm~ennemis  juf- 
périale ,  le's  avoit  enfin  joints  avec  iu'au  Mein* 
un  corps  de  huit  mille  hommes.  Ils 
n'ofoient  néanmoins  tenir  la  cam- 
pagne ,  &  ils  fe  retranchoient  dans 
leur  camp ,  où  ils  étoient  réfolus  de 
demeurer  en  attendant  les  troupes 
des  cercles ,  des  Princes  &  des  Etats 
de  l'Empire  ,  qui  venoient  les  join- 
dre. Mais  le  Vicomte  de  Turenne , 
qui  vouloit  encore  les  combattre 
avant  cette  féconde  jonction ,  ayant 
fait  fuffifamment  rafraîchir  fon  ar- 
mée ,  qui  venoit  d'être  renforcée  de 
quinze  cens  chevaux,  &  de  l'infan- 
terie qu'il  avoit  à  Hochfelt ,  paffa  en- 
core une  fois  le  Rhin  à  Philisbourg  , 
fans  emmener  de  bagages  avec  lui , 
afin  de  pouvoir  aller  plus  vite  :  il 
marcha  trois  jours  &  trois  nuits ,  & 
arriva  au  Necker.  Les  ennemis 
étoient  campés  au-delà  de  ce  fleuve , 
près  de  Ladembourg,  petite  Ville 
entre  Heidelberg  &  Manheim  ;  ils 
étoient  retranchés  dans  l'endroit 
R  vi 


NEE 


395  Histoire  du  Vicomte 
qu'ils  occupoient ,  &  ils  l'a  voient 
fortifié  par  tous  les  ouvrages  qui 
peuvent  affurer  un  camp.  Ils  avoient 
devant  eux  le  Necker ,  qui  les  cou- 
vroit;  ils  en  avoient  palhTadé  les 
bords ,  ils  y  avoient  dreffés  des  bat- 
teries de  canon ,  &  ils  avoient  pris 
toutes  les  précautions  néceffaires  > 
pour  nous  en  difputer  le  paffage. 
Leur  armée  étoit  de  treize  à  quator- 
ze mille  hommes,  &  la  nôtre  n'étoit 
que  de  dix  à  onze  mille  :  néanmoins 
le  Vicomte  de  Turenne,  ayant  réfolu 
de  les  aller  attaquer,  borda  le  Nec- 
ker de  fon  canon  à  Wiblinghen ,  où 
il  vouloit  paffer ,  &t  y  fit  faire  un  pont 
fous  le  feu  de  fon  artillerie  :mais  à 
peine  ce  pont  et  oit-il  commencé , 
que  les  ennemis  abandonnèrent  leur 
camp  &  leurs  retranchemens ,  & 
fe  retirèrent  vers  le  Mein  ,  du  côté 
de  Francfort.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne  détacha  après  eux  le  Comte 
de  Roye  avec  un  corps  de  cavale- 
rie j  lui  ordonnant  de  les  charger  fi- 
tôt  qu'il  feroit  à  portée  pour  les  ar- 
rêter ,  &  lui  donner  le  tems  d'arri- 
ver avec  le  refte  de  l'armée ,  à  la- 


X    H    ES 


DE  TURENNE.  LiV.  V.    397 
quelle  il  fit  prompement  paffer  le 
Nfecker ,  moitié  à  gué  ,  moitié  fur  "  1074 
Ton  pont.  Jamais  troupes  ne  mar- 
ièrent avec  plus  d'ardeur  à  l'en- 
lemi  que  les  nôtres  :  quelque  dili- 
gence que  fit  la  cavalerie ,  l'infan- 
:erie  la  joignit  à  tous  les  défilés, 
Mais  les  ennemis  avoient  tellement 
peur  que  nous  ne  tombafîions  fur 
mx,  qu'ils  firent  quatorze  lieues 
out  d'une  traite  :  ils  étoient  déjà 
tu-delà  de  Zwinghenberg ,  lorfque 
e  Comte  de  Roye  commença  à 
:harger  leur  arrière  -  garde  ;  &  le 
Vicomte  de  Turenne  y  étant  arri- 
vé bientôt  après  avec  toute  l'ar- 
j  née ,  la  frayeur  faifit  tellement  les 
i  ennemis  à  notre  approche ,  qu'ils  fe 
j  iébarrafferentde  tout  ce  qui  les  pou- 
yoit  incommoder  ,  pour  fuir  avec 
plus  de  précipitation.  Toute  leur 
(route  étoit  femée  de  cuiraffes  & 
!  d'autres  fortes  d'armes  :  ils  biffèrent 
derrière  eux  beaucoup  d'hommes  & 
de  chevaux  fatigués,  que  nous  prî- 
imes ,  &  on  les  pouffa  enfin  fi  vive- 
ment ,  que  l'infanterie  s'étant  dé- 
bandée à  droite  &  à  gauche  dans  les 


398  Histoire  du  Vicomte 

A  n  n  t  e  montagnes  &  dans  les  bois ,  il  ne 
**74-  s'en  retira  pas  quatre  cens  hommes 
enfemble  ;  &  que  leur  cavalerie  ne; 
s'arrêta  point,  qu'elle  ne  fût  derriè- 
re Francfort  ,  au-delà  du  Mein,. 
Nous  les  fuivîmes  jufques  fur  les 
bords  de  ce  fleuve  ;  nous  prîmes 
les  principaux  Officiers  qui  étoient 
à  l'arriere-garde  ,  &  un  grand  nom- 
bre de  foldats  ,  ûx  pièces  de  ca  i 
non ,  &  une  partie  du  bagage  & 
ée  fut  pour  immortalifer  cette  dé 
route  qu'on  frappalamédaille  n°.  1 3 
On  y  voit  un  homme  à  cheval ,  qu: 
tient  un  étendart  aux  armes  d( 
France  ,  &  qui  court  à  toutes  jam- 
bes après  les  ennemis.  Derrière  efl 
le  fleuve  du  Necker.  La  Légende 
Germants  iierùm  fujis  ,  fignifîe  :  La 
Allemands  défaits  une  féconde  fois  : 
l'Exergue  ;  ad  Nicrum  M.  DC. 
LXXIV.   Sur  les  bords  du  Necker, 

Par  cette  fuite  des  ennemis ,  lei 
Vicomte  de  Turenne  fe  trouvant 
maître  du  Palatinat ,  y  fît  vivre  fes 
troupes  à  difcrétion  ,  ôt  fon  ar- 
mée ,  en  quatre  ou  cinq  campe- 


N    H    E    S 


DE  TURENNE.  Liv.  V,  599 
liens ,  qui  durèrent  près  d'un  mois, 
pnfuma  tous  les  fourages  &C  tou-  i674 
îs  les  moiffons  de  ce  pays,  de  ma- 
iere  qu'il  eût  été  impoflible  à  au- 
in  corps  de  troupes  d'y  lubrifier, 
a  plupart  des  payf  ans  du  Palatinat , 
épouillés  de  toutes  chofes,  furent 
bligés  d'abandonner  leurs  maifons 
:  de  fortir  du  pays  :  mais  il  n'y  eut 
>rtes  de  cruautés  qu'ils  ne  fiflent 
mrTrir  à  ceux  de  nos  foldats  qu'ils 
tirent  prendre ,  pour  fe  venger  de 
extrémité  où  nous  les  réduirions: 
s  en  pendirent  quelques-uns  la  tê- 
:  en  bas,  &les  rirent  brûler  à  petit 
ru ,  ou  les  lahTerent  ainfi  mourir 
ms  les  étrangler  ;  ils  arrachèrent 
5  cœur  &  les  entrailles  à  quelques 
Litres  encore  en  vie ,  èc  leur  cré- 
èrent les  yeux  ;  &  après  les  avoir 
3us  marTacrés  ou  mutilés  avec 
1  cruauté  la  plus  barbare  ,  ils  les 
xpoferent  en  cet  état  fur  les  grands 
hemins.  Notre  armée  eut  ce  trif- 
e  fpe&acle  en  plufieurs  endroits 
ie  fa  marche  ;  6c  les  Anglois  9 
yant  trouvé  les  corps  de  quel- 
[ues-uns  de  leurs  camarades  ainfi 


4°°  Histoire  du  Vicomte 

Année  miférablement  tronqués ,  cette  bar- 
x*74-      barie   les   outra    de   telle  forte 
qu'ils  allèrent  comme  des  furieux 
le  flambeau  à  la  main ,  mettre  il 
feu   par-tout  aux    environs  ,   cj 
brûlèrent  quantité  de   Bourgs  £1 
de  Villages,  &  même  quelques pe; 
tites  Villes,  dont  les  habitans  ru 
rent  contraints  de   s'aller   établi 
dans  d'autres  Etats.  L'Ele&eur  P« 
latin  voyant  fon  pays  ainfi  dépeij 
plé  &  ravagé  ,  étoit  au  défefpoi 
de  n'avoir  pas  accepté  la  neutn 
lité  que  nous  lui  avions  offerte 
Irrité  de  la  défolation  de  fes  Etats 
n'ayant  point  d'armée  pour  s'e; 
venger,  &  ne  fçachant  à  qui  s'e;| 
prendre  ,  il  envoya  faire  un  appel 
au  Vicomte  de  Turenne  ,  et  luj 
écrivit  une  lettre  ,  par  laquelle  il 
lui  mandoit  qu'il  le  vouloit  voi: 
l'épée  à  la  main  dans  un  combat  par 
ticulier.  Comme  cette  lettre  lu 
fut  apportée  devant  tout  le  mon 
de  par  un  trompette ,  il  la  lut  er 
préfence  de  quelques  Officiers  qu 
étoient   avec  lui  :  mais  il   n'eui 
pas  plutôt  vu  ce  qu'elle  conte- 


DE  TURENNE.  Liv.   V.    4OI  ___^ 
îoit  ,  qu'il  fut  très-fâché  de  l'a-  7TT7* 
koir  lue  publiquement ,  par  confi-      1674. 
lération  pour  l'Ele&eur  Palatin ,  à 
I  réputation  duquel  il  craignit  que 
:ette  lettre  ne  fit  beaucoup    de 
prt  ;  car  cet  Electeur  paflbit  pour 

1  Prince  de  tout  l'Empire  qui  a- 
l'oit  le  plus  d'efprit  ;  &  le  Vicom- 

2  de  Turenne ,  jugeant  bien  qu'il 
e  feroit  pas  long-tems  à  fe  repen- 
r  de  l'appel  qu'il  lui  avoit  fait 
lire ,  auroit  bien  voulu  ménager 
honneur  de  ce  Prince  :  en  effet ,  il 
'eut  pas  plutôt  lu  la  réponfe  plei- 
e  de  fageffe  que  lui  fit  le  Vicom- 
î  de  Turenne  ,  qu'il  demeura  con- 
as  de  ce  que  la  pafïion  lui  avoit  fait 
lire.  Le  Vicomte  de  Turenne  ne 
oulut  donner  à  qui  que  ce  foit 

opie   de    cette  lettre  ;    &  il  ne    Lettre  du 
►envoya  même  au  Roi  ,  qu'après  g^Jg    * 
l[ii'il  lui  eut  promis  qu'il  ne  la  fe-  i9  Août  ,  i 
doit  voir  à  perfonne.  Il  fit  un  châ-  Vetf*lllcs» 
:  iment  exemplaire  de  ceux  qui  a- 
"oient  été  les  auteurs  des  incen- 
ties  ;  &  comme  c'étoient  la  plu- 
>art  de  fort  braves  gens ,  il  ne  put  les 
:ondamner  à  la  mort  fans  fe  faire 


402  Histoire  du  Vicomte 

Année  une  extrême  violence  ;  ce  que  tout 
1<f?4.  le  monde  remarquant ,  il  fut  tou- 
jours regardé  comme  le  père  des 
lo.ldats  ,  lors  même  qu'il  les  faifoil 
punir  fuivant  toute  la  rigueur  de» 
Ordonnances. 
Ses  foins  Pa       ^ii  refte     après  avoir  confum*  : 

ternis    pour-         'r  QL 

fesfoid  ts,&  les  fourages  oc  tout  ce  qui  poiii 
leur  amour  voit  fervir  aux  ennemis  dans  kl 
pour  uu  partie  du  Palatinat  qui  eft  à  1; 
droite  du  Rhin  ,  il  revint  dans  cell<  i 
qui  eft  à  la  gauche ,  pour  y  en  fair<  i 
autant,  i  e  fut  là  que  la  dyfîente  I 
rie  s'étant  mife  dans  fon  armée  I 
on  reconnut ,  encore  mieux  qu'ei  | 
aucune  autre  occafion  ,  jufqu'oii 
s'étendoit  fa  bonté  pour  les  trou  i 
pes  ;  car  le  meilleur  père  ne  f 
donna  jamais  plus  de  môuvemen  | 
&  de  foins  pour  la  gtiérifon  dn 
{es  enfans  ,  qu'il  s'en  donna  pou  i 
celle  de  fes  foldats.  Aufîi  étoient-  ', 
ils  pleins  d'amour  &  de  vénérai 
tion  pour  lui.  Ils  n'avoient  null< 
inquiétude  ,  pourvu  qu'ils  fçuffen 
qu'il  étoit  en  bonne  fanté  ;  mai: 
le  travail  6c  les  fatigues  continuel 
les  qu'il  avoit  à  foutenir  >  leur  fai- 


N    N    £    E 


deTurenne.  Liv.  V,  403 
oient  craindre  qu'il  ne  vînt  enfin  a 

y  fuccomber.  S'ils  étoient  feule-  l674« 
uent  une  demi-journée  fans  le  voir , 
s  couroient  à  fa  tente  ,  pour  ap- 
rendre  de  (es  nouvelles  :  quand  il 
affoit  à  la  tête  du  camp  ,  ils  for- 
ment de  leurs  baraques  ou  de  leurs 
inonieres  ,  comme  s'il  y  a  voit  eu 
>ng-tems  qu'ils  ne  l'euffent  vu, 
:  on  les  entendoit  fe  dire  les  uns 
ix  autres  :  Notre  père  fe  porte  bien  , 
>us  n  avons  rien  à  craindre.  Il  ne 

paffoit  gueres  de  jours  qu'il  ne 
s  vît  tous;  il  les  faluoit  &  leur 
irloit  avec  une  noble  familiarité , 
;il  prenoit  plaifir  à  voir  combien 

en  étoit  aimé. 

Cependant  ,   l'armée  de  l'Em-    ii.obiîgefc 
îreur  &  de  fes  confédérés  avoit  mjJJele  R^i 
jointe  par  les  troupes  des  Cer-  de  k  ,aiffec 
es  de  l'Empire ,  &  par  celles  de  en  AJfacc* 
ell ,  de  Volfembutel ,  de  Saxe , 
I  Heffe  ,  de  Munfter  ,  de  Trêves 
:de  Cologne;  &c  comme  il  fem- 
oit  que   cette  multitude  d'enne- 
iis  alloit  inonder  tout  ce  Royau- 
té ,  le  marquis  de  Louvois  manda 

Vicomte  de  Turenne  d'aban- 


404  Histoire  du  Vicomte 

n  n  é  e  donner  au  plutôt  l'Alface ,  &  de  f  ; 

i*77.      retirer  fous  Nancy  ,  pour  fauve 
l'armée  du  Roi ,  &  défendre  ,  s': 
étoit  pofîible  ,  la  Lorraine  :  à  que 
le  Vicomte  de  Turenne  répond: 
que  le  danger  ne  preffoit  pas  fi  fort 
&  qu'il  efpéroit  pouvoir  conferve 
la  Lorraine  ,  fans  être  obligé ,  pou 
cela  ,    d'abandonner   l'Alface.  Ll 
Marquis  de  Louvois  écrivit  une  f<| 
conde  lettre  au  Vicomte  de  Tt 
renne ,  par  laquelle  il  lui  mandor 
que  le  Duc  de  Lorraine  prétendo 
pénétrer    dans  fes   Etats ,  par 
moyen   des  intelligences   qu'il 
avoit  pratiquées  ;  &  que ,  s'il  n 
quittoit  promptement  l'Alface  poi 
venir  couvrir  la  Lorraine ,  ces  deu 
Provinces  feroient  bientôt  perdu* 
pour  la  France.  Et  comme  le  Y 
comte  de  Turenne  perliftoit  ce 
pendant  à  demeurer  tur  les  bord1 
du  Rhin  ,  le  Roi  lui  écrivit  lui-mi1 
me  ,  en  lui  envoyant  ordre  de  f 
retirer  en  Lorraine.   Il  lui  man1 
doit  que  ,  comme  Philisbourg  6' 
Brifach  étoient  à  nous ,  il  trouvoi 
qu'il  n'y  auroit  pas  grand  incofi 


DE  TuRENNE.  Liv.  V.    405    

énient  à  abandonner  l'Alface ,  qu'il  a  h  h  é  s 
'y  avoit  qu'à  rafer  Neuftat ,  Lan-      x674% 
au  ,   WehTembourg  6i  quelques 
litres  Places  de  cette  Province;  & 
u'après  cela  les  ennemis  auroient 
ien  de  la  peine  à  s'y  établir  8t  à 
prendre  des  quartiers.  Le    Vi- 
omte    de   Turenne   répondit  au 
Loi ,  que  ,    fi  par  fa    retraite  il 
bandonnoit  l'Alface  aux  ennemis , 
I  yant  Strasbourg  derrière  eux ,  ils 
emeureroient  dans  cette  Provin- 
?  tant  qu'il  leur  plairoit  ;  que  de 
ils  poufTeroient  la  guerre  à  leur 
ré  en  Franche  Comté  ,   en  Lor- 
irne  ,  &  même  en  Champagne  ; 
u'ils  feroient  maîtres  de  tout,  dé- 
nis Mayence  julqu'à  Baie ,  c'eft- 
-dire  ,  d'une  étendue  de  pays  ca- 
able  de  faire  fubfnter  cent  mille 
ommes   durant  tout  un  hiver  ; 
lue    bientôt  nous  n'aurions    pas 
iiême    de    nouvelles    de    Philif- 
purg  ni  de  Brifach  ,  n'ayant  plus 
iicune  communication  avec   ces 
jeux  Villes  ;  que  rien  ne  décrie 
(lus  que  de  rafer  des  Places ,  puif- 
u'on  fait  voir  par-là  qu'on  n'a  pas 


406  Histoire  du  Vicomte 
A  »  N  é  i  même  l'efpérance  d'y  pouvoir  ja 
1*74.      mais  retourner,  que  d'ailleurs  ce 
Places    rafées   n'empêchent  pok. 
qu'on  ne  s'établhTe  dans  un  pays- 
&  que  des  palifîades   qu'on  peu 
mettre  en  un  jour  font  tout  auf: 
bonnes  que  des  murailles  pour  d( 
quartiers  d'hiver.   Le  Roi  fut  û 
tisfait  de  cette  réponfe  ,   6c  nu  1 
fifta  pas  davantage    fur  cela,   il 
Vicomte  de  Turenne  ayant  dorj 
obtenu  la  permifïion  de  ne  poijj 
abandonner  l'Alface  ,  il  fe  propxj 
fa ,  non-feulement  de  défendre  ce 
te  Province  ,  mais  encore  d'empi 
cher  que  les  ennemis  ne  paffarTei  i 
le  Rhin.  Il  n'y  avoit  point  de  poii 
fur  ce   fleuve    depuis   Strasboui 
jufqu'à   Mayence  ;  nous  nous  t<| 
nions  afîiirés  de  ces  deux  pont* 
fur  la  foi  de  la  neutralité  que  FI 
le£teur  de  Mayence  &c  les  Magî 
trats    de   Strasbourg  avoient  pr< 
mis  de  garder.  Il  efl  vrai  que  1< 
ennemis   pouvoient   en  jetîer  1 
entre  ces  deux    Villes  ;   mais 
Vicomte  de  T«renne  fe  pofta  c 
manière,  qu'il  étoit à  portée  del< 


N     N    E    S 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  4O7 
'n  empêcher ,  en  quelque  endroit  ^ 
[ii'ils  entreprirent  de  le  faire.  En  1*74 
îffet  après  qu'ils  eurent  long-tems 
narché  fur  les  bords  du  Rhin ,  fans 
voir  ofé  y  faire  un  pont  en  pré- 
mce  du  Vicomte  de  Turenne,  qui 
I  montroit  par-tout  où  ils  paroif- 
l^ient  ,  ils  abandonnèrent  cette 
ntreprife  ,  &  étant  defcendus  du 
ôté  de  Mayence  ,  ils  firent  fi  bien 
ue  l'Electeur  de  cette  ville  leur 
vra  fon  pont ,  fur  lequel  ils  firent 
affer  la  meilleure  partie  de  leur 
-mée ,  &c  le  refte  fur  des  ponts 
olans  qu'ils  jetterent  au~defïbus. 

cette  nouvelle  le  Marquis  de 
ou  vois  crut  être  en  droit  de  te 
iaindre  de  ce  que  l'Etat  étoit 
ins  un  très-grand  danger ,  parce- 
a'on  a  voit  trop  déféré  au  fenti- 
ent  du  Vicomte  de  Turenne  ;  &c 
fant  fortement  remontré  dans  le 
onfeil  9  combien  iljétoit  important 
î  fe  retirer  dans  les  paffages  de 

Lorraine  ,  le  Roi  envoya  des 
rdres  fi  prefTans  de  le  faire  ,  que 
le  Vicomte  de  Tiirenne  n'avoit 
as  eu  tant  de  zèle   qu'il  en  a- 


___  4°8  Histoire  du  Vicomte 

Année  voit  pour  fon  fervice  ,  il  n'auroii 
ltf74.  pas  différé  un  moment  à  les  exé- 
cuter :  mais ,  comme  il  étok  inca 
pable  de  faire  une  chofe  qu'il  la 
voit  être  contraire  au  bien  de  TE 
tat ,  il  demeura  encore  en  Alface 
nonobftant  ces  ordres ,  après  avoi 
toutesfois  écrit  une  Lettre  a 
Roi ,  pour  lui  rendre  raifon  de  ij 
conduite, 

Sesraïfonjà      les  Ennemis ,  dit  il  dans  cet! 

wtegard.      Jettre  ^    quelque    grand   nombre   <| 
troupes  qu'ils  aient  ,    ne  fauro'w 
dans  lafaifon  où  nous  fommes  ,  pe 
fer  à    aucune  autre  entreprije  qu  * 
celle  de  me  faire  Jortir  de  la  Provin  \ 
S>ù  je  fuis  ,  n  ayant  ni  vivres  ,    I 
moyens  pour  pàjfer  en  Lorraine ,  q,  I 
je  ne  fois  chajjé-de  £ 'Alface  :  &  fi 
m9en  allois  de  moi-même  ,  comme  v  I 
tre  Majejlé  me  V ordonne ,  jeftrois  I 
qtfils  auront  peut- être  bien  de  lapei  . 
à  me  faire  faire.  Quand  on  a  un  not 
bre  raifonnable  de  troupes ,  on  ne  qu 
te  pas  un  Pays ,  encore  que  V  ennemi 
ait  beaucoup  davantage  :  &  je  fi  : 
perfuadé  qu9il  vaudroit  mieux  pour  I 
fervice  de  Votrt  Majejlé  que  je  pel 


BE   Tu  RENNE    Liv.   V,   409   ___ 
iijje  une  bataille  ,  que  d'abandonner  a  *  n  *  a 
VAlfacc  &    de  repajjer  les   monta-       1^74» 
\ynes.  Il  finit  cette  Lettre ,  en  offrant 
lie  prendre  tout  fur  lui ,  &:  de  fe 
pharger  des  événemens;  fi  bien  que 
e  Roi ,  fatisfait  de  fes  raifons ,  6c  fe 
confiant   d'ailleurs   à  la    capacité 
:k  à  l'expérience  du  Vicomte  de 
ITurenne ,  lui   envoya  cinq  à  fix 
nille  hommes  de  renfort  ,  &  le 
aiffa  maître  de  faire  ce  qu'il  vou- 
llroit. 

Le  Vicomte  de  Turenne  ayant I!  s'y  fo"îfie« 
tinfi  obtenu  une  féconde  fois   la 
îermifTion    de  défendre  l'Al&ce, 
:omme  les  ennemis  ne  pouvoient 
1  venir  que  du  côté  de  Landau  y 
1  prit  le  parti  de  s'aller  mettre  fur 
eur  paffage  auprès  de  cette  Ville  ; 
k  ayant  trouvé  un  porte  avan- 
:ageux  ,  d'où  il  pouvoit  également 
te  porter  au  Rhin  ou  à  la  monta- 
gne ,  il  y  établit  fon  camp  ;  il  y 
ÎSt  faire  des  retranchemens  ;  il  y 
ifit  apporter  tous  les  fourrages  des 
1  Places  qui  étoient  aux  environs  , 
î&  il  réfolut  d'y  attendre  les  enne- 
imis, 

S 


410  Histoire  du  Vicomte 

^  m  N  i  E      Le  Duc  de  Bournonville  &  les 

1*74.  f  autres    Généraux    qui     comman- 

Le$  i^Pe"  Soient  les  troupes  de  l'Empereur 

«aux  n  olenc  r    .  1 

l'y  atcaquer.  &  celles  de  1  Empire ,  crurent  qu  il< 
n'avoient  qu'à  s'avancer  vers  le  Vi- 
comte de  Turenne ,  &:  qu'à  la  pre 
miere  ou  féconde  marche  ,  il  f< 
retireroit  aufïi-tôt  en  Lorraine  ,  01 
il  reculeroit  du  moins  jufqu'à  Sa 
verne.  Ils  firent  donc  marcher  ver  | 
lui  toute  leur  armée  dans  cett 
confiance  ;  mais  ils  furent  biei 
furpris  lorfqu'ils  virent  qu'il  le 
attendoit  de  pied  ferme.  Ils  vin 
rent  jufqu'à  Spire ,  d'où  ils  envoie 
rent  reconnoître  fon  camp.  Il 
avoient  cinquante  mille  hommes 
&  il  n'en  avoit  que  feize  à  dix 
fept  mille.  Néanmoins  ,  ayant  vi 
l'avantage  du  pofte  qu'il  avoi 
choifi ,  &  la  fermeté  avec  laquelL 
il  les  attendoit ,  ils  ne  jugèrent  pa 
à  propos  de  l'attaquer  :  &  aprè 
avoir  extrêmement  pâti  dans  \% 
vêché  de  Spire ,  par  la  difette  di 
fourrage,  qu'ils  étoient  contraint 
d'aller  chercher  à  plus  de  dix  lieue; 
de  leur  camp  ,  ils  repayèrent  enfii 


DE   TURENNE.LV.K    41  ï 

le  Rhin  ,  fans  avoir  feulement  mis  YT7TT 
le  pied  en  Alface.  Ils  délibérèrent  1*74. 
quelque  tems  au-delà  du  Rhin  fur 
la  proportion  qui  leur  fut  faite 
d'afiiéger  Philisbourg.  L'Ele&eur 
Palatin ,  dont  les  Etats  étoient  fort 
incommodés  par  les  courfes  que 
faifoit  la  garnifon  de  cette  Place , 
offrit  de  nourrir  l'armée ,  tant  qu'el- 
le feroit  occupée  à  l'afîiéger  :  mais 
les  Généraux  de  l'armée  Impéria- 
le ne  furent  pas  d'avis  de  faire  ce 
fiége  en  préfence  du  Vicomte  de 
Turenne  ;  6c  cette  entreprife  ayant 
été  abfolument  rejettée  ,  ils  firent 
marcher  leurs  troupes  ,  en  remon- 
tant le  long  du  Rhin  ,  à  travers  le 
Marquifat  de  Dourlach  6c  celui  de 
Bade  ,  dans  le  deffein  de  s'appro- 
cher de  Strasbourg. 

Le  Vicomte  de  Turenne  ,  crai-    11  remonte 
enant  que  les  Magistrats  de  cette  le  Rhin  »  & 
Ville   n  en  uialient  comme  avoit  pêcher  le  par- 
fait i'Ele&eur  de  Mayence ,  remon-  ^  Jusrtra]fc 
ta  aufll  le  long  du  Rhin  de  fon  cô-  bourV 
té ,  envoya  le  Marquis  de  Vaubrun, 
avec  un  corps  de  cavalerie  ,  au- 
près de  Strasbourg ,  &  vint  avec  le 


412    Histoire  du  Vicomte^ 

Année  re^e  de  l'armée  jufqu'à  Lavantze- 
«^74»  naw  ,  qui  n'eft.  qu'à  deux  lieues 
de  cette  Ville  :  mais  ceux  de  Stras- 
bourg ,  voyant  l'armée  ennemie  & 
fupérieure  à  la  nôtre ,  crurent  pou- 
voir impunément  nous  manquer  de 
parole  ,  &  livrèrent  leur  pont  aux 
Impériaux  ,  contre  la  foi  de  la 
neutralité  qu'ils  nous  avoient  pro- 
mife. 
il  fe  réfout  Le  Duc  de  Bournonville  .,  fe 
uUW*  ba"  voyant  maître  du  pont  de  Straf- 
bourg  ,  y  fit  paffer  fon  armée  ,  & 
alla  fe  camper  entre  les  rivières 
d'Ill  &  de  la  Brufch  ,  vers  la  ville 
de  Molsheim  ,  pour  attendre  dans 
ce  pofle  l'Eleâeur  de  Brande- 
bourg |  qui  amenoit  vingt  mille 
hommes ,  ÔC  qui  n'étoit  plus  qu'à 
quelques  journées  de  Strasbourg. 
Mais  le  Vicomte  de  Tnrenne  , 
considérant  les  entreprises  que  les 
ennemis  pourroient  faire  dans  le 
Royaume ,  qui  étoit  tout  ouvert  de 
ce  côté-là ,  lorfqu'un  fi  puiffant 
renfort  les  auroit  joints  ,  réfolut 
de  les  combattre  avant  cette  jonc* 
tion. 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    413 
Pour  cela,  il  décampa  de  La-  A  N  -  .  % 
vantzenaw  à  une  heure  après  mi-      ^?<k 
nuit  ;  &  lailTant  Strasbourg  fur  la 
•; gauche-,   il  fit  prendre  à  fon  ar- 
;mée    la   route    de    Molsheim.   Il 
furvint  une  pluie  qui  dura  pendant 
I toute  la  marche  ;  &    cette   pluie 
ayant  détrempé  la  terre  ,  qui,  en 
ice  pays-là  erlgraffe,  &  qui,  outre 
I  cela ,  étoit  prefque  par-tout  labon- 
jrée,  rendit  les  chemins  extraordi- 
I  nairement    difficiles.  Néanmoins, 
I  le  Vicomte  de  Turenne  ayant  en- 
I  voyé  quelque  tems  auparavant  des 
igens  pour  faire  des  ponts  fur  les 
1  rivières  &  fur  les  ruhTeaux  quil 
ifalloit  palier  ,    &  les  foldats  ne 
(comptant  pour  rien   la  fatigue  , 
] quand  il  s'aghToit  défaire  ce  qu'il 
fouhaitoit  d'eux  ,  l'armée  ne  lahTa  &  va  fc  cam- 
pas d'arriver  à  quatre  heures  après  pe.1  *  Dathf- 
midi   fur   les  hauteurs   de   Holtz- 
heim  ,  affez  près   de  la  ville  de 
Dachflein  ,  qu'elle  avoit  à  fa  droi- 
:te.  Ce  fut  de  cet  endroit  que  l'on 
i  commença   à  découvrir  le  camp 
•des  Impériaux  ,  qui  étoit  derrière 
Ensheim  ,  6c  qui  s'étendoit  le  long 
S  iij 


4M  Histoire  du  Vicomte 

a  w  k  é  £  de  quelques  autres  villages  circoir- 
1674.  voifins.  Le  Vicomte  de  Turenne* 
ayant  réfolu  de  donner  bataille  le 
lendemain  ,  employa  ce  qui  reftoit 
de  jour  à  reconnoître  l'endroit  où 
étoient  les  ennemis ,  &.  la  manière 
dont  ils  étoient  campés» 
x  nn'mSi  *"es  ennem*s  étoient  à  une  lieue 
ittmhSL  de  là.  Pour  aller  à  eux  7  il  falloir 
paffer  la  Brufch  &  le  ruiffeau  de 
Holtzheim  ,  derrière  lequel  étoit 
une  plaine  fort  propre  à  fervir  de 
champ  de  bataille.  Cette  plaine 
étoit  fermée  par  un  grand*  bois  du 
côté  de  Strasbourg  ,  qui  étoit  à  la 
droite  des  ennemis  ;  &  de  l'autre 
côte,  où  étoit  leur  gauche  ,  il  y 
avoit  un  petit  bois  de  mille  pas 
de  long  ,  fur  quatre  ou  cinq  cens  de 
large ,  au-delà  duquel  étoit  le  vil- 
lage d'Ensheim.  Ce  fut  tout  ce  que 
le  Vicomte  de  Turenne  put  re- 
connoître ,  à  caufe  du  peu  de  jour 
qui  refloit  ;  &  comme  il  n'y  avoit 
pas  un  moment  de  tems  à  perdre  , 
pour  exécuter  le  deffein  qu'il  avoit 
formé,  il  fit  auffi-tôt  avancer  des 
dragons ,  pour  fe  faifir  des  ponts 


©E  TURENNE.  LÏV\  K  415  . 

qui  étoient  fur  la  rivière  de  la  a  n  n  é  s 
JBrufch ,  &  fur  le  ruifleau  de  Holtz-  i67^ 
tieim  ,  au  pafTage  defquels  on  eût 
perdu  bien  du  tems ,  fi  les  enne- 
mis avoient  fait  rompre  ces  ponts , 
ou  les  avoient  gardés.  On  y  ût 
paffer  le  canon  &  l'infanterie  ,  &: 
ta  cavalerie  paffa  à  divers  gués. 
On  employa  à  cela  toute  la  nuit  9 
pendant  laquelle  le  Vicomte  de 
Turenne  demeura  toujours  à  che- 
nal. 

Quant  aux  ennemis  ,  fi -tôt  DiTpofitîoi» 
qu'ils  nous  apperçurent ,  ils  furent  <*e  l'armée 
stonnés  de  la  hardiefle  du  Vicom  -  inf,er,a  c* 
:e  de  Turenne  ,  qui  venoitles  cher- 
cher :  plufieurs  de  leurs  Officiers» 
Généraux  opinèrent  pour  la  retrai- 
te ;  mais  les  autres ,  ayant  repré- 
fenté  qu'on  ne  la  pouvoit  plus  fai- 
re en  fureté  ,  appuyèrent  fi  bien 
leur  fentiment  ,  qu'il  fut  réfolu 
qu'on  nous attendroit,  qu'on  pafTe- 
roit  toute  la  nuit  fous  les  armes , 
&  qu'on  l'emploieroit  à  fe  retran- 
cher &  à  prendre  fes  avantages. 
Le  Duc  de  Bournonville  raffembla 
fes  quartiers  aux  environs  de  celui 
S  iv 


416   Histoire  du  Vicomte 

A  n  k  é  e  d'Ensheim  ?  qui  étoit  le  principal , 
i67*>  &  derrière  lequel  il  fît  ranger  fon 
armée  en  bataille.  Il  fit  mettre 
toutes  (es  troupes  fur  deux  li- 
gnes fort  groffes  &  fort  longues , 
avec  un  corps  de  réferve  ,  compo- 
fé  de  tant  de  bataillons  Ôc  d'efca- 
drons  ,  qu'il  pouvoit  bien  être 
compté  pour  une  troifieme  ligne.  Il 
donna  le  commandement  de  l'aîle 
droite  au  Comte  Caprara ,  &  celui 
de  l'aile  gauche  au  Duc  de  Holf- 
tein ,  &  pour  lui ,  il  fe  mit  à  la 
tête  du  corps  de  bataille.  Le 
Duc  de  Lorraine  9  le  Marquis  de 
Bade  ,  ôc  plufieurs  autres  Princes 
&  Souverains  d'Allemagne  ,  qui 
étoient  au  nombre  de  vingt-deux 
dans  cette  armée  ,  y  avoient  le 
commandement  de  leurs  propres 
troupes  ,  mais  avec  fubordination 
aux  Lieutenans  -  Généraux  des  ai- 
les où  leurs  corps  fe  trouvoient 
diflribués.  L'ordre  de  bataille 
ayant  été  ainfi  réglé  ,  le  Duc  de 
Bournonville  fe  faifit  du  petit  bois 
qui  étoit  devant  fa  gauche  ,  &  du 
village  d'Ensheim ,  qui  répondoit 


DE  TU  RENNE.  Llv.  V,   417     

jufqu'au  centre  de  fon  armée  »  &  a  »  a  é  » 
il  envoya  du  canon  dans  l'un  &:  '  i674. 
dans  l'autre ,  avec  de  l'infanterie , 
qui  s'y  retrancha  autant  que  le 
tems  le  put  permettre.  Ainfi  fa 
droite  étoit  aflurée  par  le  granc 
bois ,  qui  couvroit  fon  flanc  du 
côté  de  Strasbourg  ,  &c  par  une 
longue  haie ,  qui  étoit  à  la  tête 
de  la  première  ligne  :  fon  corps 
de  bataille  fe  trouvoit  en  partie  à 
couvert  par  le  village  d'Ensheim  9 
qui  étoit  tout  environné  de  haies  , 
de  folles  ,  6c  de  retranchemens  ; 
ôc  fon  aile  gauche  étoit  en  quel- 
que façon  à  l'abri  de  toutes  fortes 
d'attaques ,  tant  par  un  long  fofie 
bordé  de  groffes  haies  ,  qui  étoit 
au-devant  ,  que  par  le  petit  bois 
qui  la  couvroit ,  &  que  les  Impé- 
riaux pouvoient  foutenir  par  un 
grand  front ,  fans  faire  aucun  mou- 
vement irrégulier ,  puifqu'il  répon- 
doit  au  centre  de  cette  aile.  Il 
avoit ,  outre  cela  ,  à  la  droite  &  à 
la  gauche  ,  des  ridaux  &:  des  ra- 
vins ,  dont  les  Impériaux  profitè- 
rent ;  de  forte  que  leur  infanterie 
S  v 


4i8  Histoire  du  Vicomtf 
a  m  n  ê  i  étoit  logée  fi  à  couvert ,  qu'à  pei- 
i^74«      ne  la  pouvoit-on   voir.  Enfin  ils 
nous  attendoient  dans   des  portes 
fi  avantageux  ,  que  quelque  foible 
qu'eût  été  une  armée  ,  le  Général 
eût  toujours  cru  y  être  hors  d'in- 
fulte.  Les  Impériaux  avoient  pour- 
tant cinquante  mille  hommes, 
pifpofmon      Quoique  le  Vicomte    de  Tu- 

de  1  armée  de  **'\   **    t,  $  r         •     i  i 

France.  ronne  eut  ete  renforce  de  quelques 
Régimens ,  fon  armée  étoit  en- 
core plus  de  la  moitié  plus  foi- 
ble que  la  leur.  Néanmoins ,  con- 
noifTant  la  valeur  de  fes  officiers- 
&  la  confiance  qu  avoient  en  lui  les 
foldats  ,  il  perfifta  dans  le  deffein 
d'attaquer  les  ennemis  ,  malgré 
tous  les  avantages  qu'ils  avoient 
du  coté  du  nombre ,  &  du  côté  du 
porte.  Il  employa  toute  la  nuit  à 
faire  parler  à  fes  troupes  la  riviè- 
re &c  le  ruifleau  ;  &  dès  le  point 
du  jour  ,  il  commença  à  étendre 
fon  armée  dans  la  plaine  ,  &  à  la 
ranger  en  bataille  fur  deux  lignes. 
Il  compofa  la  première  de  dix  ba- 
taillons ,  &  de  vingt-huit  efca- 
drons  9  partagés  également  fur  les 


*   n   i  s 


DE  ÎURENNE.  I/v.  ^.   419 

deux  ailes  ;  &:  la  féconde ,  d'un  pa- 
reil nombre  d'efcadrons  ,  mais  feu-      1*74 
lement  de  huit  bataillons.  Il  mit 
cinq  efcadrons  entre  les  deux  li- 
gnes ,   derrière   l'infanterie    de  la 
première ,  pour  la  foutenir  ;  &  deux 
bataillons  ,  avec  fix  efcadrons  qui 
lui  refloient ,  au  corps  de  réferve. 
[1  entremêla  tous  nos  efcadrons  de 
divers  pelotons  d'infanterie ,  pour 
fecourir  la  cavalerie  dans  le   be- 
foin  :  car  ,  quoique  d'ordinaire  ce 
(bit  la  cavalerie  qui  foutient  l'in- 
fanterie  dans  un  jour   de  batail- 
le,  cependant  ,   comme  il  avoit 
éprouvé  le  contraire  à  la  journée 
I  de  Sintsheim ,  il  crut  devoir  pren- 
dre encore  ici  la  même  précaution. 
Il  mit  à  la  tête  du  corps  de  ba- 
taille le  fieur  Foucault ,  qui  étoit 
Ile  plus  ancien  Lieutenant-Général , 
|  &  fous  lui  le  Comte  d'Hamilton , 
Maréchal  de   camp.  Il  donna  le 
commandement    de   l'aîle   droite 
au  Marquis  de  Vaubrun ,  &  celui 
de  l'aîle    gauche   au    Comte    de 
Lorges ,  tous  deux  Lieutenans-Gé- 
néraux  3  qui  avoient  avec  eux  les 
Svj 


__  420  Histoire  du  Vicomte 

Année  Comtes  de  Roye  &  d'Auvergne 
1^74.  pour  Maréchaux  de  camp.  Cha- 
que brigadier  fervit  à  la  tête  de 
fa  brigade.  Il  y  en  avoit  huit  dans 
les  deux  lignes  ;  à  favoir  ,  les 
fieurs  de  Piloy  &  de  Revellion  ,  le 
Chevalier  d'Humieres ,  Se  les  Mar- 
quis de  Douglas ,  de  Pierrefitte ,  de 
Renty,  de  Puifieux  &  de  Lam- 
berth.  Il  donna  au  Marquis  de 
Montgeorge ,  Meftre  de  camp  de 
cavalerie ,  le  commandement  des 
cinq  efeadrons  ,  qui  étoient  entre 
les  deux  lignes  ;  ôc  celui  du  corps 
de  réferve  au  Marquis  de  Beau- 
pré ,  aufîi  Mettre  de  camp  de  cava- 
lerie. Il  avoit  pour  Aides  de 
camp  le  Chevalier  de  Bouillon, 
Milord  Duras  ,  &  les  Marquis 
d'Harcourt ,  de  Ruvigny  ,  &  de 
Saint-Point.  Il  ne  choiiït  pour  lui-  ; 
même  aucun  porte  particulier ,  afin 
d'être  plus  libre  de  fe  porter  par- 
tout où  fa  préfence  feroit  néceflai- 
re.  Il  parcourut  la  tête  de  la  pre- 
mière ligne ,  Se  fe  fit  voir  aux  trou- 
pes avec  cet  air  de  gaieté ,  qu'il  ia- 
voit  û  bien  prendre  aux  jours  de 


DE  TURENNE,  Llv.  V,   4IÏ  

bataille.  Si-tôt  que  les  Anglois  l'ap-  A  N  N  k  R 
perçurent  ,  ils  pouffèrent  un  cri  de  1674. 
joie  ,  qui  lui  parut  être  de  bon  au- 
gure. Il  donna  quelques  ordres  aux 
Officiers-Généraux  ,  &  il  fit  mar- 
cher fon  armée  vers  celle  des  enne- 
mis. 

Le  petit  bois  qui  étoit  fur  notre  "  Bataille 
roite ,  tut  la  première  choie  qui 
nous  obligea  à  faire  halte.  On  décou- 
vrit deux  troupes  de  cavalerie  au- 
devant  :  on  leur  tira  quelques  vo- 
lées de  canon  ;  &c  ces  deux  trou- 
pes s'enfoncèrent  aufïi-tôt  dans  le 
bois.  Le  Vicomte  de  Turenne  , 
voulant  en  reconnoitre  les  bords , 
>'en  approcha  affez  près  avec  quel- 
ques Officiers  ;  ck  ayant  apperçu 
l'aile  gauche  des  ennemis  ,  qui 
î'avançoit  par  derrière  ,  &C  tour- 
tioit  autour  pour  venir  prendre  en 
flanc  notre  aile  droite  ,  il  tira  au 
plutôt  de  fon  armée  fix  batail- 
lons ,  &  de  la  cavalerie  6c  des 
dragons  à  proportion  ;  6c  il  en  fit 
deux  nouvelles  lignes  ,  qu'il  plaça 
de  manière  qu'avec  les  deux  au- 
tres ,  elles  faifoient  une  efpece  de 


422  Histoire  du  Vicomte 


a  »  n  è  e  potence ,  &  que  non  -  feulement 
**74.  elles  couvroient  tout  le  flanc  dé 
notre  aile  droite  ,  mais  qu'elles 
débordoient  encore  beaucoup  vers 
le  ruiffeau  de  Holtzheim.  Les  en- 
nemis ,  voyant  ce  nouvel  ordre 
dans  la  difpofition  de  notre  ar- 
mée ,  retournèrent  fur  leurs  pas  r 
&  bornèrent  tous  leurs  deffeins  , 
de  ce  côté-là  ,  à  la  défenfe  du  bois , 
dont  ils  s'étoient  failis.  Comme  le 
Vicomte  de  Turenne  ne  pouvoit 
rien  faire  qu'il  ne  fût  maître  de  ce 
bois,  il  le  fit  attaquer  par  un  dé- 
tachement de  dragons,  qu'il  y  en- 
voya fous  les  ordres  du  Chevalier 
de  Boufflers.  Les  ennemis  en 
avoient  embarraffé  les  avenues  de 
notre  côté  par  de  grands  abbatis 
d'arbres.  Ils  avoient  remué  quel- 
ques terres  derrière  ces  abbatis  , 
pour  leur  fervir  de  retranche- 
ra ens  ;  ils  y  avoient  envoyé  trois 
bataillons,  &  ils  y  avoient  mê- 
me deux  pièces  de  canon  chargées 
à  cartouches.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne  fit  auiîi  avancer  quelques 
pièces  de  campagne  vers  cet  en- 


BE  TURENNE.  Z/v.  V. 


N    N     E    S 


roit  Se  fit  foutenir  les  dragons  a 
u  Chevalier  de  Boufflers  par  cinq      l674. 
|ens  Moufquetaires.  On  fe  canona 
uelque  tems  de  part  &  d'autre  , 
t  on  en  vint   enfuite  au  feu  de 
i  moufqueterie ,  qui  fut  afTez  égal ,, 
mt  que  les  ennemis  n'eurent  là 
ue  trois  bataillons  r  mais  comme 
i  Duc  de  Bournonville  détachoit 
iceflamment  des  troupes  fraîches 
our  maintenir  ce  porte  ,  le  Che- 
alier  de  Boufflers  auroit  bientôt 
té  obligé  d'abandonner  l'attaque  ,, 
i  le  Vicomte  de  Turenne  ne  lui- 
voit  aufïï  envoyé  de    nouvelles 
roupes.    Ce    Prince  fit   marcher 
fon  fecours   tous  les  pelotons 
l'infanterie   qui    étoient   dans  les 
atervalles  de  nos  efeadrons.  Avec 
:e  renfort  r  le  Chevalier  de  Bouf- 
lers   redoubla   les    charges.   Les 
ennemis  ,  de  leur  côté  ,  faifoient 
m  très-grand  feu  ;  fi  bien  que  le 
Chevalier  de  Boufflers  ,   défefpé- 
:ant  de  les  chaffer  de  là ,  à  coups  de 
:anon  ou  de  moufquet ,  &  réfolu 
d'y  périr  ,  ou  d'en  venir  à  bout , 
fit  mettre  pied  à  terre  à  fes  dra- 


424  Histoire  du  Vicomte 

a  n  v  i  e  gons  ,  fauta  par-deffus  les  abbatûj 
l*74«  d'arbres ,  monta  fur  les  retranche 
mens  qui  étoient  derrière  ,  chargea  \ 
les  ennemis  l'épée  à  la  main ,  f< 
rendit  maître  de  leur  canon  ,  &j 
les  pouffa  jufqu'à  un  autre  abbaiis 
qu'ils  avoient  fait  plus  loin  ,  &  der 
riere  lequel  ils  avoient  lix  autre: 
pièces  de  canon  encore  chargée 
à  cartouches.  Nos  gens  effuye 
rent  avec  fermeté ,  durant  plus  dt 
trois  heures ,  le  feu  de  ce  canon 
Mais  le  Vicomte  de  Turenne 
voyant  qu'il  étoit  impofïibîe  de 
forcer  les  ennemis  dans  un  parer 
retranchement  ,  fans  un  granc 
corps  d'infanterie  y  y  envoya  tou- 
te celle  des  deux  nouvelles  lignes 
quil  avoit  formées  pour  couvrit 
les  flancs  de  notre  aile  droite.  Les 
ennemis  ,  de  leur  côté ,  y  accouru- 
rent en  foule  ,  &  le  combat  recorn- 1 
mença  tout  de  nouveau.  Une  gran- 
de pluie  qui  furvint  >  fufpendit 
à  la  vérité  y  pour  quelque-tems  , 
l'ardeur  des  attaques  ;  mais  cela 
ne  fervit  qu'à  les  rendre  après  plus 
furieufes  ;  &  il  fe  fit  en  cet  en- 


N    N    K    S 


DE  TURENNE.  Llv.  V.  425 
Iroit  un  û  grand  carnage ,  qu'on 
îe  combattoit  de  part  & -d'autre  1^47 
jue  fur  des  tas  de  corps  morts, 
infin  le  Chevalier  de  Boufïlers  , 
>ar-tout  à  la  tête  des  foldats  ,  les 
mima  fi  bien  par  fon  exemple ,  que 
îous  prîmes  les  fix  autres  pièces 
le  canon  des  ennemis  ,  &  que 
îous  les  pouffâmes  encore  plus 
ivant  dans  le  bois  ,  gagnant  tou- 
ours  du  terrein.  Mais ,  comme  rien 
l'étoit  plus  capital  ,  pour  l'un  & 
autre  parti ,  que  d'être  maître  de 
:e  bois ,  le  Duc  de  Bournonville 
I  envoya  tant  de  monde ,  que  le 
/icomte  de  Turenne  fut  obligé 
l'y  faire  marcher  plufieurs  batail- 
ons  de  fes  deux  autres  lignes  r 
ivec  le  Marquis  de  Vaubrun  ,  8c 
quelques  brigadiers  à  la  tête.  Corn» 
ne  ces  troupes  n'avoient  point 
encore  combattu,  on  recommen- 
ça ,  pour  la  troifieme  fois  ,  un  des 
)lus  fanglans  combats  d'infante- 
rie ,  qui  le  fût.  donné  depuis  long- 
:ems  :  il  fut  foutenu  avec  beaucoup 
îë  valeur  de  part  &  d'autre  ,  &:  le 
.uccès  en  fut  affez  également  ba- 


416  Histoire  du  Vicomte 
XTTTï  lancé  durant  quelques  heures.  Preti 
1*74.  que  tous  les  Officiers  Généraux  yi 
agirent  de  leur  chef,  fe  détermi- 
nant félon  les  occurrences  :  &  peut- 
être  que  jamais  les  Officiers  parti- 
culiers ne  prirent  moins  confeil 
des  Officiers  Généraux  qu'en  cette 
occasion  ;  l'irrégularité  du  champ 
de  bataille  ,  &  l'acharnement  des 
deux  partis  ,  empêchant  qu'on  ne 
pût  ni  donner  ni  recevoir  le* 
ordres  dans  les  formes  accoutu- 
mées. On  combattoit  avec  furie 
dans  tous  les  vuides  du  bois.  L'em- 
barras de  traverfer  ce  bois  ,  qu: 
nous  étoit  inconnu  ,  rendoit  cette 
action  également  difficile  &  péril- 
leufe  pour  nous.  Elle  fut  d'un  dé- 
tail infini ,  ëc  beaucoup  plus  rude 
&  plus  vigoureufe  que  les  deux 
précédentes.  Les  ennemis  pouf- 
lés  fe  retiroient  d'arbre  en  arbre 
ainfi ,  de  dix  pas  en  dix  pas ,  il  fe 
donnoit  un  nouveau  combat.  Cha-i 
cun  cherchoit  un  arbre  pour  fe 
mettre  à  couvert  6c  faire  fa  dé- 
charge avec  avantage.  On  y  com- 
battoit même  en  beaucoup  d'en- 


DE  TURENNE.  Liv.  V.   417 

roits  corps  à  corps.  Le  Vicomte  XTTTI 
e  Turenne  ,  vifitant  fans  relâche  1674» 
ms  les  poftes  ,  faifoit  foutenir 
=ux  qui  étoient  les  plus  preffés, 
ar  des  détachemens  ,  qui  arri- 
oient  toujours  à  propos  ;  6c  voyant 
opiniâtreté  des  ennemis ,  il  crut 
evoir  s'expofer  comme  le  moin- 
:e  foldat ,  dans  une  dernière  char- 
;  où  il  vouloit  faire  une  nou- 
ille tentative.  Son  cheval  y  fut 
efïé  fous  lui ,  &  plufieurs  de  fes 
;ns  y  furent  tués  à  (es  côtés, 
ais  fon  exemple  fit  faire  de  fi 
•ands  efforts  à  {es  troupes  que 
)us  nous  rendîmes  tout-à-fait 
aîtres  du  bois.  Il  eft  vrai  que 
s  ennemis  y  revinrent  une  qua- 
ieme  fois,  un  peu  plus  par  le  der- 
ere  :  mais  les  Anglois  ayant  tail- 
en  pièces  un  de  leurs  bataillons, 
)mme  il  vouloit  entrer  ;  &£  1er 
icomte  de  Turenne  ayant  fait 
tinter  contre  les  ennemis  leur 
ropre  canon  ,  il  les  chaffa  enfin 
îtierement  du  bois ,  ôt  même  de 
aeîques  ridaux  qu'ils  occupoient 
ar-delà ,  &:  les  força  à  chercher 


428  Histoire  du  Vicomte 

.      n  é     un  afyle   derrière    les   retranche! 

i*74.      mens  du  village  d'Ensheim  ,  aprè 

la  défaite  de  prefque  toute  leur  iii 

fanterie. 

Continua-      Pendant   qu'une    bonne    parti 

non  de  cette  j        j  '        r^  '        i» 

aaion.  des  deux  armées  fut  occupée  ,  1 1 
ne  à  attaquer  le  bois  ,  6c  l'autre 
le  défendre  ,  le  reile  des  troup< 
demeura  arTez  long-tems  à  ne  ra 
re  autre  chofe  qu'à  fe  canoner  l 
s'obferver  de  part  &:  d'autre.  Ma 
enfin  ,  le  Duc  de  Bournonville 
voyant  que  rien  ne  lui  avoit  réui 
jufques-là  dans  le  bois  ,  laiffa  | 
foin  de  tout  ce  côté-là  au  Duc  c1 
Holftein  ;  &  voulant  fe  dédorr 
mager  par  quelqu'autre  endroit 
prit  une  partie  de  fon  armée  ave 
lui ,  &  marcha  à  deffein  de  ven 
attaquer  notre  corps  de  bataille 
&  de  tâcher  de  le  rompre  poi 
féparer  notre  aile  droite  d'ave 
notre  gauche.  Mais  le  fieur  Foi 
cault,  qui  le  commandoit  ,  cra* 
gnant  dêtre  envelopé  du  côté  d( 
fa  droite  ,  s'il  eût  attendu  que  1( 
ennemis  le  furTent  venus  charger 
s'avança  au-devant  d'eux  avec  U 


N    N     K    fi 


DE  TuRENNE.  Llv.  V.  419 
•atai lions  ;  6c  leur  ayant  fait  faire , 
î  plus  promptement  qu'il  put,  les  1*74 
volutions  nécerTaires ,  il  forma  un 
uarré  de  toute  fon  infanterie  , 
fin  qu'elle  pût  faire  front  de  toil- 
es parts  ;  fi  bien  que  le  Duc  de 
ournonville  ,  n'ayant  pas  jugé  à 
ropos  de  l'attaquer  dans  cette 
ifpofition ,  s'en  retourna  ,  &c  re- 
agna  le  centre  de  fon  armée. 
Cependant  ne  défefpérant  pas  en- 
Dre  de  remporter  quelqu'avanta- 
2  fur  nous  ,  avant  que  la  nuit  mît 
ti  à  cette  grande  journée ,  il  or- 
Dnna  au  Comte  Caprara  d'aller 
taquer  notre  aile  droite  avec  les 
jiraliiers  de  l'Empereur ,  qui  n'a- 
oient  point  encore  combattu.  Le 
omte  Caprara  les  fit  aum*  tôt  for- 
r  de  derrière  la  longue  haie  ,  qui 
xivroit  l'aile  droite  de  l'armée 
npériale  :  il  en  forma  dix-huit 
(cadrons  ;  &  laiflant  à  côté  notre 
:>rps  de  bataille  ,  il  alla  par  une 
tarche  oblique  tomber  fur  notre 
île  droite  ^  qui  fe  trouvoit  dégar- 
ie  de  tous  fes  pelotons  d'infante- 
.e ,  qu'on  avok  envoyés  dans  le 


43°  Histoire  du  Vicomte 

jTTTTz  bois,  &  même  affaiblie  de  plufieur 

*^74«      efcadrons   qu'on    en    avoit    tiré 

pour  couvrir  notre  flanc  du  côt 

de  ce  bois. 

t'aîle  droite     Les   cuiraffiers    de  l'Emperei 

ics  François  nous  attaquèrent  en    cet  endro 

maltraitée  &  '    f      r 

iecouruc  avec  tant  ^e  *une>  c[ue  notre  pr 
miere  ligne  fe  renverfa  fur  la  f 
conde  ,  qui  s'enruit  dans  un  fi  grar 
défordre,  que  peu  s'en  fallut  que 
le  ne  rompît  le  corps  de  réferv( 
qui  s'avançoit  pour  la  fautenir  ;  « 
la  terreur  devint  fi  grande  pan 
nos  gens  ,  que  les  valets  fe  fa 
verent  vers  le  bagage  ;  où  aya: 
porté  l'alarme  5  la  plupart  < 
ceux  qui  le  gardoient  s'enfuire 
à  Saverne  avec  ce  qu'ils  pure 
emmener,  publiant  que  nous  avio 
perdu  la  bataille  :  de  manie1 
que  tous  les  payfans  prirent  de 
paille  fur  le  chapeau,  pour  {igm 
de  courir  fur  les  François.  Il  h 
vrai  que  la-  fermeté  de  nos  C 
ficiers  ,  qui  ne  quittèrent  jam< 
leurs  Etendarts  ,  fit  que  quelque  i 
uns  de  nos  efeadrons  fe  ralliere: 
Mais  le  Comte  Caprara  redo* 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    431    

blant  fes  efforts  pour  les  rompre  ,  ÂTTTe 
il  étoit  à  craindre  que  tout  n'allât  l67*> 
Stre  enfoncé  ,  lorfque  les  Comtes 
de  Lorges  &  d'Auvergne  arrivè- 
rent fort  à  propos ,  pour  arrêter 
es  ennemis ,  &C  empêcher  qu'ils  ne 
DOurTafTent  plus  loin  leur  avantage, 
Car  le  Vicomte  de  Turenne  n'eut 
)as  plutôt  remarqué  le  grand  ef- 
)ace  que  la  fuite  de  nos  foldats 
ivoit  laifTé  vuide  à  la  première 
igné  de  notre  aile  droite  ,  qu'il 
■nvoya  ordre  aux  Officiers  Géné- 
aux  de  notre  gauche  ,  de  marcher 
•vec  cette  aile  par  derrière  le 
:orps  de  bataille  ,  pour  aller  rem- 
>lir  ce  grand  vuide.  Si-tôt  que  le 
Domte  d'Auvergne  eut  formé  quel- 
jues  efcadrons  des  Anglois ,  il  les 
nena  à  la  charge.  Les  Anglois 
lonnerent  fur  les  cuirafliers  de 
'Empereur,  &  les  firent  plier  , 
nais  ils  ne  purent  les  rompre.  Le 
3omte  de  Lorges  cependant  fai- 
bit  doubler  fur  la  droite  les  efca- 
Irons ,  à  mefure  que  fa  cavalerie 
irrivoit,pouroppoferunafrezgrand 
rontà  celui  des  Impériaux  :  ôc  lorf- 


'f  43  2.  Histoire  du  Vicomte 

'    "    ,      que  toutes  fes  troupes  furent  arri- 

*"7^     vées ,  il  chargea  les  ennemis  avec 

tant  de  vigueur ,  qu'il  les  rompit  en 

tiérement;  de  forte  que,  non-feulc 

ment  ils  ne  purent  fe  rallier ,  mai 

que  ,  ne  croyant  pas  pouvoir  rega 

gner  leur  haie  fans  être  auparavan 

taillés  en  pièces ,  ils  allèrent  fe  jette 

dans  Ensheim,  dont  ils  étoient  plu 

près ,  &  nous  lahTerent  maîtres  d 

la  plaine  5  comme  nous  l'étions  d< 

jà  du  bois. 

Les  împé-      Le  Duc  de  Bournonville  ,  ayar 

ïîaux  fe  reti-  retiré  alors  fes   troupes  de  toi 

rcrft"  les  portes  où  elles  étoient  :  s'en  r< 

^Tpar!C&tourna  du  c.ôté  du  Rhin  ,  marcl 

«J'autre.        toute  la  nuit  affez  en  défordre 

paffa  la  rivière  d'Ill  ,   &  ne  s'a 

rêta  point  qu'il  n'eût  mis  fon  a:! 

mée  à  couvert  fous  le  canon  c1' 

Strasbourg  ,   où  il  réfolut  de  de' 

meurer  jufqu'à  ce  que  l'Ele&éiï 

de  Brandebourg  fût  arrivé  avec  1<;, 

vingt    mille   hommes   qu'il  am<: 

noit.  Comme  il  y  avoit  deux  jou 

&i   deux  nuits    que    nos    folda 

étoient  fous  les  armes ,  à  toujou  I 

marcher,  ou  combattre,  par  ur'i 

plui 


A    N    N    É    Ç, 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  433 

pluie  qu'ils  avoient  eue  continuel- 
ement  fur  le  corps  ;  le  Vicomte  "  1V74 
le  Turenne  aima  mieux  les  lahTer 
•epofer  cette  nuit-là,  que  de  pour- 
îiivre  les  ennemis.  Le  lendemain  , 
ïous  trouvâmes  dans  Ensheim ,  & 
jlans  les  autres  portes  qu'ils  avoient 
j.bandonnés  ,  deux  pièces  de  ca- 
ton ,  des  malades  ÔC  des  blefîes  en 
|;rand  nombre ,  beaucoup  de  muni- 
ions  ôc  de  bagages ,  ôc  une  grande 
uantité  de  cuirafTes  &  de  toutes 
)rtes  d'armes  qu'ils  avoient  jettées 
our  marcher  plus  commodément 
ans  leur  retraite.  Le  combat  avoit 
uré  depuis  neuf  heures  du  matin, 
nqu'à  la  nuit ,  c'efl-à-dire ,  près  de 
ix  heures.  Nous  y  perdîmes  envi- 
Dn  deux  mille  hommes.  Le  Com- 
;  d'Auvergne  y  eut  la  jambe  per- 
ée  d'un  coup  de  moufqueton  ;  le 
larquis  de  Puifieux ,  le  Comte  de 
[amilton ,  ôc  le  fieur  Réveillon  y 
irent  aufli  fort  bleffés.  Quant  aux 
nnemis ,  ils  y  eurent  plus  de  trois 
ûlle  hommes  tués  fur  la  place,  ÔC 
s  emmenèrent  avec  eux  à  Straf- 
ourg  plus  de  cent  cinquante  çhar- 

T 


Année 


4J4  Histoire  du  Vicomte 
riots  remplis  de  bleffés.  Nous  leur 
»*74«      prîmes  dix  pièces  de  canon  ,  trente* 
drapeaux  ou  étendards ,  &:  un  grand 
nombre  de  prifonniers.  -.; 

Ce  fut  pour  conferver  le  fouve- 
nir  de  cette  troisième  vi&oire ,  rem-* 
portée  fur  les  Allemands  dans  la 
même  année  qu'on  fit  frapper  la 
médaille  n°.  14. 

On  y  voit  la  victoire  qui ,  tenant 
une  couronne  de  laurier  d'une 
main ,  &:  de  l'autre  une  palme ,  fou- 
le aux  pieds  plufieurs  boucliers  aux 
armes  de  l'Empire.  La  Légende;  Dt 
Germants  tertib  ,  fignifie  :  Troijîemi 
victoire  remportée  fur  les  Allemands 
L'Exergue  ;  Pugna  ad  Einshemium 
M.  DC.  LXXIV. -Bataille  a"Ens- 
heim ,  1 674. 

Les  ennemis  ,  malgré  la  pertt 
qu'ils  avoient  faite  dans  la  batail 
le  ,  ne  IakToient  pas  d'avoir  encô 
re  près  de  quarante  mille  homme 
en  état  de  combattre.  Comme  ij 
n'étoit  pas  poiîible  de  forcer  im< 
armée  fi  nombreufe  dans  un  poil» 
fi  avantageux  ,  le  Vicomte  de  Tu 
renne  ne  jugea  pas  à  propos  de  T] 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  435 
aller  attaquer  ;  6c  aimant  mieux  année 
donner  tous  {es  foins  à  rétablir  fes  l6?^ 
troupes  ,  il  les  mena  à  Marlen  , 
qui  étoit  à  trois  lieues  de  là  ,  & 
où  il  y  avoit  du  fourrage  ,  &  tou- 
tes fortes  de  munitions  en  abon- 
dance. 

Cependant  le  Duc  de  Bournon-  L'Armée  im. 
ville    fut  joint  fous  les  murailles  Pé,ria,,e  confl~ 
de  Strasbourg  par  quelques  trou-  renforcée. 
pes  des  Cercles  de  Souabe  &  de 
Franconie.  L'Electeur  Palatin  y  vint 
aufli  à  la  tête  de  deux  mille  che- 
vaux ;  le  Duc  de  Zell  lui  amena  en- 
:ore  trois  mille  hommes  ;  ôtl'Elec- 
eur  de  Brandebourg  arriva  enfin 
ivec  fon  armée. 

j  Pour  réfifter  à    de   û   grandes  Turennf  rfen. 
brees  ,  le  Vicomte   de  Turennevoie  rArrie- 
l'avoit  pas  tant  de   troupes   quere"Ban* 
Electeur  de  Brandebourg  feul  ve- 
îioit   d'en    amener    aux    ennemis. 
!2'eft  pourquoi  on  lui  envoya  cinq 
ou  fix  mille  Gentilshommes  de  la 
Kobleffe  ,  dont  on  avoit  convoqué 
j'arriére -Ban.    Mais    comme    ces 
gentilshommes  n'étoient  point  dif- 
iplinés ,  ÔC  qu'ils  n'étoient  point 

Tij 


3  3  (5  Histoire  du  Vicomte 


Année  accoutumés  à   camper  ,  il  ne  les 
i£j8.      garda  pas  long-tems  ,  perfuadé  que 
ce  corps  de  NoblefTe   auroit  été 
bientôt  ruiné  ,  s'il  ne   l'eût  ren- 
voyé. 

&c   reçoit    le        Le   R0i    £t  aufli   marcher  à  fon 

rentorc       de  -  ,  r  ^ 

Ceniis.  iecours  deux  renlorts  de  trou- 
pes ,  l'un  de  fix  à  fept  mille  hom- 
mes du  Marquis  de  Genlis  ,  & 
l'autre  de  quatorze  à  quinze  mille 
hommes ,  fous  les  ordres  du  Comte 
de  Sault.  Le  Vicomte  de  Turenne 
laifla  venir  le  Marquis  de  Genlis  : 
mais  il  envoya  ordre  au  Comte  de 
Sault  de  demeurer  en  Lorraine  avec 
le  corps  qu'il  amenoit  ;  ce  qui  éton- 
na tous  ceux  qui  favoient  le  peu 
de  monde  qu'il  avoit ,  &C  le  grand 
nombre  des  ennemis  ;  car  leur  ar- 
mée étoit  alors  de  plus  de  foixante 
mille  hommes. 
Turenne  fe.  L'Elecleur  de  Brandebourg  .1 
JaffeVnUî" à  la  tête  de  tant  de  forces  réu- 
raine,  nies  ,  décampa  d'auprès  de  Straf- 

bourg,  paffa  la  rivière  d'Ill  ,  & 
s'avança  vers  Mari  en  ,  où  nou; 
étions  encore.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne  le   voyant  approcher  ,  &  ] 


DE  TURENNE.  Llv.   V.  437  

retira  à  Dettwiler  fur  la  Soot ,  à  a  n  .  «  t  * 
trois  lieues  de  Marlen.  Cette  retrai- 
te augmenta  la  furprife  de  tout 
le  monde  ;  &  l'on  avoit  d'autant 
plus  de  regret ,  pour  fa  réputation  , 
qu'il  fit  de  pareilles  démarches  de- 
vant les  ennemis  ,  faute  de  trou- 
pes ,  qu'on  fa  voit  qu'il  n'a  voit  tenu 
qu'à  lui  d'en  avoir  davantage.  Ce- 
pendant les  ennemis  le  fuivirent 
à  Dettwiler ,  d'où  il  décampa  en- 
core pour  aller  à  Ingwiler ,  qui  efl 
à  deux  lieues  par-delà  fur  la  Moter. 
Il  demeura  en  cet  endroit  jufqu'au 
tems  où  l'on  a  coutume  de  finir  la 
campagne.  Il  mit  de  groffes  garni- 
fons  dans  Haguenau  &:  dans  Sa- 
verne  ;  il  laifla  une  partie  de  fon 
armée  de  ce  côté  là ,  [pour  le  fe- 
cours  de  ces  Places ,  &  il  repafla  en 
Lorrain cavec  le  refte ,  par  la  Petite- 
Pierre  ,  paffage  commode  ,  dont  il 
s'étoit  afîuré. 

A   ces  nouvlles  ,  l'étonnement  Réflexion  fur 
de  tout  le   monde  redoubla.    On  ««e  retrait 
avouoit  qu'il  avoit  fait  fa  retraite 
avec  un  û  grand  ordre ,  qu'il  n'y 
avoit  pas  perdu  un  feul  homme, 
Tiij 


43  8   Histoire  du  Vicomte 

a  n  n  à  .£  quoiqu'il  eûtfouvent  paffé  plufieurs 
»^74-  ruifleaux  &C  plufieurs  défilés  à  la 
vue  des  ennemis.  On  demeuroit 
d'accord ,  qu'il  avoit  par-tout  fi  bien 
fçu  choiïir  les  pofles  où  il  s'étoit 
campé  ,  que  l'Èle&eur  de  Brande- 
bourg n'avoit  ofé  l'attaquer  nulle 
part  ;  que  les  Impériaux ,  au  dé- 
-fefpoir  de  ne  pouvoir  rien  entre- 
prendre contre  lui  avec  leurs  nom- 
ireufes  troupes  ,  avoient  eu  beau 
faire  mine  de  vouloir  aiïiéger  tan- 
tôt Saverne  ,  tantôt  Haguenau  , 
pour  le  tirer  des  endroits  avanta- 
geux où  il  s'étoit  pofté  ,  il  n'a- 
voit jamais  pris  le  change  9  & 
que  ,  par  toutes  leurs  feintes  ,  ils 
n'avoient  pu  lui  faire  faire  aucune 
•faufïe  démarche  ,  ni  lui  donner 
le  moindre  échec.  On  convenoit 
même  que  les  ennemis  avoient 
quelquefois  reculé  ,  6c  s'étoient 
retranchés  devant  lui  :  mais  on 
avoit  peine  à  lui  pardonner  de  s'ê- 
tre retiré  en  Lorraine ,  après  avoir 
fait  efpérer  qu'il  fauveroit  l' Alfa- 
ce  ;  &L  l'on  ne  pouvoit  concevoir 
ce  qui  l'avoit  porté  à  refufer  le 


DE  TURENNE  Liv.  V.     439      

grand  corps  de  troupes  du  Comte  A  v  v  ±  B 
de  Sault  ,  avec  lefquelles  il  fem-  1674* 
bloit  qu'il  auroit  pu  faire  beaucoup 
plus  qu'il  n'avoit  fait.  Il  faut  pour- 
tant convenir  que  l'équité  publi- 
que de  ce  tems-là  étoit  telle ,  qu'on 
y  rendoit  juftice  au  mérite  du  Vi- 
comte de  Turenne.  Quoique  tou- 
tes les  apparences  fufTent  contre 
lui ,  on  nelaiflbit  pas  de  croire  qu'il 
avoit  eu  fes  raifons  pour  en  ufer 
de  la  manière  dont  il  en  avoit  ufê% 
6c  û  on  murmuroit  de  fa  retraite  en 
Lorraine  ,  c'étoit  moins  pour  blâ- 
mer fa  conduite  que  pour  fe  plain- 
dre de  la  fortune ,  à  qui  on  s'en  pre- 
noit  de  ce  que  tout  ne  réufliffoit  pas 
aufîi  glorieufement  qu'on  l'auroit 
fouhaité  pour  lui. 

Cependant   les    ennemis   ,   le  .  Les  impé- 
voyant  retiré  ,  fe  répandirent  en  "aanudxen^e  reé; 
divers  quartiers  dans  l'Alface  qu'ils  Aiface  ;    & 
partagèrent  entr'eux.  Ils    s'établi-  ^0uurrenncn'esr^ 
rent  a  Schleftat ,  à  Turckeim  ,  à  trouver, 
Colmàr  ,  à  Enfisheim  ,    &  dans 
toutes  les  autres  Villes  ,  à  deflein 
d'y  paffer  le  refte  de  l'hiver ,  & 
d'y  prendre  des  mefures  pour,  en» 
T  iv 


^_^^  440  Histoire  du  Vicomte 
a  n  n  i  1  trer  au  Printems  en  Lorraine  & 
*674«  en  Franche  -  Comté.  Ils  bloquè- 
rent Brifach;  ils  envoyèrent  fom- 
mer  le  Prince  de  Montbelliard  dç 
fe  déclarer  pour  eux ,  &  de  rece- 
voir garnifon  dans  fa  Place.  Char- 
més de  la  bonté  de  leurs  quar- 
tiers ,  ils  s'étendirent  par-tout  au 
large  &  à  leur  aife  ,  &  le  Duc 
de  Lorraine  ,  impatient  de  rentrer 
dans  fon  pays  ,  avoit  déjà  fait  paf- 
fer  deux  mille  hommes  ,  qui  s'é- 
toient  faifis  de  Remiremont  &  d'Ef- 
pinal ,  Villes  fur  la  Mofelle ,  dans 
lefquelles  ils  commençoient  à  fe 
fortifier  ,  lorfque  le  Vicomte  de 
Turenne ,  voyant  que  les  ennemis 
avouent  fait  toutes  chofes  comme 
il  l'avoit  prévu ,  &  qu'il  étoit  tems 
de  commencer  à  exécuter  un  grand 
deffein  qu'il  méditoit  depuis  près 
de  deux  mois  ,  prit  les  quatorze 
mille  hommes  du  Comte  de  Sault , 
avec  les  fix  à  fept  mille  qu'il  avoit 
ramenés  d'Alface ,  les  partagea  en 
plufieurs  petits  corps,  mit  de  vieux 
Officiers  à  la  tête  de  chacun  ,  les 
fit  marcher  par  des  routes  diifé- 


N    N    E    B 


DE  TURENNE.  LlV.  V.  441 
rentes  le  long  des  mortagnes  de  Â 
Vauges  ,  &:  leur  donna  à  tous  le  **74» 
même  rendez-vous  ,  fans  qu'aucun 
d'eux  fçût  où  les  autres  avoient 
ordres  d'aller.  Ce  rendez -vous 
étoit  le  paffage  deBeffort,  qui  eft 
à  l'autre  bout  de  l'Alface  ,  oppofé 
1  celui  par  lequel  nous  venions  de 
"ortir  de  cette  Province.  Le  Vi- 
:omte  de  Turenne  leur  fit  ainfi 
:raverfer  toute  la  Lorraine  par  des 
:hemins  û  détournés  ,  que  les  en- 
îemis  n'eurent  aucune  connoiffan- 
:e  de  notre  marche  ,  que  nous  ne 
ufïions  arrivés  à  Efpinal.  Dès  que 
e  corps  de  nos  troupes  ,  qui 
ivoit  fa  route  de  ce  côté  là  ,  parut 
levant  cette  Place  ,  tous  les  Lor- 
•ains  qui  y  étoient  s'enfuirent  , 
ans  même  fçavoir  fi  ce  qu'ils 
foyoient  étoit  une  armée ,  ou  fi  ce 
l'étoit  feulement  qu'un  parti.  Ceux  .* 

mi  étoient  dans  Remiremont  ne 
lemanderent,  pour  s'en  aller  y  qu'un 
>affeport ,  qu'on  leur  accorda  ;  &C 
ls  fe  retirèrent  avec  les  autres  au 
)as  des  montagnes  ,  où  étoit  le 
3uc  de  Lorraine.  Ce  Prince  com- 
Ty 


^  442   Histoire  du  Vicomte 

Année  mença  par  faire  de  grands  repro» 
1674.  ches  à  îes  troupes  ,  de  ce  qu'el- 
les ay oient  fi  légèrement  pris  l'a- 1 
larme  à  l'approche  de  quelque  par- 
ti :  mais  ayant  vu  le  paffeport  de  ; 
ceux  de  Remiremont ,  qui  étoit  fi-: 
gné  du  Vicomte  de  Turenne  ;  & 
ne  pouvant  par  conféquent  douter 
qu'il  ne  fût  là  avec  fon  armée  ,  il 
envoya  ordre  à  toutes  les  trou- 
pes qui  étoient  les  plus  avancées 
vers  les  montagnes ,  de  s'aller  met- 
tre au  plutôt  derrière  la  rivière 
d'Ill ,  aux  environs  de  Mulhaufen . 
Ville  alliée  des  Suiffes ,  &  il  dépê- 
cha des  couriers  à  tous  les  Gêné-  i 
raux  de  l'armée  Impériale  ,  poui 
les  avertir  que  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  étoit  en  marche  &  alloii 
rentrer  par  B  effort  dans  l'Alface 
Les  ennemis  ne  pouvant  s'imagi- 
ner qu'on  pût  entreprendre  une 
pareille  chofe  au  plus  fort  de  l'hi- 
ver où  l'on  étoit  ,  firent  du  Duc 
de  Lorraine  le  même  jugement 
qu'il  avoit  fait  de  {es  troupes  , 
crurent  qu'il  prenoit  trop  aifément 
l'alarme  ,  ôc  fe  perfuaderent  que 


DE  TU  RENNE.  Lïv\  V.    443    

I  nous  n'avions  d'autre  deflein  que   a  n  n  ê  g 
de  les  faire  fortir  de  Remiremont       l6~^ 
&:  d'Efpinal  ,  afin  d'avoir  la  Lor- 
raine   libre    pour    nos     quartiers 
d'hiver. 

Cependant  les  divers  corps  de  u  s'y  faille 
notre  armée  ,  après  avoir  tra-  £  tÉ&R 
verfé  les  montagnes  de  Vauges  , 
où  il  avoit  fallu  fouvent  camper 
dans  la  neige  ,  &  marcher  par  des 
routes  par  où  jamais  troupes  n'a- 
voient  parlé  ,  fe  réunirent  enfin 
toutes  à  BerTort,  où  le  Vicomte  de 
Turenne  les  attendoit.  Alors  ce 
Général ,  qui  fçavoit  que  le  fuccès 
de  fon  entreprife  dépendoit  de  la 
diligence  ,  s' étant  mis  à  la  tête  de 
l'armée ,  marcha  aux  ennemis  qui 
fe  rafTemblerent  derrière  la  rivière 
d'111.  Ils  avoient  levé  leurs  quar- 
tiers avec  précipitation  ,  au  pre- 
mier avis  du  Duc  de  Lorraine  :  mais 
comme  il  y  en  avoit  jufqu'à  la  tête 
de  la  haute  Alface,  plufieurs  n'eu- 
rent pas  le  tems  de  fe  rendre  à  Mul- 
haufen ,  &  furent  pris  avant  que  d'y 
être  arrivés.  Il  y  en  eut  même  quel- 
ques, uns  qui  fe  vinrent  jetter  dans 
Tvj 


444  Histoire  du  Vicomte 

Année  notre  armée  ,  croyant  que  c'étoit 
i*74«  quelque  corps  de  leurs  troupes 
qui  s'affembloient  :  d'autres  fu* 
rent  enveloppés',  avant  que 'd'à* 
voir  eu  le  tems  de  fe  mettre  en 
marche. 
êc  les  chafle  Le  Vicomte  de  Turenne  força 
g£  Muihau-quelques  Châteaux  qui  étoient  fur 
fon  paffage  ;  &:  étant  arrivé  fur  les 
bords  de  TOI  ,  vis-à-vis  de  la 
Ville  de  Mulhaufen  ,  auprès  de  la- 
quelle la  cavalerie  de  l'Empereur , 
les  troupes  du  Duc  de  Lorraine 
&  celle  de  l'Evêque  de  Munfter , 
étoient  raffemblées  fous  les  ordres 
de  leurs  Généraux  ,  il  reconnut  les 
divers  gués  de  la  rivière.  Il  y  paf- 
fa  avec  fa  cavalerie  ;  il  fit  charger 
les  ennemis  ;  &  après  pîufieurs  at- 
taques faites  &  foutenues  de  part 
&  d'autre  avec  beaucoup  de  vi- 
gueur ,  il  les  mit  enfin  tellement 
en  défordre  ,  que  ,  laiffant  des  ré- 
gimens  entiers  dans  de  petites  pla- 
ces écartées ,  ils  s'enfuirent  les  uns 
vers  Baie  ,  où  ils  pafferent  le  Rhin, 
Se  les  autres  du  côté  d'Enfisheim, 
où  étoit  l'Eleveur  de  Brandebourg, 


DE  TU  RENNE.  LiV.  V.   445 

Le  Comte  Caprara ,  &  le   Mar-  A  M  *  "~. 

quis  de  Bade  y  avoient  été  préfens  u74, 
à  cette  action.  Le  Vicomte  de  Tu- 
renne  y  prit  quatorze  Etendards 
ôc  y  fit  un  grand  nombre  d'Offi- 
ciers 6c  de  foldats  prifonniers.  Les 
ennemis  ne  nous  prirent  que  le 
feul  Montauban  qui  s'étoit  enga- 
gé trop  avant  au  milieu  de  quel- 
ques efcadrons ,  &  ils  le  menèrent 
à  l'Electeur  de  Brandebourg ,  qui 
ayant  appris  de  lui  le  deflein  du 
Vicomte  de  Turenne  fe  retira  au 
plutôt  vers  Colmar ,  6c  envoya  or- 
dre à  toutes  les  troupes  de  s'y 
rendre  en  diligence.  La  nuit  qui 
furvint  nous  empêcha  de  pour- 
fuivre  les  fuyards  \  mais  le  lende- 
main ,  dès  la  pointe  du  jour  y  le 
Vicomte  de  Turenne  fe  remit  en 
marche ,  toujours  en  defcendant  le 
long  de  la  rivière  d'Ill  j  fur  laquel- 
le font  fituées  les  plus  grofïes  Villes 
de  l'Alfa  ce  où  les  ennemis  s'é- 
toient  établis.  Il  détacha  des  par- 
tis à  droit  &  à  gauche  pour  cou- 
per les  petits  quartiers  6c  les  em- 
pêcher de  joindre  le  gros  de  l'ar- 


446  Histoire  du  Vicomte 
7  v  N  é  mée  :  il  enleva  les  garnifons  de 
^  i^74.  pliùieurs  Places ,  d'où  les  ennemis 
n'avoient  pas  eu  le  tems  de  les  re- 
tirer. Tout  ce  qu'ils  avoient  mis 
dans  les  Châteaux  &  autres  fem- 
blables  pofr.es ,  fut  fait  prifonnier 
de  guerre.  Le  Régiment  lmpé-> 
rial  de  Portia  ,  qui  étoit  de  neuf 
cens  hommes ,  fe  rendit  à  difcré- 
tion  avec  tous  fes  Officiers  ;  & 
les  chofes  en  vinrent  au  point , 
que  nos  gens  fe  trouvoient  em- 
barrafTés  du  grand  nombre  de  pri- 
sonniers. On  ne  lahToit  pas  d'aller 
toujours  avec  toute  la  diligence 
poiîihle.  On  arriva  à  Enfisheim  , 
qu'on  trouva  abandonné,  auiîi-bien: 
que  Sainte  -  Croix  ;  l'Ele&eur  de 
Brandebourg  &  le  Duc  de  Bour- 
nonville  qui  y  étoient  ,  s'étant  re- 
tirés à  Colmar.  Le  Vicomte  de 
Turenne  laifla  Rufach  fur  fa  gau- 
che ,  &c  fe  contenta  de  bloquer 
cette  Ville ,  ne  voulant  pas  s'arrê- 
ter autant  de  tems  qu'il  auroit  fal- 
lu pour  la  prendre  ,.  en  l'affiégeant 
dans  les  formes.  Il  avoit  impa- 
tience d'arriver  à  l'endroit  où  les 


DE  TURENNE.  Liv.  V.    447    

ennemis  l'attendoient.  Il  n'en  étoit  ÂTTTT 
plus  gueres  éloigné  :  néanmoins ,  lg74. 
avant  que  d'en  faire  approcher 
tout- à-fait  fon  armée  ,  6c  de  les 
y  aller  attaquer ,  il  voulut  recon- 
noître  dans  quelle  fituation  ils 
étoient. 

Entre  Colmar  ,  qui  eft  auprès  Difpo&îo» 
de  la  rivière  d'Ill ,  &:  Turckeim ,  ?e  ,1,ar,mée 
Ville  lituee  preique  vis-a-vis  au  tre  coimar  & 
pied  des  montagnes  de  Vauges , Turckeinu 
eft  une  plaine  qui  a  environ  une 
lieue  de  large.  Un  bras  de  la  ri- 
vière de  Fech  ,  qui  prend  fa  four- 
ce  dans  les  montagnes ,  &  qui  paf- 
fe  à  Turckeim  ,  coupe  cette  plaine 
par  le  milieu ,  &  vient  droit  à  Col- 
mar. Ce  fut  le  côté  de  la  plaine 
qui  étoit  au-delà  de  cette  rivière 
à  notre  égard  ,  que  les  ennemis 
choifirent  ?  comme  le  pofte  le  plus 
avantageux  de  toute  la  haute  Al- 
face  où  une  armée  fe  pût  mettre 
en  bataille.  Ils  avoient  là  les  trou- 
pes de  Brandebourg  &:  des  Princes 
de  la  Maifon  de  BrunfVich  ,  celles 
des  Cercles  ,  l'infanterie  de  l'Em- 
pereur, la  cavalerie  de  l'Electeur. 


44^  Histoire  du  Vicomte 
jr»  ■*~Pt  Palatin ,  &  ce  qui  s'étoit  réfugié 
1*74.  en  cet  endroit  de  la  déroute  de 
Mulhaufen.  Ils  rangèrent  toutes 
ces  troupes  fur  deux  grandes  li- 
gnes, depuis  Colmar  jufqu'à  Turo. 
keim  ,  faifant  un  front  de  près 
d'une  lieue.  Ils  avoient  Turckeim 
&  les  montagnes  à  leur  droite  , 
Colmar  &  la  rivière  d'Ill  à  leur 
gauche  ,  &  un-  bras  de  la  Fech  à 
leur  tête.  On  ne  pouvoit  aller  à 
eux  par  leur  droite  ni  par  leur  ; 
gauche  ,  qu'on  n'eût  pris  Colmar 
ou  Turckeim,  dont  ils  étoient  les 
maîtres  ;  èc  l'endroit  par  lequel 
on  devoit ,  ce  femble ,  le  plus  na-  ■  ; 
turellement  les  attaquer ,  étoit  leur 
tête  que  la  Fech  couvroit.  C'efV 
pourquoi  ils  mirent  toute  leur  at- 
tention à  fe  fortifier  de  ce  côté  là. 
Ils  travaillèrent  jour  &  nuit  à  fai- 
re des  retranchemens  le  long  de 
la  rivière  :  ils  garnirent  ces  re- 
tranchemens de  canons  chargés  à 
cartouches  ;  ils  y  mirent  de  l'in- 
fanterie &  des  dragons ,  foutenus1 
de  toute  leur  armée  ;  &  par  une- 
dernière  précaution,  qui  fuppofoit 


DE  TURENNE.  Liv.  F.    449 

néanmoins  que  nous  pouvions  paf- ■"»■■- 

fer  la  rivière,  en  leur  préfence ,  &  A  XH^  8  B 
forcer  leurs  retranchemens  ,  ils  fi- 
rent dreffer  des  batteries  dans  Turc- 
keim  &  dans  Colmar  ,  pour  bat- 
tre en  flanc  tout  ce  qui  paroîtroit 
dans  la  plaine.  L'Electeur  de  Bran- 
debourg prit  le  commandement 
de  l'aile  gauche  ;  il  donna  celui 
de  l'aile  droite  au  Duc  de  Bour- 
nonville  ,  &  il  réfolut  de  nous  at- 
:endre  ,  dans  une  efpece  de  con- 
fiance que  nous  n'aurions  pas  la 
hardiefTe  de  l'attaquer ,  quand  nous 
aurions  vu  de  quelle  manière  il 
étoit  porté. 

•    Le  Vicomte  de  Turenne  ayant    Turenne 
reconnu  toutes    chofes  de  defTus  mat!:cheîï  au* 

ennemie. 

les  hauteurs  ,  vit  en  un  moment 
ce  qu'il  avoit  à  faire  ,  &  forma  le 
plan  de  fon  deflein  ,  par  rapport  à 
l'état  des  lieux  ,  6c  aux  mouve- 
mens  auxquels  il  crut  pouvoir  en- 
gager les  ennemis.  Son  canon  n'é- 
toit  point  encore  arrivé ,  à  caufe 
du  grand  nombre  de  défilés  qui 
fe  trouvent  depuis  Enfisheim  juf- 
qu'à  Colmar,  Mais  ne  croyant  pas 


450  Histoire  du  Vicomte 
^  N  N  i  E  en  avoir  abfolument  befoin ,  &  ne 
i*7s.  voulant  pas  lahTer  pafîer  la  jour* 
née  fans  tenter  le  âtecès  du  def- 
fein  qu'il  méditoit,  il  ordonna  au 
Le  5  Janvier.  Comte  de  Lorges  de  s'aller  mettre 
en  bataille  dans  la  plaine  ,  en  deçà 
de  la  rivière  ,  vis-à^vis  les  enne- 
mis ,  &  de  demeurer  là  fans  rien 
faire  ,  jufqu'à  ce  qu'il  lui  envoyât 
dire  d'entrer  en  a£tion.  Il  lui  com- 
manda de  faire  enforte  que  fa 
première  ligne  eût  un  front  d'une 
très-grande  étendue  ,  &  d'avancer 
fa  droite  le  plus  près  xle  Colmar 
qu'il  pourroit  ;  &C  il  lui  donna  pour 
cela  toute  fa  cavalerie  ,  avec  la 
meilleure  partie  du  refle  de  l'ar- 
mée :  Et  pour  lui ,  prenant  feule- 
ment un  corps  d'infanterie  &c  de 
dragons  ,  avec  le  fieur  Foucault 
Lieutenant-Général ,  le  Comte  de 
Roye ,  Maréchal  de  Camp  ,  &t  le 
Marquis  de  MoufTy ,  Brigadier  7  au 
lieu  de  continuer  à  marcher  dans 
la  plaine  ,  il  prit  fur  la  gauche  , 
&  s'avança  à  travers  les  coteaux 
qui  font  au  pied  des  montagnes, 
par  un  terrein  inégal  .,   plein.de 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  451  

Ichemins  creux  ,  &  embarrafTé  de  a  n  n  é  « 
ïfraies  &C  de  vignes  ,  où  l'on  n'au-  l6?^ 
iroit  jamais  cru  que  des  troupes 
leuffent  pu  marcher  en  corps ,  fans 
tqae  perfonne  comprît  où  il  vou- 
doit  aller  ,  ni  à  quoi  aboutiroit 
.une  marche  qui  paroifïbit  û  ir- 
j  régulière  ,  de  manière  qu'on  avoit 
ibefoin  de  toute  la  confiance  qu'on 
1  avoit  en  lui  ,  pour  ne  pas  mur- 
murer. 

Cependant  le  Comte  de  Lor-  Bataille  de 
|*es  avoit  donné  un  fi  grand  front Turckeim' 
il  la  première  ligne  de  fes  trou- 
ves dans  la  plaine  ,  que  les  en- 
lemis  crurent  que  toute  notre 
armée  y  étoit  ;  d'autant  plus  que 
le  corps  du  Vicomte  de  Turenne 
marchoit  par  un  pays  û  convert 
qu'ils  ne  pouvoient  rien  apperce- 
voir  de  ce  côté  là  :  &  comme  ils 
voyoient  que  toutes  nos  troupes 
(è  rangeoient  fur  notre  droite ,  à  mé- 
dire qu'elles  arrivoient ,  &c  qu'in- 
fenfiblement  nous  allions  nous 
trouver  tous  contre  Colmar  ;  crak 
gnant  quelque  furprife  pour  cette 
Ville  où  étoient  leurs  vivres   6c 


45 1  Histoire  du  Vicomte 
Année  leurs  munitions ,  &  fe  croyant  fort 
l675*  en  fureté  du  côté  de  Turckeim  | 
ils  en  retirèrent  leur  canon  &  deiu 
bataillons  <jui  y  étoient ,  &c  firen 
ferrer  toutes  leurs  troupes  de  leu: 
droite  fur  leur  gauche ,  pour  ren- 
forcer ce  côté  là ,  dans  la  penfée  oi 
ils  étoient  que  nous  allions  atta 
quer  Colmar  :  û  bien  que ,  lorfqiu 
le  Vicomte  de  Turenne ,  qui  avar 
çoit  toujours  ,  fut  arrivé  à  Turc 
keim  ou  il  marchoit  ,  il  trouv. 
cette  Place  abandonnée ,  comme  i 
l'avoit  prévu.  Il  s'en  faifit  aufli-tôt 
&  fe  propofant  de  charger  les  en 
nemis  en  flanc ,  quelque  parti  qu'il 
priffent ,  il  envoya  le  fieur  Fou 
cault  fur  le  bord  de  la  rivière  en 
deçà  de  Turckeim  ,  avec  la  moiti< 
de  £es  troupes  ,  &  prenant  le  rei 
te  avec  lui ,  il  marcha  dans  la  plai 
ne ,  à  deffein  d'aller  attaquer  pai 
l'extrémité  l'aile  droite  que  com 
mandoit  le  Duc  de  Bournonville 
Les  ennemis  furent  fort  furpris  d( 
nous  voir  paroître  du  côté  d< 
Turckeim ,  &  prêts  à  tomber  fui 
leur  flanc.  Néanmoins  le  Duc  dt 


DE  TURENNE  Liv.  V.  453 
Bournonville  ,  confervant  tout  ion 
fang  froid  dans  un  û  grand  dan- 
ger ,  vit  bien  qu'il  n'avoit  point 
d'autre  parti  à  prendre ,  que  celui 
de  changer  fon  ordre  de  bataille , 
pour  faire  face  aux  montagnes  , 
K  de  tâcher  de  nous  chaffer  de 
Turckeim  :  il  fit  donc  la  moitié 
du  chemin.  Dès  qu'il  commença 
à  avancer  ,  le  Vicomte  de  Turen- 
ne  envoya  ordre  au'fieur  Foucault 
&  au  Marquis  de  MoiuTy  de  mar- 
cher le  long  de  la  Fech,  jufqu'à 
te  qu'ils  fuffent  vis-à-vis  des  enne- 
mis ;  &  de  charger  l'extrémité  de 
leur  aile  gauche  qui  aboutiroit  à 
la  rivière  ,  pendant  qu'il  les  at- 
taqueroit  de  front.  Cette  double 
attaque  fut  très -vive  :  les  enne- 
mis en  furent  ébranlés  ;  &:  fe  voyant 
pris  en  flanc  ,  malgré  leurs  pré- 
cautions ,  ils  furent  obligés  de 
changer  encore  leur  ordre  de  ba- 
taille ,  de  rompre  leurs  lignes  ,  & 
de  les  mettre  en  potence  ,  afin  de 
pouvoir  faire  face  en  même-tems 
au  côté  de  Turckeim  ,  &  à  celui 
de  la  rivière,  Mais  comme  ils  ne 


N    N    E    £ 


454  Histoire  du  Vicomte 
Année  pouvoient  ,  fans  défavantage  ,  fai- 
i0l*  re  des  mçmvemens  fi  difficiles  & 
fi  dangereux ,  le  Vicomte  de  Tu- 
renne  ne  manqua  pas  d'en  profi- 
ter ;  &  faifant  charger  les  enne- 
mis  avec  toute  la  vigueur  poflibley 
il  les  rompit  &  les  jetta  dans 
un  commencement  de  défordrë. 
Le  Duc  de  Bournonville  fit  prom- 
ptement  avancer  de  gros  détache- 
mens  ,  pour* Soutenir  fes  troupes) 
ébranlées.  Le  Vicomte  de  Turen- 
ne  ,  de  fon  côté ,  fut  toujours  dans 
le  feu  du  moufquet  &  du  canon , 
&  il  eut  un  cheval  blefle  fous  lui. 
Ceux  qui  étoient  de  chaque  côté 
de  la  rivière  ,  fe  voyoient  à  dé- 
couvert ,  &  fe  choififibient  les  uns 
les  autres  pour  fe  tirer.  Le  fieur 
Foucault  &  le  Marquis  de  Moufly 
furent  tués  fur  la  place  :  le  feu  de- 
vint très-grand  de  part  &C  d'aiw 
tre  ,  &  continua  quelque  tems  avec 
aflez  d'égalité  ;  mais  le  Vicomte 
de  Turenne  ,  voulant  abfolument1 
forcer  les  Impériaux  en  cet  endroit,! 
fit  avancer  les  Gardes  Françoifes! 
avec  quelques  bataillons  Anglois  5 


DE  TURENNE.  Llv.  V.   455    

qui  firent  tous  à  la  fois  un  feu  fi  a  n  n  l  \ 
terrible  ,  que  les  ennemis  com-  ^75? 
mencerent  à  plier  9  6c  à  lâcher 
pied  en  plufieurs  endroits.  On  les 
pouffa  ;  ils  reculèrent.  Ceux  de 
nos  gens  ,  qui  étoient  fur  le  bord 
de  la  Fech  ,  leur  voyant  perdre  le 
ferrein  peu-à-peu  ,  &£  faire  un 
mouvement  de  retraite  ,  fe  jette- 
ront dans  la  rivière  pour  les  aller 
charger  l'épée  à  la  main  ;  mais 
comme  le  Vicomte  de  Turenne 
n'avoit  point  là  de  cavalerie  pour 
les  foutenir ,  il  leur  envoya  ordre 
<je  repafïer  ,  &:  cependant  il  fit 
redoubler  le  feu  de  fa  moufque- 
terie  ,  de  forte  que  les  ennemis g 
défesperant  de  pouvoir  tenir,  plus 
long-tems  devant  lui  en  Alface  ? 
profitèrent  de  la  nuit  qui  furvint 
pour  fe  retirer  à  Strasbourg ,  &c  s'en 
allèrent  chercher  des  quartiers  d'hi- 
ver en  Allemagne. 
,    Tout  le  monde  fut  furpris  de  ce     Turenne 

1       >      1  ,  r         avoic     prévu 

grand   événement  ;    car  \  on  fçan  fon  heJreux 
voit  que  le  Vicomte  de  Turenne  fuccès. 
n'avoit  employé  que  vingt  mille 
hommes  à  chafler  de  lîAlface  cette 


45^  Histoire  du  Vicomte 

Année  armée  nombreufe ,  qui  ne  fe  propo« 
x*7?  •      foit  rien  moins  que  d'envahir  deux 
ou  trois  de  nos  Provinces.  Mais  oti 
fut  encore  bien  plus  étonné  quand 
on  fçut  qu'il  avoit  prévu  plus  de 
deux  mois  auparavant ,  toutes  le< 
démarches  des  ennemis  6c  le  fuccè* 
de  fon  entreprife  ;  comme  on  le  vil 
par  une  de  l'es Lettres,  que  le  Ro 
fit  lire  en  préfence  de  toute  la  Cour 
Lettre   du  Cette  lettre  étoit  adreffée  au  fieun 
Tienne   «le  Téllier  ',  Secrétaire  d'Etat ,  au 
sieur  le  Tel-  quel  le  Vicomte  de  Turenne  avoi 
?ro^ote>andé  ,  dès  le  mois  d'Odobre  . 
à  Derwiler.  '  que  ,  feignant  de  ne  pouvoir  pluî 
réfifter  aux  ennemis  depuis  la  jonc- 
tion de  l'Electeur  de  Brandebourg . 
il  alloit  toujours   reculer  devam 
eux  ;  que  ,  pour  leur  donner  mêmci 
plus  de  confiance  ,  il  fe  retireroil 
tout-à-fait  en  Lorraine  ;  après  quoi 
ils  ne  manqueroient  pas  de  fe  ré* 
pandre  dans  toute  l'Alface  ;  qu'a- 
lors il  tomberoit  fur  leurs  quartiers . 
d'un  côté  par  où  affurément  ils  ne 
foupçonneroient  pas  qu'il  dût  ve- 
nir les  furprendre  ;  ë£  qu'il  les  obli- 
geroit  peut-être  à  repaffer  le  Rhin , 


DE   TU  RENNE.  Liv.  V,  457 
&  à  aller  hiverner  chez  eux  :  ce  A  N  N  i  g 
qui  arriva  effectivement  comme  il      i*7)-. 
l'avoit    prévu. 

Pour  tranfmettre  à  la  poftéri- 
té  une  a&ion  fi  digne  d'être  con- 
facrée ,  le  Roi  fit  frapper  la  Mé- 
daille  N°.  15. 

On  y  voit  un  trophée ,  que  deux 
>oldats ,  qui  fuient ,  regardent  avec 
?ffroi.  La  Légende;  Sexaginta  init- 
ia Gcrmanorum  ultra  Rhcnum pulfa , 
ignifîe  :  Soixante,  mille  Allemands 
bligés  à  repajjer  le  Rhin,  L'Exergue 
narque  la  datte  1675. 

Le   lendemain   du   combat    de 
?urckiem ,  on  trouva  dans  Colmar  S^TV^  k 
rois  mille  foldats  blefTés  ou  mala-  neutralité  de 
:  es,  avec  plufieurs  Officiers ,  qui  y  s«asbouis- 
[voient  été  abandonnés  par  les  en- 
emis*  On  prit  Rufïak  fans  coup  fé- 
ir ,  ainfi  que  divers  petits  châteaux, 
[ans  lefquels  on  trouva  plus    de 
[eux  mille  hommes  de  troupes  de 
Electeur  de  Brandebourg ,  que  ce 
t  rince  n'avoit  pas  eu  le  tems  d'en 
kîtirer.  On   auroit  pu  bombarder 
[  trasbourg  ,  &  brûler  tout  ce  qui 
[  ;oit  aux  environs  7  pour  venger  la 

y 


45 S  Histoire  du  Vicomte 
N  N  é  s  neutralité  violée  :  mais  le  Vicomte 
i67jt      de  Turenne,  qui  favoit  faire  cédei 
le  frivole  plaiûr   de   fatisfaire  ur 
reflentiment,  au  folide  avantage  d( 
procurer  le  bien  de  l'Etat ,  eftiman 
qu'il   étoit  plus  à  propos  pour  le 
fervice  du  Roi,  de  remettre  Strai 
bourg  dans    nos   intérêts,  que  dt 
ravager  le  territoire  de  cette  Vil 
le  ,  y  envoya  un  homme  de  con 
fiance  ;  lequel ,  s'étant  mêlé  parm 
les  Impériaux  dans  leur  retraite ,  j 
entra  avec  eux.  Il  promit  aux  Ma 
giftrats  ,  de  la  part  du  Vicomte  d 
Turenne ,  qu'il  ne  feroit  fait  aiicu 
tort  à  la  Ville ,  ni  à  tout  ce  qui  e 
dépendoit ,  pourvu  qu'ils  ne  retin 
fent  chez  eux  aucun  des  ennemis 
&  qu'ils  promirent  d'obfever  ir 
violablement  la  neutralité  à  l'ave 
nir.   Cette   précaution  ne  fut  pc 
inutile  ;  car  le  Duc  de  Bournor 
ville  avoit  fi  bien  perfuadé  à  ceu 
de  Strasbourg  ,  que  notre  arméi 
vi&orieufe  alloit  venir  fondre  S 
leur  Ville  pour  punir  leur  infidél: 
té ,  qu'ils  étoient  fur  le  point  d'ac 
cepter  une  garnifon  Impériale  poi 


DE  TURENNE.  Llv.  V,    459  ' 

leur  défenie.  Mais  les  Magiitrats  ,  A  N  N  é  t 
touchés  de  la  modération  du  Vi-  l6ri' 
comte  de  Turenne ,  6c  comptant  fur 
fa  parole  autant  que  iur  les  traités 
les  plus  folemnels,  remercièrent  le 
Duc  de  Bournonville ,  &  nous  en- 
voyèrent aiTurer ,  qu'ils  ne  donne- 
roient  plus  ,  ni  pafïage ,  ni  retraite 
à  nos  ennemis. 

Le  Vicomte  de  Turenne  reçut    I!  r~  * «ad  4 
alors  une  Lettre  du  Roi,  par  la- let^rnc com 
quelle  il  lui  mandoit,  qu'il  avoit  mander  fur  le 
impatience  de  le  revoir  ,  pour  lui  Rhin* 
témoigner  la  fatisfa&ion  qu'il  avoit  ^^^  ," 
du   fervice  important  qu'il  venoit  Janvier  ,    à 
de  lui  rendre.  Ce  Général,  avant *;£e™ain 
donc  donné  tous  les  ordres  nécef- 
faires  pour  la  fureté  de  l'Alface  &£ 
pour  les  quartiers  d'hiver  de  fon 
armée  ,  prit  le  chemin  de  la  Cour. 
Il  trouva  fur  toute  fa  route  un  con- 
cours de  gens  de  toutes  fortes  d'â- 
ges &  de  conditions ,  qui  venoient 
au-devant    de  lui  pour   le  voir. 
Il   y  en  eut   en   Champagne  qui 
vinrent  de  dix  lieues  fur  le  che- 
min par  où  il  devoit  pafler;  6c 
ceux  de  cette    Province-là,  per- 


460  Histoire  du  Vicomte 
fuadés  qu'ils  lui  étoient  redevables 
de  tout  le  bien  &  de  tout  le  re- 
pos dont  ils  jouiffoient ,  verfoient 
des  larmes  de  joie  en  le  voyant. 
Le  Roi  le  reçut  d'une  manière  qui 
faioit  aflez  connoître  qu'il  n'y  avoit 
perfonne  dans  ion  Royaume  qu'il 
e {limât  plus  que  lui.  On  ne  par- 
loit  à  la  Cour  que  de  la  conduite 
qu'il  avoit  tenue  pendant  cette  der- 
nière campagne  ,  dont  l'éclat  fem- 
bloit  furpaffer  celui  de  toutes  les 
autres.  Chacun  le  regardoit  com- 
me un  homme  qui  venoit  de  fau- 
ver  l'Etat.  On  s'arrêtoit  dans  les 
rues  de  Paris ,  pour  le  voir  paffer  :  il 
ne  pouvoit  plus  aller  dans  les  Egli- 
{es  ,  qu'il  ne  fût  environné  d'une 
foule  de  peuple,  qui  femboit  ne 
pouvoir  fe  raflafier  de  le  voir  :  la 
plupart  des  Princes  Etrangers  fai- 
ioient  venir  fon  portrait.  Perfbnne 
n'avoit  peut-être  jamais  joui  d'une 
réputation  û  pure  &  fi  étendue; 
&  il  ne  tenoit  qu'à  lui  d'accroître 
encore  fa  gloire  ,  en  continuant  de 
commander  les  armées.  Mais  au 
contraire ,  il  fouhaitoit  fort  alors 


DE  Tu  RENNE.  Llv.  F.  461  

qu'on  eût  bien  voulu  l'en  difpen-  a  m  h  l  » 
fer  :  fon  âge  déjà  avancé,  &  ce  tond  l6?^ 
de  Religion  dont  il  a  voit  le  cœur 
rempli ,  le  prefToient  fortement  de 
fe  dégager  de  toutes  les  affaires  du 
monde  ,  pour  paffer  le  refle  de  fes 
jours  dans  la  retraite.  Cependant, 
perfuadé  que ,  tant  que  la  guerre 
dureroit ,  il  ne  pourroit  quitter  le 
fervice ,  fans  manquer  à  ce  qu'il  de- 
voit  au  Roi  &  à  l'Etat ,  il  accepta 
encore  le  commandement  de  1  ar- 
mée qui  devoit  agir ,  cette  année- 
là,  du  côté  de  l'Allemagne.  Schlef-  Le  n  Maî* 
tat  fut  le  rendez- vous  qu'il  marqua 
aux  troupes;  &il  alla  fe  remettre 
à  leur  tête ,  fi-tôt  qu'elles  y  furent 
affemblées. 

Les  grands  avantages  qu'il  11  obferve 
avoit  remportés  la  campagne  pré-  M<?ntectt- 
cédente ,  avoient  fait  perdre  aux 
divers  corps  de  l'armée  Impériale 
la  confiance  qu'ils  avoient  en  leurs 
Chefs  ;  &  la  terreur  étoit  répan- 
due parmi  toutes  leurs  troupes. 
Pour  les  raffurer ,  l'Empereur  en 
donna  le  commandement  au  Com- 
te de  Montecuculli ,  qui  n'avoit 
V  iijf 


462  Histoire  du  Vicomte 
XTTTe  Pomt  voulu  fe  trouver  à  l'armée 
267j.      l'année  précédente,  pour  ne  pas 
obéir  à  l'Electeur  de  Brandebourg, 
duquel  il  auroit  été  obligé  de  re- 
cevoir Tordre  à  caufe  de  ion  rang. 
Le   Comte    de   Montecuculli  fai- 
ibit  la  guerre  depuis  près  de  cin- 
quante ans  ,  &  y  étoit  véritable- 
ment confommé.  Il   avoit  tiré  fes 
troupes    de   leurs    quartiers    d'hi- 
ver beaucoup  plutôt  qu'on  n'a  cou- 
tume de  les  faire  fortir  en   Alle- 
magne. Il  efpéroit  paffer  dans  la 
haute  Alface ,  en  nous  prévenant 
du    côté   du   Rhin  :  mais    voyant 
que  nous  y  étions  arrivés  aum-tôt 
que  lui ,  &  n'ofant  entreprendre  de 
jetter    un   pont  fur    ce  fleuve  en 
notre  préfence  ,  il  marcha  du  cô- 
té du  Fort  de  Kell ,  pour  tâcher  de 
paffer  fur  le  pont  de  Strasbourg. 
Le  Vicomte  de  Turenne ,  marchant 
aufli  de  fon  côté ,  s'approcha  de 
cette  Ville  ;  &  les  Magiftrats ,  voyant 
notre  armée  à  leurs  portes ,  obfer- 
verent  religieufement  la  neutralité. 
Le  Comte  de  Montecuculli,  per- 
fuadé  que  c'étoit  le  voifmage  de  nos 


N    N 


DE  Tu  RENNE  Liv.  F.  463 
*r°upes  qui  empêchoit  ceux  de  a 
Strasbourg  de  lui  donner  paftage  , 
entreprit  de  nous  éloigner  de  cette 
Ville.  Pour  cela ,  abandonnant  en 
apparence  le  deffein  de  parler  dans 
la  haute  Alface ,  &  feignant  de 
vouloir  afïiéger  Philisbourg,  il  fit 
marcher  fes  troupes  du  côté  de 
cette  Place.  Mais  le  Vicomte  de 
Turenne,  qui  jugeoit  des  defïeins 
de  ce  Général,  non  par  ce  qu'il 
faifoit ,  mais  par  ce  qu'il  avoit  in- 
térêt de  faire,  regarda  cette  mar- 
che comme  une  pure  feinte ,  &c  de- 
meura toujours  aux  environs  de 
Strasbourg, 

Le  Comte    de   Montecucuiïi  ,    iî  pafc  1* 
n'ayant  pu  faire  donner  le  Vicom-  &!?  re'pa'fler1! 
te  de  Turenne  dans  la  feinte  du  Momecucui- 
fiége    de    Philisbourg  ,   paffa    le11' 
Rhin  au-defîbus  de  Spire  ,   pour 
lui  faire  croire  qu'il  youloit  entrer 
dans  la  baffe  Alface  ,  pour  l'at- 
tirer   de    ce    côté-là  ;  le  flattant 
qu'en  retournant  alors  fur  fes  pas  , 
&  en  nous  dérobant  quelques  mar- 
ches ,  il  pourroit  arriver  plutôt  que 
nous  à  Strasbourg  ,  &  paffer  fur  le 

Viv 


_______   4^4  Histoire  du  Vicomte 

Année  pont  de  cette  Ville.  Mais  le  Vi- 
lé75-  comte  de  Turenne  ,  bien  loin  de 
prendre  le  change  ,  voyant  que  le 
grand  éloignement  des  ennemis  lui 
donnoit  le  tems  de  pafler  le  Rhin 
lui-même ,  fit  promptement  defcen- 
dre  des  bateaux  de  Brifach,  jetta  un 
pont  fur  ce  fleuve ,  prefque  vis-à- 
vis  Ottenheim ,  qui  eft  à  une  lieue 
au-deffous  de  Rhinaw,  &  commen- 
ça à  y  faire  pafler  fon  armée.  A 
la  première  nouvelle  que  le  Comte 
de  Montecuculli  eut  de  la  conftruc- 
tion  de  ce  pont ,  il  crut  que  c'étoit 
une  feinte  >  par  laquelle  le  Vicom- 
te de  Turenne  vouloit  l'engager  à 
retourner  au-delà  du  Rhin  ,  &  que 
ce  Prince  n'enverroit  que  quelque 
camp-volant  au-delà  de  ce  fleu- 
ve :  mais  il  ne  fut  pas  long-tems 
fans  apprendre  que  toute  notre  ar- 
mée a  voit  effectivement  paffé  le 
Rhin.  Alors  il  repaffa  ce  fleuve  ; 
&  courant  à  la  défenfe  du  pays  , 
il  tâcha  de  gagner  Vilftet  for  la 
Quinche  ;  pofle ,  par  le  moyen  du- 
quel il  auroit  pu  nous  ôter  la  com- 
munication de  Strasbourg.  Mais  le 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  465   

Vicomte  de  Turenne  y  étant  ar-  année 
•rivé  avant  lui ,  s'en  faifit  aufli-tôt  l67î« 
y  mit  la  droite  de  fon  armée ,  en 
étendit  la  gauche  jufqu'au  Fort  de 
Kell  qui  eft  à  la  tête  du  pont  de 
Strasbourg;  &  par-là  il  empêcha 
les  ennemis  d'avoir  aucun  com- 
merce avec  les  habitans  de  cette 
Ville. 

Le  Comte  de  Montecuculli  ayant  Embarras  de 
été  ainfi  prévenu  ,  fe  trouva  très- ce     Générai 
embarraffé.  Nous  avions  parlé  le     cnuu  ' 
Rhin ,  &  nous  étions  dans  les  ter- 
res de  l'Empire  :  il  falloit  donc  qu'il 
nous  obligeât  à  repaffer  ce  fleuve , 
ou  qu'il  fît  quelque  chofe  d'équi- 
valent. 

Le   Vicomte  de   Turenne  n'a-    Xurf  n5/e 

....       .  porte  a     Oc- 

voit  que  vingt  mille  hommes  ,  oc  tenheii»  , 
il  avoit  été  obligé  de  laiffer  une 
partie  de  fes  troupes  à  Otten- 
heim  ,  pour  garder  fon  pcnt  :  néan- 
moins, comme  pour  aller  à  lui  il 
falloit  pafler  la  Quinche ,  dont  il 
s'étoit  couvert ,  le  Comte  de  Mon- 
tecuculli ,  n'ofant  entreprendre  de 
i  le  faire  ,  réfolut  de  nous  donner 
jaloufie  pour  notre  pont  d'Otten- 
V  v 


466  Histoire  du  Vicomte 
anné£  heim  ,  en  s'avançant  de  ce  côté  là  9 
*67 5»      &  de  tâcher  de  nous  faire  aban- 
donner Vilftet.  Dans  cette  vue  , 
il  fit  marcher  fon  armée  le  long 
des  montagnes  de  la  Forêt- noire 
pour   aller    gagner  l'Abbaye    de 
Schuttern ,  qui  n'eft  qu'à  une  lieue 
d'Ottenheim.  Mais  le  Vicomte  de 
Turenne  ayant  réfolu  de  marcher 
en  même-tems  que  lui  ,   laifia  à 
Vilftet  un    détachement    fuffifant 
pour  garder  ce  pofte  ;  &  menant 
le  refte  de  fon  armée  vers  Otten- 
heim ,  il  y  arriva  avant  les  enne- 
mis, 
&  défend  le      Le    Comte   de    Montecuculli , 
pont  ,  auffi-  fe  voyant  encore  prévenu ,  demeiir 
luTd^Suaf-  ra  campé  à  Schuttern  ,  faifant  di- 
feourg.         vers  mouvemens  à  droite  6c  à  gau- 
che ,  pour  nous  inquiéter ,  tantôt 
vers  notre  pont ,  tantôt  du  côté  de 
celui  de  Strasbourg.  Mais  le  Vi- 
comte de  Turenne  ayant  fait  ou- 
vrir les  défilés  &  les  bois  depuis 
Ottenheim    jufqu  a  Vilftet  ,  pour 
faire  pafîer  avec  plus  de  facilité  fes 
troupes  ?  fuivit  fi  à  propos  les  en- 
nemis dans  tous  leurs  mouvemens , 


E    E 


DE  TURENNE.  Lîv.  V.  467 
qu'il  fe  trouva  par-tout  où  ils  vou-  A  N  N 
lurent  entreprendre  quelque  cho-  1^7 s» 
fe ,  &  défendit  fi  bien  la  tête  des 
deux  ponts,  qu'ils  ne  purent  fe  ren- 
dre maîtres  ni  de  l'un  ni  de  l'au- 
tre. 

Pendant  tout  le  tems  qu'on  de-    Turenne  & 
meura  dans  cette  fituation,  il   ne  s«0bfervenr 
fe  paifa  prefque  point  de  jour  au-  avec    grand 
quel  il  n'y  eût  quelques  rencontres foia* 
entre  les   partis  des  deux  armées. 
Les    Impériaux    &c    les    François 
étoient  à  tous  momens  aux  mains , 
mais  feulement  dans  de  légères  ef- 
carmouches.  Car  ,  quoique  le  Vi- 
comte de  Turenne  6c  le    Comte 
de  Montecucullï  s'obfervaffent  mu- 
tuellement avec  grand  foin  ,  atten- 
dant tous  deux  que  l'un  ou  l'autre 
fit  quelque  fauffe  démarche ,  pour 
en  profiter  ;    &  quoiqu'il   tentaf- 
fent  toutes  chofes  à  l'envi,  pour  fai- 
re naître  quelque  conjoncture  favo- 
rable de  s'attaquer  l'un  l'autre  avec 
avantage  ,  ils  n'en  purent  jamais 
*  trouver  l'occafion. 

Les  deux    armées  n'etoient  fé-  Tranquillité 
parées  que  parla  petite  rivière  de mVs?<rs 

y  vj 


468  Histoire  du  Vicomte 

A  «  n  é  e  Tondits  ,  fur  laquelle  même  le  Vi- 
l67S-  comte  de  Turenne  avoit  fait  faire 
plufieurs  ponts.  Cependant  les  trou- 
pes fe  repofoient  tellement  de  part 
&  d'autre  fur  leur  Général ,  que 
l'on  dormoit  fans  inquiétude  dans 
les  deux  camps,  quoiqu'il  n'y  eût 
quelquefois  qu'un  quart  de  lieue  de 
la  tête  d'une  armée  à  celle  de  l'au- 
tre. 
Turenne  ref-     Toute  l'Europe  étoit  atttentive 

ferre  ion  ar-  \  •   r  /r   •„.    j  a.»  n 

mée  près  de a  ce  ^U1  *e  paiioit  de  ce  cote  la  ; 

Strasbourg.  &  c'étoit  en  effet  une  chofe  digne 
de  fon  attention  que  les  démar- 
ches de  deux  des  plus  grands  Gé- 
néraux qui  fiuTent  alors ,  &  que  la 
fortune  fembloit  avoir  voulu  oppo- 
ier  l'un  à  l'autre  ,  pour  décider  des 
intérêts  de  la  France  &c  de  ceux  de 
l'Allemagne.  Ces  deux  Capitai- 
nes ,  tous  deux  d'une  expérience 
consommée  ,  mirent  en  pratique 
tout  ce  qu'un  long  ufage  leur  avoit 
appris  du  métier  de  la  guerre ,  tant 
qu'ils  furent  en  préfence.  Dans 
divers  mouvemens ,  vrais  ou  feints 
ils  épuiferent ,  pour  ainfi  dire ,  tou- 
tes les  finefles  &  toutes  les  rirfes  de 


Année 


DE  ÎURENNE.  Liv.  V.   469 

l'art,  pour  s'affamer ,  pour  fe  cou- 
per les  fourrages ,  pour  fe  furpren-  1^75 
dre ,  &  gagner  quelqu'avantage  l'un 
fur  l'autre ,  fans  quoi  ils  étoient  ré- 
folus  tous  deux  à  ne  point  donner 
combat.  Les  ennemis  eux-mêmes 
ne  pouvoient  comprendre  ,  com- 
ment le  Vicomte  de  Turenne  pou- 
voit ,  avec  vingt  mille  hommes  , 
tellement  garnir  de  troupes  tout 
l'efpace  depuis  Vilfler  jufqu'à  Ot- 
tenheim  ,  qui  eft  de  quatre  grandes 
lieues  ;  qu'il  fe  trouva  toujours  à 
portée  de  défendre  fon  pont  &:  ce- 
lui de  Strasbourg ,  dès  qu'ils  par- 
roifïbient  vers  l'un  ou  vers  l'autre. 
La  vérité  eft ,  qu'il  étoit  obligé  de 
fe  donner  de  grands  mouvemens 
pour  cela ,  &  qu'il  falloit  que  les 
troupes  fuffent  fans  ceffe  en  mar- 
che ôc  en  action.  C'eft  pourquoi , 
voulant  épargner  cette  fatigue  ,  6c 
fe  délivrer  de  l'embarras  de  garder, 
fi  près  des  ennemis ,  deux  poftes 
auiîi  éloignés  ,  il  fit  défaire  fon  pont 
derrière  fon  armée  ,  fans  que  les 
ennemis  s'en  apperçiuTent ,  &  le 
fit  defcendre  d'Ottenheim  à  Alten- 


470  Histoire  du  Vicomte 


A  N  N  é  E  heim ,  c'eft-à-dire ,  deux  lieues  plus 
t*7i*  bas ,  6c  plus  près  de  Strasbourg  :  6c 
faifant  relferrer  fon  armée  ,  il  fe 
trouva  qu'il  n'avoit  plus  qu'une 
étendue  de  deux  lieues  de  pays  à 
garder  ;  fçavoir,  depuis  Àltenheim , 
où  il  mit  fa  droite ,  jufqu'à  Vilfter  ? 
où  il  avoit  fa  gauche. 
L'armée  im-  Les  ennemis  ,  ayant  ainfi  vu 
^lefere- échouer  tous  les  deffeins  qu'ils 
avoient  fur  notre  pont ,  fe  trouvè- 
rent dans  une  fituation  afTez  embar- 
rafïante.  Ils  avoient  confumé  toutes 
les  munitions  des  petites  villes  Im- 
périales qu'ils  avoient  autour  d'eux, 
&  ils  ne  pouvoient  plus  tirer  de 
vivres  que  de  la  Souabe  ,  par  la 
vallée  de  Kintfig  ,  chemin  très- 
long  6l  très-difficile  ;  pendant  que 
tovit  venoit  en  abondance  dans  no- 
tre armée ,  6c  de  l'Alface  par  notre 
pont ,  &  de  Brifach  par  le  Rhin. 
Ils  ne  pouvoient  s'étendre ,  ni  à  droi- 
te,  ni  à  gauche ,  étant  ferrés  comme 
ils  l'étoient ,  d'un  côté  par  le  Rhin , 
&  de  l'autre  par  les  montagnes. 
Ils  auroient  bien  voulu  marcher  en 
avant  du  coté  de  Fribourg  >  oii  il 


DE  TURENNE.  Llv.   V.  471  ^ 

y  avoit  de  grands  magafins  ;  mais  a  n  n  i  * 
en  y  allant ,  ilsauroientprêtéle  flanc      **7f« 
au  Vicomte  de  Turenne.  De  retour- 
ner en  arrière  ,  ils  ne  le  pouvoient 
avec  honneur  :  néanmoins ,  croyant 
que  c'étoit  le  parti  le  plus  fur  pour 
eux  ,  ils  fe  déterminèrent  enfin  à 
le  prendre.  Le  Comte  de  Monte-    Le  *■* Juîn^ 
cuculli,  ayant  donc  quitté  l'Abbaye 
de    Schutern  ,     retourna    fur  fes 
pas  ,  reparla  la  Quinche  à  OtFem- 
bourg,  ckfe  campa  auprès  de  cette 
Ville. 

Le  Vicomte  de  Turenne ,  voyant    xm-ennc  le 
reculer  les  ennemis  ,  réfolut  de  les^uriuk  ,  & 
pourfuivre,  pour  leur  donner  ba-  c0UptuJe  d- 
taille;  ck  il  les  alla  ferrer  de  fi  près  non  dam  i'e£-. 
a  Offembourg,  qu'ils  furent  obligés tomaCo 
d'en  décamper,  £k  de  gagner  Ur- 
lafF,  qui  efl  à  deux  lieues  par-de- 
là. Le  Vicomte  de  Turenne  ,  mar- 
cha aufïi-tôt  après  eux  :    mais  à 
peine  eût-il  pafTé  la  Quinche ,  que 
le  Comte  de  Montecuculli  décam- 
pa encore  ;  ck:  continuant  à  recu- 
ler ,  alla  fe  mettre  derrière  la  ri- 
vière de  Reuchen  ,  qui  efl  à  qua- 
tre lieues  au-defTous  de  Strasbourg. 


472  Histoire  du  Vicomte 

Année  Ie  Vicomte  de  Turenne  ,  pourfui- 
i675»  vant  toujours  les  ennemis  à  mefti- 
re  qu'ils  fe  retiroient ,  s'avança  juf- 
qu'à  cette  rivière  ,  la  paffa  auprès 
de  la  petite  ville  de  Reuchen  , 
chaffa  une  troupe  d'Impériaux  qui 
s'étoient  retranchés  dans  une  Egli- 
fe  aux  environs  d'Acheren  ;  &c 
étant  arrivé  fur  les  hauteurs  du  vil- 
lage de  Sufpach ,  qui  eft  à  une  de- 
mi-lieue de  cette  Ville  ,  il'décou- 
vrit  toute  l'armée  Impériale ,  de  la- 
quelle il  n'étoit  plus  féparé  que  par 
un  petit  ruiffeau.  Il  avoit  beaucoup 
moins  de  troupes  que  les  enne- 
mis. Cependant ,  ayant  réfolu  de 
leur  donner  bataille ,  il  marcha  à 
eux  ;  il  fit  dreffer  des  batteries  fur 
les  hauteurs  dont  il  s'étoit  faiii  ;  il 
vifita  tous  les  poftes  ;  il  fe  tranf- 
porta  fur  l'éminence  la  plus  éle- 
vée,pourreconnoître  encore  mieux 
les  endroits  par  où  il  vouloit  taire 
attaquer  les  Impériaux  ;  &  tout  lui 
parut  fi  favorablement  difpofé  pour 
fon  defïein  ,  que  ,  quoique  jamais 
il  n'eût  rien  fait  connokre  de  ce 
qu'il  fepromettoit  d'avantageux  à  la 


DE   TURENNE.  Liv.  K   473     . 

veille  d'un  combat ,  il  ne  put  s'em- 
pêcher cette  fois-ci  ,  de  dire  ce  ^"j*  * 
qu'il  penfoit  de  l'heureux  fuccès  de 
celui  qu'il  alloit  donner.  Il  voyoit 
que  les  ennemis  ne  pouvoient  plus 
lui  échapper  ,  &  que  ,  félon  tou- 
tes les  apparences ,  il  alloit  enfin 
recueillir  le  fruit  d'une  fi  péni- 
ble campagne  ;  lorfque  les  en- 
nemis ,  ayant  fait  tirer  une  volée 
de  canon  vers  l'endroit  où  il  étoit, 
il  fut  atteint  d'un  boulet  ,  qui  lui 
donna  au  milieu  de  l'eftomac  ,  & 
le  renverfa  mort  par  terre.  Ce  me-  Le  17  JuiUu 
me  boulet  de  canon  emporta  un 
bras  à  M.  de  Saint  Hilaire  ,  Lieu- 
tenant-Général de  l'artillerie  ;  ÔC 
comme  fes  deux  enfans  pleuroient 
de  le  voir  dans  cet  état  :  Ce  nefi 
pas  moi ,  leur  dit-il ,  qu'il  faut  pleu- 
rer ;  c'ejl  ce  grand  Homme  %  en 
leur  montrant  le  corps  du  Vicom- 
te de  Turenne  ;  c\fi  la  perte  irré- 
parable que  la  France  vient  défaire, 
La  plupart  de  ceux  qui  virent  ainfi 
tomber  le  Vicomte  de  Turenne  , 
demeurèrent  tellement  éperdus  , 
qu'on  eût  dit  qu'ils  avoient  été  frap- 


A  K    K 


474  Histoire  bu  Vicomte 
pés  du  même  coup.  Cependant 
j^*  "  un  d'entr'eux  ,  qui  fçut  mieux  fe 
pcfîeder  que  les  autres  ,  jugeant  de 
quelle  coniéquence  il  étoit  de  ca* 
cher  un  accident  ii  funefte  ,  jetta 
prcmptement  un  manteau  fur  le 
corps  du  Vicomte  deTurenne,  & 
le  fit  emporter  le  plus  fecrettement 
qu'il  put  ;  de  manière  que  cette 
mort  fut  plutôt  icue  dans  l'armée 
des  ennemis ,  que  dans  la  nôtre  ; 
un  de  ceux  qui  en  avoient  été  té- 
moins ,  étant  aufTi-tôt  pafié  dans  leur 
camp  pour  la  leur  apprendre.  A 
cette  nouvelle  ,  le  Comte  de  Mon- 
tecuculli  ,  qui  n'ignoroit  pas  les 
avantages  qu'il  pouvoit  retirer  de 
la  mort  du  Vicomte  de  Turenne  9 
ne  parut  néanmoins  fenfîble  qu'à  la 
douleur  qu'il avoit  de  la  perte  de  ce 
Général ,  duquel  il  dit  ce  beau  mot , 
qui  renferme  un  fens  û  profond: 
il  faifoit  honneur  à  l'homme  ;  vou- 
lant faire  entendre  par -là  que  la 
nature  humaine  fe  trouvo.t  ho- 
norée par  le  mérite  d'un  homme 
tel  que  le  Vicomte  de  Turenne» 
Au  refte ,  la  confiance  des  Im- 


»E   TU  RENNE.    Liv.  V.    47^ 

périaux  alla  jufqu'à  la  préfomp-   Ao.H 
tion  ,    lorfqu'ils    apprirent    cette      1675. 
mort  ;  &  ils  commencèrent  à   fe     Efp£ran<:es 
regarder  déjà  comme  maîtres  des  qu'en conçoi- 
François  ,  découragés  par  une  11  J^lna?  A& 
grande  perte.  De  notre  côté  ,  quel-  douleur  qu'en 
ques  mefures  que  l'on  eût  prifes  ^J"^J*  ^ 
pour  la  tenir  fecrette  ,  elle  ne  put  repaient' q le 
l'être  bien  long-tems.  Il  parut  aux  Rhuu 
yeux  de  tout  le  monde  ,  qu'il  fe 
paffoit  quelque  chofe  de  myftérieux 
parmi  les  Officiers  Généraux.  Les 
foldats  ne  purent  pénétrer  ce  que 
c'étoit;  mais  les  Officiers  ,  en  ayant 
aifément  deviné  la  caufe  ,    com- 
mencèrent bientôt  à  la  rendre  pu» 
blique.   On  ne  fçauroit  exprimer 
la   confternation  où    tomba  l'ar- 
mée quand  on  y  apprit  cette  mort* 
On  en  fut  tellement  faifi ,  que  tout 
le  monde ,  demeurant  muet  6c  im- 
mobile y  il  fe  fit  tout-à-coup  un 
profond  filence   dans  le    camp  , 
malgré  le  tumulte  qui  en  eft  com- 
me inféparable.  Ce  filence  ne  fut 
rompu   que  par  les  lamentations 
de  quelques  foldats  ,  qui  s'écriè- 
rent :  Notre  Père  eji  mort  ,  nous 


476  Histoire  du  Vicomte 
"7  ~~  avons  perdu  notre  Père  :  Nousfommts 
1*75.  perdus.  D'autres  s'arrachoient  les 
cheveux  de  douleur.  Les  Anglois 
vouloient  fe  jette'r  fur  les  enne- 
mis ,  pour  venger  fa  mort.  Tous 
les  foldats  ,  touchés  d'une  trifte 
curioiité ,  voulurent  voir  le  corps 
de  leur  Général  ;  fpe&acle  qui 
renouvella  leurs  pleurs  &  leurs 
cris.  Cependant  la  crainte  011  cha- 
cun étoit  pour  foi-même  ,  l'ayant 
bientôt  emporté  fur  toute  autre 
forte  de  fentimens,  nous  retour- 
nâmes chercher  notre  pont  pour 
y  paffer  le  Rhin.  Ce  fut  une  chofe 
bien  mortifiante  que  cette  retrai- 
te ,  qu'il  nous  fallut  faire  devant 
des  gens  ,  que  nous  étions  allés 
chercher  fi  loin.  Après  avoir  ef- 
fuyé  un  fanglant  combat  ,  nous 
voyant  en  fureté  au-deçà  du  Rhin  , 
nous  commençâmes  à  fentir  plus 
vivement  la  grandeur  de  notre 
perte  ,  n'étant  plus  partagés  par 
aucun  autre  intérêt.  Les  Officiers 
&  les  foldats  recommencèrent  à 
déplorer  leur  malheur  par  de  nou- 
veaux regrets ,  à  rappeller  le  fou- 


DE   TURENNE.    Llv.  T.   477 

/enir  de  toutes  les  marques  de  A  N  M  É  € 
ponté  qu'ils  a  voient  reçues  du  Vi-  1675. 
:omte  de  Turenne ,  ci  à  fe  les 
•aconter  les  uns  aux  autres.  Le 
Comte  d'Auvergne  ,  &c  (es  autres 
îeveux  ,  qui  fe  trouvèrent  alors 
lans  notre  armée  ,  lui  ayant  fait 
aire  un  fervice  ,  les  gémhTemens 
•edoublerent ,  quand  on  vint  à  lui 
endre  ces  derniers  devoirs.  Son 
iffabilité  ,  fon  défintéreffement 
k  fes  autres  qualités  aimables  , 
evenoient  dans  l'efprit  de  tout  le 
nonde  ,  &  faifoient  verfer  des 
armes  :  enfin  l'on  peut  affurer  , 
me  jamais  père ,  Prince,  ni  bien- 
aiteur  ,  ne  furent  tant  pleures  de 
jerfonne,  qu'il  le  fut  de  toutes  les 
roupes. 

Mais  ce  n'étoient  pas  feule-  Combîenôn 
nent  les  gens  de  guerre  qui  \  Jj  c™^e 
itoient  fenfibles  à  la  mort  du  Vi- 
:omte  de  Turenne.  Quand  la  nou- 
velle en  arriva  à  la  Cour ,  on  en 
lit  pénétré  de  douleur  ;  on  en  fut 
nême  véritablement  alarmé  ;  &C 
:e  qui  eft  bien  plus  ,  on  le  parut  à 
découvert ,  comme  on  l'étoit.  On 


Pans 


478-  Histoire  du  Vicomti- 

Akv±e  fit   aufli  -  tôt   huit   Maréchaux  de 

i67y.      France,  pour  réparer,  en  quelque 

forte  ,  la  perte  d'un  feul ,  dont  on 

ne   connut  jamais  mieux  le  prix 

qu'après  fa  mort. 

Pour  avoir  une  jufle  idée  de 
la  consternation  que  cette  mort  cau- 
fa  dans  Paris  9  il  faudroit  y  avoir 
été  alors.  La  triftefTe  ,  en  un  inf- 
îant,  fut  peinte  fur  le  vifage  des 
habitans  de  cette  grande  Ville, 
On  vit  l'artifan  quitter  fon  tra- 
vail pour  aller  former  une  fociétd 
de  plaintes  avec  fes  voifms  ;  & 
les  bourgeois  s'attrouper ,  pour  fe 
demander  jufqu  aux  moindres  cir« 
confiances  d'un  fi  grand  malheur . 
avec  les  regrets  les  plus  tendres  & 
les  plus  vifs. 
*,  a^c  J„*      La  mêrrie  chofe  arriva  dans  les 

&c  dans  tout  .  .        , 

je  Royaume.  Provinces  les  plus  éloignées.  Or  * 
fut    plufieurs    jours  incapable  de 
faire  autre  chofe  que  de  parler  d<  \ 
la  mort  du  Vicomte  de  Turenne  : 
&C  de  le  pleurer. 

î.e  Roi  même      Le  R0i  même ,  touché  de  tou 

le  pleura  &  le  /->  '     '      \  •*.€'*. 

fit  inhumer  à  <^e  que  ce  General  avoit  tait  pou 
s.  Denis.      la  confervation   de   fa  couronm  I 


DE   TURENNE.   LlV.V.     479 
pendant  fa  minorité  ,    &;  depuis  "T        7"" 

r  1        1  '  c      r       1       1  -       t-  1        Année 

pour  la  détente  de  les  Etats ,  le  ié7î, 
pleura  :  il  ordonna  que  ion  corps 
tnt  apporté  dans  l'Abbaye  de  Saint 
Denis ,  où  l'on  enterre  ordinaire- 
ment tous  les  Rois  de  France  ;  &c 
même ,  pour  le  diftinguer  des  autres 
grands  hommes  qui  y  ont  été  in- 
humés ,  il  voulut  qu'il  fut  enterré 
dans  la  chapelle  deftinée  pour  la 
fépulture  des  Rois  fk,  des  Princes 
de  la  branche  Royale  de  Bourbon , 
comme  il  paroît  par  l'ordre  con- 
tenu dans  la  lettre  fui  vante  ,  adref- 
fée  à  l'Abbé  6ç  aux  Religieux 
-de  l'Abbaye  de  Saint  Denis  en 
France. 

CHERS  &  bien  amés  :  les  grands  -,  **  kt"e} 

e      r  . ,      r  .  ,D,  lAbbe  de   S* 

C*  Jignales  Jervices  qui  ont  eu  ren-  oe] 
dus  à  cet  Etat  par  jeu  notre  Coujin 
Le  Viçomle  de  Turenne  ,  &  les  preuves 
éclatantes  qu'il  a  données  de  fon  %e- 
le  ,  de  fon  affeclion  à  notre  fervice  , 
&defa  capacité  dans  le  commande- 
ment de  nos  armées  9  que  nous  lui 
ç.vons  confiées  avec  une  efpérance  cer- 
taine des  heureux  &  grands  fucces 
que  fa  prudence  confommée  &  fa  va* 


:ms. 


480  Histoire  du  Vicomte 
*""      ~~  leur  extraordinaire  ont  procuré  à  nos 
l6y^       armes  ,  nous  ayant  fan  repentir  avec 
beaucoup  de  douleur  La  perte  d'un  auf- 
fi grand  homme  ,  &  d'un  fujet  aujji 
néceffaire  9  &    aujji  di flingue  par  J d 
vertu  &  par  f on  mérite  :  Nous  avons 
voulu  "donner  un  témoignage  public  , 
digne  de  notre  ejiime  &  defes  grandes 
actions  ,  en  ordonnant  quilfûtrtn* 
du  à  fa  mémoire  tous  Us  honneurs 
qui  peuvent  marquer  à  la  pofiérité 
l'extrême  fatisf action  qui  nous  rejie  , 
&  le  fouvenir  que  nous  voulons  con- 
ferver  de  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  la 
gloire  de  nos  armes ,  &  pour  le  fou- 
tien  de  notre  Etat.  Et  comme  nous  ne 
pouvons  en  donner  des  marques  plus 
publiques  &  plus  certaines  qu'en  pre- 
nant foin  de  fa  fépulture ,  nous  avons 
voulu  y  pourvoir  en  telle  forte  que  U 
lieu  ou  elleferoit ,  fût  un  témoignage 
de  la  grandeur  de  fes  fervices   &  de 
notre  reconnoijjance,   Cefi  pourquoi 
ayant  réfolu  défaire  bâtir  dans  VE- 
glife  de  S.  Denis  une  chapelle  pour 
la  fépulture  des  Rois  &  des  Princes 
de  la  branche  Royale  de  Bourbon  , 
nous  voulons  ,  que  >   lorf qu'elle  fera   ■. 

achevée 


DE  TURENNE.   Liv.  V.    481     

achevée  ,  le  corps  de  notredit  Conjîny  A  N  à  g 
fou  transféré  9  pour  y  être  mis  en  lieu  1*75. 
honorable ,  juivant  V ordre  que  nom 
en  donnerons  :  Et  cependant  nous 
avons  permis  à  nos  Coujins  le  Car* 
dînai  &  le  Duc  de  Bouillon,  Ces  neveux, 
de  meure  fon  corps  en  dépôt  dans  la 
chapelle  de  S.  Euflache  de  la  Sainte 
Eglife  de  Saint  Denis ,  &  d'y  élevet 
un  monument  à  la  mémoire  de  leur 
oncle  9fuivant  les  deffeins  qui  en  ont 
été  arrêtés.  C'eft  de  quoi  nous  avens 
Bien  voulu  vous  donner  avis ,  &  vous 
dire  en  même  tems ,  que  nous  voulons 
que  vous  exécutiez  ce  qui  eji  en  cela 
de  notre  volonté ,  en  faifant  mettre  le 
corps  dans  la  cave  de  la  chapelle  , 
&  en  laijfant  la  liberté  aux  ou- 
vriers de  travailler  au  monument 
jufquà  fon  entière  perfection.  Si  ny 
faites  faute  ;  Car  tel  efl  notre  plaijîrm 
[Donné à  Saint  Germain  en-Laye^  le 
XXII.  jour  de  Novembre  t€y5.  Signé , 
LOUIS  ;  &  plus  bas ,  Colbert.  Et 
fur  le  repli  :  A  nos  chers  &  bien  amés 
lies  Abbe  ,  Prieur  &  Religieux  de 
\V  Abbaye  Roy  ait  de  Saint  Denis  en 
\  France, 

X 


4$2.  Histoire  du  Vicomte 
T        !""       On  fit  donc  apporter  le  corps 

Année.,,..  .      £*  .       ,  r 

ï67î.      du  Vicomte  de  Turenne,  de  1A1- 
Tranfporté  &ce  où  u  étoit ,  en  l'Abbaye  de  S. 
às.Denis,& Denis.  Ces  fortes  de  cérémonies, 
fuaebxcf  °ns  toujours  triftes  d'elles-mêmes ,  n'a- 
voient  jamais  rien  eu  de  fi  lugubre, 
que  celle  ci.  Les  peuples  venoient 
de  tous  les  environs  fur  le  che- 
min par  où  ce  corps  de  voit  paffer, 
&  ne  pouvoient  le  voir  fans  ré- 
pandre des  larmes*  Les  habitans 
de    la    campagne    fortoient    des 
bourgs  &  des  villages  ,  pour  aller 
le  recevoir  :  le  Clergé  alloit  au-de- 
vant de  ville  en  ville.  Les  bour- 
geois de  celle  de  Langres  ,  où  il 
pana ,  prirent  tous  le  deuil  à  fon 
arrivée,  &  firent  une  dépenfe  confi- 
dérable  pour  lui  rendre  des  hon- 
neurs extraordinaires ,  &  cela  fans 
en  avoir  reçu  aucun  ordre  de  la 
Cour  ;  tant  la  mémoire  du  Vicom-  - 
te  de  Turenne  étoit  chère  à  desf 
gens  même  qui  ne  l'avoient  peut- F 
être  jamais  vu.  Le  Roi  lui  fit  fai 
re,  outre  cela,  à  Notre-Dame  de  I 
Paris ,  un  fervice ,  où  le  Clergé  de  I 
France ,  le  Parlement ,  l'Univerfi  I 


DE  TURENNE.  Llv.  V.  483 
té,  &  la  Ville,  afïifterent  en  corps.  A  ~  ~  É  E 
L'Oraifon  flmebre,  qui  y  fut  pro-  x675. 
noncée  par  l'Evêque  de  Lombez  , 
renouvella  les  pleurs  de  toute  l'af- 
femblée.  Les  plus  célèbres  Prédica* 
teurs  en  firent  à  l'envi  en  plufieurs 
autres  endroits  (*)  ;  &  il  ne  fe  pro- 
nonça ,  durant  toute  cette  année , 
aucun  Difcours  public ,  ni  à  l'ouver- 
ture des  Parlemens ,  ni  A  celle  des 
Académies  &  des  Univerfités,ni  en 
aucune  autre  forte  d'occafion  ,  oii 
l'on  ne  fît  l'éloge  du  Vicomte  -de 
Turenne  ,  &  où  l'on  ne  pleurât  fa 
perte;  ce  qui  ne  s'eft  peut-être  jamais 
fait  pour  aucun  autre  particulier. 

Tels  furent  les  regrets  qui  fui- 
virent  la    mort   du    Vicomte    de, 
Turenne.  Ce  Prince  étoit  né  avec   Son  lempf. 
un  corps   d'un  tempérament  très-  rament ,  &  fa 
robufte  :  il  étoit  d'une  taille  mé-  Phyflonomie- 
diocre  &  bien  proportionnée  :  il 
ii'étoit  ni  gras  ni  maigre  ;  il  avoit 
la  forme  du  vifage  affez  régulière  , 


(*)  Entre  autres  l'Abbé  Fléchier ,  depuis 
Evêque  de  Nîmes  ;  &  le  Père  Mafcaron  , 
depuis  Evêque  d'Agen. 

,X  ij 


^   484  Histoire  du  Vicomte 

4  H  N  é  E  les    cheveux   châtains  ,    les  yeux 
**7y»      grands  ,  les  fourcils  épais  ÔC  pres- 
que joints  enfemble  ,  le  teint  plu- 
tôt rouge  que  vermeil  ;  l'air  natu- 
rellement ouvert  &  ferein ,  mais 
rêveur  à  force  d'application  ,   & 
où  l'on  voyoit  tout  à  la  fois  quel- 
que chofe  de  fombre  &  de  riant , 
qui  le  faifoit  paroître  gai   &  mé- 
lancolique en  même-tems  :  phyfio- 
nomie  affez    extraordinaire  ,    6c 
néanmoins  aimable  aux  yeux  de  tout 
le  monde  ,   à  caufe  de  l'extrême 
douceur  qui  y  étoit  répandue.  Il 
n'y  a  prefqu'aucune  forte  de  ver- 
tu ,  dont  il  n'ait  donné  des  exem- 
ples ,  qui   méritent  d'être  rendus 
publics, 
soûdéfwté-      Son  défintéreffem  ent  &  fa  gé- 
ccflcment ,  &  nérofité  font  d'autant  plus  louables , 
que  l'amour  de  l'argent  a  été  pro- 
prement le  vice  dominant  de  fon  ' 
fiecle. 
exemple  no-      Lorfqu'il  étoit   dans  le    Comté 
cible.  de  la  Marck  en  Allemagne  ,  un 

Officier  général  lui  vint  propo- 
fer  de  lui  faire  gagner  cent  mille 
écus  en  quinze  jours  par  le  moyen 


»E   ÎURENNE,   Liv.V.    4S5 

des  contributions  ,  6c  cela  ,  d'une  a  n  n  r% 
manière  que  la  Cour  n'en  auroit  l67\- 
aucune  connoifïance.  Il  lui  répon- 
dit ,  qu'il  lui  étoit  bien  obligé  ; 
mais  qu'après  avoir  trouvé  beau- 
coup de  ces  fortes  d'occafions ,  fans 
en  avoir  jamais  profité  ,  il  n'étoit 
pas  d'avis  de  changer  de  conduite 
à  fon  âge. 

Il  ne  renvoya  jama:s  aucun  de  sa  géoérofi- 
ceux  qui  lui  venoient  demander , té- 
fans  lui  donner.  Quand  il  n'avoit 
plus  d'argent  fur  lui ,  il  en  emprun-  . 
toit  au  premier  Officier  qu'il  trou- 
voit  fous  fa  main ,  &  il  lui  difoit  de 
l'aller  redemander  à  fon  Intendant, 
Un  jour  ,  cet  Intendant  vint  lui 
dire ,  qu'il  foupçonnoit  certaines 
gens  de  venir  redemander  ce  qu'ils 
n'avoient  point  prêté ,  &  qu'ainii 
il  feroit  bon  qu'il  donnât  à  chacun 
une  marque  de  ce  qu'il  emprun- 
tait.  Non  ,  non  ,  lui  dit-il ,  rende^ 
tout  ce  quon  vous  dira  ;  car  il  nefi 
pas  pojfîble  quun  homme  vous  aille 
redemander  unefomme  a"  argent  y  qu'il 
ne  me  l'ait  prêtée  ,  ou  qu'il  ne  foie 
dans  un  extrême  befoin.  S'il  me  Va, 
Xiij 


486  Histoire  du  Vicomte 

prêtée,  il  faut  bien  la  lui  rendre  :  s  il 
eft  dans  un  Jî grand  befoin  ,  il  ejîjujic 
de  Vajjifter, 
u  preuve  no-      H  étoit  ingénieux  à  trouver  des 
table.  moyens  d'épargner  à  ceux  à  qui 

il  donnoit ,  la  honte  de  recevoir 
du  fecours  dans  leur  indigence  :  il 
ne  leur  donnoit  qu'avec  une  efpece 
de  pudeur ,  &  il  fembloit  qu'il  vou- 
lût prendre  toute  la  confiuion  pour 
lui.  Il  étoit  encore  fort  jeune,  lorf- 
qu'ayant  fçu  qu'un  Gentilhomme 
étoit  devenu  pauvre  ,  pour  avoir 
dépenfé  toutfon  bien  à  l'armée  ,  il 
s'avifa  de  troquer  des  chevaux 
avec  lui  ,,  &  de  lui  en  donner  d'ex- 
cellens  pour  de  très-médiocres  , 
faifant  femblant  de  ne  s'y  pas  con- 
noître. 
Autre.  Un  jour  y  ayant  touché  beaucoup 

d'argent  d'une  charge  dont  la  Cour 
lui  avoit  permis  de  difpofer  y  il  af- 
fembla  cinq  ou  fix  Colonels  ,  dont 
les  régimens  étoient  affez  déla- 
brés ;  Se  leur  laiffant  croire  que  cet 
argent  venoit  du  Roi ,  il  le  leur 
difiribua  à  proportion  de  leurs  be- 
foins. 


DE  TURENNE.   Liv.  K    487 

Une  autre  fois  ,  entendant  un  Am*e* 
Officier,  qui  fe  plaignent  d'avoir  eu 
deux  chevaux  tués  à  une  affaire,  & 
d'être  ruiné  par-là ,  il  le  mena  à  fon 
écurie ,  lui  donna  deux  de  fes  meil- 
leurs chevaux ,  &  lui  recommanda 
fortement  de  n'en  parler  à  perfonne  ; 
de  peur  ,  difoit-il ,  qu'il  rien  vienne 
d'autres  ;  car  je  n  ai  pas  le  moyen  d'en 
donner  à  tout  le  monde  :  voulant  ainfi 
cacher  le  mérite  de  cette  action  fous 
un  prétexte  d'économie  ;  car  autant 
il  aimoit  à  donner  ,  autant  il  crai- 
gnoit  qu'on  ne  divulguât  le  bien 
qu'il  faifoit. 

Quatre  jours  avant  qu'il  fut  Autre> 
tué ,  il  avoit  donné  quatorze  mille 
livres  aux  Anglois  qui  fervoient 
dans  fon  armée ,  dont  il  en  avoit 
emprunté  dix  mille  fur  fon  crédit  à 
Strasbourg  ;  &  l'on  ne  trouva ,  après 
fa  mort,  que  cinq  cens  écus  dans  fa 
caffette. 

On  pourroit  rapporter  plufieurs  Autre* 
autres  exemples  de  fa  générofité  : 
mais  je  crois  que  ,  pour  achever  de 
la  faire  connoître,  il  fuffit  de  dire  , 
qu'après  avoir  commandé  les  ar- 
X  iv 


4$ 8   Histoire  du  Vicomte 
mées  pendant  plus  de  vingt  ans, 
"  il  lahTa  moins  de  bien  en  mourant, 
qu'il  n'en  avoit  eu  de  fa.  maifon  , 
dont   il  n'étoit  pourtant  que  ca- 
det. 
Sonhumani-     Le  foin  qu'il  prenoit  de  la  for- 
fiae°rsr&$  ï«  tune  des  Officiers  ,  &  fon  humani- 
foidau.        té  envers  les  Soldats,  lui  avoient 
gagné  le  cœur  des  gens  de  guer- 
re. Loin    d'imputer  ks   mauvais 
événem ens  au  défaut  de  conduite 
des  Officiers  qu'il  employoit  ,  il 
étoit  le  premier  à  les  excufer.  Si 
quelqu'un  avoit  été  battu  en  parti, 
il  prenoit  foin  de  le  confoler  lui- 
même  ,  &  de  lui  relever  le  coura- 
ge :  il  lui  donnoit  de  nouvelles  trou- 
pes &  en  plus  grand  nombre ,  afin 
qu'il  eût  fa  revanche ,  &C  continuoit 
à  le  renvoyer  toujours  à  la  guerre, 
jufqu'à  ce  qu'il  eût  remporté  quel* 
qu'avantage. 
Sa  borné  de      Un  jeune  Gentilhomme  de  l'ar- 
eaur.  riere-ban ,  arrivant  un  jour  à  l'ar- 

mée ,  après  l'avoir  falué  r  lui  de- 
manda ou  il  mettrait  fis  chevaux» 
A  cette  queftion  ,  tous  ceux  qui 
étaient  préfens,  fe  mirent  à  rire  de 


Ï)E  TlJRENNE.  Liv.  V.    489 

la  manière  du  monde  la  plus  mor- 
tifiante pour  ce  Gentilhomme.  Mais 
le  Vicomte  deTurenne ,  prenant fon 
férieux  :  Cefl  donc ,  leur  dit-il ,  une 
ckofc  bien  étonnante  ,  qu'un  homme  9 
qui  nefi  jamais  venu  à  V armée  ,  nen 
fâche  pas  les  ufages  ?  N'y  a-t-il  pas 
bien  de  Cefprit  à  fe  rire  de  lui,  parce 
qu'il  ne  fait  pas  des  chofes  qu'il  ne 
peut  f avoir  9  &  quau  bout  de  huit 
jours  il  f  aura  auffi-bien  que  vous  ?  II 
ordonna  en  même-tems  à  fon  Ecuyer 
d'avoir  foin  des  chevaux  de  ce  Gen- 
tilhomme ,  &c  de  l'inftruire  des  au- 
tres chofes.  Les  airs  infultans  le 
choquoientau  dernier  point  ;  ck  la 
bonté  étoit  tellement  le  fond  de  fon 
caractère  qu'il  ne  pouvoit  foufîïj r 
qu'on  fe  moquât  de  perfonne.  A 
la  Cour  comme  à  l'armée  y  îor£ 
qu'il  arrivoit  quelque  provincial 
dont  on  vouloir  fe  divertir  ,  il  pre- 
noit  d'abord  fon  parti,  d'un  air  qui 
impofoit  aufïi-tôt  filence  à  tout  le 
monde  ,  quelque  démangeaifon 
qu'on  eût  de  railler. 

11  arriva  plufieurs  fois  ,  qu'ayant  Son  efprit  ^ 
reçu  de  la  Cour  des  ordres  pofitifs  l'upport, 
Xv 


490  Histoire  du  Vicomte 

de  eaffer  des  Capitaines  y  dont  les 

compagnies  n'étoient  pas  complet- 

tes,  il  prit  fur  lui  d'en  fufpendre 

l'exécution ,  &  fut  les  conferver  y 

en  leur  donnant  le  tems  de  rétablir 

leurs  compagnies. 

il  obtient  la      Ayant  fçu  que  le  Duc  de  Lu- 

grace  de  Du- xembourg  avoit    fait  condamner 

p#"'  à  une  mort  infamante ,  Duport ,  qui 

avoit  rendu  Naerden ,  dont  il  étoit 

Gouverneur  r  &  qui  étoit  pourtant 

un  fort  brave  homme  ;  il  obtint  du 

Roi,  que  cet  Officier  auroit  la  per- 

miffion  de  fe  jetter  dans  Grave ,  où 

il  expia  ,  par  une  mort  glorieufe  , 

la  faute  qu'on  l'accufoit  d'avoir  faite 

à  Naerden. 

Son  équité      II  prenoit  foin  de  l'avancement 

pour  ici  wou- ^e  tous  Geux  ^  Soient  dans  fon 

armée,  depuis  le  plus  grand  juf- 
qu'au  plus  petit  :  il  faifoit  valoir 
leurs  fervices  à  la  Cour  ,  &  il 
leur  faifoit  donner  des  charges  & 
des  emplois  à  chacun ,  félon  leur 
capacité  &  leur  mérite.  Auffi  les 
Officiers  &  les  Soldats  avoient- 
ils  pour  lui  un  amour  &c  un  atta- 
chement qu'ils  firent  paroître  en 


DE  TURENNE.  LlV.  V.    49Ï 

tant  d'occafions ,  que  je  crois  de- 
voir en  rapporter  ici  quelque  cho- 
fe. 

Après  fa  mort ,  les  Officiers  gé-  &  [*«  «con- 
néraux  tinrent  confeil  pour  favoir  J^JJ"  cn" 
où  ils  meneroient  l'armée  ;  &  com-    Exemple, 
me  ils  étoient  long-tems  à  fe  dé- 
terminer ,  les  foldats  dirent  ce  bon 
mot  :    Les  voilà  bien    embarrajjés. 
Qu'on  lâche  la  Pie  ;  &  nous  campe- 
rons où  elle  s'arrêtera. 

Mazel ,  qui  paflbit  pour  un  des  Autre; 
meilleurs  Officiers  du  Royaume  , 
&  qui  l'étoit  véritablement  ,  fe 
voyant  prêt  à  mourir  en  Allemagne, 
demanda  pour  toute  grâce  ,  qu'on 
l'enterrât  au  même  endroit  où  le 
Vicomte  de  Turenne  avoit  été 
tué. 

Il  fe  trouve  encore  aujourd'hui ,    Autre, 
parmi  nous,  de  vieux  Officiers ,  de- 
vant qui  on  ne  fauroit  parler  du 
Vicomte  de  Turenne  ,  qu'il  ne  ver- 
fent  aufîi-tôt  des  larmes  ;  &  j'en  ai 
vu  ,  oui ,  voulant  me  raconter  les  ^S" 
bontés  qu'il  avoit  eues  pour  eux ,  ancien  caPî- 
en  éioient  encore  fi  vivement  pé-  ^eauxGar" 
nétrés,  que  la  douleur  leur  çou- 
Xvj 


49*  Histoire  du  Vicomte 
pant  la  voix ,  &  les  laififlant  jufqu'à 
les  faire  fangloter ,  ils  ne  pouvoient 
achever  leur  récit. 

s*  bonne  Sa  bonne  foi  étoit  fi  bien  éta- 
foi  générale-  j^e  ncm-feulement  chez  nous ,  mais 
encore  chez  nos  voilins  ,  que  la 
plupart  des  Princes  d'Allemagne 
traitoient  avec  lui  perfonnellement 
pour  leurs  intérêts ,  fans  demander 
aucune  garantie  de  ce  qu'il  leur 
promettoit  ;  &  que  les  Républi- 
ques y  même  les  plus  foupçonneu- 
fes  ,  fe  croyoient  en  afiurance ,  dès 
qu'il  leur  avoit  donné  fa  parole. 

Exemple.  Quand  il  fallut  réfoudre  dans 
le  Confeil  d'Efpagne,  en  1650,  fi. 

En  i*5$.  on  |e  mettroit  à  la  tête  des  trou- 
pes ,  il  n'avoit  aucune  caution  à 
donner  aux  Efpagnols  pour  fureté 
de  leur  armée.  Cependant ,.  comme 
ils  connoiflbient  le  fond  de  fon  ca^ 
ra&ere ,  ils  ne  laiflerent  pas  de  la  lui 
confier. 

A  Un  jour  qu'il  étoit  dans  la  Soua- 

be ,  ayant  fait  approcher  fon  armée 
du  Lac  de  Confiance  ,  pour  mettre 
à  contribution  quelques  terres  de  la 
Maifon  d'Autriche ,  les  Suiffes  >  qui 


deTurenne.  Lîv.  V.  49$ 
pouvoient  craindre  que ,  fous  pré- 
texte de  porter  la  guerre  dans  le 
pays  de  l'Empereur  ,  on  n'entrât 
dans  le  leur  à  l'improvirte  ,  lui  en- 
voyèrent des  députés ,  pour  lui  di- 
re ,  qu'ils  avoient  tant  de  confiance 
en  fa  bonne  foi,, qu'ils  ne  feroient 
aucunes  levées  de  troupes ,  s'il  vou- 
loit  les  afTurer  qu'il  ne  viendroit 
point  chez  eux  ;  qu'ils  prendroient 
de  plus  grandes  précautions  avec 
un  autre  ;  mais  qu'avec  lui  ,  ils  fe 
contentoient  de  fa  parole. 

J'ai  vu  des  lettres  de  nos  Am-  Autre, 
baffadeurs  en  Angleterre ,  par  les- 
quelles ils  mandent ,  qu'ils  fe  font 
fouvent  fervi  de  fon  nom ,  pour  fai- 
re réufîir  les  affaires  qu'ils  avoient 
à  négocier  à  la  Cour  de  Londres.  Et 
j'en  ai  lu  quelques  autres  de  Plé- 
nipotentiaires de  France ,  qui  écri- 
vent que  tout  ce  qu'ils  peuvent  di- 
re aux  Princes  d'Allemagne ,  ne  les 
rauiire  point,  &  qu'ils  n'ont  confian- 
ce qu'au  Vicomte  de  Turenne. 

Son     intégrité    &    fa     fageiTe  Sonîntégii*. 
étoient  fi  généralement  reconnues , tc" 
même  dans  les  pays  étrangers  ?  que      c  l6 î4* 


lion 


494  Histoire  du  Vicomte 
les  Princes  de  Montbéliard ,  ayant 
difputé  entre  eux  à  qui  pofféderoit 
la  principale  Terre  de  leur  Souve- 
raineté ,  fe  fournirent  au  jugement 
qu'ils  le  prièrent  de  rendre  pour 
terminer  leur  différend  ;  &  que 
beaucoup  d'autres  Princes ,  fur-tout 
de  l'Allemagne  ,  le  choififîbient 
pour  arbitre  dans  la  plupart  des 
conteftations  qui  furvenoient  en- 
tr'eux. 
Sa  modéra?  sa  modération  dans  les  offen- 
fes  égale  tout  ce  qu'on  raconte  de 
celle  des  Philofophes  de  l'antiquité , 
les  plus  vantés. 
Exemple  rare  Etant  fur  le  point  d'attaquer 
les  lignes  des  ennemis  qui  afîié- 
geoient  la  ville  d'Arras  &  n'ayant 
point  les  outils  qui  lui  étoient  né- 
eeffaires  pour  cela  ,  il  en  envoya 
demander ,  par  un  de  fes  Gardes , 
au  Maréchal  de  la  Ferté.  Ce  Garde 
vint  bientôt  après  dire  que  le  Ma- 
réchal de  la  Ferté  les  avoit  non- 
feulement  refufés,  mais  encore  qu'il 
avoit  accompagné  fon  refus  de  pa- 
roles fort  défobligeantes  pour  le 
yicomte  de  Turenne»  Le  Vicomte 


de  Turenne.  Llv.  V.  49c 
de  Turenne ,  fe  tournant  alors  vers 
les  Officiers  qui  fe  trouvoient  au- 
près de  lui  ,  fe  contenta  de  dire  : 
Puifquil  ejl  Ji  en  colère,  il  faudra  fe 
pajfer  defes  outils  y  &  faire  comme  Ji 
nous  les  avions. 

Le  même  Maréchal ,  ayant  trou^  Autre, 
vé  un*autre  Garde  du  Vicomte  de 
Turenne  hors  du  camp  ,  lui  de- 
manda ce  qu'il  faifoit-là  ;  ÔC ,  fans 
attendre  fa  réponfe  ,  il  s'avança  fur 
lui  &  le  chargea  à  coups  de  can- 
ne. Ce  Garde  vint  fe  préfenter 
tout  en  fang  à  fon  Maître ,  exagé- 
rant fort  les  mauvais  trait emens 
qu'il  avoit  reçus  du  Maréchal  de  la 
Ferté  :  mais  le  Vicomte  de  Tu- 
renne ,  feignant  de  s'en  prendre  au 
Garde  même  : // faut,  lui  dit-il,  que 
vousfoye^  un  bien  méchant  homme  , 
pour  Û  avoir  oblige  à  vous  traiter  de  la 
forte.  Et  ayant  envoyé  chercher 
le  Lieutenant  de  fes  Gardes ,  il  lui 
ordonna  de  mener  fur  le  champ  ce 
Garde  au  Maréchal  de  la  Ferté  , 
de  lui  dire  qu'il  lui  fâifoit  excufe  de 
ce  que  cet  homme  lui  avoit  man- 
que de  refpeft  j  &  qu'il  le  remettoit 


49<$  Histoire  du  Vicomte 
entre  fes  mains ,  pour  en  faire  telle 
punition  qu'il  lui  plairoit.  Cette 
modération  étonna  toute  l'armée. 
Le  Maréchal  de  la  Ferté ,  qui  en  fut 
lui-même  furpris,  s'écria,  avec  une 
efpece  de  jurement  qui  lui  étoit  or- 
dinaire :  Cet  homme  fera- t'il  toujours 
fage  ,  &  moi  toujours  fou  ; 
atrc«  Son  carroffe  s'étant  trouvé  un 

jour  arrêté  dans  les  rues  de  Paris 
par  un  embarras,  un  jeune  homme 
de  condition  ,  qui  ne  le  connoiffoit 
point,  tk  dont  le  carroffe  étoit  à  la 
fuite  du  fien  ,  vint  donner  à  grands 
coups  de  canne  fur  le  cocher  du 
Vicomte  de  Turenne  ,  parce  qu'il 
n'avançoït  pas  affez-tôt  à  fon 
gré.  Le  Vicomte  de  Turenne  re- 
gardoit  tranquillement  cette  fcène 
de  dedans  ion  carroffe.  Mais  un 
Marchand.,  étant  forti  alors  de  fa 
boutique ,  un  bâton  à  la  main  ,  en 
criant  :  Comment  l  on  maltraite  ainfi 
les  gens  de  M,  de  Turenne  !  ce 
jeune  homme  ,  qui ,  à  ce  nom  ,  fe 
crut  perdu  ,  vint  à  la  portière  du 
carroffe  du  Vicomte  de  Turenne  , 
lui  demander  pardon,  Le  Vicomte 


DE  TURENNE.  Liv.   V.  497 

de  Turenne  ,  qu'il  croyoit  bien  en 
colère ,  s'étant  misa  fourire  ;  Effecti- 
vement y  Monjitur ,  lui  dit-il  ,  vous 
vous  entende^  fort  bien  à  châtier  mes 
gens  :  quand  ils  feront  desfottifis ,  ce 
qui  leur  arrive  fouvent ,  je  vous  les  en- 
verrai. Le  Vicomte  de  Turenne 
fe  poffédoit  ainfi  dans  ces  fortes 
d'occafions  ,  où  les  autres  hom- 
mes ne  font  plus  maîtres  d'eux-mê- 
mes. On  ne  l'a  jamais  pu  faire  for- 
tir  de  ce  caraclere  tranquille  & 
modéré  ,  quelque  chofe  qu'on  ait 
faite  pour  le  choquer  ôt  l'irriter. 
La  Grèce  l'auroit  mis  au  nombre 
de  fes  Sages  quand  il  n'auroit  eu 
que  cette  feule  vertu  :  auiîi  les  meil- 
leurs efprits  de  fon  fiecle  l'ont-ils 
regardé  comme  un  homme  quiétoit 
véritablement  digne  d'être  mis  en 
parallèle  avec  les  plus  grands  per- 
sonnages qui  aient  jamais  été  par- 
mi les  Grecs  &  parmi  les  Romains. 
Rien  ne  fauroit  être  plus  fuperbe  ,. 
que  l'étoit  alors  la  Cour  de  France» 
On  venoit  de  tous  les  endroits  de 
l'Europe  voir  la  magnificence  de 
Verfaiiles.  Cependant  les   étran- 


498  Histoire  du  Vicomte 

gers ,  après  avoir  vu  la  pompe  & 
les  richeffes  de  la  Cour  &  des 
Maifons  Royales  ,  eftimoient  que 
le  bonheur  que  le  Roi  avoit  d'être 
le  maître  de  toutes  ces  choies ,  n'é- 
toit  point  comparable  à  celui  de 
poffeder  un  homme  tel  que  le  Vi- 
comte de  Turenne. 

Sabontêpour       $a    j,onté    envers    fes    domeffi- 
îes    aomeiu-  ,      t  1T     .,  .     ..  , 

^ue*.  ques  ,  de  laquelle  j  ai  dit  quelque 

choie  en  général ,  fe  connoîtra  peut- 
être  encore  mieux  par  l'exemple 
fuivant. 
Exemple,  xjn  jour  un  de  fes  gens  étant 
allé  demander  de  fa  part ,  quoi- 
qu'à  fon  infçu ,  un  Emploi  au  îieur 
Colbert,  Contrôleur  Général  des 
Finances;  ce  Miniftre^ravi  de  trou- 
ver une  occafion  de  faire  plaifir 
au  Vicomte  de  Turenne  ,  lui  alla 
porter  lui-même  la  Commifîion* 
Le  Vicomte  de  Turenne  ,  qui  ne 
favok  rien  de  la  chofe ,  fut  allez 
furpris  du  compliment  dufieur-Col- 
bert.  Néanmoins  y  recevant  la  Com- 
mifïion ,  il  remercia  ce  Mïniftre , 
comme  fi  c'eût  été  par  fon  ordre 
qu'on  la  lui  fût  allé  demander,  & 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  499 
fît  appeller  le  domeftique  en  fa- 
veur duquel  elle  et  oit  expédiée. 
Cet  homme  ayant  fçu  ce  qui  ve- 
noit  de  fe  paffer  ,  fe  crut  perdu ,  & 
fe  jetta  aux  pieds  de  fon  maître  ,  en 
lui  demandant  miféricorde.  Mais 
te  Vicomte  de  Turenne  le  faifant 
relever  aufîi-tôt ,  &  lui  remettant  la 
Commilîion  entre  les  mains  :  Si 
vous  meujfie^  parlé  de  cette  affaire , 
lui  dit-il ,  je  vous  y  aurois  fervi  com- 
me vous  Vaurie^  pu  fouhaiter  :  & 
tout  ce  qui  me  fâche  en  cela  ,  c'e/l  que 
vous  ne  me  dijie^  point  ce  qui  vous 
oblige  à  me  quitter.  Ce  domeftique 
confus  y  &;  néanmoins  raffuré ,  lui 
ayant  dit  qu'il  n'avoit  recherché 
cet  Emploi ,  que  parce  qu'il  avoit 
beaucoup  d'enfans  ;  le  Vicomte  de 
Turenne  lui  fit  payer  ce  qu'il  lui 
devoit  de  fes  gages ,  6c  lui  donna 
encore  une  fomme  confidérable  , 
pour  l'aider  à  faire  fubfifter  fa  fa- 
mille. 

Sa  modeflie  eu  peut-être  de  tou-  Sa  moicfti^ 
tes  fes  vertus  celle  dont  on  a  une 
plus  grande  idée,  à  caufe  de  fon  ex- 
térieur. Que  feroit-ce ,  £  on  la  con- 


yoo  Histoire  du  Vicomte 
noiffoit  par  les  fentimens  mêmes? 
Preuve.  Qu'on  life  tous  les  Mémoires 
hiftoriques  faits  de  notre  tems ,  on 
y  verra  que  le  plus  petit  Officier 
le  vante  toujours  d'avoir  fait  ce 
qu'il  raconte  de  plus  grand ,  ou  du 
moins  de  l'avoir  fuggéré  au  Gé- 
néral. À  lire  dans  les  Mémoires 
du  Vicomte  de  Turenne,  fes  gran- 
des aclions ,  qui  ont  étonné  toute 
l'Europe ,  il  femble  que  ce  foient 
les  événemens  les  plus  (impies  & 
les  plus  communs ,  &  qu'il  n'y  ait 
eu  prefqu'aucune  part. 
Autre,  en  Peu  de  gens  ignorent  la  gloi- 
re qu'il  s'acquit  par  le  fameux  cam- 
pement du  Quefnoi  ,  où  après  la 
levée  du  fiége  de  Valenciennes ,  il 
arrêta  les  ennemis  victorieux.  Voi- 
ci ce  que  lui  écrivit  le  Sieur  le 
Tellier  ,  Secrétaire  d'Etat  ,  qui 
fut  depuis  Chancelier  de  France. 
Par  votre  prudence  ,  Monfeigneur  f 
&  par  une  conduite  vigoureufe ,  vous 
ave{  rétabli  la  réputation  des  armes 
du  Roi.  En  vérité ,  il  ri  y  a  rien  de 
plus  beau  que  votre  campement  pro- 
che du  Quefnoi  f  après  la  déroute  de 


*6î6 


DE  TURENNE.  Liv.  V.   501 

'aUnciennss  ,  d'avoir  ainjî  fait  tête 
ux  ennemis  ,  fort  orgueilleux  dans 
tur  Pays ,  &c.  Voici  comment  le 
Vicomte  de  Turenae  en  parle  lui- 
nême  :  V armée  des  ennemis  ejl  ve- 
\\ue  tout  proche  .d'ici.  Ils  y  ont  de» 
neuré  deux  jours  ,  &  après  ont  mar- 
hé  vers  Condè.  Au  Quefnoi ,  U  24 
ruillet  i6>6. 

Il  eft  constamment  vrai  qu'il  fau- Autre,  1*$*, 
ra  la  Cour  à  Jargeau  ;  la  Reine- 
4ere  U  dit  publiquement  en  pro- 
pres termes.  Cependant  ,  voyez 
omment  il  s'en  exprime  lui-même  : 
7  s*eft  pajjé  quelque  chefi  À  Jar- 
geau ,  qui  nefi  pas  de  grande  confi- 
iération.  A  Jully  ,  le  30  Mars 
\  6 5  2.  Y  a-t-il  quelque  exemple  d'u- 
1e  pareille  modeftie  dans  les  Mé- 
noires ,  ou  dans  les  Lettres  des 
uitres  hommes  de  guerre? 

Sa  délicateffe  de  confeience  nous    $a  déiica- 
iécouvre  en  lui  un  fi  grand  fond  »fle  de  c°»- 
de  Religion ,  qu'on  n'eft  plus  fur-  Clen"' 
pris  que  l'armée  ,  ni  la  Cour  ne 
'aient  pu  gâter. 

Quelque     bien    qu'aient     les  Exemple, 
gens  de  guerre ,  il  en  eft  peu  qui 


501  Histoire  du  Vicomte 
ne  foient  obligés  d'emprunter  de! 
l'argent  ,  quand  il  faut  qu'ils  fe; 
mettent  en  campagne.  Lorfquel 
le  Vicomte  de  Turenne  étoit  fur  le; 
point  d'y  aller,  beaucoup  de  gens] 
venoient  lui  offrir  de  très  -  groffes  I 
fommes  ;  mais  9  quoiqu'il  pût  quel- 
quefois en  avoir  befoin  ,  il  n'en 
voulut  jamais  accepter  ,  dans  la 
crainte  qu'il  avoit  que  ces  gens  ne 
perdifTent  ce  qu'ils  lui  auroiem 
prêté ,  s'il  fût  venu  à  mourir  à  l'ar- 
mée. 
Autre.  Un  jour  qu'il  étoit  en  marche 
dans  le  pays  ennemi ,  les  habitans 
d'une  grone  Ville  lui  envoyèrent 
offrir  cent  mille  écus  par  des  Dé- 
putés ,  pourvu  qu'il  voulût  bien 
le  détourner  de  fon  chemin ,  & 
ne  point  faire  paffer  fes  troupes 
dans  leur  ville.  Comme  votre  ville , 
dit  le  Vicomte  de  Turenne  à  ces 
Députés,  nef  point  fur  la  route  par 
oh  y  ai  dtjliné  de  faire  marcher  mes 
troupes  ,  je  ne  puis  prendre  V argent 
que  vous  m'offre^.  Je  ne  penfe  pas 
qu'on  ait  jamais  porté  plus  loin  la 
délicateife  de  confeience.  Ces  Dé- 


DE  TtfRENNE.  £*V,  V\  503 
pûtes  en  demeurèrent  très-éton- 
nés.  Les  ennemis  eurent  toujours 
depuis  pour  lui  une  vénération 
pleine  de  tendrefTe  :  ils  le  pleu- 
rèrent à  fa  mort  autant  que  les 
François  mêmes,  &les  Allemands 
n'ont  jamais  voulu  labourer  l'en- 
droit où  il  a  été  tué  ,  comme  fi 
l'imprefîion  de  fon  corps  avoit 
rendu  cet  endroit  facré.  Il  eft  en- 
core en  friche  ,  &£  les  payfans  le 
montrent  à  tout  le  monde ,  aufîi- 
bien  qu'un  arbre  fort  vieux  qui 
eft  là  auprès ,  &  qu'ils  n'ont  point 
voulu  couper.  Aufïi  avoit-il  tou- 
jours épargné  le  pays  ennemi  au- 
tant qu'il  avoit  pu  ,  confervant  les 
fruits  de  la  terre  pour  les  gens 
de  la  campagne  dont  iî  plaignoit 
la  trhle  deltinée  ,  &  n'en  avoit  pas 
moins  bien  fait  le  fervice  du  Roi , 
comme  on  l'a  pu  voir  dans^toute 
la  fuite  de  fon  hiftoire. 

Le  Chriûianifme ,  enfin ,  de  l'ef-  Son  ChrîftU. 
prit  duquel  il  étoit  fans  cefTe  ani- mfme* 
mé ,  a ,  pour  ainfi  dire  ,  couronné 
toutes  fes  autres  vertus.  Il  avoit 
îioû-feulement  foin  de  purger  fon 


504  Histoire  du  Vicomte 
armée  des  déréglemens  qui  ré- 
gnent ordinairement  parmi  les 
troupes  ;  mais  il  y  a  voit  encore 
établi  des  prières  publiques  à  cer- 
taines heures  du  jour.  Il  faifoit 
des  vœux  au  Ciel  pour  la  paix  au 
milieu  des  plus  glorieufes  vicloi- 
res  qu'il  remportoit.  Il  traitoit 
tous  (es  foldats  comme  tes  en- 
fans  &  comme  fes  frères  ;  fi  bien , 
qu'à  l'armée  même  ,  il  étoit  enco- 
re plus  admiré  pour  l'excellence 
de  fes  mœurs ,  qu'à  cauie  des  t'a- 
lens  fupérieurs  qu'il  avoit  pour  la 
guerre. 
Preuve,  %  Jacques  II  ,  Roi  d'Angleter- 
re ,  qui  a  écrit  les  quatre  campa- 
gnes qu'il  fit  fous  lui  ,  racontant 
la  fameufe  attaque  des  lignes 
d'Arras  ,  en  parle  en  ces  termes  : 
Avant  Canaque  des  lignes  d'Arras  f 
Monfieur  de  Turenne  fit  faire  des 
'  prières  publiques  à  la  tête  de  chaque 
bataillon  &  de  chaque  ejeadron ,  pen* 
dant  plujîeurs  jours  ,  pour  le  juccès 
de  cette  tntreprife  :  prefque  tout  le 
monde  fe  confejfa  &  communia;  & 
je  fuis  fur  au  il  ne  s' ejl  jamais  vu 

dans 


BE  TlTRENNE.  Lh.  V.  J6J 
dans  aucune  armée  tant  de  marques 
d'une  véritable  dévotion  qu'il  en 
parut  dans  la  nôtre  (*). 

Tout  le  monde  convient  que 
rien  ne  fait  mieux  connoître  un 
homme  que  fes  lettres  :  Il  ne 
faut  que  lire  celles  du  Vicomte  de 
Turenne  ,  pour  voir  qu'il  n'étoit 
occupé  que  de  Dieu,  pendant  tout 
le  cours  de  fes  campagnes  tk  dans 
toutes  (es  entreprîtes* 

Nous  allons  commencer  la  cam«  Autre. 
pagne ,  dit-il  dans  une  de  (es  let- 
tres :  /ai  bien  prié  Dieu  ce  matin 
qu'il  me  fafj'e  la  grâce  de  la  paffcr 
en  fa  crainte  ,  ne  connoiffant  point  de 
plus  grand  bien  que  d'avoir  la  cons- 
cience en  repos  >  autant  que  notre 
fragilité  le  peut  permettre.  A  Marie , 
te  n  Juin  1656* 

Toutes     chofes    vont    fort    bien  Au£tc' 
jufqu'à  préfent  ;  dit-il  dans  une  au- 


(  *  )  Mémoires  de  Jacques  II ,  Roi  de 
|  la  Grande  Bretagne  ,  écrits  de  fa  propre 
i  inain ,  &  confervés  par  Ton  ordre  dans 
I  les  Archives  du  Collège  des  Ecoffois  à 
Paris, 

Y 


506  Histoire  du  Vicomte 
tre  lettre  ;  mais  comme  les  fuccès 
font  toujours  douteux  ,  il  faut  fe  re- 
mettre à  la  volonté  de  Dieu*  Au 
camp  devant  Valenciennes  ,  le  i§ 
Juin  1656. 

On  ne  fauroit  porter  plus  loin 
la  confiance  ,  la  réfïgnation  ,  l'hu- 
milité &  la  reconnohTance  Chré- 
tienne que  le  fait  le  Vicomte  de 
Turenne  dans  toutes  fesjettres. 

Autre.  Pourvu  ,  dit -il  ,  qu'il  plaife  à 
Dieu  de  ne  nous  point  faire  tomber 
dans  quelque  malheur  que  Von  ne  pré' 
voit  point ,  fefpere  qrfon  achèvera 
ce  Jiége,  Au  camp  devant  Landrecy , 
le  29  Juin   1655. 

Autre.  Avec  l'aide  de  Dieu  ,  je  crois 
que  ceci  riujfira  fort  bien  ,  &  qu'il 
bénira  notre  entreprife.  Au  camp 
devant  la  Cap  elle  9  le  23  Septembre 
i65G. 

Autre.  ;  Je  fuis  toujours  dans  les  mêmes 
fentimens  ? priant  Dieu  qu'il  me  don- 
ne la  continuation  de  fa  grâce  ,  & 
qu'il  me  rende  plus  homme  de  bien 
que  je  ne  le  fuis*  A  Amiens  ,  le  1 
Janvier  1660. 

Autre,        On  affûte  fort  que   les  ennemis 


DE  TURENNE.  Liv.  V.  507 
donneront  aux  lignes»  Cela  comme 
toutes  les  autres  chofes ,  ejl  en  la  main 
de  Dieu  ;  îlfautfefoumettre  à  fa  vo- 
lonté. Au  camp  devant  Valenciennes  , 
le  z  Juillet  i65G. 

F  ai  rendu  grâces  a  Dieu  de  tout  Aurre, 
mon  cœur  de  ce  que  cette  affaire , 
dont  je  fouhai tais  fi  fort  le  fucces  , 
in  a  fi  bien  réuffi.  Il  efl  certain  qu'il 
y  a  une  grande  bénédiction  de  Dieu 
fur  tout  ce  que  j'entreprends.  Au 
camp  ,  pus   d'Arras  >  le  26"  Août 

Il  feroit  trop  long  de  tranf- 
crire  toutes  les  autres  lettres  du 
Vicomte  de  Turenne  où  l'on  trou- 
ve de  pareils  fentimens.  Je  finirai 
par  celle  qu'il  écrivit  après  la  ba- 
taille des  Dunes  ,  &C  que  je  vais 
rapporter  ,  afin  qu'on  voie  fi  au- 
cun Général  d'armée  a  jamais  écrit 
une  femblable  lettre ,  après  une  pa- 
reille victoire. 

Je  vous  fais  ce  mot ,  pour  vous 
dire  qu'il  s'efl  pajfé  aujourd'hui  une 
fort  belle  action  ,  dont  il  faut  louer 
Dieu.  Monfieur  le  Prince  &  Dom 
Juan    $nt    été  entièrement  défaits. 


$0$  HlST.  DU  VlC.  DE  TUR. 

Ccft  une  grande  bénédiction  de  Diey. 
que  cette  affaire  ait  fi  heureufement 
réujfî.  Tejpere  qu'il  nous  bénira  ey 
autre  chofe  :  il  faut  fe  remettre  à  fa. 
volonté.  Aux  Dunes  près  Dun- 
kerque  ,  le  14  Juin  i658. 
Condufion.  Tej  fut  par  rapport  au  Chrif- 
tianifme  le  Vicomte  de  Turen- 
ne  dont  on  ne  doit  pas  craindre 
que  le  nom  &  les  actions  tom- 
bent jamais  dans  l'oubli ,  quand 
même  les  François  ne  prendroient 
pas  foin  d'en  perpétuer  le  fouve- 
nir  ,  les  exemples  de  vertu  qu'il 
a  donnés  étant  d'une  û  grande 
utilité  pour  tous  les  hommes ,  de 
quelque  pays  qu'ils  foient ,  que  le 
monde  entier  fe  trouve  intérefîe  à 
en  conferver  éternellement  la  mé* 
moire, 


F  I  N. 


TABLE 

DESLIVRES 

DE  CETTE  HISTOIRE. 


Livre  Premier. 


d 


Epuis  la  naiffance  du  Vicomte 

de  Turenne ,  jufqu \à  fon  élévation 

au  grade  de  Maréchal  de  France 

en   1&43  ->  Pag-  ï'73^ 

Livre    Second. 

Depuis  la  défaite  du  frère  de  Mercy 

à  Hutinghen  ,  en   1 G 44  ,  jufqu9  à 

la  défaite  des  Bavarois  ,  en  1 648. 

Pag.  75-148. 

Livre  Troisième. 

Depuis  la  paix  de  Munfler  &  le 
commencement  des  Guerres  Civi* 
les ,  jufqu' au  Siège  de  Dunkerque  9 
en  iG58 ,  Pag.  145-191, 


Livre  Quatrième. 

Depuis  la  Bataille  des  Dunes  ,  en 

i€5S ,  jufqiï  à  fon  changement  de 

Religion  i    en    Octobre     1608   , 

p.  293-336. 

Livre  Cinquième. 

Depuis  la  Guerre  de  Hollande  ,  en 
1 6yx  y  jufqrfà  fa  mort  en  1 6j5  , 

P*g-  339-473- 


F  I  N. 


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